Traités d'Utrecht

Les traités d’Utrecht (prononcé /y.tʁɛɣt/) sont deux traités de paix signés en 1713 qui mirent fin à la guerre de Succession d'Espagne. Le premier fut signé à Utrecht le 11 avril entre le royaume de France et le royaume de Grande-Bretagne, et le second fut signé dans la même ville le 13 juillet entre l'Espagne et la Grande-Bretagne.

Cet article concerne les traités d'Utrecht de 1713, à ne pas confondre avec l'union d'Utrecht de 1579.

Traités d'Utrecht
La première édition des traités, imprimée en espagnol, latin et anglais.
Langue français, latin, espagnol, anglais
Signé et
Utrecht
Effet Début du règne de Philippe V sur l'Espagne
Parties
Parties Royaume de France
 Monarchie espagnole
 Grande-Bretagne

Guerre de succession d'Espagne

La guerre de Succession d'Espagne est un conflit qui a opposé plusieurs puissances européennes de 1700 à 1714. L'enjeu était la succession au trône d'Espagne à la suite de la mort sans descendance du dernier Habsbourg espagnol, Charles II[1]. La guerre donna naissance à la dynastie des Bourbons d'Espagne[1], qui règne toujours sur ce pays trois siècles plus tard[2].

Congrès d'Utrecht

Ouverture du Congrès d'Utrecht, 29 janvier 1712.

Le Congrès débute en janvier 1712. La France de Louis XIV a su reprendre l'initiative stratégique en Espagne et dans le nord de la France. Face à elle, la Grande-Alliance regroupe l'ensemble de l'Europe sauf l'Espagne. La victoire du maréchal de Villars à la bataille de Denain permet à la France de négocier in extremis des conditions convenables.

Le traité, le premier rédigé en français depuis Henri II, inaugure la primauté du français comme langue diplomatique. Cela durera jusqu'au traité de Versailles, en 1919.

Éléments des traités

Les cessions territoriales à la suite des traités d'Utrecht, de Stockholm, de Nystad et de Passarowitz.

Relégation de l'Espagne au second rang

L'Espagne est la grande perdante de la guerre et perd toutes ses possessions européennes : une part des possessions italiennes (Milanais et Sicile) vont au duché de Savoie, et les Pays-Bas méridionaux (actuelle Belgique), Naples et la Sardaigne à l'Autriche.

Même son territoire métropolitain est amputé, Gibraltar et l'île de Minorque sont cédées à la Grande-Bretagne (Minorque sera rétrocédée à l'Espagne par le Traité d'Amiens (1801)). Toutefois, l'accession au trône de Philippe V a été synonyme d'un redressement administratif et militaire. La reprise de Barcelone et la fin de la guerre sonnent comme le début d'une relative centralisation. Philippe V, aidé de conseillers français, puis italiens, redresse le prestige diplomatique de l'Espagne, notamment avec la rétrocession par les Habsbourg en 1738, de Naples, de la Sicile et de Parme en 1745.

Stagnation de la France

  1. Succession espagnole : les traités d'Utrecht reconnaissent le petit-fils de Louis XIV, Philippe V, comme roi d'Espagne. S'il renonce à ses droits sur la couronne de France[3] en dépit des règles de la dévolution de la Couronne, son frère le duc de Berry, son neveu le duc d'Anjou[4], les Habsbourg et les Orléans renoncent à leurs droits sur la couronne d'Espagne.
  2. Le grand œuvre de la fin du règne de Louis XIV, le rapprochement des couronnes espagnole et française, est réduit à néant : il n'y aura jamais de monarchie commune aux deux pays.
  3. Les frontières européennes de la France sont restreintes : sur la rive droite du Rhin, Louis XIV rend les villes occupées depuis le début de la guerre par l'armée française (Brisach, Fribourg-en-Brisgau, et Kehl). En contrepartie, il obtient la principauté d'Orange de Frédéric Ier Hohenzollern.
  4. À la frontière italienne, la France renonce à la Savoie, occupée depuis le début du conflit. Dans les Alpes et le Dauphiné, la vallée de l'Ubaye, est rattachée à la France en échange de la cession de la haute vallée de Suse (autrefois dauphinoise) au duché de Savoie. Pour le royaume de France, cela ramène la frontière sur une ligne de partage des eaux (col du Montgenèvre, Mont-Viso) plus aisée à défendre, et dont la zone a déjà commencé à être fortifiée suivant les plans de Vauban (verrous de Briançon et de Mont-Dauphin). Pour les populations du Briançonnais, qui avaient acheté au dernier Dauphin Humbert II certains privilèges (grande charte des droits du Briançonnais de 1343) au moment de la cession du Dauphiné au Royaume de France, et établi un système de gestion communautaire (les Escartons – souvent abusivement désigné sous le terme « République des Escartons »), il s'agit par contre d'un traumatisme avec l'amputation de trois des cinq escartons : Oulx, Val Cluson-Pragela et Châteaudauphin (Casteldelfino). La France perd ainsi la forteresse de Pignerol (Pinerolo), gardienne de la frontière depuis 1631. Briançon devient alors pour plus de deux siècles ville de garnison, gardienne de la frontière, et futur élément de la ligne Maginot. Le statut des Escartons prendra fin avec la Révolution française et l'abolition des privilèges.
  5. Sur la frontière du nord, les villes de Tournai, Menin, Furnes et Ypres sont cédées à l'Autriche. La France doit également renoncer à soutenir les Stuart en Grande-Bretagne, et détruire les fortifications et bloquer le port de Dunkerque.

