Insurrection de Pâques 1916

L'insurrection de Pâques 1916 (Éirí Amach na Cásca en Irlandais, Easter Rising en anglais), parfois appelée les « Pâques sanglantes », est un chapitre marquant de l’histoire irlandaise. Les faits sont cantonnés aux villes de Dublin et d'Enniscorthy. Malgré tout, cet événement fait partie de la mémoire collective des Irlandais (voir la chanson révolutionnaire The Foggy Dew). L'insurrection est entreprise par les mouvements républicains mais, mal organisée et avec des effectifs trop peu nombreux, les insurgés comptent sur un soutien populaire qui ne se manifestera pas. Son résultat est donc un retentissant échec militaire[1], mais, à la faveur de la féroce répression des Britanniques, il devient un immense succès politique pour les nationalistes irlandais les plus radicaux, face aux nationalistes pacifiques et modérés.

Pour le film de Giuseppe De Santis, voir Pâques sanglantes.

Insurrection de Pâques 1916
Proclamation de la République irlandaise.
Informations générales
Date 24
Lieu Dublin
Issue Reddition sans conditions des forces rebelles et exécution de ses chefs
Belligérants
Irish Republican Brotherhood
Irish Volunteers
Irish Citizen Army
Cumann na mBan
Hibernian Rifles (en)
Fianna Éireann (en)
Armée de terre britannique
Dublin Metropolitan Police
Police royale irlandaise
Commandants
Patrick Pearse
James Connolly
Brigadier-général William Henry Muir Lowe (en)
Général John Maxwell
Forces en présence
1 250 à Dublin
~ 2 000–3 000 ailleurs mais ils ont peu pris part au combat
16 000 soldats et 1 000 policiers à Dublin à la fin de la semaine
Pertes
64 tués
16 exécutés
169 tués
397 blessés

Contexte historique

Le , le Parlement d'Irlande siégeant à Dublin vote l'Acte d'Union (Act of Union) avec le royaume de Grande-Bretagne en un Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, ce qui entraîne sa suppression et le déplacement du siège de ses représentants à Londres, et crée une zone de libre échange entre les deux pays. Cette situation n’est pas unanimement acceptée puisque le , un soulèvement emmené par Robert Emmet contre la domination britannique attaque le château de Dublin.

Durant le XIXe siècle, la population, fragilisée par la pauvreté, subit de terribles famines : de 1845 à 1847 les récoltes de pommes de terre sont perdues ; certaines sources avancent le chiffre de près d’un million de morts et de deux millions d’émigrés. Ces difficultés renforcent un sentiment anti-britannique déjà fortement ancré dans la population. 1848 voit une première rébellion du mouvement Jeune Irlande, menée par William Smith O'Brien, et dix ans plus tard (), c’est la fondation, simultanément à Dublin et à New York, de l'Irish Republican Brotherhood (IRB), une organisation révolutionnaire républicaine dont le but est la préparation d’un soulèvement général en Irlande.

La fondation de la Home Rule League intervient, quant à elle, en 1873. Son but est d’obtenir une autonomie interne au sein du Royaume-Uni. Ce projet, qui a le soutien des libéraux britanniques (ministères de William Ewart Gladstone et de Herbert Henry Asquith) mais rencontre l’hostilité des conservateurs, est présenté trois fois au parlement (1886, 1893 et 1912) et par trois fois refusé.

Seule une argutie[2] du Parliament Act (en) de 1911 le valide et contraint le roi George V à le ratifier en septembre 1914. Sa mise en place est repoussée à la fin de la Première Guerre mondiale, qui vient de se déclarer. 1913 avait vu la création de deux milices antagonistes, l’Ulster Volunteer Force farouchement opposée au projet, et celle des Irish Volunteers, qui au contraire se chargeait de le défendre. James Connolly, chef de l'Irish Labour Party et les chefs syndicaux républicains fondent également de leur côté l'Irish Citizen Army pour protéger les participants des grandes grèves de 1913.

Préparation de l'insurrection

Dès , l'IRB décide de former un comité militaire afin de préparer une action d'envergure avant la fin de la guerre. L'IRB a placé ses partisans au sein des Irish Volunteers, la principale milice nationaliste dont le chef, Eoin MacNeill, tente de monnayer son soutien à la guerre avec le gouvernement britannique contre le Home Rule. Ils engagent avec ce dernier une lutte interne pour la préparation d’une insurrection.

Le , le conseil suprême de l’Irish Republican Brotherhood, en accord avec l'ICA, décide de préparer une insurrection générale. Selon un accord négocié par Sir Roger Casement, lord protestant sympathisant de la cause républicaine, des armes en provenance de l'Empire allemand doivent arriver pour Pâques. Apprenant la transaction, Eoin Mac Neill décide finalement de soutenir l'insurrection.

