École du meuble de Montréal
L'École du meuble de Montréal fut une institution d’enseignement québécoise créée en 1935 qui visait à revaloriser les métiers de l’artisanat ainsi que la production d’ameublement contemporain au Québec à la suite du krach boursier de 1929 et de l’accélération de l’importation étrangère[1]. Elle devint l'Institut des arts appliqués en 1958.
Elle fut un des lieux de la fermentation culturelle qui donna lieu au manifeste du Refus global.
Histoire
L’École du meuble, ouverte en 1935, est issue de l’École technique de Montréal. Au cours des années 1920, le directeur général de l'enseignement technique Augustin Frigon et le directeur de l'École technique de Montréal Alphonse Bélanger[2], souhaitant créer une section d’ébénisterie, ne trouvent personne d’assez qualifié pour la diriger de façon satisfaisante. Voyant un espoir en la personne de Jean-Marie Gauvreau, un ancien diplômé doué, ce dernier reçoit une bourse en 1926 afin d’aller parfaire sa formation en ébénisterie à l’École Boulle, à Paris[3]. À son retour en 1930, Gauvreau commence à enseigner à l’École technique, où il crée et dirige la section du meuble. En 1935, on inaugure l’École du meuble et c’est Jean-Marie Gauvreau qui en est nommé directeur, poste qu’il conserve jusqu’à ce que l’École devienne l’Institut des arts appliqués en 1958, et même jusqu’à la fermeture de cette dernière en 1968. À son ouverture, le programme esthétique de l'École du meuble est fortement inspiré de celui de l'École Boulle et adopte les formes modernes de l'Art déco[4].
La nuit du 1er au , un incendie causé par la négligence d'un fumeur ravage complètement l'École du meuble et son musée nouvellement inauguré, alors situés dans un bâtiment de l'École technique de Montréal au 2020, rue Kimberley[5]. Presque tout est perdu : la production étudiante de l'année 1939-40; les pièces d'ameublement destinées à l'Agence générale de la province de Québec au Rockfeller Center de New York, qui représentent la moitié des œuvres exposées lors du salon annuel ; le matériel d'enseignement; les pièces exposées dans le musée, ainsi que des œuvres d'art : trois tableaux de Suzor-Coté, deux bronzes d'Alfred Laliberté et deux toiles de Marc-Aurèle Fortin. Les cours reprennent en octobre 1940 dans les locaux reconstruits à la même adresse.
En 1941, le gouvernement du Québec acquiert l'édifice situé au 1097, rue Berri (à l'angle du boulevard Dorchester), œuvre de l'architecte Jean-Omer Marchand et qui logeait depuis 1910 l'Académie Marchand, afin d'y installer l'École du meuble requérant des locaux plus spacieux[6]. C'est donc dans ces nouveaux locaux qu'on inaugure en l'exposition annuelle des travaux des élèves de l'École[7]. L'École demeure dans cet édifice jusqu'en 1958. L'édifice situé au 2020, rue Kimberley (aujourd'hui détruit) abrite dès le départ de l'École du meuble en 1942 la nouvelle École des arts graphiques de Montréal.
En 1958, l'École du meuble devient l'Institut des arts appliqués, dont Jean-Marie Gauvreau demeure le directeur jusqu'en 1968, lorsque l'Institut est intégré au Cégep du Vieux Montréal[4].
Paul-Émile Borduas à l'École du meuble
L'artiste Paul-Émile Borduas est engagé à titre de professeur de dessin à l'École du meuble en 1937 pour remplacer Jean-Paul Lemieux qui a accepté un poste à l'École des beaux-arts de Québec. En , les finissants de l’École du meuble exigeant le départ d’un professeur d’ébénisterie dont ils réprouvent les méthodes d’enseignement, ils font la grève, grève dont on accuse Borduas d’être l’instigateur. L'un des organisateurs de cette grève est Jean Paul Riopelle[8]. Déjà à l’été de 1946, à la suite de ces événements et sentant les relations se brouiller entre lui et Jean-Marie Gauvreau depuis quelques années, Borduas projette de quitter son poste de professeur. En effet, Borduas met de plus en plus l’accent sur la libre expression dans son enseignement et la direction de l'École du meuble réprouve ses méthodes, accusant Borduas de détourner les élèves de leur objectif. En , on retire à Borduas ses cours de décoration et de documentation, mais on lui laisse les cours de dessin[9]. Après la publication de Refus global en avec la collaboration de plusieurs de ses élèves de l'École du meuble, un manifeste remettant en question les valeurs traditionnelles de la société, la religion catholique et le conservatisme et prônant plutôt l'ouverture sur la pensée universelle, Borduas est suspendu de l’École le par le ministre Paul Sauvé après que Jean-Marie Gauvreau lui eut transmis le manifeste, puis officiellement renvoyé le malgré les manifestations d’appui de la part d'anciens élèves. Borduas est alors remplacé dans ses fonctions par Maurice Félix.
