Élection présidentielle gambienne de 2021

L'élection présidentielle gambienne de 2021 a lieu le afin d'élire le président de la République de Gambie pour un mandat de cinq ans.

Élection présidentielle gambienne de 2021
Corps électoral et résultats
Inscrits 962 157
Votants 859 567
89,34%  30
Votes blancs et nuls 0
Adama Barrow NPP
Voix 457 519
53,23%
Ousainou Darboe UDP
Voix 238 253
27,72%
Mammah Kandeh GDC
Voix 105 902
12,32%
Président
Sortant Élu
Adama Barrow
NPP
Adama Barrow
NPP

Organisée cinq ans après la chute du régime du président Yahya Jammeh, il s'agit de la première élection présidentielle libre et compétitive depuis l'indépendance du pays en 1965.

Le président sortant Adama Barrow est largement réélu, devançant son principal opposant Ousainou Darboe.

Contexte

Le président autocrate Yahya Jammeh, au pouvoir depuis un coup d’État en 1994, est battu à la surprise générale lors de l'élection présidentielle de décembre 2016. Son refus de quitter le pouvoir entraîne en une intervention militaire de la CÉDÉAO, avec l'aval du Conseil de sécurité des Nations unies, pour permettre au président élu, Adama Barrow, de prendre ses fonctions. Le , Yahya Jammeh accepte finalement de céder la présidence à son successeur, et quitte le pays.

Investiture d'Adama Barrow en 2017, au cours des célébrations de l'indépendance.

Élu pour un mandat de cinq ans à la tête d'une coalition de partis d'opposition, dont le Parti démocratique unifié (UDP) de son vice-président Ousainou Darboe, Adama Barrow revient au cours de son mandat sur sa promesse électorale de se retirer au bout de trois ans. La charte fondatrice de la « Coalition 2016 » prévoyait en effet qu'il dirige un gouvernement provisoire avant de se retirer pour laisser place à une élection présidentielle anticipée à laquelle l'ensemble des candidats d'opposition sauf lui-même auraient pu se présenter dans des conditions pleinement libre et démocratique. Un mouvement de partis politiques et d'organisations de la société civile organisent courant 2019 d'importantes manifestations sous le nom de « Three Years Jotna » (« Trois ans, il est temps » dans un mélange d'anglais et de wolof). Les manifestants réclament son départ du pouvoir à la date du troisième anniversaire de sa prise de fonction, le , mais se voient opposer un refus catégorique de la part de Barrow, qui réaffirme son intention de poursuivre son mandat et même de se présenter à l'élection présidentielle de 2021. Fin , immédiatement après une manifestation ayant tourné à l'émeute, le gouvernement prend un tournant répressif à l'encontre des contestataires, procédant à une centaine d'arrestations et promettant des « conséquences graves » à tous ceux qui soutiennent le mouvement, qui est officiellement interdit[1],[2].

Entre-temps, le gouvernement entame en la rédaction d'un projet de nouvelle Constitution, qui prévoit la mise en place d'institutions assurant une véritable séparation des pouvoirs, ainsi notamment que la limitation du chef de l'État à un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois, via un scrutin à deux tours au lieu d'un[3]. En accord avec la constitution de 1997, le projet doit alors être voté à la majorité qualifiée des trois quarts des parlementaires, avant une éventuelle mise à référendum. Les 58 membres de l'Assemblée nationale se déchirent cependant sur la question de la rétroactivité de la limitation à deux mandats, qui permettrait éventuellement au président Barrow d'effectuer un troisième mandat si son premier, débuté sous une version antérieure de la Constitution, n'était pas pris en compte[4]. Ces dissensions amènent Adama Barrow à limoger Ousainou Darboe ainsi que plusieurs ministres de l'UDP le , avant de fonder dix mois plus tard son propre parti, le Parti national du peuple (NPP)[5],[6].

Le projet de nouvelle Constitution est finalement rejeté en deuxième lecture le , seuls 31 députés ayant votés pour  avec 23 députés contre et 4 s'étant abstenus , loin de la majorité requise de 44 voix. Les opposants au projet rassemblent alors les soutiens de l'ex-président Yahya Jammeh ainsi que plusieurs de ceux d'Adama Barrow lui-même, ce qui amène ce dernier à être accusé d'avoir organisé l'échec du projet, et de poursuivre une « tendance récurrente à mimer le système laissé par l'ancien régime »[7],[8].

