Van Morrison
Sir George Ivan Morrison OBE (il a été nommé Officier de l'Ordre de l'Empire Britannique pour service rendus à la musique en 1996), dit Van — parfois surnommé « Van the Man » par ses fans —, né à Belfast le , est un chanteur et auteur-compositeur nord-irlandais. Il a également été récompensé par un prix du gouvernement français qui l'a nommé Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres en 1996.
Pour les articles homonymes, voir Morrison.
Surnom |
Van the Man The Belfast Cowboy |
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Nom de naissance | George Ivan Morrison |
Naissance |
Belfast, Irlande du Nord, Royaume-Uni |
Genre musical | Rock 'n' roll, blue-eyed soul, rhythm and blues, folk, blues, musique celtique, jazz, musique country |
Instruments | Chant, guitare, harmonica, saxophone alto, saxophone tenor, claviers, ukulélé |
Années actives | depuis 1958 |
Labels | Decca, Bang, Warner, Exile/Polydor, Lost Highway, EMI, Mercury, Verve, Blue Note, RCA |
Site officiel | vanmorrison.com |
Biographie
Enfance
George Ivan Morrison naît le dans une petite maison de la partie est de Belfast, à la lisière de la campagne. Il est l’unique enfant d’un jeune couple issu de la classe ouvrière : sa mère Violet travaille dans un moulin et son père George est électricien sur les chantiers navals voisins. Plutôt timide et introverti, George est aussi un passionné de musique, détenteur d’une collection de disques assez improbable pour le lieu et l’époque. Par opposition, Violet, à la personnalité exubérante, chanteuse et danseuse occasionnelle, est toujours prête à user de ses talents pour animer les fêtes. Dans ce cadre favorable au développement de son oreille, le jeune Van découvre quelques grands noms de la musique américaine, Muddy Waters, Hank Williams, Woodie Guthrie, Charlie Parker, Mahalia Jackson et Leadbelly, son préféré, qui le décide à chanter et sera pour un temps un modèle absolu, son « gourou » comme il le qualifiera lui-même.[réf. nécessaire] Ce savoir précocement acquis le distingue d’à peu près tous ses contemporains musiciens, qui n’ont souvent découvert leurs principales influences qu’une fois devenus étudiants. Van Morrison écoute également les musiciens de son quartier qui jouent beaucoup dans les rues, et font inconsciemment naître son intérêt pour la musique celtique traditionnelle.
La famille Morrison est protestante, mais peu pratiquante. Van est d’ailleurs envoyé au collège laïc d’Orangefield, et observera toujours les problèmes qui déchirent son pays avec distance et incompréhension : « Je n’avais pas même conscience de ces affrontements religieux avant d’être un jour apostrophé et frappé par une bande de jeunes que je n’avais jamais vus auparavant. Ils sortaient avec l'intention d’agresser les catholiques ou les protestants, je ne sais plus. Ils ont arrêté de taper lorsqu’on leur a dit qu’on n'était pas ce qu’ils croyaient. Tout cela me semblait irréel. » Violet a pourtant manifesté sa ferveur religieuse en se rendant pendant une courte période à des réunions des Témoins de Jéhovah, parfois accompagnée de son fils. Cette ouverture d’esprit et cette tolérance à l’égard des religions annoncent la quête spirituelle que le chanteur suivra au cours de son œuvre.
En 1956, une reprise skiffle à succès de Leadbelly par l’écossais Lonnie Donegan incite Van Morrison et beaucoup d’autres, les Beatles en tête, à former, à onze ans, un premier groupe de skiffle avec quelques amis de son quartier, les Sputniks. Il y tient les rôles de guitariste et de chanteur, armé de la guitare d’occasion offerte par son père. Le groupe d’écoliers se produit surtout lors de mariages ou d'autres fêtes religieuses, de concours de jeunes talents ou dans des foyers de jeunes. À partir de cette époque, Van étudie avec assiduité la musique, apprend quelques rudiments de piano et développe une impressionnante technique à l’harmonica. Avec le rock 'n' roll s’abat une seconde vague de modèles qui l’influencent considérablement, en particulier Bill Haley, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent, Little Richard, Chuck Berry, Bo Diddley et Buddy Holly. Il assiste aussi avec enthousiasme à l’avènement des premières stars britanniques du genre, comme Tommy Steele ou Cliff Richard, avec lequel il chantera en duo, en 1989, sur Whenever God Shines His Light On Me, et commence à écrire un peu de prose ainsi que quelques fragments de couplets pour de futures chansons.
