Victor Noir

Victor Noir, nom de plume d’Yvan Salmon, né le à Attigny (Vosges) et mort à Paris[Notes 1] le , est un journaliste français tué à l'âge de 21 ans d'un coup de feu par le prince Pierre-Napoléon Bonaparte, un parent en disgrâce de l'empereur des Français, Napoléon III.

Pour les articles homonymes, voir Victor Noir (homonymie), Noir (homonymie) et Salmon.

Victor Noir
Victor Noir par Eugène Appert.
Biographie
Naissance
Décès
(à 21 ans)
Paris
Sépulture
Nom de naissance
Yvan Salmon
Pseudonyme
Victor Noir
Nationalité
Activité
Fratrie
Autres informations
A travaillé pour
Gisant au Père-Lachaise.

Son meurtre suscita une forte indignation populaire et renforça l’hostilité envers le Second Empire.

Biographie

Victor Noir est le fils de Joseph Jacques Salmon, horloger puis meunier, installé à Attigny, et de Joséphine Élisabeth Noir. Il a pour frère aîné Louis Salmon, dit Louis Noir[1], combattant de la guerre de Crimée, correspondant au journal La Patrie, puis rédacteur en chef du journal Le Peuple[2].

En 1867, Victor Noir devient le rédacteur en chef de la Gazette de Java publiée en une unique livraison et ayant la particularité d'être rédigée en javanais[3].

En , Victor Noir est le rédacteur en chef du Pilori, hebdomadaire éphémère qui présente l'originalité d'être imprimé en caractères rouges et auquel contribuent notamment Arthur Arnould, Alexis Bouvier, Louis Combes, Édouard Lockroy, Eugène Razoua et Jules Vallès[4].

Le prince Pierre-Napoléon Bonaparte est le fils de Lucien, frère de Napoléon Ier et, par conséquent, un parent de Napoléon III régnant. Ardent libéral et député corse d’extrême gauche en 1848, il s’éloigne de la vie politique après le coup d’État du 2 décembre 1851 de son cousin Napoléon III. Au début de l’année 1870, il sort pourtant de sa réserve pour répondre par un article virulent, paru dans le journal L’Avenir de la Corse, à une attaque anti-bonapartiste du journal bastiais La Revanche, désignant les républicains de l’île comme « des traîtres et des mendiants », destinés à être massacrés et mis « le stenine per le porette », autrement dit : « les tripes au soleil ».

La polémique enfle entre les journaux insulaires. Le journal La Marseillaise, d’Henri Rochefort, opposant systématique au régime, mène alors une campagne contre l’Empire. L’erreur de La Marseillaise est de s’immiscer dans une « affaire corse ». Pierre Bonaparte n’admet pas l’insulte personnelle contre sa famille de la part d’un obscur « manœuvre de Rochefort ». Le célèbre et bouillant journaliste reçoit donc du prince un « cartel » provocateur. Rochefort, d’un tempérament vif, est de longue date un familier des duels. Il s’est jadis frotté au prince Murat[5] lui-même. Il envoie donc au prince Bonaparte ses deux témoins employés au journal : Jean-Baptiste Millière et Arnould, lesquels vont arriver trop tard au lieu de rencontre.

Drame d’Auteuil

La scène du meurtre reconstituée dans une gravure parue dans un magazine de l’époque.

Entretemps, Paschal Grousset, de Neuilly, ardent patriote corse et correspondant parisien de La Revanche, ressent lui aussi l’injure. Grousset a précédemment travaillé au journal dynastique L'Époque comme collaborateur scientifique et au journal Le Rappel. Afin d’obtenir du prince Bonaparte la rétractation de son article injurieux ou à défaut la réparation par les armes, il dépêche deux témoins amis, Ulric de Fonvielle et Victor Noir. Ceux-ci arrivent à treize heures (bibl.) au domicile du no 59 rue d'Auteuil et sont reçus par le prince, tandis qu'à l'extérieur Grousset attend dans une voiture le résultat de l'entrevue en compagnie d'un confrère journaliste et écrivain, Georges Sauton.

Le prince est contrarié. Ce sont les témoins de Rochefort, envers qui il éprouve une haine farouche, qu'il attend. Il dit n'avoir rien à répondre à Grousset, mais demande à ses témoins s'ils se considèrent comme solidaires des « charognes » de Rochefort et de son équipe. Fonvielle et Victor Noir répondent qu'ils sont « solidaires de leurs amis ». La rencontre tourne mal, le prince sort de sa poche un revolver chargé et armé, tire par six fois et blesse mortellement Victor Noir.

Fonvielle rapporte que Noir aurait reçu un soufflet alors que le prince déclare par écrit s'être senti menacé après avoir été frappé au visage par le « grand » (Victor Noir). Selon Bonaparte, Fonvielle aurait eu un revolver dans sa poche. Il aurait tenté de s’en servir, mais, dans la précipitation, ne serait pas parvenu à l’armer.

Sur les six coups de son revolver, Bonaparte ne tire qu'une balle fatale. Fonvielle échappe aux balles mais Noir, touché à la poitrine, s’enfuit par l'escalier et s'écroule sous le porche[6].

D’après l'acte de décès, il meurt peu après qu'on lui ait tiré dessus, à 14 heures, au no 27 de la rue d'Auteuil[7] (actuel no 42). Il s'agissait d'une pharmacie[8].