Le 20 avril, le cargo allemand Aud, acheminant vingt mille fusils, est arraisonné par un patrouilleur britannique ; le capitaine saborde le bateau et se constitue prisonnier avec l’ensemble de l’équipage.

Des ordres contradictoires sont alors envoyés aux partisans nationalistes, certains chefs comme Mac Neill, souhaitant annuler l’opération, d'autres comme Pearse souhaitant son déclenchement. Cette dernière est alors repoussée du jour de Pâques au lundi, et les insurgés sont moins nombreux et moins bien armés que prévu.

L'insurrection

Photographie de Patrick Pearse en 1916.

Le lundi de Pâques , 120 membres de l’Irish Citizen Army et 700 de l’Irish Volunteers Force défilent dans O'Connell Street à Dublin. Soudain, c’est la ruée et l’occupation de la Poste centrale, ainsi que de divers bâtiments stratégiques, tels le Mendicity Institute et les Four Courts (palais de justice), la biscuiterie Jacobs, les moulins Boland et la gare de Westland Row. Les chefs de cette action sont Patrick Pearse, James Connolly, Tom Clarke, Seán Mac Diarmada (en), Éamon de Valera et Joseph Plunkett ; Constance Markievicz dirige la brigade féminine de l’ICA. Des armes sont dérobées à l’armée britannique. Les femmes, de leur côté, amassent des vivres et des médicaments.

Conformément au programme élaboré, Patrick Pearse proclame la République irlandaise devant une foule médusée et peu enthousiaste. Quelques actions ont lieu dans des villes de province, mais on est loin d’une insurrection générale, comme cela avait été envisagé. Les insurgés sont en effet encore vus comme des traîtres par une grande partie de la population, alors que de nombreux Irlandais se battent encore en France. Durant toute l’après-midi, les assauts de l’armée britannique sont systématiquement repoussés et plusieurs casernes sont même attaquées par les volunteers. Des pillards profitent du chaos pour mettre à sac les magasins autour de la poste. Ils en sont délogés par les insurgés.

Toutefois, les insurgés commettent une erreur importante en ne prenant pas le Castel, siège de l'autorité britannique et centre des communications[3]. Les Britanniques ont conservé la maîtrise du téléphone, ce qui leur permet d’alerter les unités stationnées à Curragh, Belfast, Athlone et Templemore, qui convergent vers Dublin. Cette erreur tactique est déterminante, d'autant que la garnison affectée à la défense du château était considérablement réduite par rapport à l'effectif habituel : la majorité des officiers et des défenseurs étaient à la célébration de la Pâques, et le Castel était défendu par seulement 25 hommes au lieu des 300 soldats et officiers habituels[4]. Le maréchal John French, commandant en chef des troupes britanniques, ordonne de transférer vers l'Irlande quatre divisions, soit plus de 50 000 hommes[3]. Le lendemain, mardi 25 avril, alors que les insurgés radiodiffusent la proclamation de la République, la contre-attaque britannique obtient d’indéniables succès militaires, et les premiers renforts arrivent de province. Alors même que le Royaume-Uni, et tout particulièrement les Irlandais se battent sur le front de l'Ouest pendant la Première Guerre mondiale, ce soulèvement est perçu par la majorité de la population comme une trahison, voire un « complot organisé par le Kaiser »[5], ce qui permet aux autorités britanniques de discréditer le mouvement. Le Parti parlementaire irlandais de John Redmond, qui représente de loin à cette date l'essentiel du mouvement nationaliste irlandais et qui prône une avancée des intérêts irlandais par le dialogue politique ainsi qu'un soutien à l'effort de guerre britannique, condamne l'insurrection pour cette même raison[6].

Maurice Golring synthétise le paradoxe d'un soulèvement nationaliste, en réalité mis en échec par la population irlandaise elle-même :

« Les « héros de 1916 » furent d'une certaine façon vaincus par le peuple irlandais lui-même, avant de l'être par les canonnières anglaises »[5]

Dublin est le lieu de véritables batailles de rue où virent le jour les premiers véhicules de combat improvisés. Les Britanniques bombardent les bâtiments aux mains des Républicains, provoquant différents incendies[3]. Après cinq jours de violents combats, les insurgés sont acculés dans une situation désespérée. Le 29 avril Patrick Pearse, président du gouvernement provisoire, décrète l’arrêt des combats et parvient à convaincre quelques irréductibles, emmenés par Tom Clarke, que l’insurrection est un échec. La reddition sans condition est signée le même jour.