Mode de scrutin

Le président gambien est élu au scrutin uninominal majoritaire à un tour pour un mandat de cinq ans, sans limitation du nombre de mandats[9].

Le système électoral gambien possède la particularité de ne pas recourir à des bulletins de vote en papier déposés dans une urne classique, mais à des billes que les électeurs placent dans des bidons, chaque candidat en lice se voyant attribué un bidon distinct peint dans la couleur de son parti et sur lequel figure sa photo. Les urnes sont disposées dans un isoloir à l'abri des regards, protégeant le secret du vote, tandis que l'insertion d'une bille dans une urne déclenche une clochette, permettant aux scrutateurs de s'assurer que l'électeur n'a voté qu'une fois. Le système est mis en avant pour son coût très faible et sa simplicité qui conduit à un taux très faible d'erreurs, dans un pays où l'analphabétisme touche la moitié de la population[10],[11].

Lors du « dépouillement »  qui prend la forme d'un simple comptage  l'urne d'un candidat est descellée et son contenu versé en une ou plusieurs fois sur des planches à trous d'une capacité de 200 à 500 billes chacune. Une fois les scrutateurs d'accord sur le nombre de billes, celle ci sont remises dans l'urne qui est conservée en cas de contestation du résultat, et les scrutateurs passent à l'urne du candidat suivant. L'opération, répétée dans chaque bureau de vote, est très rapide, et les résultats en général connus au niveau national dès le lendemain du scrutin[12].

Campagne

Six candidatures sont approuvées par la Commission électorale[13],[14]. L'élection est remarquée pour son aspect libre et compétitif, une première depuis le Coup d'État de Yahya Jammeh en 1994[15]. La période électorale fait ainsi l'objet d'une effervescence démocratique qui voit se multiplier affiches et slogans de campagne, mais surtout des discussions informelles au cours desquelles les électeurs n'hésitent pas à afficher ouvertement leur soutien pour un candidat. Inédite, cette liberté d'expression qui touche électeurs comme journalistes intervient après plus de vingt trois ans de régime oppressif, pendant lequel les gambiens redoutaient de s'exprimer ainsi de peur de se faire arrêter[16].

La campagne voit dominer les thèmes de la lutte contre la pauvreté et de la gestion des violations des droits humains sous Yahya Jammeh[17]. Près de la moitié des trois millions de gambiens vivent alors sous le seuil de pauvreté, dans un contexte de ralentissement de l'économie mondiale et de forte inflation liées à la pandémie de Covid-19, qui a également tarie les flux touristiques dont dépend fortement l'économie gambienne[18]. Les candidats font par conséquent de nombreuses promesses de campagne en termes de développement de l'économie et de création d'emploi[17].

La présidentielle intervient également dans le contexte de la publication à venir du rapport de la Commission Vérité, réconciliation et réparations (TRRC) sur les crimes commis sous la présidence de Jammeh. Outre les attaques sur la liberté d'expression, les deux décennies du régime de l'ancien président ont été marqués par les emprisonnements, la torture, les viols et les exécutions sommaires de nombreux opposants en dehors de tout contrôle judiciaire, suscitant après sa chute de très fortes attentes en matière de justice. Remis à Adama Barrow le 25 novembre, le rapport n'est toujours pas rendu public au moment du vote, ce qui conduit le président à être accusé de protéger les auteurs de ces violations encore présents dans l'administration afin de ne pas s'aliéner ses alliés[17].

Le président sortant Adama Barrow fait campagne sous la bannière de son nouveau mouvement, le Parti national du peuple (NPP), qui s'allie en effet pour l’occasion à l'Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (APRC) de l'ancien président Yahya Jammeh[19]. Ce dernier désavoue publiquement l'accord  qu'il déclare avoir été conclu sans lui en faire part  et pousse à la démission le président de l'APRC, Fabakary Tombong Jatta. Ce désaccord abouti à un schisme au sein de l'APRC avec la formation de factions rivales entre les fidèles de Jammeh qui appelle à voter pour Mammah Kandeh, et ceux réaffirmant leur volonté de respecter l'accord[20]. Si les deux formations semblent persuadées d'utiliser l'autre à leur profit, la décision du NPP de Barrow de faire alliance avec l'APRC provoque un choc chez une partie de l'opinion publique, notamment celle proches des ONG de défense des droits civiques en attente du rapport de la TTRC[21],[22],[23].