En 1960, le jeune Van n’a pas de groupe attitré, il en change constamment mais se fait particulièrement remarquer en guitariste de Deanie Sands and The Javelins. Il abandonne l’école en juillet de cette même année, il a quinze ans et n'a aucune qualification. C’est l’époque des petits boulots, il monte même avec un ami de son âge une entreprise de laveurs de carreaux ; une expérience qu’il évoquera bien plus tard avec humour dans sa chanson Cleaning Windows. La formation The Javelins (à présent sans Deanie Sands), dans laquelle il joue de plus en plus régulièrement, subit alors de multiples métamorphoses : les adjonctions d’un pianiste puis d’une section de cuivres sous l’impulsion de Van qui passe au saxophone ténor.
Van Morrison offre pour l’occasion un jeu de scène exubérant qui lui vaut une belle réputation, et fait l’une des principales attractions du showband : il n’hésite pas à déchirer chemise et pantalon pour se rouler sur la scène. « Il était habituellement très calme, mais dès qu’il entendait de la musique, il s’animait », expliquera un témoin. Une rencontre avec un chanteur écossais détermine les plus motivés des Monarchs à embarquer pour l’Écosse, à y faire une première tournée, pour par la suite se diriger vers Londres sur le conseil du chanteur Don Thomas. Van n’est alors qu’un adolescent de seize ans, mais il fait partie du voyage. Après une période difficile de vie de bohème, les jeunes musiciens décrochent une audition qui leur donne le droit de gagner le sud de l’Allemagne, et de jouer pour un public composé majoritairement de G.I., enchantés d’entendre les quelques chansons de Ray Charles ou de James Brown qu'on veut bien accorder à Van, le seul capable de rivaliser avec les Américains lorsqu'il est question de leur musique. Ce voyage initiatique comprend même l’enregistrement d’un 45 tours avec chansons imposées, sous le nom de Georgie And The Monarchs (dans lequel Van ne fait que jouer du saxophone) organisé à la demande d’un éminent membre du secteur allemand d’une grande maison de disques, qui paraîtra au cours de l’été 1963 et sera un petit succès en Allemagne. « La chanson était vraiment mauvaise, mais nous l’avons dotée d’un instrumental détonant », estimera Van quelques années plus tard. Les titres de ces morceaux sont Boozoo Hully Gully (face A) et Twingy Baby (face B).
De retour à Belfast, à la fin de l’année 1963, Van Morrison intègre un nouveau groupe dont le guitariste est Herbie Armstrong, un collègue irlandais, avec lequel il retravaillera au cours de sa carrière solo. Ils effectuent ainsi une tournée en Angleterre, au printemps 1964, dont Van profite pour observer avec émerveillement les changements radicaux qu’a permis l’explosion des Beatles ; les jeunes groupes anglais qui reprennent des vieux standards de blues, comme les Rolling Stones et les Animals, l’intéressent plus particulièrement et lui donnent le sentiment d’un retour à la musique de son enfance. Sous leur influence, il compose des chansons, puis rentre à Belfast avec l’idée fixe de fonder sa propre formation à leur image, dans un pays resté en retrait de cette nouvelle effervescence britannique. Pour marquer le coup, il se laisse pousser les cheveux et saute sur l’occasion lorsqu’il apprend qu’un club de rythm and blues veut lancer un groupe. Ne pouvant réunir les musiciens qu’il souhaite, Van se rabat sur The Gamblers, une formation fondée en 1962 qu’il intègre en tant que simple saxophoniste, mais son influence ne cessera d'augmenter au cours des années suivantes. Le groupe se rebaptise rapidement Them pour éviter la confusion avec un groupe homonyme.
