Timofeï Sergueïtsev

Timofeï Sergueïtsev (en russe Тимофей Сергейцев) est un philosophe russe associé à l’Université d’État de Moscou.

Timofeï Sergueïtsev
Biographie
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Nationalités
Formation
Faculté de physique générale et appliquée de l'Institut de physique et de technologie de Moscou (d) (jusqu'en )
Activités
Autres informations
Membre de
Moscow's methodological circle (d)
Influencé par
Georgy Shchedrovitsky (en)
Œuvres principales

Bibliographie

Il intègre le du club Zinoviev pour relayer l’influence culturelle russe en Europe. Il y publie à partir de 2014 de nombreux articles contre l’influence des États-Unis ou bien contre l’Organisation du traité de l'Atlantique nord[1].

Ayant longtemps travaillé comme consultant politique notamment pour l'ancien président de l'Ukraine, Viktor Ianoukovytch, en 2004 ou le millionnaire russe Mikhaïl Prokhorov à partir de 2012, il est connu et mis en lumière depuis 2022 comme l’un des principaux idéologues et théoricien de cette désormais fameuse théorie de la « dénazification » de l’Ukraine[2].

Idéologue

Son nom devient publiquement connu lors de la guerre russo-ukrainienne et l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 déclenchée le 24 février 2022 sur l'ordre du président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine.

Le 3 avril 2022, l’agence de presse officielle RIA Novosti[3], agence placé sous tutelle directe du ministère de l’Information russe[3] et en charge de la propagande, rendait public le plan d'action "pour une période de 25 ans" rédigé par Sergueïtsev lui même[4].

Dans ce document publié sous le titre « Ce que la Russie devrait faire de l’Ukraine », Sergueïtsev décrit comment neutraliser le gouvernement ukrainien pro-occidental et ses supporters au sein de la population civile ukrainienne en reprenant pour son compte la théorie du Kremlin selon laquelle l’Ukraine serait dirigée par un pouvoir ukrainien nazi, manipulé par l’Occident pour nuire à la Russie.

Appelant à une répression idéologique[2], il écrit : « L’élite (nazie) doit être éliminée. Sa rééducation est impossible. Le “marécage” social, qui a activement ou passivement soutenu cette élite par son action ou son inaction, doit survivre aux affres de la guerre et doit assimiler l’expérience comme une leçon historique et l’expiation de sa culpabilité »[5].

Détail du programme

Considérant et partant du postulat non prouvé ni étayé que la population ukrainienne est soit majoritairement nazie soit ayant des liens avec l'idéologie nazie[2], il décrit les mesures devant être adoptées à ces yeux basé sur une rééducation politique, culturelle et une censure [6]:

-Liquidation des formations armées nazies (nous entendons par là toutes les formations armées d’Ukraine), ainsi que de l’infrastructure militaire, informationnelle et éducative qui assure leur activité ;

-La formation d’un gouvernement populaire autonome et d’une police (défense et ordre public) dans les territoires libérés afin de protéger la population de la terreur des groupes nazis clandestins ;

-L’installation d’un espace d’information russe ;

-Retrait du matériel pédagogique et interdiction des programmes éducatifs à tous les niveaux qui contiennent des attitudes idéologiques nazies ;

-Des enquêtes de masse visant à établir la responsabilité personnelle pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, la diffusion de l’idéologie nazie et le soutien au régime nazi ;

-Épuration, divulgation des noms des collaborateurs du régime nazi et de leur travail forcé pour reconstruire les infrastructures détruites en punition de leurs activités nazies (parmi ceux qui ne seront pas soumis à la peine de mort ou à l’emprisonnement) ;

-Adoption au niveau local, sous l’autorité de la Russie, des principaux actes réglementaires de dénazification « par le bas », interdisant toute sorte et forme de renaissance de l’idéologie nazie ;

-La création de mémoriaux, de monuments commémoratifs et de monuments aux victimes du nazisme ukrainien et la perpétuation du souvenir des héros qui l’ont combattu ;

-L’inclusion d’un ensemble de normes anti-fascistes et de dénazification dans les constitutions des nouvelles républiques populaires ;

-Création d’organismes permanents de dénazification pour une période de 25 ans.

Il indique également qu’une génération entière d’Ukrainiens soit soumise à des mesures de « dénazification » soit pour un durée de 25 ans.

Analyse

Pour le professeur d’histoire à l’Université Concordia et l’un des fondateurs de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne (MIGS), Franck Chalk souligne : « Le fait que Poutine essaie d’annuler les Ukrainiens comme groupe et le fait qu’il considère englober le territoire ukrainien dans la Fédération de Russie sont aussi des signaux d’avertissement d’un possible génocide futur »[5].