Bilan des combats et répression

Les ruines de la Dublin Bread Company, Lower Sackville Street (aujourd'hui O'Connell Street), après l'insurrection de Pâques.

Au terme de six jours de combats, on dénombre environ 400 morts (318 civils et de 60 à 80 insurgés) et 2 614 blessés (2 217 civils). Quand Pearse signe la reddition, il reste environ 1 300 volunteers et 220 membres de l’Irish Citizen Army.

La répression des Britanniques est implacable : 3 430 hommes et 79 femmes sont arrêtés à Dublin et on arrive au chiffre de 5 000 personnes si on comptabilise celles poursuivies en Angleterre et au pays de Galles. Les dirigeants sont jugés par des cours martiales qui prononcent 90 peines de mort. Il y a une quinzaine d’exécutions à la prison de Kilmainham, dont sept membres du gouvernement provisoire. Patrick Pearse est fusillé le 3 mai. James Connolly, plusieurs fois blessé pendant l’insurrection, est arraché de son lit d'hôpital, incapable de se lever il est posé et attaché à une chaise pour son exécution le 12 mai. Roger Casement, qui a servi d'intermédiaire entre l’insurrection et le Kaiser, est pendu. Éamon de Valera échappe à la peine capitale, du fait de sa nationalité américaine et de l'intervention de l'ambassadeur des États-Unis[3].

La répression radicale mène aux arrestations d’Arthur Griffith ou d'Eoin MacNeill, alors qu’ils n’ont pas participé aux événements. Au mois d’août, sous la pression du président américain Woodrow Wilson, nouvel allié du Royaume-Uni dans la Première Guerre mondiale, une première vague de libération de détenus républicains a lieu, une seconde suit en décembre. Les derniers prisonniers sont libérés en 1917.

Exécutions

Conséquences

Peinture murale, Whiterock Road, West Belfast.

Incontestablement, l’insurrection de Pâques 1916 fut un échec, tant sur le plan militaire que sur le plan politique. Le soulèvement ne fut pas général. Dublin fut le lieu principal des événements, et si les insurgés bénéficièrent de l’effet de surprise la première journée, la contre-offensive de l’armée britannique modifia la donne, d’autant que la maîtrise du téléphone permit l’alerte générale et l’intervention des renforts. Sur le plan politique, la répression élimina ce que le camp républicain comptait de penseurs et d’activistes.

Cependant, pour la première fois depuis longtemps en Irlande, une insurrection fut dirigée par des catholiques et non par des protestants opposés aux persécutions et à la discrimination engendrées par le système colonial. Le mouvement nationaliste irlandais avait démontré qu'il était mature et organisé. Ce ne sont plus des réformes sociales ou même une autonomie qu'il réclame mais l'indépendance. De plus, la brutalité de la répression entraîna un courant de sympathie envers le Sinn Féin, renversant l'opinion alors que l'opportunité de l'insurrection avait été fortement contestée. Le Sinn Féin remportera ainsi les élections de 1918 (en).

Rapidement, des écrivains comme George Bernard Shaw ou G. K. Chesterton dénoncent la violence de la répression[3].

De nombreuses interprétations littéraires et politiques ont été données à cette aventure, mais c’est avant tout l’échec du Home Rule et des partis irlandais qui l’ont soutenu, débordés par les radicaux. Ce lundi fut le premier pas vers la République d'Irlande et la guerre d'indépendance, mais aussi vers le conflit nord-irlandais.

Sous le nom de « lys de Pâques » (Easter Lily), la fleur Zantedeschia aethiopica est utilisé comme symbole de l'insurrection par les républicains irlandais[7]

En 1966, à l’occasion du cinquantenaire de l’insurrection, la statue de l’amiral Nelson, posée sur une colonne de quarante mètres, dans O'Connell Street à Dublin, est détruite par une bombe.

L'évènement est largement commémoré à Pâques 2016, comme le centenaire des fondements de la création de l'État irlandais.

Notes et références

  1. Guffian 2006, p. 94.
  2. Pour faire passer la loi, le roi George V avait menacé de créer suffisamment de pairs libéraux pour surmonter la majorité conservatrice de la Chambre des lords.
  3. Philippe Maxence, « Avril 1916 : les Pâques sanglantes de Dublin », La Nouvelle Revue d'histoire, no 83 de mars-avril 2016, p. 52-54.
  4. Guffian 2006, p. 91.
  5. Guffian 2006, p. 92.
  6. (en) "The 1916 Rising: Personalities and perspectives", Bibliothèque nationale d'Irlande
  7. (en) CAIN, « Symbols Used in Northern Ireland - Nationalist and Republican Symbols », sur cain.ulst.ac.uk

Annexes

Bibliographie

Filmographie

Articles connexes

Liens externes

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