Épenthèse
En linguistique, l’épenthèse est l'insertion dans la parole d'un son (phonème) supplémentaire qui permet de clarifier, faciliter, ou rendre plus « naturelle » l'élocution. Un exemple en français est le « -t- » euphonique (T euphonique) de « va-t-on » ou « y a-t-il ».
Il s'agit, techniquement, d'une modification phonétique de type métaplasme qui consiste en l'apparition, à l'intérieur d'un mot ou groupe de mots, d'un phonème adventice qui n'a pas d'origine étymologique. Le phénomène contraire est la suppression de phonèmes, par amuïssement ou syncope.
L'épenthèse peut avoir lieu au cours du temps comme phénomène d'évolution phonétique. Elle peut aussi se produire occasionnellement comme modification phonétique ponctuelle au cours de la parole : elle peut même être délibérée, et constitue alors une figure de style.
Étymologie
Le terme « épenthèse » (substantif féminin) vient du grec ancien : ἐπένθεσις, epénthesis signifiant « insertion », « intercalation d'une lettre ». Le synonyme latin est adjectio[1].
Phonétique
Pour le dictionnaire Le Robert « l'épenthèse se produit pour adoucir des articulations que la langue n'a pas l'habitude de prononcer ». Le phonème épenthétique s'intercale le plus souvent entre deux consonnes et emprunte certains traits du phonème d'avant et du phonème d'après : le point d'articulation, le mode d'articulation, ou le voisement.
L'origine du mot français « chambre » fournit un exemple d'épenthèse en diachronie. Le latin parlé dans l'Empire romain aux premiers siècles de notre ère perd son unité linguistique. En Gaule apparaît un amuïssement du /e/ en syllabe non accentuée. Le mot « camera », prononcé /kamera/ en latin classique, s'affaiblit en /kamra/, mettant ainsi en présence les deux consonnes /m/ et /r/. Une consonne de transition /b/ est naturellement prononcée par les locuteurs (il est en effet très difficile, en français, de prononcer à haute voix un mot tel que « camra » sans qu'un /b/ apparaisse entre /m/ et /r/). La consonne épenthétique /b/ emprunte au /m/ qui précède son point d'articulation bilabial et son mode d'articulation occlusif, et au /r/ qui suit le fait de ne pas être une nasale (sinon, on resterait sur /m/ qui est nasal et labial) et d'être sonore (sinon, l'épenthèse serait un /p/ qui est sourd et labial)
Le même phénomène s'observe dans l'évolution du latin numerus vers le français « nombre » ou, avec un « d » épenthétique, celle du latin ponere vers le français « pondre ».
La difficulté articulatoire est également la cause de l'épenthèse en synchronie, avec les mêmes résultats. Par exemple, une consonne épenthétique /b/ de transition peut se faire entendre entre les deux mots du syntagme phonème vocalique : /fɔnɛmbvokalik/. Le /b/ emprunte au /m/ qui précède son point d'articulation bilabial et son mode d'articulation occlusif, et au /v/ qui suit le fait de ne pas être une nasale.
Lorsque c'est une voyelle qui s'intercale entre deux consonnes, on parle plutôt de svarabhakti. Les deux phénomènes sont couverts par le terme d'anaptyxe.
Stylistique
L'épenthèse comme figure de style par adjonction d'un phonème ou d'une syllabe à l'intérieur d'un mot, de manière à en faciliter l'articulation ou à produire des effets stylistiques particuliers : métriques, rythmiques et surtout humoristiques et satiriques.
Elle peut également, dans la langue parlée, servir à faciliter la prononciation d'un mot : ainsi, dans le midi de la France, prononcera-t-on souvent le mot pneu non pas /pnø/ comme en français standard mais /pənœ/. Dans ce cas, le /ə/ intercalaire facilite la réalisation de la difficile succession consonnantique /pn/.
L'épenthèse est distincte du pataquès, qui est une erreur et non une altération stylistique (ex. : « Ça l'a suscité des réactions »).
Exemples en littérature française
« Merdre ! »
Le redoublement du phonème r par le Père Ubu entraîne une distorsion du mot merde originel et donc un effet comique.
« Tout le monde il est là
le marchand le passant
le parent le zenfant
le méchant le zagent. »
— Jean Tardieu, Étude de voix d'enfant
L'épenthèse reproduit ici un pataquès fréquent dans le langage enfantin en en faisant un usage stylistique.
Figures proches
- Figure « mère » : répétition, métaplasme
- Figure « fille » : aucun
- Paronyme : aucun
- Synonyme : aucun
- Antonymes : syncope, amuïssement
Notes et références
- Définitions lexicographiques et étymologiques de « épenthèse » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Pierre Pellegrin (dir.) et Myriam Hecquet-Devienne, Aristote : Œuvres complètes, Éditions Flammarion, , 2923 p. (ISBN 978-2081273160), « Réfutations sophistiques », p. 457.
- Quintilien (trad. Jean Cousin), De l'Institution oratoire, t. I, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Budé Série Latine », , 392 p. (ISBN 2-2510-1202-8).
- Antoine Fouquelin, La Rhétorique françoise, Paris, A. Wechel, (ASIN B001C9C7IQ).
- César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Impr. de Delalain, (réimpr. Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par l’abbé Batteux.), 362 p. (ASIN B001CAQJ52, lire en ligne)
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- Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin, , 218 p. (ISBN 2-200-26457-7).
- Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, Paris, Le Livre de poche, , 475 p. (ISBN 978-2-253-06745-0).
Liens externes
- [PDF] Marc Plenat, Rosinette, cousinette, putinette, starlinette, chipinette Décalage, infixation et épenthèse devant –ette, .
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