Them
Les années que Van Morrison passe avec Them sont très formatrices pour le chanteur. Il s’installe durablement à Londres où se font les séances d’enregistrements avec le groupe. Là, il fait jouer et graver ses premières compositions, dont l'emblématique Gloria, reprise plus tard par de nombreux musiciens, dont Patti Smith sur l'album Horses. Quelques années avant la parution du Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles, qui innovera radicalement dans les techniques d‘enregistrement, Morrison prend l’habitude d’expérimenter en studio, annonçant la carrière d‘artiste autoproduit qu’il suivra plus tard par souci d‘indépendance. Il inaugure également ses légendaires prises de bec avec l’industrie du disque et les médias. Quelques rencontres marquantes jalonnent le parcours de l’Irlandais au sein de Them : celles du producteur Bert Berns, des claviéristes Peter Bardens et Phil Coulter qui interviendront dans des albums ultérieurs, et celle de sa future femme Janet Planet, dont il est déjà amoureux lorsqu'il abandonne le groupe en 1966. Van a vraisemblablement rencontré Janet, jeune actrice californienne, au cours d’un concert de la tournée américaine de Them. Pourtant Morrison relativisera l’importance de ce groupe dans le développement de sa carrière
La période Bang Records
Lorsque Van Morrison quitte Them en , il est l’ex-chanteur d’un groupe qui a eu son heure de gloire, comme beaucoup de ses jeunes contemporains. Dans beaucoup de cas, ceux-ci se sont finalement reconvertis dans un domaine absolument étranger à la musique, ou en sont devenus des industriels après avoir été engagés par une quelconque maison de disques. Morrison, qui souhaite ardemment continuer à chanter et à composer, est donc dans une situation plus délicate qu’il n’y paraît, d’autant plus que les concerts de Them à Belfast lui ont valu une réputation plutôt mauvaise. Sur le conseil de Phil Coulter, Van se procure un magnétophone avec lequel il peut enregistrer tout seul sur sa guitare acoustique des maquettes de chansons dans un esprit très différent de celui qui animait la musique de Them. Cette recherche d’une musique essentiellement personnelle aboutit deux années plus tard, à la conception de son chef-d’œuvre précoce Astral Weeks. Pour l’heure, Morrison n’a obtenu qu’une invitation de son ami, le guitariste Herbie Armstrong, à rejoindre son groupe The Wheels, ainsi qu’une vague proposition de lancement d’une carrière solo chez Philips dont la rédaction du contrat traîne en longueur. L’offre d’Armstrong ne le satisfait pas véritablement non plus, puisqu’il ne veut pas renouveler une expérience semblable à celle de Them, il entend dès à présent jouer ce qui lui plaît. Alors qu’il a de plus en plus de difficultés à se faire engager pour assurer des concerts, le chanteur reçoit le coup de téléphone providentiel de l’américain Bert Berns (voir Them) qui lui propose de produire quatre 45 tours, soit huit chansons, à la seule condition qu’il se déplace pour enregistrer dans un studio de New York.
La situation de Berns a par ailleurs considérablement évolué depuis l’époque où Van l’a rencontré au sein de Them : il a en effet obtenu l’autorisation de la maison de disques Atlantic Records, où il travaillait, de fonder son propre label Bang Records, en grande partie financé par son ancienne entreprise. Van accepte la proposition, d’abord par nécessité et dans l’intention de retrouver Janet Planet, mais aussi parce que Berns est jusqu'alors le seul dans le milieu de la musique sur lequel il pense pouvoir compter. Il achète donc sa place d’avion, convaincu d'éviter autant de compromis que possible. Dès son arrivée, il confie ses bandes à Berns qui semble séduit, mais déchante rapidement lorsqu’il rencontre les musiciens payés pour l’accompagner : il ne compte pas moins de trois guitaristes dans la formation ! En deux jours, les 28 et , sont enregistrés les huit titres dans un style bien éloigné du dépouillement qu’avait rêvé Morrison pour ses chansons. Brown Eyed Girl, le premier 45 tours issu de ces séances, paraît en , s’impose petit à petit aux États-Unis et entre dans le top 20, constituant à ce jour l’un des plus grands tubes de Van Morrison dans ce pays.
Morrison, revenu à Belfast peu après la session, est rappelé par Berns pour assurer la promotion du 45 tours. Il occupe alors avec Janet Planet, jeune mère de leur fils Peter, une chambre d’hôtel à New York ; il accepte les diverses apparitions promotionnelles qui lui sont imposées. Peu après la sortie du deuxième 45 tours Ro Ro Rosey paraît, en , le premier album de Van Morrison Blowin' Your Mind! qui rassemble tous les titres de la première session, sans l'accord de Van et même sans qu’il en ait été averti. Malgré ou en raison de la sortie peu opportune de ce disque, le chanteur accepte une nouvelle fois de faire confiance à Bert Berns, qui lui propose une seconde séance d’enregistrement pour le mois de , en lui promettant cette fois une totale liberté artistique. C’est pourtant dans des circonstances très proches de celles de la première session que sont enregistrées huit nouvelles chansons. Parmi celles-ci, on trouve notamment les premières moutures de Madame George et Beside You que Morrison reprendra plus tard sur Astral Weeks. En , Berns meurt, terrassé par une crise cardiaque.
