Maintien de l'ordre

Pris au sens large, le maintien de l'ordre public est l'ensemble des comportements et des actions visant à maintenir une paix civile.

Pour les articles homonymes, voir MO.

CRS (à gauche) et gendarmes mobiles (à droite) lors d'une manifestation

Dans le contexte d’un rassemblement de personnes, spontané, organisé ou subi, le terme de « maintien de l’ordre public » (MO) définit surtout l’action de la force publique pour faire respecter la loi et pour assurer ou rétablir la continuité des différentes activités d’une collectivité : vie sociale, administration, gouvernement, commerces et services. Cette action des forces de police sur le terrain, de nature préventive puis éventuellement répressive, est normalement précédée par une action éducative et souvent complétée par une action judiciaire.

Dans un contexte de paix civile, la notion de maintien de l'ordre équivaut à assurer la sécurité des communautés et des individus[1], c'est-à-dire agir pour prévenir l'incivilité (actes qui ne constituent pas forcément des infractions pénales, tels que l'ivresse publique)[2]. Elle n'est donc pas exclusivement liée à la lutte contre la criminalité.

Mais le maintien de l'ordre peut être un prétexte pour restreindre les libertés individuelles et, dans une démocratie, il doit garantir les droits des individus et notamment le droit à l’expression, le droit à la sûreté de la personne (art. 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme), le droit de circulation (art. 13), le droit à la liberté d'opinion et d'expression (donc de manifestation pacifique, art. 19) et le droit à la propriété (art. 17).

Confrontées à une palette de situations allant du simple service d'ordre à l'émeute, voire à l'insurrection, et dont les conséquences, notamment en cas de bavure, peuvent gravement affecter la vie sociale et politique de leur pays, les forces destinées au maintien de l'ordre doivent bénéficier d'un entraînement spécifique et disposer de moyens et de tactiques adaptés. Dans une démocratie, les « soldats » du maintien de l'ordre sont confrontés non pas à des ennemis mais à des « citoyens temporairement égarés »[3] qu'il convient donc de contenir et de canaliser avec le minimum de violence et en leur laissant toujours une porte de sortie, sous le contrôle constant des autorités administrative et judiciaire.

Enfin, les responsables du maintien de l'ordre doivent également tenir compte de la violence de personnes non concernées à priori par les motivations des manifestants et qui s'insèrent — soit à titre individuel soit au sein de groupes organisés — dans les dispositifs pour une action de provocation et de casse systématique (voir notamment l'article Black bloc).

Situations typiques

Policiers antiémeute allemands.

Les dispositifs de maintien de l'ordre sont mis en place à titre préventif dès lors que l'on prévoit un rassemblement de grande ampleur ayant un risque de dégénérer. La notion de « risque de dégénérer » est floue et dépend de l'appréciation des autorités, ainsi que de l'opinion publique. Citons par exemple :

  • les manifestations revendicatives organisées ; les forces de maintien de l'ordre doivent souvent être déployées pour lutter contre les casseurs qui s'immiscent dans les cortèges revendicatifs. Elles peuvent également être présentes aussi pour protéger les manifestants contre des contre-manifestants ;
  • les manifestations spontanées : l'absence d'organisation encadrant les manifestants et de service d'ordre peut faire craindre des débordements ;
  • les manifestations sportives avec un public connu pour ses violences (hooliganisme) ;
  • catastrophes : pour permettre l'intervention des secours et éviter les pillages.

Moyens de maintien de l'ordre

Cet exercice OTAN d’entraînement aux missions de maintien de la paix en 1996 effectué par des militaires de l'Ouzbékistan expose les différentes approches pour rétablir l'ordre entre les pays développés et les pays du Sud, où armes et morts font partie intégrante des manifestations souvent sanglantes.

La grande difficulté réside dans la proportionnalité de moyens et le respect des droits de l'Homme. Dans une démocratie soucieuse du respect de ses citoyens, le maintien de l'ordre s'attache à limiter les blessures infligées aux délinquants[4] et à ne pas causer de mort. Cela implique donc :

  • l'utilisation d'armes non-mortelles ; Qui ont cependant déjà conduit à un certain nombre de décès.
  • la définition de tactiques spécifiques ;
  • des intervenants formés à ces tactiques spécifiques et équipés.

Dans une démocratie, l'usage de la force ou des armes est soumis à l'autorisation de l'autorité civile. L'usage de la force ou des armes implique le strict respect des principes de proportionnalité et de réversibilité. Cette dernière notion consiste pour les forces de l'ordre à être capables, dans un délai très bref et pour une durée très brève, de faire usage de moyens de coercition tout en conservant la possibilité de mettre un terme à cet usage dès lors que la situation ne le justifie plus.