Parmi les candidats de l'opposition, Ousainou Darboe est jugé le plus à même de capitaliser sur la polémique du rapprochement NPP-APRC. Opposant historique au régime de Jammeh, emprisonné et empêché de concourir en 2017 avant d'être libéré après la victoire d'Adama Barrow dont il devient un temps le vice-président, Darboe est cette fois-ci en mesure de se présenter pour la présidentielle. Président du Parti démocratique unifié (UDP), il est considéré comme le principal concurrent du président sortant[22],[24],[18].

Arrivé troisième à la présidentielle de 2017 derrière Barrow et Jammeh, Mammah Kandeh se présente à nouveau en 2021 après avoir reçu l'investiture du Congrès démocratique de la Gambie (GDC)[14].

Le scrutin voit également la participation du procureur en chef de la TRRC, Essa Faal, qui se présente en indépendant, celle d'Halifa Sallah, ancien chef de l'opposition de 2002 à 2007 et secrétaire général de l'Organisation démocratique du peuple pour l'indépendance et le socialisme (PDOIS), ainsi que celle de l'ancien Directeur de l'autorité d'aviation civile gambienne, Abdoulie Ebrima Jammeh, qui se présente sous l'étiquette du Parti de l'union nationale (NUP)[14].

Résultats

Résultats de la
présidentielle gambienne de 2021[25],[26]
Candidat Parti Voix  %
Adama Barrow NPP 457 519 53,23
Ousainou Darboe UDP 238 253 27,72
Mammah Kandeh GDC 105 902 12,32
Halifa Sallah PDOIS 32 435 3,77
Essa Faal SE 17 206 2,00
Abdoulie Jammeh NUP 8 252 0,96
Votes valides 859 567 100
Votes blancs et nuls 0 0
Total 859 567 100
Abstention 102 590 10,66
Inscrits / participation 962 157 89,34

Analyse et conséquences

Candidat arrivé en tête par municipalité

Un total de 962 157 électeurs inscrits sur les listes électorales  dont 416 839 hommes et 545 318 femmes  sont appelés aux urnes. 1 554 bureaux de votes sont ouverts à cette fin dans le pays[27]. La diaspora gambienne est à nouveau exclue du vote, faute d'adoption du projet de nouvelle constitution qui prévoyait d'autoriser leur participation[28].

Le scrutin se déroule dans le calme. Comme attendu, il fait l'objet d'un engouement marqué, les observateurs notant une très forte affluence dans les bureaux de vote, où se créent de longues files d'attentes[12]. Les résultats, rendus publics par la commission électorale le lendemain du scrutin, donnent le président sortant vainqueur avec une large avance, Barrow remportant plus de 53 % des voix contre 27 % pour Darboe, arrivé deuxième[29],[30],[31].

Une manifestation organisée par des membres du Parti démocratique unifié (UDP) dans la capitale Banjul afin de contester les résultats de l'élection amène Ousainou Darboe à appeler au calme. Le candidat de l'UDP met en avant l'importance du maintien de la paix et de la sécurité dans le contexte de la saison touristique en cours dans le pays[32],[33]. Il dépose néanmoins le 14 décembre un recours en annulation des résultats de l'élection présidentielle auprès de la Cour suprême, accusant le président sortant d'avoir eu recours à des achats de voix ainsi qu'au vote d'étrangers[34]. Celui ci est finalement rejeté par la Cour, conduisant à la prestation de serment d'Adama Barrow pour un second mandat le 20 janvier 2022[35].