Les débuts prometteurs
L’état d’esprit de Van Morrison à cette période cruciale de sa carrière est clairement restitué par cet extrait d’une interview datant de cette époque : « Quelquefois, je me dis que je ne suis qu’un artiste confidentiel. Je ne sais pas faire de compromis, vous voyez, c’est mon problème. On doit en être capable si l’on veut faire partie du show-business. »
Fort de cette révélation, après un déménagement à Cambridge et son mariage avec Janet Planet, Morrison forme un groupe électrique qui se réduit rapidement à un trio acoustique, avec le contrebassiste Tom Kielbania et le flûtiste John Payne. L’heure est à l’expérimentation, et l’étrange synthèse de jazz, de rock et de poésie proposée par l’Irlandais n’est pas plébiscitée : ce n’est qu’après coup que les gens ont capté ce que l’on faisait. Peut-être que maintenant c’est évident, mais à l’époque, personne n’en avait la moindre idée. Nous jouions dans des clubs, et des particuliers comme Jimi Hendrix venaient, prenaient place devant nous et restaient toute la nuit. Il semblait que les musiciens nous comprenaient, mais que le grand public ne savait pas où nous étions. En 1966, lors d'une session avec Jim Morrison et les Doors, au club Whisky a Go Go, les deux Morrison, aussi enragés l'un que l'autre, jouent sur un mémorable Gloria, session immortalisée dans le Best of des Doors en 4 CD. Recommandé à la Warner Bros par une ancienne connaissance de l’époque de Them, Van Morrison s’offre les services de management de la société Inherit Productions, qui fait office d’intermédiaire en lui décrochant un contrat le liant à la Warner le temps de deux disques. Par ailleurs, le label Bang Records réclame encore un album à Van Morrison. L'artiste cède par provocation les bandes d’une trentaine d’improvisations bâclées, enregistrées pendant les deux sessions problématiques de 1967 commanditées par Bert Berns[1]. Ce pied de nez met un terme aux rapports difficiles qu’entretenait le chanteur avec son ancienne maison de disques. Inherit Productions prend en charge la production du premier album que Van doit fournir à la Warner, et engage un petit groupe de jazzmen chevronnés pour accompagner le jeune homme pendant deux sessions en septembre et octobre 1968, qui aboutissent à la sortie de l’album Astral Weeks en novembre de la même année. En février 1969, Van Morrison et sa femme Janet Planet emménagent à Woodstock, non loin de chez Bob Dylan et de The Band. Là, probablement influencé par ces derniers, il monte son propre groupe électrique et enregistre Moondance, qui sort en février 1970. Pour la première fois, le chanteur produit lui-même son album, avec une liberté artistique presque totale. Plus lumineux que le précédent, et bon succès commercial, ce disque semble être une bonne introduction à la musique de Van Morrison. Les chansons y sont toutes mémorables, mais plus particulièrement And It Stoned Me, Moondance, Caravan et Into the Mystic figurent parmi les plus connues du chanteur. L'intense joie de vivre qui illumine alors sa musique sera en partie expliquée par la naissance de sa fille Shannon, en . Cette année bien remplie s'achève sur l'enregistrement et la sortie de l'album His Band and the Street Choir, plus rhythm and blues que Moondance, l'album respire le bonheur domestique de Van Morrison.
Californie
Après un concert d'adieu calamiteux au Fillmore East de New York et un duo avec The Band pour la chanson Four Per Cent Pantomime de l'album Cahoots, le couple s'installe, en avril 1971, à San Rafael en Californie sous l'impulsion de Janet Planet. Afin de pouvoir enregistrer un album dans les mois prochains, Van Morrison se met à contrecœur à la recherche de nouveaux musiciens, les précédents n'ayant pas été assez disponibles pour le suivre. Il décide également d'investir dans un petit home-studio 16 pistes qui lui donne plus de liberté dans son travail, et collabore avec John Lee Hooker sur Never Get Out Of These Blues Alive et Born In Mississippi, Raised Up In Tennessee. En prévision du futur disque, la Warner lui assigne le coproducteur Ted Templeman. Mais le chanteur ne l'entend pas de cette oreille :
- Je lui ai accordé les crédits de coproduction pour qu'il fasse ce que je ne voulais pas faire. Être sûr du mixage. Je lui envoyais les bandes et lui expliquais comment je voulais qu'elles soient mixées. Je pouvais être n'importe où, par exemple en vacances, je l'appelais et lui disais ce que je voulais. Il s'en occupait ensuite avec l'ingénieur du son.
Templeman est un peu débordé, si l'on en croit son propre témoignage :
- Les aptitudes de Van en tant que musicien, arrangeur et producteur sont la chose la plus effrayante que j'aie vue. Quand il a une idée, il veut l'essayer immédiatement sans overdubs. Il travaille vite et en exige autant de n'importe quel collaborateur. J'ai dû remplacer des ingénieurs du son qui n'ont pas su s'adapter.
Cette collaboration peu équilibrée prend fin après trois disques coproduits : Tupelo Honey, Saint Dominic's Preview (en partie coproduit) et It's Too Late to Stop Now. Ted Templeman déclarera plus tard : « Je ne travaillerai jamais plus avec Van Morrison, même s'il m'offrait deux millions de dollars. J'ai vieilli de dix ans en produisant trois de ses disques. » Et c'est la dernière fois que la Warner intervient dans la production d'un disque du chanteur.