L'empire colonial de la France :

  1. L'Acadie française est cédée à la Grande-Bretagne (sauf l'île du Cap-Breton et l'île-du-Prince-Édouard). De plus, l'article XV du traité d'Utrecht permet aux Anglais d'obtenir le protectorat du territoire iroquois qui recoupait celui de la vallée de l'Ohio.
  2. Aux Antilles, l'île Saint-Christophe est cédée aux Britanniques.
  3. En ce qui concerne Terre-Neuve et la baie d'Hudson, Louis XIV confirme leur possession aux Anglais. L'établissement de Plaisance est laissé à l'abandon. Néanmoins, la France obtient un droit exclusif de pêche sur une partie importante du littoral de l'île de Terre-Neuve – dite la côte française de Terre-Neuve, le French Shore, reconnu par le traité d'Utrecht de 1713 entre la France et l'Angleterre. La France abandonnera ce droit exclusif en 1904.

En Guyane, le traité d'Utrecht consacre l'Oyapock comme frontière avec la colonie portugaise du Brésil.

Ces traités consacrent une stagnation pour la France après le règne de Louis XIV. Toutefois, la France reste la première puissance militaire en Europe. Son potentiel démographique est immense puisqu'un Européen sur quatre reste français, et Louis XIV a durablement installé la dynastie française des Bourbons sur le trône espagnol. Enfin, le rayonnement culturel de la France, introduit sous Louis XIV, n'en est qu'à ses débuts.

Redressement de l'Autriche

L'Autriche remplace l'Espagne en Italie, où elle reprend une partie du Milanais, Mantoue, Naples et la Sardaigne, qu'elle échangera en 1719 contre la Sicile avec la Savoie. Elle obtient également les Pays-Bas du Sud (Belgique et Luxembourg actuels).

Toutefois, ce redressement est partiel. Territorialement, dès 1730 et 1738, les Habsbourg devront rétrocéder Naples et la Sicile aux Bourbons d'Espagne. Les cessions iront à une branche cadette de la monarchie espagnole, sans être rendues à l'Espagne. La sortie d'Italie de l'Espagne est définitive. L’Autriche la remplacera en Italie du Nord jusqu'à la réunification italienne.

Militairement, la puissance Habsbourg reste surclassée par l'armée française, comme l'ont montré les campagnes de l'armée française en Allemagne, en 1712 et 1713. Par ailleurs, les Habsbourg doivent renoncer à la couronne d'Espagne, qui appartenait à leur dynastie depuis Charles Quint, et ils doivent reconnaître comme définitives toutes les conquêtes de Louis XIV.

Les Provinces-Unies en déclin

Bien que victorieuses, les Provinces-Unies ne retirent presque rien de la guerre. L'influence néerlandaise est marginale durant la négociation du traité, même si elle s'est tenue à Utrecht. L’isolement diplomatique des Provinces-Unies est relevé par le négociateur français Melchior de Polignac lorsqu'il nargue ses vis-à-vis néerlandais de cette boutade : « de vous, chez vous, sans vous »[5]. Après soixante années de guerres ruineuses, croulant sous les dettes, elles amorcent un déclin financier et commercial qui profite à la France mais surtout à la Grande-Bretagne.

Les Provinces-Unies obtiennent cependant d'occuper huit places fortes qui constituent une barrière contre la France : Furnes, Ypres, Menin, Tournai, Mons, Charleroi, Namur et Gand. Les conditions en sont réglées après la mort de Louis XIV, au traité de la Barrière, signé le à Anvers avec l'Autriche. L'entretien de ces places sera fort coûteux pour les finances néerlandaises.