Notes et références

  1. « Tension politique en Gambie : des manifestants réclament le départ du Président Adama Barrow », sur Afrik.com, Afrikcom, (consulté le ).
  2. « Gambie : le gouvernement durcit le ton face à la contestation anti-présidentielle – Jeune Afrique », sur JeuneAfrique.com, jeuneafrique1, (consulté le ).
  3. « Comment une alliance Barrow-Jammeh a torpillé un projet de constitution en Gambie », sur BBC News Afrique, (consulté le ).
  4. AfricaNews, « Gambie : projet de Constitution pour deux mandats présidentiels », sur Africanews, (consulté le ).
  5. « Le vice-président de la Gambie limogé », sur BBC News Afrique, (consulté le ).
  6. (en) AfricaNews, « Gambia president launches own party after rift with ruling coalition », sur Africanews, (consulté le ).
  7. « Le Parlement gambien rejette le projet de nouvelle Constitution », sur RFI, RFI, (consulté le ).
  8. « Gambie: l'Assemblée rejette le projet de nouvelle Constitution », sur www.africaradio.com (consulté le ).
  9. (en) « IFES Election Guide », sur www.electionguide.org (consulté le ).
  10. « rfi.fr », sur À la Une : drôle d’élection en Gambie, (consulté le ).
  11. (en) « Voting with marbles in The Gambia », sur BBC News (consulté le ).
  12. « Présidentielle en Gambie: fort engouement pour un vote dans le calme », sur RFI, RFI, (consulté le ).
  13. (en) Pap Saine, « Six to stand for president in Gambia's first election after Jammeh », sur Reuters, (consulté le ).
  14. (en) « Independent Electoral Commission – IEC Gambia » 2021 Presidential Election Nominated Candidates », sur iec.gm (consulté le ).
  15. « Invité Afrique - Présidentielle en Gambie: «pour la première fois, on a des élections ouvertes et compétitives» », sur RFI, RFI, (consulté le ).
  16. Camille Ducrocq, « Gambie : « Les élections n’ont jamais été aussi ouvertes » », sur Le Point, lepoint.fr, (consulté le ).
  17. La-Croix.com, « Gambie, la première élection présidentielle après Yahya Jammeh », sur La Croix, lacroix.journal, (consulté le ).
  18. « La Gambie élit son président pour panser les plaies de la dictature et du Covid », sur LEFIGARO, lefigaro, (ISSN 0182-5852, consulté le ).
  19. (ro) « Gambian President and Ex-Dictator Form Coalition Ahead of Polls », sur www.bloomberg.com (consulté le ).
  20. (en) « Gambia: Police Detain Top Official of Jammeh's Backed 'No Alliance Movement', Others », sur allAfrica.com, allafrica, (consulté le ).
  21. (en) AfricaNews, « Gambia's president declares his bid for December election », sur Africanews, (consulté le ).
  22. (en) « Gambia: Former president Jammeh has not had his last word on the December elections », sur The Africa Report.com, (consulté le ).
  23. « Présidentielle en Gambie: pour les victimes de Yahya Jammeh, «le temps de la justice est venu» », sur RFI, RFI, (consulté le ).
  24. « La Gambie élit son prochain président pour tourner la page de la dictature et du Covid-19 », sur France 24, FRANCE24, (consulté le ).
  25. Commission électorale
  26. Résultats détaillés
  27. (en) « Independent Electoral Commission – IEC Gambia » Gender and Age Grouped By Region 2021 », sur iec.gm (consulté le ).
  28. « Élection présidentielle en Gambie : la Diaspora encore écartée. », sur DAKARACTU.COM (consulté le ).
  29. (en) « Gambian opposition parties reject preliminary election results », sur the Guardian, (consulté le ).
  30. (en) « Independent Electoral Commission ».
  31. (en) « The Game Is Up: Adama Barrow Wins Race To State House Convincingly – The Fatu Network », sur The Fatu Network (consulté le ).
  32. (en) Reuters, « Gambia Police Disperse Protesters Contesting President’s Re-election », sur VOA, voiceofamerica (consulté le ).
  33. (en) « Darboe urges citizens to maintain peace for the security of tourism season - The Point », sur thepoint.gm, (consulté le ).
  34. (en) AfricaNews, « Gambia's opposition leader contests Barrow's re-election », sur Africanews, (consulté le ).
  35. (en) AfricaNews, « Gambia's Barrow sworn in for second presidential term », sur Africanews, (consulté le ).
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