Tukulti-Ninurta Ier
Tukulti-Ninurta Ier (c'est-à-dire « Ninurta est mon secours ») était un roi d'Assyrie de 1245 à 1208 ou 1233 à 1197 (Amélie Kuhrt).
Histoire
Ascension
Comme son père Salmanazar Ier, il va continuer les campagnes, et porte son empire à son apogée. Il mène des expéditions vers les pays montagneux qui entourent l'Assyrie au Nord et à l'Est, pour les obliger à payer tribut. Il s'attaque d'abord aux tribus du Zagros, les Qutî, les Uqumanî et Mehrû. Du pays de Mehrû il ramène les arbres destinés à la construction du palais d'Assur[1]. Au Nord, dans la région du Haut-euphrate connue sous le nom de Shubaru (dans la région de l'actuelle Diyarbekir), il s'attaque au royaume d'Alshe (ou Alzi). Le roi d'Alshe, dont le nom hourrite est Ehli-Teshub, subit une défaite écrasante et se réfugie au pays de Naïri. Près du lac de Van, que les Assyriens appelaient «la mer du Haut», Tukulti-Ninurta défait quarante roitelets de cette région[2], qui s'étaient coalisés contre lui. Ces régions sont limitrophes de l'empire hittite, dont le roi à cette époque est Tudhaliya IV. Ce dernier ne souhaite pas de conflit avec les Assyriens et avait envoyé à Tukulti-Ninurta une lettre l'assurant de ses bonnes intentions. C'est sans doute pendant l'expédition contre Alshe que les Assyriens franchirent l'Euphrate et ravagèrent le territoire hittite. Dans les archives royales hittites de Hattusa, on a retrouvé une lettre de Tukulti-Ninurta, qui proteste de son innocence : "On n'a pas enlevé un éclat de bois à la frontière de ton pays"[3]. Les inscriptions assyriennes contemporaines des faits ne font pas état de ce raid, mais dans ses dernières inscriptions, par contre, Tukulti-Ninurta prétend avoir remporté une grande victoire et avoir fait 28 800 prisonniers hittites[4].
C'est sans doute au cours de ces dernières campagnes que le roi kassite de Babylone Kaštiliaš IV croit pouvoir s'emparer de certains territoires assyriens : Rapiqum et le pays d'Arrapha (près de l'actuelle Kirkouk). La réaction assyrienne est implacable. Au cours d'une première campagne, Tukulti-Ninurta inflige une sévère défaite au roi kassite, qui est fait prisonnier et déporté en Assyrie. Ensuite les Assyriens assiègent la ville de Babylone, dont la prise s'accompagne des atrocités habituelles, destructions, massacres et déportations. Toute la Basse Mésopotamie soumise est confiée à un gouverneur assyrien. De nombreux scribes figurent parmi les Babyloniens déportés en Assyrie. Ils célèbrent la victoire assyrienne dans un poème épique connu sous le nom d'«Épopée de Tukulti-Ninurta» et contribuent à la "babylonisation" de la culture assyrienne.
Devenu maître de toute la Mésopotamie, il est non seulement roi du pays d'Assur, mais également «roi des quatre régions», «roi de Sumer et d'Akkad» et «roi de la mer du Haut et de la mer du Bas» (c'est-à-dire le lac de Van et le golfe Persique).
Extraits de l'épopée de Tukulti-Ninurta[5]
L'épopée fait environ 800 lignes. Elle oppose le bon roi assyrien, qui respecte les dieux et les serments, au mauvais roi babylonien, qui a rompu son serment, dans une guerre juste, vue comme un véritable jugement des dieux. On peut comprendre ce texte comme une construction idéologique visant à s'emparer de la domination politique et culturelle sur la Mésopotamie : puisque le roi de Babylone n'a pas respecté les dieux, les dieux confient à l'Assyrie la charge de diriger le monde à sa place.