Parallèlement à la sortie de l'album Tupelo Honey en novembre 1971, Van Morrison mène une vie de reclus qui n'est pas du goût de Janet Planet. Actrice débutante, elle voudrait s'émanciper en acceptant certains rôles qu'on lui propose, mais son mari la décourage, préférant avoir sa femme au foyer. Janet est frustrée : « Nous ne sortons jamais. Nous menons une vie incroyablement calme, et partir en tournée est la seule distraction que nous ayons. » Très sollicité par son public, le chanteur s'adapte mal aux concerts dans de gigantesques stades devant des milliers de fans incontrôlables. Tour à tour pétrifié ou bien extrêmement excité par un trac qu'il n'est pas toujours capable de maîtriser, Van Morrison ne donne le meilleur de lui-même que lorsqu'il peut faire abstraction de son auditoire. Après la débâcle du Fillmore East, il offre une prestation extraordinaire à un public de deux cents personnes au Pacific High Studio, avec notamment une reprise remarquée mais jamais commercialisée de Just Like A Woman de Bob Dylan. Pourtant, quelques semaines plus tard, deux jours avant de jouer dans l'une des plus grandes salles de San Francisco, il annonce qu'il se retire de la scène. Sous la pression, il donne finalement un concert durant lequel il ignore parfaitement son public et refuse un rappel jusqu'à ce que le bluesman Taj Mahal lui parle dans les coulisses pour le faire changer d'avis. Un peu plus tard, Morrison chante au Lion's Share de San Anselmo, à quelques kilomètres de chez lui, et tout se déroule si bien qu'il prend l'habitude d'y donner des spectacles impromptus, comme l'expliquera Stephen Pillster, son manager d'alors : « Il appelait ses musiciens un peu plus tôt dans l'après-midi pour savoir s'ils avaient envie de jouer ce soir. Ensuite je joignais le propriétaire du club, qui réservait une des scènes pour la nuit. » Non annoncées et donc sans aucune publicité, ces apparitions régulières lui évitent d'affronter les attentes du public qui lui pèsent tant. À propos de ses rapports compliqués avec la scène, Van Morrison s'est expliqué plus tard :
- « Je n'ai jamais été à l'aise en concert. Je ne le suis toujours pas. Je ne me suis jamais adapté parce qu'à mes débuts quand on animait des bals, dès qu'on avait fini quelques chansons, on se mêlait au public. Il n'était pas question d'être une star. »
L'un après l'autre, au cours de ses fréquents spectacles, le chanteur présente les morceaux qui constitueront son imposant prochain album Saint Dominic's Preview, commercialisé en juillet 1972. La sortie de ce disque sonne l'heure du rappel pour les anciens musiciens de Woodstock qui déménagent un à un en Californie et renforcent le groupe d'un Van de plus en plus confiant. Mais ce n'est qu'après le retour de Jeff Labes, pianiste clé de la formation, que Morrison est accompagné par un groupe officiellement baptisé Caledonia Soul Orchestra. L'adjonction d'une section de cordes achève, en , la constitution de la formation souvent considérée la meilleure dont Van Morrison ait jamais disposé. À cette époque Van Morrison travaille gratuitement comme disc-jockey d'une radio locale de San Rafael, ce qu'il apprécie : « Je joue des disques qui ne le seraient pas sinon, dans une ambiance spontanée et décontractée. » La construction de son home studio lui permet de produire Sweet Sixteen pour la chanteuse Jackie DeShannon. Celle-ci ouvrira plus tard en première partie plusieurs concerts de Morrison, cette collaboration prolongée fait jaser certains journalistes qui n'hésiteront pas à annoncer une tournée commune et un album de duos. Van dira à ce propos : « Il ne s'agit que de rumeurs lancées par des magazines. Ils écrivent à propos de choses dont ils ne savent rien, juste pour se faire de l'argent. C'est comme ça qu'ils existent. » Plus rien ne va entre Van et Janet qui fuit la maison familiale avec leur fille Shannon (surnommée Shana) et demande le divorce assorti d'une pension pour avoir soutenu son époux durant les années difficiles. Ce triste événement est immédiatement suivi, en , par la sortie de l'album Hard Nose the Highway, enregistré avec le gros du Caledonia Soul Orchestra dans le studio personnel de Van Morrison, et dont il dira qu'il est son premier disque sur lequel il a exercé un contrôle total.