Émile Ollivier, le chef de gouvernement, fait arrêter Pierre Bonaparte et, prudent, fait organiser les funérailles de Noir à Neuilly-sur-Seine, au cimetière ancien, en présence d'une foule immense, et suivant le vœu de la famille, permettant ainsi de limiter les débordements, loin des quartiers populaires de Paris.

Les funérailles

La foule coupe les traits des chevaux et traine le corbillard.

Malgré cela, environ deux cent mille personnes se déplacent et initient une agitation anti-bonapartiste qui prélude à la chute du Second Empire. Les obsèques du sont frénétiques. Des Parisiens coupent les traits des chevaux pour tirer le char funèbre à leur place. On croise dans cette foule de républicains les communalistes et internationalistes Eugène Varlin, Louise Michel (qui prend le deuil après les funérailles), Jean-Baptiste Millière… Pour certains comme Gustave Flourens, les funérailles sont une occasion de déclencher le renversement de l'Empire, ils réclament de transporter le corps dans Paris pour appeler la foule à l'insurrection. Mais de leur côté, les partisans de l'Internationale pensent que la révolution est inéluctable et qu'il serait imprudent de la compromettre par trop de précipitation. Charles Delescluze, rédacteur du Réveil, appelle au calme et Rochefort, Vallès et Grousset proposent de se rendre à l'Assemblée, où ils ne sont même pas reçus.

Le jugement

Le Corsaire, par Gill dans La Lune du 24 novembre 1867.

Ce fait divers, impliquant un illustre personnage, fait grand bruit. Napoléon III, déjà politiquement malmené, est mis en difficulté par cet événement. Pierre Bonaparte est arrêté le soir même. Il est rapidement acquitté, l'empereur ayant pris à sa charge les frais entrainés par la venue des témoins à décharge au procès, mais condamné à des dommages-intérêts par la Haute Cour de justice, tandis que Rochefort, Fonvielle et Grousset sont condamnés. L’obscur employé de rédaction devient dans l’heure un héros national. L’Empire qui vacille déjà, est l'objet d'une vindicte populaire sans précédent, enflée par les catilinaires de Rochefort :

« J’ai eu la faiblesse de croire qu’un Bonaparte pouvait être autre chose qu’un assassin… »

Le Second Empire, après Sedan, ne devait d'ailleurs guère survivre longtemps à Victor Noir.

Ont notamment participé aux audiences : Paul de Cassagnac, Edgar Demange et Charles Floquet[9].

Le gisant

Le , la dépouille, devenue un symbole républicain, est transférée à Paris au Père-Lachaise (92e division)[10]. Jules Dalou, ardent défenseur de la République, réalise son gisant en bronze, où Noir apparaît dans l’état où il aurait été trouvé après le coup de feu. L’œuvre est conçue dans un réalisme qui entraîne certaines personnes superstitieuses à toucher le gisant depuis des années, d’où une oxydation de la patine et une érosion du bronze que présente la statue de nos jours sur le relief du visage, l’impact de balle, la partie virile et les chaussures. Un folklore veut en effet que les femmes en mal d’enfants touchent le gisant, voire le chevauchent, afin d’être rendues fertiles[11],[12].

Mémoire

Notes et références

Notes

  1. La commune d'Auteuil était déjà rattachée depuis dix ans au 16e arrondissement parisien, mais on avait à l’époque conservé l’habitude de désigner ce quartier par Auteuil.

Références

  1. Notice de la BnF sur Louis Noir.
  2. Le Peuple, journal dynastique qui tire à 25 000 exemplaires et qui est l'un des trois plus grands quotidiens du soir. Le journal prend le nom de Peuple français. Clément Duvernois.
  3. Victor Noir, Gazette de Java, s.n., (lire en ligne).
  4. Grif, « Chronique du jour : Victor Noir », Le Rappel, , p. 2 (lire en ligne).
  5. Biographie de Henri Rochefort sur le site de l'Assemblée nationale.
  6. Olivier Pain, Henri Rochefort (Paris - Nouméa - Genève), Paris, Éd. Périnet, 1879.
  7. Archives de Paris 16e, acte de décès no 32, année 1870 (vue 5/31)
  8. Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Éditions de Minuit, septième édition, 1963, t. 1 A-K »), « Rue d'Auteuil », p. 123-127.
  9. Affaire Pierre Bonaparte : Le crime d'Auteuil, coll. « Causes célèbres », (lire en ligne)
  10. Registre journalier d'inhumation de Paris Père-Lachaise de 1891, en date du 25 mai (vue 18/22).
  11. Emelyanova-Griva 2010.
  12. Gino Appert, « Les rites sexuels sur le gisant de Victor Noir », sur brèves d'histoire.

Annexes

Bibliographie

  • (anonyme) Affaire Pierre Bonaparte ou le meurtre d'Auteuil, A. Chevalier, 61 rue de Rennes, Paris, in 16°, 1 page de titre + 178 pages, 1870
  • Charles Simond, « Les Échos de Paris », dans La Vie parisienne, t. II, [recueil de mémoires du temps de 1800 à 1870]
  • Louise Michel, La Commune, Paris, éditions Stock, 1898 ; coll. « Stock Plus », 1978
  • Michel Mourre, Dictionnaire d’histoire universelle, t. 2, M-Z, Paris, Éditions universitaires, 1968
  • Florence Braka, L'Affaire Victor Noir, le pouvoir dans la tourmente, Riveneuve Éditions, , 468 p.
  • Bertrand Munier, Victor Noir et son gisant turgescent. Martyr du Second Empire et héros malgré lui, Strasbourg, Éditions du signe, 2019 (ISBN 978-2-7468-3790-4)

Liens externes

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