Après avoir mentionné la colère des dieux envers le roi de Babylone, l'épopée fait au contraire la louange des dieux et du roi assyrien :
« Écoutez sa louange ! (...) Je vais exalter [l'héroisme] du seigneur des pays, l'Enlil assyrien! Que soit contée son extrême toute-puissance [ ... ]! [Voyez] combien sont supérieures ses armes sur [celles de ses ennemis]! Je vais exalter la gloire d'Assur, roi [des dieux]. (...) Exaltée est son impétuosité : elle en[fume] l'impudent devant et derrière. Brûlante est son agressivité : elle consume le désobéissant à gauche et à droite. Terrorisante est sa radiance : elle submerge la totalité des ennemis. Tous les rois réunis des quatre points cardinaux sont tenus en respect (car) ils le craignent en tout. À son rugissement les montages tremblent comme s'il était Addu et toutes les parties (du monde) se rétractent à chaque levée de ses armes, comme s'il était Ninurta. Par le destin (fixé) par Nudimrnud, sa constitution physique est comptée comme chair des dieux. Par décret du seigneur des pays, sa "coulée" a été injectée dans la rigole de la matrice des dieux : (ainsi) lui-même est l'image éternelle d'Enlil, attentif à l'opinion des gens, conseil du Pays. Le seigneur des Pays le proclama à la tête des soldats comme son lieutenant et le loua de sa bouche même. Enlil, tel un père géniteur, l'a élevé après son fils premier-né ". Il est le précieux dans son clan et sur le champ de bataille une protection lui est toujours accordée. Jamais son combat n'a pu être égalé par nul de tous les rois, quel qu'il soit.
Prière du roi assyrien devant le dieu de la justice, lui permettant de justifier son combat : le roi babylonien n'a pas respecté ses promesses.
« Samas, seigneur [du ciel?], un serment par toi est important pour toi ; j'ai révéré ta grandeur, ce qui n'était pas permis je n'ai pas transgressé, devant ta face j'ai respecté ton décret. Lorsque nos pères ont établi un traité devant ta divinité, ils établirent entre eux un serment et invoquèrent ta grandeur. C'est toi le héros qui depuis toujours est le juge irremplaçable de nos pères. De plus, tu es le dieu qui voit dans ... et rétablit nos droits en justice ! Pourquoi, dès le début, le roi des Cassites a-t-il annulé (tout) dessein et décret de toi ? Il ne craint pas ton serment, il transgresse tes instructions, il a fomenté de mauvais coups, il a rendu énormes (?) ses crimes devant toi. Sarnas rends-moi donc justice! Et à celui qui n'a fait nul tort au roi des Cassites, donne satisfaction! Avec ta grande arme offre la victoire absolue à celui qui respecte le serment! Quant à celui qui ne respecte pas tes instructions, anéantis son peuple par une défaite dans le combat ! (...) Lorsque nous nous rencontrerons en combat, (...) juge entre nous ! Nous nous entreprendront en ce jour comme le juste prend son tribut au méchant. Il n'y aura pas de paix sans combat ! Viens à moi sur le champ de bataille, que nous puissions régler ensemble cette affaire ! Dans ce festival de combat, que celui qui a transgressé le serment ne se relève pas, qu'on jette son cadavre !"
Intervention des Assyriens en arme :
"Au (moindre) signe divin positif de ta seigneurie, nous avons marché en braves. Pendant ton règne aucun roi n'a pu tenir en face de toi. (...) Seigneur ! Depuis le début de ton règne, le combat et les travaux nous sont une fête. La bataille est notre joie ... Sous ton pastorat bénéfique, nous sommes redevenus des hommes. Sous ton règne princier, aucun roi ne peut se mesurer à toi. De ton sceptre terrible tu régis le monde entier jusqu'aux quatre coins de l'horizon. Les rois connaissent ta valeur. Ils tremblent de se dresser contre toi. Allons, jette-toi sur le roi cassite, disperse ses forces avant qu'il ne s'attende à l'attaque ! Effraie les troupes qu'il a levées. Nous voulons marcher. Il vit celui qui va de l'avant. Il meurt celui qui reste en arrière !"
Le combat s'engage :
Adad le héros fait se déverser la tornade et le déluge sur leur combat […]. Derrière les dieux ses alliés, le roi, à la tête de son armée, se prépare à combattre. Il fait voler une flèche, la féroce, irrésistible, écrasante arme d’Aššur. Il fait tomber quelqu’un, mort. Les guerriers d’Aššur crient : « À la bataille ! ». Au moment où ils vont affronter la mort, ils lancent leur cri de guerre : « Ištar, pitié ! » et louent la déesse dans le tumulte. Ils sont furieux, déchaînés (...). A l'avant-garde marche Assur qui déverse un feu destructeur sur l'ennemi ... Anu brandit l'arme divine, impitoyable pour le pécheur. Sin, le brillant dieu de la lune leur retire la force de lutter. Le dieu du soleil, Shamash, seigneur de la justice, a obscurci les yeux des troupes de Sumer et d'Akkad. Le guerrier Ninurta ... a brisé leurs armes. Ishtar a frappé les tambours et affolé leurs guerriers. (…). (Les guerriers assyriens) sont enflammés de rage. Comme le dieu de l'orage, ils attaquent avec furie. (…) Les hommes d'armes dansent de joie. (Les soldats) s'exclamant alors: "Assur est le guerrier!" affrontaient la mort. Ils scandaient (en cœur) "Istar! Ahulap !" et priaient la Reine dans la mêlée. Lions féroces, étranges par leur allure comme Anzu, ils fonçaient avec fureur dans la mêlée, sans cuirasses. Débarrassés de leurs cuirasses, ils s'étaient donné un accoutrement hors du commun. Ils s'étaient noué les cheveux (et) ... Ils jouaient avec des armes aiguisées, les féroces, les guerriers, les héros. Et (chacun) sifflait (pour exciter) l'autre et, comme dans l'attaque du lion, (leurs) yeux étaient furieux ! Et un chaos de particules de vent de sable tourbillonnait dans le combat. Et à la seule vue des guerriers, la mort avait son soûl comme un jour de grande soif.