Van passe l'été 1973 en tournée, d'abord aux États-Unis, puis en Europe et plus particulièrement en Grande-Bretagne où il n'a pas donné de concerts depuis l'époque de Them. La critique unanime salue le retour d'une star adulée et immensément respectée : toujours soutenu par une formation idéale, le chanteur donne quelques prestations scéniques inoubliables pour ceux qui ont le privilège d'en être. En dépit d'un jeu de scène minimaliste, Morrison réussit à marquer les esprits de ses spectateurs, parmi lesquels un journaliste qui écrira : « J'ai été témoin de ce que je ne peux décrire que comme une anti-performance des plus incroyables. Merde, il bougeait à peine ! Je dois avouer que je n'ai jamais été autant captivé par une telle absence volontaire de distractions visuelles. » Van s'évertue à rendre chaque soirée unique, ce qu'il justifie à sa façon : « Il n'y a pas de concerts modèles. Ce groupe ne peut pas faire de spectacle prévu. Nous sommes forcés de décoller. » Cette tournée exemplaire s'achève après un retour aux États-Unis et servira de support au prochain disque live du chanteur It's Too Late to Stop Now à paraître en février 1974.
En , le chanteur irlandais s’accorde quelques jours de vacances et décide de parcourir son île natale. Durant ce bref séjour Van Morrison revisite les lieux de son enfance, fait le touriste et surtout prépare son prochain album Veedon Fleece, dont il compose la majorité des titres. Dès son retour en Californie, il réunit ses musiciens du Caledonia Soul Orchestra pour leur présenter ses nouvelles chansons et poursuivre l’élaboration de deux projets parallèles qui n’aboutiront finalement pas : un album country qui a été partiellement enregistré et un disque de Noël. Les mois suivants sont donc lourdement occupés par de fréquentes et erratiques séances studio desquelles seul émergera l’album Veedon Fleece, en octobre 1974. En fait, Morrison prend là l’une des décisions les plus controversées de sa carrière en démantelant la formation idéale qu’il avait patiemment constituée depuis Moondance, et ce disque permet à l’auditeur de saisir un groupe en pleine mutation. Sur les cendres de ce mythique groupe (c’est-à-dire que les seuls rescapés en sont le batteur et le bassiste), Van Morrison fonde l’éphémère Caledonia Soul Express qui part en tournée à travers les États-Unis et l’Europe à partir de . Il n’y a plus de section de cordes ni de trompettiste, mais on relève la présence d’un flûtiste/saxophoniste succédant à Jack Schroer. Ce dernier, miné par la drogue et dorénavant incapable d’assumer ses responsabilités de musicien, entame une discrète carrière de camionneur dont il ne s’écartera plus malgré les instances de Van lui-même quelques années plus tard. Au cours d’une halte à Amsterdam, le chanteur enregistre les deux faces d’un 45 tours avec son nouveau groupe, dans un style très rhythm and blues : une reprise du classique de Louis Jordan Caldonia rebaptisée Caledonia, et le presque instrumental What’s Up Crazy Pup. Dès la fin de la tournée, Morrison limoge une nouvelle fois son groupe et déclare : « Il n’y avait rien d’autre à faire dans ce contexte. » Au verso de la pochette du CD « Inarticulate... » (1983), Van Morrison adresse ses remerciements à Lafayette Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie.
En 2002, il collabore à l'album 7 Wishes de sa fille Shanna Morrison au chant et à l'harmonica sur une chanson. Deux de ses chansons apparaissent sur cet album, Naked in the Jungle et Sometimes We Cry qui sont ainsi réinterprétées par sa fille.
Son album What's Wrong with This Picture? en 2003 a été nominé pour un Grammy Awards dans la catégorie des meilleurs albums de blues contemporains[2].
En 2015, Van publie l'album Duets: Re-working The Catalogue qui propose, comme son titre l'indique, des duos avec d'autres artistes, tel que Bobby Womack, Mark Knopfler, Steve Winwood, Chris Farlowe, Mick Hucknall, etc. Sa fille Shana Morrison participe aux chœurs sur 4 chansons.
En 2021, il sort l'album double Latest Record Project Volume 1, sur lequel il a fait appel à deux grands artistes, soit Chris Farlowe et P.J. Proby, chacun sur une chanson différente.
Son plus récent album What's It Gonna Take? est sorti en 2022 et a été enregistré aux célèbres studios Real World de Peter Gabriel.
Reconnaissance et héritage
Morrison a reçu plusieurs prix musicaux majeurs au cours de sa carrière, dont deux Grammy Awards, avec cinq nominations supplémentaires (1982-2004); intronisations au Rock and Roll Hall of Fame (janvier 1993), au Songwriters Hall of Fame (juin 2003) et l'Irish Music Hall of Fame (septembre 1999); et un Brit Award (février 1994). En outre, il a reçu des distinctions civiles : un OBE (juin 1996) et un Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres (1996). Il est titulaire de doctorats honorifiques de l'Université d'Ulster (1992) et de l'Université Queen's de Belfast (juillet 2001).