En France, le maintien de l'ordre relève de l'autorité administrative (préfet de région, préfet de police, préfet de département, sous-préfet, maire), mais également des commissaires de police et des commandants de groupement de gendarmerie, qui utilisent la procédure de mise à disposition pour mettre en œuvre les différentes forces de l'ordre (notamment les CRS, les compagnies d'intervention de la police ou les escadrons de gendarmerie mobile).

Tactiques spécifiques

Policier allemand en tenue de maintien de l'ordre en 2011.
Marines américains entraînés au maintien de l’ordre par la gendarmerie française en . Les militaires engagés dans des opérations de guerre asymétrique ou d'aide humanitaire doivent souvent réagir à des mouvements de foules.
  • À titre préventif :
    • médiation préalable avec les organisateurs ;
    • surveillance des grands rassemblements, par des observateurs en hauteur et des observateurs en civil au sein de la foule, afin de détecter les débuts de violence ;
    • dialogue et médiation avec les participants et notamment leurs leaders ;
    • présence dissuasive de forces de l'ordre ; une présence trop visible peut à l'inverse « échauffer les esprits » ;
    • limitation des mouvements afin de protéger des endroits sensibles, comme des bâtiments publics ou des personnes pouvant être la cible ; des violences (par exemple personnes d'origine étrangère dans le cas d'émeutes racistes), en condamnant des rues ou en filtrant les accès ;
    • présence d'équipes très mobiles (donc peu équipées) pouvant pénétrer facilement dans la foule et extraire les fauteurs de trouble.(tactique d'exfiltration) ;
  • Dans l'action répressive :
    • canalisation des manifestants ;
    • barrages fixes ;
    • bonds offensifs et charges ;
    • maintien à distance des manifestants violents par des moyens adaptés : canons à eau et/ou grenades lacrymogènes ;
    • isolement et interpellation des meneurs et agitateurs en flagrant-délit ;
    • prise d'images aux fins de poursuites judiciaires ;
    • répression pénale après identification et ou dénonciation des casseurs (notamment au Royaume-Uni).

Les méthodes varient d'un pays à l'autre[5]. Certains pays (et notamment la France) préfèrent limiter au maximum les contacts physiques entre forces de l'ordre et manifestants, sources de nombreuses blessures, en maintenant ces derniers à distance par l'emploi de gaz lacrymogènes lancées à la main ou à l'aide de dispositifs spécialisés (tromblons et lance-grenades). Dans d'autres pays (par exemple l'Allemagne), l'usage des grenades est beaucoup plus rare et les canons à eau sont plus utilisés mais le contact physique est beaucoup plus fréquent. Au Royaume-Uni, les poursuites judiciaires sont beaucoup plus fréquentes - et les peines plus lourdes - que dans les autres nations de l'Union européenne.

Matériel et véhicules

Dans certains pays, police montée, par exemple en Allemagne, aux États-Unis, en France (uniquement pour les services d'ordre), au Royaume-Uni, etc.

Allemagne

Policiers revêtus d'un gilet « Gestion de conflit » (Konfliktmanagement), lors d'une manifestation à Magdebourg en 2011.
  • En Allemagne, le , Benno Ohnesorg, un étudiant, est tué par un tir policier à Berlin Ouest en marge d'une manifestation contre la venue du shah d'Iran Mohammed Reza Pahlavi[8],[9]. Ce « coup de feu qui a changé l'Allemagne » a inspiré la politique dite de « désescalade (de) » (allemand : Deeskalation). Cette doctrine est fondée sur la psychologie des foules et vise à éviter la solidarisation des manifestants pacifiques avec les plus radicaux[10].
  • La stratégie de la désescalade est adoptée en Allemagne, comme dans d'autres pays tels que la Suède, le Danemark, l’Angleterre ou les Pays-Bas[11]. Elle consiste à cibler individuellement des personnes posant problème au sein d’une manifestation, et non pas de considérer la foule dans son ensemble. Au sein de la manifestation, on trouve ainsi des personnes clairement identifiées comme étant des policiers (portant un gilet « Gestion de conflit »), qui se font le relai des unités de maintien de l’ordre, en communiquant directement avec les manifestants, en leur expliquant au besoin pourquoi les policiers font telle ou telle manœuvre, et pourquoi à un autre moment il faut se pousser. Ce dialogue permet généralement de maintenir le calme.