Salons des finissants, constitution d'un musée et expositions
Dès 1936, l'École du meuble expose le travail de ses finissants. Le grand public est invité à venir admirer les meilleures pièces produites par les élèves durant l'année. À cette occasion, des prix sont remis aux meilleurs travaux. Les journaux de l'époque font état de ces expositions et en viennent même à en faire la critique au fil des années.
Jean-Marie Gauvreau commence dès 1937 l'acquisition de pièces exemplaires afin de constituer un fonds de modèles pouvant servir aux élèves de l'École. Ayant accumulé des pièces d'un peu partout au Québec et de la France, Gauvreau projette d'ouvrir un musée, qui est inauguré le sous le nom de Musée des arts et métiers du terroir juste avant d'être anéanti par un incendie[10]. Il reprend ensuite les acquisitions et ouvre finalement un musée dans l'École dont la collection, à la fermeture de l'École, sera déménagée au Château Dufresne (qui devient en 1979 le Musée des arts décoratifs) sous le nom de « collection Jean-Marie Gauvreau »[9]. Une partie de cette collection est aujourd'hui conservée au Musée des maîtres et artisans du Québec.
L'École présente aussi plusieurs expositions temporaires au fil des années. Par exemple, du au , on propose au public une exposition d'art paysan rassemblant une collection d'objets, de meubles et de tissus réunis l'été précédent par Marius Barbeau[11].
La formation après l'époque de l'École du meuble et de l'Institut des arts appliqués
En 1984, le gouvernement du Québec a convenu une entente avec le milieu des métiers d’art concernant la formation et les services spécialisés offerts aux artisans. Cette entente donna lieu au Plan national de formation en métiers d'art. Le Cégep du Vieux Montréal, chargé de mettre en œuvre ce plan pour l'ouest du Québec, a créé l'Institut des métiers d'art (IMA), un organisme chargé de maintenir des partenariats avec des écoles-ateliers afin de dispenser le programme de formation collégiale technique de métiers d’art avec ses huit voies de spécialisation (céramique, construction textile, impression textile, ébénisterie artisanale, joaillerie, lutherie-guitare, maroquinerie, verre).
En 2007, le programme de formation technique en ébénisterie artisanale est devenu officiellement une école-atelier indépendante, l'École d'ébénisterie d'art de Montréal (ÉÉAM)[12].
Enseignants renommés
- Frédéric Back (dessin et couleur, 1948-1952)
- Jules Bazin (histoire de l'art)
- Henri Beaulac
- Paul-Émile Borduas (dessin à vue, décoration et documentation, 1937-1948)
- Jeanne Dansereau (arts textiles, 1949-1973)
- Maurice Félix (dessin, à partir de 1946)
- Maurice Gagnon (bibliothécaire, enseigne l'histoire de l’art, 1937-1947)
- Jean-Marie Gauvreau (directeur et professeur de technologie, de construction du meuble ainsi que d'histoire du meuble)
- Julien Hébert
- André Jarry (design de mobilier)
- Gérard Juneau (dessin géométrique et perspective)
- Jean-Paul Lemieux
- Gérard Morisset (histoire de l'art)
- Marcel Parizeau (architecture et composition du meuble)
- Jacques de Plasse-Le Caisne (tissage d'art, 1947-49)
- Elzéar Soucy (sculpture sur bois)
Élèves renommés
- Marcel Barbeau (1942-1946)
- Géraldine Bourbeau (1949-1953) céramique
- Gérard Castonguay
- Roger Fauteux
- Luba Genush (1955-1956)
- Louis Jaque
- Gérard Lavallée
- Jean-Paul Mousseau (1945)
- Maurice Perron
- Jean Paul Riopelle (1941-1946)
- Guy Viau (1939-?)
Sources primaires
Témoignage
Maurice Perron la décrit en ces termes: « J'étais allé à l'École du Meuble pour apprendre le métier d'ébéniste. J'étais tout à fait ignorant de ce qu'on enseignait à part l'ébénisterie. Je ne m'étais pas tellement renseigné sur le genre de cours qu'on recevait à l'École du Meuble. C'était en fait très diversifié. On y faisait du dessin industriel, du dessin libre avec Borduas, de la décoration, ce qu'on appelle aujourd'hui le design, avec Julien Hébert. On faisait de la décoration intérieure avec un professeur qui s'appelait Henri Beaulac, qui est mort il y a quelques années et qui a été assez bien connu. On avait un cours d'histoire de l'art avec Maurice Gagnon et un cours de sculpture sur bois avec Elzéar Soucy. On avait aussi, une fois par semaine, un cours d'anglais et un cours de comptabilité. C'était une espèce de salmigondis. On avait même un cours, je me souviens, de maître André Montpetit qui enseignait le droit. On y touchait des questions légales concernant les meubles, les immeubles et la construction. En somme, l'École du Meuble dispensait une variété de cours où on touchait à la matière de façon très superficielle. Cela découlait de la volonté du directeur Jean-Marie Gauvreau de faire de l'École une faculté de l'Université de Montréal. » [13]
Un répertoire datant de 1956 la décrit ainsi:
« ÉCOLE DU MEUBLE
1097, rue Berri PL 5061
Affiliation : Gouvernement Provincial
Buts : Enseigner le dessin industriel dans la fabrication de meubles.