Les intronisations au Temple de la renommée ont commencé en 1993 avec le Rock and Roll Hall of Fame. Morrison a été le premier intronisé vivant à ne pas assister à sa propre cérémonie - Robbie Robertson du groupe The Band a accepté le prix en son nom. Lorsque Morrison est devenu le premier musicien intronisé au Temple de la renommée de la musique irlandaise, Bob Geldof a remis le prix à Morrison. La troisième intronisation de Morrison était au Temple de la renommée des auteurs-compositeurs pour "la reconnaissance de sa position unique en tant que l'un des auteurs-compositeurs les plus importants du siècle dernier". Ray Charles a remis le prix, à la suite d'une performance au cours de laquelle le duo a interprété "Crazy Love" de Morrison de l'album Moondance. Le BRIT Award de Morrison était pour sa contribution exceptionnelle à la musique britannique. L'ancien otage de Beyrouth, John McCarthy, a remis le prix ; tout en témoignant de l'importance de la chanson de Morrison "Wonderful Remark", McCarthy l'a qualifiée de "chanson ... qui était très importante pour nous".
Morrison a reçu deux distinctions civiles en 1996 : il a été nommé Officier de l'Ordre de l'Empire britannique pour ses services à la musique et a également été reconnu par un prix du gouvernement français qui l'a nommé Officier de l'Ordre des Arts et des Lettres. En plus de ces récompenses d'État, il a deux diplômes honorifiques en musique; un doctorat honorifique en littérature de l'Université d'Ulster et un doctorat honorifique en musique de l'Université Queen's dans sa ville natale de Belfast.
Parmi les autres récompenses, citons un Ivor Novello Award for Lifetime Achievement en 1995, le prix BMI ICON en octobre 2004 pour « l'influence durable de Morrison sur des générations de créateurs de musique », et un Oscar Wilde : Honoring Irish Writing in Film award en 2007 pour sa contribution à plus de cinquante films, présentés par Al Pacino, qui a comparé Morrison à Oscar Wilde - tous deux "des visionnaires qui repoussent les limites". Il a été élu meilleur chanteur masculin international de 2007 lors de la première cérémonie des International Awards au Ronnie Scott's Jazz Club, à Londres.
Morrison est également apparu dans un certain nombre de listes "Greatest", y compris la liste du magazine TIME des 100 albums de tous les temps, qui contenait Astral Weeks et Moondance, et il est apparu au numéro treize sur la liste des 885 All Time de WXPN. Les plus grands artistes. En 2000, Morrison s'est classé vingt-cinquième sur la liste de la chaîne de musique câblée américaine VH1 de ses "100 plus grands artistes de rock and roll". En 2004, le magazine Rolling Stone a classé Van Morrison quarante-deuxième sur sa liste des "100 plus grands artistes de tous les temps". Paste l'a classé vingtième dans leur liste des "100 plus grands auteurs-compositeurs vivants" en 2006. Q l'a classé vingt-deuxième sur leur liste des "100 plus grands chanteurs" en avril 2007 et il a été élu vingt-quatrième sur la liste de novembre 2008 des 100 plus grands chanteurs de tous les temps du magazine Rolling Stone.
Morrison a été annoncé comme l'un des lauréats de 2010 figurant sur le Hollywood Walk of Fame.
En août 2013, il a été annoncé que Morrison recevrait le Freedom of Belfast, la plus haute distinction que la ville puisse décerner. Le 15 novembre 2013, Morrison est devenu le 79e récipiendaire du prix, présenté au Waterfront Hall pour ses réalisations professionnelles. Après avoir reçu le prix, il a donné un concert gratuit pour les résidents qui ont gagné des billets d'un système de loterie.
En août 2014, un "Van Morrison Trail" a été créé dans l'est de Belfast par Morrison en partenariat avec le Connswater Community Greenway. Il s'agit d'un sentier autoguidé qui, sur 3,5 kilomètres (2,2 mi), mène à huit endroits importants pour Morrison et inspirants pour sa musique. Le 2 septembre 2014, Morrison a reçu le prix Legend lors de la cérémonie GQ Men of the Year au Royal Opera House de Londres. Le 13 octobre 2014, Morrison a reçu son cinquième BMI Million-Air Award pour 11 millions d'écoutes radiophoniques de la chanson "Brown Eyed Girl", ce qui en fait l'une des 10 meilleures chansons de tous les temps à la radio et à la télévision américaines. Morrison a également reçu des prix Million-Air pour "Have I Told You Lately".
Le Songwriter's Hall of Fame a annoncé le 8 avril 2015 que Morrison serait le récipiendaire 2015 du prix Johnny Mercer le 18 juin 2015 lors de leur 46e dîner annuel d'intronisation et de remise des prix à New York. Morrison a été nommé Knight Bachelor dans la liste des distinctions honorifiques de l'anniversaire de la reine en 2015 pour ses services à l'industrie de la musique et au tourisme en Irlande du Nord. La cérémonie a été célébrée par le prince Charles.