Michel Foucher dans son ouvrage "Ukraine-Russie : la carte mentale du duel" rappelle que le terme nazi fut employé par Staline dès les années 1930 contre les opposants russes critiques vis à vis de sa politique de répression des "koulaks"[7].

L'historienne franco-russe Galia Ackerman, auteur de l'ouvrage :"le régiment immortel : la guerre sacrée de Poutine", indique également que l'emploi de cette sémantique par le pouvoir russe n'est pas nouvelle. Elle souligne que Staline qualifiait de nazis les personnes qui demandaient davantage de libertés et de démocratie. Ce fut également le cas du maréchal Tito - dirigeant de la Yougoslavie ( 1892-1980) d'être désigné sous le qualificatif de nazi bien qu'il avait également combattu les Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale.[8]

Elle rappelle également que sur les territoires qui furent repris et contrôlés par le pouvoir soviétique (dont notamment les Pays baltes, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie) il y eu des purges, des déportations, des assassinats ciblés et des procès. La dictature nazie fut remplacée par la répression du pouvoir communiste. Or, cette vision de l’histoire, partagée par l’ensemble de l’Europe qui fut occupée par les Soviétiques, est totalement intolérable pour les Russes[9].

Le rappel de l'agression nazie permet au pouvoir russe actuel de se placer d'une part en héritier de l'URSS qui fut parmi les vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale en 1945 et d'autre part, de justifier son expansion territoriale actuelle sur l'Ukraine indépendante depuis 1991 dont il nie l'identité et la culture spécifique[8].

Le programme de Sergueïtsev au sujet de l'Ukraine est exposé par le traducteur franco-russe André Markowicz au cours de l'émission la Grande Table des Idées sur France Culture le 3 Juin 2022[10].

Pour le site des humanités, il apparaît que la tribune de Sergueïtsev exprime pour la première fois, d’une façon on ne peut plus nette que la guerre menée par la régime de Poutine ne s’attaque pas seulement à l’Ukraine, mais en réalité à l’ensemble des valeurs européennes et occidentales. Dans la vision de Sergueïtsev, l’Europe et l’Occident sont responsables d’un effondrement civilisationnel, contre lequel la Russie doit faire rempart. La guerre en Ukraine, loin de n’être qu’une guerre territoriale, est donc, pour l’un des idéologues les plus proches de Poutine, en réalité une guerre de civilisation[11].

Références

  1. Pierrre Le, « Un perpétuel encerclement de l’Ukraine sur tous ses fronts jusqu’à l’aube de l’invasion russe » , sur https://www.ege.fr, (consulté le )
  2. Yanina Sorokina, « Who Is the Author of Russia’s ‘Blueprint for Genocide’ Essay? », sur https://www.themoscowtimes.com, (consulté le )
  3. RIA Novosti est l'une des plus importantes agences de presse de Russie avec TASS et Interfax. Officiellement sous la tutelle du ministère de la presse et de l'information de Russie depuis le 22 août 1991, son administration centrale est basée à Moscou.
  4. La rédaction, « Guerre en Ukraine : exécutions, travaux forcés, rééducation des masses... Le plan terrifiant de "dénazification" de la Russie dévoilé » , sur https://www.ladepeche.fr/, (consulté le )
  5. Laura-Julie PERREAULT, « Le mot qui commence par la lettre « g » » , sur https://www.lapresse.ca, (consulté le )
  6. Cécile Dunouhaud, « Le concept de dénazification de l’Ukraine selon Timofeï Sergueïtsev » , sur https://clio-texte.clionautes.org, (consulté le )
  7. Michel FOUCHER, Ukraine-Russie : la carte mentale du duel, Paris, Gallimard, , 57 p.
  8. Mahaut Landaz, « Pourquoi Poutine parle-t-il tout le temps des nazis ? » , sur www.nouvelobs.com/guerre-en-ukraine/20220412.OBS57029/pourquoi-poutine-parle-t-il-tout-le-temps-des-nazis.amp, (consulté le )
  9. Laurent Marchand, « ENTRETIEN. Pourquoi Vladimir Poutine parle-t-il de « dénazifier » l’Ukraine ? » , sur https://www.ouest-france.fr/, (consulté le )
  10. Olivia Gesbert - La Grande Table Idées, « Crise ukrainienne, la Russie face à elle-même? » , sur https://www.radiofrance.fr/, (consulté le )
  11. Jean Marc Adolphe, « Le "Mein Kampf" de Poutine. "Dénazification" de l’Ukraine : l’effrayante tribune de T.Sergueïtsev » , sur https://www.leshumanites.org/, (consulté le )
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