Ascension de la Grande-Bretagne

Territorialement, la Grande-Bretagne se voit confirmer la possession de Terre-Neuve et de la baie d'Hudson. La France cède l'Acadie et Saint-Christophe aux Antilles. Les colons français d'Acadie auront un an pour quitter leurs terres, mais ils décident pour la plupart de rester. De 1755 à 1763, ils en seront massivement chassés par « le grand dérangement ».

La Grande-Bretagne acquiert une relative prédominance sur les mers qui bordent l'archipel britannique (mer du Nord, Manche), aux dépens des Provinces-Unies. La prédominance maritime est encore renforcée en Méditerranée par les bases de Gibraltar et de Minorque, prises au nom du roi d'Espagne (Charles III de Habsbourg) en 1704.

L'article XV du traité met les Iroquois sous le protectorat de la couronne britannique[6]. La Grande-Bretagne obtient également le monopole de l'asiento (traite des esclaves dans les colonies espagnoles) pour trente ans.

Cette prédominance sur les espaces maritimes et en Amérique sera un des facteurs qui permettront au Royaume-Uni de remporter la guerre de Sept Ans (1756-1763), mais en 1715, rien n'est encore joué dans la compétition qui l'oppose à la France.

Italie et Allemagne

Les deux régions restent divisées, mais les puissances qui les unifieront au XIXe siècle émergent : la Prusse et la Savoie.

La maison de Savoie retrouve son territoire homonyme, qui avait été occupée par la France depuis le début de la guerre. Elle obtient également la prospère Sicile, échangé en 1718 par le traité de Londres avec la maison d'Autriche contre la Sardaigne, érigée en royaume. Cet échange est effectif en 1720, à l'issue de la guerre de la Quadruple-Alliance.

Enfin, elle échange Barcelonnette contre Fenestrelle et le val de Suse (Exilles, Bardonnèche, Oulx et Châteaudauphin) avec la France.

L'électeur de Brandebourg Frédéric Ier Hohenzollern obtient le titre de roi en Prusse, la Haute-Gueldre et Neuchâtel. Mais il cède ses droits sur Orange à Louis XIV.

Clauses controversées

La clause de renonciation des droits à la couronne de Philippe V a été reniée le 9 novembre 1728 par le Roi d'Espagne au Parlement de Paris : « mon intention, Messieurs, est de vous manifester que si, ce qu'à Dieu ne plaise, le Roi Louis XV, mon très cher frère et neveu, venait à décéder sans laisser de successeur issu de lui, je prétends jouir du droit que ma naissance me donne de lui succéder à la Couronne de France à laquelle je n'ai jamais pu valablement renoncer... Dès que j'apprendrai la mort du Roi de France... je partirai pour venir prendre possession du trône des rois, mes pères »[7].

Traités annexes

Outre le traité de la Barrière qui le précède de quelques mois, le traité d'Utrecht est complété l'année suivante par le traité de Rastatt. Signé le par le maréchal de Villars et le prince Eugène, qui représente l'empereur, le traité en précise les modalités d'application pour ce qui concerne la France et l'Empire.

Le traité de Baden du en étend les clauses à toutes les principautés allemandes.

Notes et références

  1. Jean Sellier et André Sellier, Atlas des peuples d'Europe occidentale, éditions La Découverte, , p. 43
  2. « Les Bourbons à Madrid ? », Le Monde, (lire en ligne)
  3. Olivier Chaline, Le règne de Louis XIV, Flammarion, 2009, tome 2, p. 427.
  4. Max Gallo, L'Hiver du Grand Roi, p. 309.
  5. Szabo, I., The State Policy of Modern Europe from the Beginning of the Sixteenth Century to the Present Time. Vol. I, Longman, Brown, Green, Longmans and Roberts, 1857, p. 166.
  6. Guy Frégault, Le Grand marquis : Pierre de Rigaud de Vaudreuil et la Louisiane, 1952, Montréal : Fides, 481 pages.
  7. Philippe Erlanger, Philippe V d'Espagne : un roi baroque, esclave des femmes, Paris, Librairie Académique Perrin, coll. « Présence de l'histoire », , 408 p. (ISBN 2-262-00117-0), p. 364. Également cité par Paul Watrin, La tradition monarchique (thèse de doctorat d'État en droit), Paris, Diffusion Université-Culture, , 2e éd. (1re éd. 1916) (ISBN 2-904092-01-3), partie 3, chap. III (« Le règne de Louis XV »), p. 181.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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