France

Cavaliers de la garde républicaine mobile et émeutiers - Place de la Concorde 7 février 1934
Strasbourg, 6 février 2013 : manifestants et gendarmes mobiles
CRS lors d'une manifestation - 2016
Canon à eau mobile de la police nationale à Paris

En France, jusqu'au début des années 1920, seules les grandes métropoles - et notamment Paris - disposent de forces de police suffisamment nombreuses et entraînées pour intervenir efficacement lors des manifestations. Quant à la Gendarmerie, elle mobilise en cas de besoin des pelotons de « troupes supplétives »[12]. Ces pelotons sont constitués de gendarmes prélevés dans les brigades à raison d'un ou deux hommes par brigade, mais ils ne sont ni formés pour le maintien de l'ordre ni encadrés par leurs chefs habituels. De plus, leur absence - souvent prolongée - désorganise le service. Le recours à l'armée en renfort de la police ou de la gendarmerie reste donc fréquent pour contenir ou réprimer les mouvements sociaux, avec des conséquences parfois désastreuses : fraternisation entre les manifestants et les conscrits ou, au contraire, usage excessif de la violence avec ouverture du feu. D'où le besoin d'une force spécialisée dans le maintien de l'ordre, besoin qui ne fait toutefois pas l'unanimité car il est difficile à définir et à financer. De plus, certains responsables politiques redoutent la création d'une nouvelle « garde prétorienne ».

En 1921 sont créés des pelotons mobiles au sein de la gendarmerie départementale. Ils prennent le nom de garde républicaine mobile ou GRM en 1926. En 1927, la garde républicaine mobile est détachée de la gendarmerie départementale pour constituer une nouvelle subdivision de la gendarmerie. Dissoute après la défaite de 1940 et en partie remplacée par la Garde (qui est détachée de la gendarmerie), elle sera reconstituée à la Libération (et rattachée de nouveau à la gendarmerie) sous le nom de garde républicaine puis, à partir de 1954, de gendarmerie mobile.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la police nationale se dotera également d’unités mobiles : les groupes mobiles de réserve (GMR) auxquels succéderont en 1944 - après épuration puis intégration de personnels souvent issus de la Résistance - les Compagnies républicaines de sécurité ou CRS. Forces de police à vocation principalement régionale pendant la période de l'immédiat après-guerre, les CRS, dont la pérennité est même remise en cause, trouvent une nouvelle raison d'être et une vocation de force de réserve nationale à l'occasion des grèves insurrectionnelles de 1947 et 1948[13].

Au fil des années, et avec l'expérience d'événements de masse comme Mai 68, ou isolés comme la mort de Malik Oussekine en 1986, la doctrine en cas de manifestation a évolué pour limiter les contacts entre les forces de l'ordre et les manifestants : des unités de police et gendarmerie sont dédiées et formées spécialement, et leur rôle n'est plus nécessairement de disperser la manifestation mais de contenir la violence[10]. Dans les années 2000, la doctrine évolue vers l'interpellation de fauteurs de troubles[10],[14].

De nos jours, le maintien de l'ordre est du ressort de la police nationale et de la gendarmerie nationale, et en particulier :

Les forces militaires autres que la gendarmerie mobile, c'est-à-dire principalement les gendarmes départementaux mais également les militaires des forces armées françaises (terre, air et mer), peuvent également être mobilisées par réquisition, en cas de besoin.

Les forces armées sont classées en trois catégories au maintien de l'ordre :

Depuis le rattachement de la gendarmerie au Ministère de l’intérieur en 2009, la loi a été modifiée et la réquisition n’est plus nécessaire pour l'emploi des forces de gendarmerie en unités constituées[15] au maintien de l'ordre. L'autorité administrative utilise maintenant la procédure de mise à disposition (la réquisition est encore nécessaire pour les présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat, ainsi que pour les présidents de cours et tribunaux).

La formation et l’entraînement des unités de la gendarmerie mobile (et de la Garde républicaine, qui peut intervenir à titre exceptionnel à Paris) au maintien de l'ordre sont dispensées au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie. Celles des compagnies de CRS ont lieu dans les centres de Lyon et de Rennes[16].