Membres : 575 étudiants - 402 jeunes gens - 173 jeunes filles.
Langue : Français
Ressources financières : Octrois du Gouvernement Provincial
Bourses : 22 bourses ont été données en 1953-1954.
Personnel : 45 professeurs - 3 professeurs à temps partiel.
Programme
- Cours du jour : 105 étudiants
- Cours du soir : 470 étudiants
- Apprentissage - cours de 3 ans.
- Diplôme - cours de 4 ans.
- Arts mineurs :
- Céramique
- Décoration d'intérieur
- Sculpture du bois
- Tissage
- Exposition annuelle des travaux d'étudiants - entrée libre. » [14]
Notes et références
- BAnQ, « Ouverture de l'École du meuble | BAnQ numérique », sur http://numerique.banq.qc.ca/ (consulté le )
- Alphonse Bélanger, « Notre section du meuble » [PDF], sur Technique : revue industrielle = industrial review; numérique banq; pages 12-13 du fichier, (consulté le )
- « L’école du meuble », Technique, vol. 10, no 10, , p. 488 (lire en ligne)
- Martin Dubois, « L’École du meuble de Montréal : au-delà de l’ébénisterie », Continuité, no 115, , p. 21–25 (ISSN 0714-9476 et 1923-2543, lire en ligne, consulté le )
- « L'incendie ravage l'école et le musée du meuble », Le Canada, vol. 38, no 41, , p. 16 et 6 (lire en ligne)
- « Quelques souvenir sur l'Académie Marchand », Le Devoir, vol. 32, no 215, , p. 7 (lire en ligne)
- « À l'École du Meuble : Distribution des prix et ouverture de l'exposition », Le Devoir, vol. 33, no 138, , p. 7 (lire en ligne)
- Édition critique par André-G. Bourassa et Gilles Lapointe, Paul-Émile Borduas : Écrits II, tome 1 : Journal et correspondance (1923-1953), Montréal, Presses de l'Université de Montréal, , 558 p. (ISBN 2-7606-1690-8, lire en ligne), p. 216
- Édition critique par André-G. Bourassa, Jean Fisette et Gilles Lapointe, Paul-Émile Borduas : Écrits I, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, , 700 p. (ISBN 2-7606-0761-5, lire en ligne)
- « Collation de diplômes de l'École du Meuble », Le Canada, vol. 38, no 51, , p. 16 et 8 (lire en ligne)
- « Exposition d'art paysan à l'École du Meuble », L'Illustration nouvelle, vol. 8, no 214, , p. 8 (lire en ligne)
- École d'ébénisterie d'art de Montréal
- Maurice Perron : photographies, Musée du Québec, 1998, pp. 20-21. (OCLC 48828394)
- Les arts de Montréal, rapport d'une enquête des ressources artistiques à Montréal, La ligue de la jeunesse féminine inc., The jewish junior welfare league, The junior league of Montreal inc., Montréal, 1956.BAnQ
Voir aussi
Bibliographie
- Sources primaires
- « L’école du meuble », Technique, vol. 10, no 10, , p. 488-489, 496 (lire en ligne)
- « Nous aurons une école du meuble », Le Devoir, vol. 26, no 156, , p. 1 (lire en ligne)
- Henri Girard, « L'école du meuble », La Revue moderne, vol. 21, no 4, , p. 11 (ISSN 0700-6012, lire en ligne)
- « L'incendie ravage l'école et le musée du meuble », Le Canada, vol. 38, no 51, , p. 16 et 6 (lire en ligne).
- « L'enquête sur l'incendie de l'École du meuble : Elle fut conduite par M. William-G. Hushion et conclut à l'imprudence d'un fumeur », Le Canada, vol. 38, no 60, , p. 16 (lire en ligne)
- Sources secondaires
- Louise Chouinard, L'École du meuble de Montréal (1935-1958) : son histoire et sa production de mobilier (Mémoire de maîtrise), Québec, Université Laval, , 156 p. (lire en ligne)
- Martin Dubois, « L’École du meuble de Montréal : Au-delà de l’ébénisterie », Continuité, no 115 « De l’architecture au mobilier », hiver 2007, 2008, p. 21–25 (ISSN 0714-9476, e-ISSN 1923-2543, lire en ligne)
- Gloria Lesser (trad. Marie-Sylvie Fortier-Rolland), « Jean-Marie Gauvreau et l’Art déco », Vie des arts, vol. 27, p. 37–79, no 110, mars–avril–mai 1983, p. 37-39, 79 (ISSN 0042-5435, e-ISSN 1923-3183, lire en ligne)
- (fr + en) Gloria Lesser, École du meuble, 1930-1950 : la décoration intérieure et les arts décoratifs à Montréal = Interior design and decorative art in Montreal, Montréal, Château Dufresne/Musée des arts décoratifs de Montréal, (ISBN 0969181515, OCLC 645451453)
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