En 2017, il a été annoncé que l'Americana Music Association honorerait Van Morrison avec le Lifetime Achievement Award for Songwriting lors de sa cérémonie de septembre Honors & Awards.
Morrison a été choisi pour être honoré par Michael Dorf lors de son concert de charité annuel au Carnegie Hall. La musique de Van Morrison a été interprétée le 21 mars 2019 par vingt actes musicaux, dont Glen Hansard, Patti Smith et Bettye LaVette. En 2019, Morrison a reçu le Golden Plate Award de l'American Academy of Achievement présenté par Jimmy Page lors de l'International Achievement Summit à New York.
En 2022, Morrison et sa chanson "Down to Joy" pour "Belfast" ont été nominés pour l'Oscar de la meilleure chanson originale à la 94e cérémonie des Oscars.
Trois des chansons de Morrison apparaissent dans les 500 chansons du Rock and Roll Hall of Fame qui ont façonné le rock and roll : "Brown Eyed Girl", "Madame George" et "Moondance".[383]
Bibliographie
- Steve Turner (1993): Van Morrison: Too Late to Stop Now, Viking Penguin, (ISBN 0-670-85147-7).
- Clinton Heylin (2003): Can You Feel the Silence? Van Morrison: A New Biography, Chicago Review Press, (ISBN 1-55652-542-7).
- Johnny Rogan (2006): Van Morrison: No Surrender, London: Vintage Books (ISBN 978-0-09-943183-1).
Discographie
Album original
- Blowin' Your Mind! (1967) #182 E-U
Compilations
- TB Sheets (1974)
- Bang Masters (1991)
- Payin' Dues (1994)
- New York Sessions '67 (1997)
- Playlist: The Very Best of Van Morrison (The Bang Years) (2009)
Albums originaux
- 1968 : Astral Weeks
- 1970 : Moondance
- 1970 : His Band and the Street Choir
- 1971 : Tupelo Honey
- 1972 : Saint Dominic's Preview
- 1973 : Hard Nose the Highway
- 1974 : It's Too Late to Stop Now
- 1974 : Veedon Fleece
- 1977 : A Period of Transition
- 1978 : Wavelength
- 1979 : Into the Music
- 1980 : Common One
- 1982 : Beautiful Vision
- 1983 : Inarticulate Speech of the Heart
- 1984 : Live at the Grand Opera House, Belfast
- 1985 : A Sense of Wonder
- 1986 : No Guru, No Method, No Teacher
- 1987 : Poetic Champions Compose
- 1988 : Irish Heartbeat
- 1989 : Avalon Sunset
- 1990 : Enlightenment
- 1991 : Hymns to the Silence
- 1993 : Too Long in Exile
- 1994 : A Night in San Francisco
- 1995 : Days Like This
- 1996 : How Long Has This Been Going On
- 1996 : Tell Me Something: The Songs of Mose Allison
- 1997 : The Healing Game
- 1999 : Back on Top
- 2000 : The Skiffle Sessions - Live In Belfast 1998
- 2000 : You Win Again
- 2002 : Down the Road
- 2003 : What's Wrong with this Picture?
- 2005 : Magic Time
- 2006 : Pay The Devil
- 2008 : Keep It Simple
- 2009 : Astral Weeks Live at the Hollywood Bowl
- 2012 : Born To Sing: No Plan B
- 2015 : Duets: Re-working The Catalogue
- 2016 : Keep Me Singing
- 2017 : Roll with the Punches
- 2017 : Versatile
- 2018 : You're Driving Me Crazy
- 2019 : The Prophet Speaks
- 2019 : Three Chords And The Truth
- 2021 : Latest Record Project, Volume 1
- 2022 : What’s It Gonna Take?
Compilations
- The Best of Van Morrison (1990)
- Les Génies du rock - Van Morrison (1992)
- The Best of Van Morrison : Volume Two (1993)
- The Philosopher's Stone : The Unreleased Tapes (1998)
- The Best of Van Morrison : Volume Three (2007)
- At The Movies - Soundtrack Hits (2007)
- Still On Top - The Greatest Hits (2007)
- The Healing Game (deluxe édition) CD1 - The Original Album, CD2 - Sessions & Collaborations, CD3 - Live at Montreux 19 july 1997 (2019)
Références
- pour plus de détails, voir Payin' Dues
- Biographie Van Morrison, le 8 mars 2020
Liens externes
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- Site officiel
- L'Express (2004), Van Morisson : "Je ne suis pas un chanteur de rock..."
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