Laurent Bonelli, journaliste et maître de conférences en science politique, indique que lors d'un entretien avec un haut responsable des forces de maintien de l’ordre, celui-ci insistait sur le caractère relationnel de la violence, déclarant : « C’est nous, l’institution, qui fixons le niveau de violence de départ. Plus la nôtre est haute, plus celle des manifestants l’est aussi. ». Pour Laurent Bonelli, « ces stratégies et ces dispositifs musclés sont également encouragés par la plupart des élus, qui y voient l’occasion d’affirmer une fermeté jugée politiquement payante. Quitte à s’exonérer ensuite de la responsabilité de la violence en l’attribuant aux seuls « casseurs », avec la complaisance intéressée des médias, toujours friands d’images d’affrontements et de destructions[17]. »

En 2020 est publié un schéma national du maintien de l'ordre visant à faire évoluer la doctrine française du maintien de l'ordre.

Notes et références

  1. « Maintien de l'ordre », sur Vocabulaire politique — Centre de recherche et d'information socio-politiques (consulté le )
  2. « Vitres brisées : la police et la sécurité de proximité », Revue française de criminologie et de droit pénal, vol. 5, (présentation en ligne)
  3. Bruneteaux 1996
  4. dans le sens : qui commettent les délits
  5. Ce paragraphe est rédigé d'après les conclusions du Rapport relatif à l'emploi des munitions en opérations de maintien de l'ordre remis le 13 novembre 2014 au ministre de l'intérieur français conjointement par l'inspection générale de la police nationale et l'inspection générale de la gendarmerie nationale après le décès d'un manifestant lors de la manifestation de Sivens en octobre 2014) - voir références externes.
  6. En France, l'utilisation des grenades offensives (en dotation dans la seule gendarmerie) pour le maintien de l'ordre a été interdite par décision du ministre de l'intérieur le 13 novembre 2014 à la suite du décès d'un manifestant lors de manifestations violentes contre la construction d'un barrage à Sivens.
  7. Dans la législation de nombreux pays, y compris la France, le terme d'arme à feu s'applique à de nombreuses armes utilisées au maintien de l'ordre (lanceurs de balles de défense, certaines grenades, etc.).
  8. (en) Spiegel Staff, « The Truth about the Gunshot that Changed Germany », Spiegel Online, (lire en ligne)
  9. (de) Markus Werner, « Dieser Tag hat die Republik verändert », Frankfurter Allgemeine Zeitung, (lire en ligne)
  10. Ismaël Halissat, « Le « syndrome Malik Oussekine » existe-t-il encore ? », Libération, (lire en ligne)
  11. « En Allemagne, la police ne blesse pas les manifestants », sur Reporterre, le quotidien de l'écologie (consulté le )
  12. Le terme « troupe supplétive » est fréquemment employé dans les documents officiels de l'époque (voir Archives du Service Historique de la Défense - par exemple carton GR 9N272). Par la suite, on parlera plutôt de Pelotons de Gendarmerie de Réserve Ministérielle (PGRM).
  13. Cette mission est confirmée par la loi no 47-23834 dont les modalités d'application sont contenues dans l'article 27 du décret organique no 48-605 du 26 mars 1948. Jean-Louis Courtois, CRS au service de la nation p. 21-22.
  14. Dufresne 2007
  15. C'est-à-dire principalement la gendarmerie mobile mais également les pelotons de gendarmerie de réserve ministérielle (PGRM) formés par la gendarmerie départementale en période de crise ou la garde républicaine, dès lors qu'elle agit en unités constituées.
  16. Assemblée nationale - Rapport no 2794 fait au nom de la commission d'enquête chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens. Enregistré le 21 mai 2015. Accessible en lien externe.
  17. « Le soulèvement français : pourquoi maintenant ? », Le Monde diplomatique, (lire en ligne)

Voir aussi

Bibliographie

  • [Bruneteaux 1996] Patrick Bruneteaux, Maintenir l'ordre, Paris, Presses de Sciences Po,
  • Georges Carrot, Histoire du maintien de l'ordre en France (1789-1968), Presses de l'IEP de Toulouse, , 2 vol.
  • Georges Carrot, Le Maintien de l'ordre en France au XXe siècle, Éditions Veyrier,
  • Georges Carrot, Révolution et maintien de l’ordre 1789-1799, Paris, S.P.M.-Kronos, , 523 p.
  • [Dufresne 2007] David Dufresne, Maintien de l'ordre : l'enquête, Paris, Hachette Littératures, (présentation en ligne).
  • Anne Mandeville, Les Autorités responsables du maintien de l'ordre dans le Royaume-Uni. Éléments pour une analyse politique du système britannique de maintien de l'ordre public (thèse pour le doctorat de science politique), Université de Toulouse I sciences sociales, (lire en ligne [PDF]).

Articles connexes

Liens externes

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