Se voyant perdu, le roi babylonien commence à négocier et reconnaît :
"Je n'ai pas écouté, j'ai négligé les paroles du héraut du roi d'Assyrie ... Je ne lui ai pas fait bon accueil. A présent les fautes de mon pays sont devenues énormes. Nombreux sont ses péchés. Un combat sans espoir m'a abattu. La mort me tient en ses liens."
La fin du texte est en mauvais état. Les Assyriens remportent la victoire, le roi babylonien est puni par les dieux, le pays est pillé par les Assyriens qui rapportent un lourd tribut, en particulier le savoir permettant d'exercer le magistère moral sur la Mésopotamie :
« Des tablettes [...], de la sagesse scribale [...], des textes d'exorcisme [...], des prières pour apaiser les dieux [...], des textes divinatoires [...], les signes omineux du ciel et de la terre, des textes médicaux, des procédures pour soigner (litt. bander) [...], les registres de recrutement de ses ancêtres [...], les documents [...], des esclaves, surintendants, soldats [...]: pas un seul [texte] n'a été laissé dans le pays de Sumer et Akkad ! »
Réalisations
Parmi ses activités de bâtisseur figure la construction d'une nouvelle capitale, Kar-Tukulti-Ninurta, située sur le Tigre en face d'Assur, approvisionnée en eau par un canal. Il y élève un temple à Assur et s'y fait construire un palais.
La civilisation assyrienne de cette période est connue par des écrits très importants, comme le recueil des Lois assyriennes, conservé sur plusieurs tablettes. L'une d'elles est en particulier consacrée au statut des femmes et de leurs biens. On possède également une compilation de décrets royaux qui nous donne une idée très précise de la vie à la cour et du harem royal. On y trouve aussi décrit le rituel du couronnement qui définit le Dieu Assur comme le véritable Roi, le souverain étant chargé sur terre de le servir, d'agrandir et d'enrichir le royaume. Dans cet empire la langue assyrienne remplace les dialectes hourrites.
Chute
Il est assassiné dans son palais de Kar-Tukulti-Ninurta au cours d'une révolte fomentée par un de ses fils, Assurnasirpal et la noblesse assyrienne. Trois de ses fils lui succèdent[6].
Après sa mort, l'Empire assyrien tombe petit à petit dans le déclin et perd son influence durant environ cinq siècles.
Références
- Garelli 1969, p. 206
- René Grousset, Histoire de l'Arménie, Payot, 1995, p. 45
- Garelli 1969, p. 207
- Grayson 1972, p. 118
- Guichard, Michaël,, L'é́popée de Zimrī-Lîm, , 167 p. (ISBN 978-2-9538653-2-5 et 2953865322, OCLC 897506890, lire en ligne)
- Hervé Reculeau, Tukulti-Ninurta. La démesure in : Dossiers d'archéologie, nov.-déc. 2011, No 348, p. 51-52
Bibliographie
- (en) A. Kirk Grayson, The Royal inscriptions of Mesopotamia. Assyrian periods Vol. 1 : Assyrian Rulers of the Third and Second Millennium B.C. (To 1115 B.C.), Toronto, Buffalo et Londres, University of Toronto Press, , p. 231-299
- Bertrand Lafont, Aline Tenu, Philippe Clancier et Francis Joannès, Mésopotamie : De Gilgamesh à Artaban (3300-120 av. J.-C.), Paris, Belin, coll. « Mondes anciens »,
- (en) Stefan Jakob, « The Middle Assyrian Period (14th to 11th Century BCE) », dans Eckart Frahm (dir.), A Companion to Assyria, Malden, Wiley-Blackwell, , p. 117-142
- (en) Hervé Reculeau, « Assyria in the Late Bronze Age », dans Karen Radner, Nadine Moeller et Daniel T. Potts (dir.), The Oxford History of the Ancient Near East, Volume 3: From the Hyksos to the Late Second Millennium BC, New York, Oxford University Press, , p. 707-800
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