Alphasyllabaire

Un alphasyllabaire, ou abugida, est un ensemble de signes utilisés pour représenter les phonèmes d'une langue. Situé à mi-chemin entre un syllabaire et un alphabet, il consiste en des signes représentant des syllabes dotées d'une voyelle par défaut et d'autres signes, souvent annexes, modifiant, remplaçant ou supprimant cette voyelle par défaut.

Le terme abugida provient du guèze አቡጊዳ, abouguida, formé d'après les quatre premiers signes de son écriture (comme « alphabet » d'après alpha et bêta). C'est le linguiste américain Peter T. Daniels (en) qui a proposé d’utiliser ce terme pour désigner ce type de système[1].

Théorie

On peut expliquer ce principe de fonctionnement par un exemple fictif : soit un graphème consonantique donné dans un alphasyllabaire, noté K. Ce graphème se lit normalement comme une syllabe composée d'une consonne (ici /k/) suivie de la voyelle par défaut (dans notre exemple, un /a/). Si l'on veut écrire /ka/, il suffit donc d'un signe unique K. Pour écrire /ki/, il faudra recourir à un signe annexe ajouté au graphème K : K + i. Pour écrire /k/ seul (dans un groupe de consonnes, par exemple, en fin de mot…), un troisième signe est nécessaire, qui note l'absence de la voyelle par défaut (signe représenté dans notre exemple par *) : K + *. Un tel signe est souvent nommé halant (nom sanskrit qu'il porte dans les écritures de l'Inde) ou  moins probant  tueur (traduction de halant, peut-être par allusion au fait que ce signe « tue », c'est-à-dire fait disparaître, la voyelle qui suit normalement la consonne) et l'on dit que la consonne est « dévoyellée »[réf. nécessaire]. Enfin, pour écrire /i/ sans le support d'une consonne, il faut un quatrième signe, celui d'un /i/ indépendant (noté İ dans notre exemple). Si l'on récapitule :

  • K = /ka/ ;
  • Ki = /ki/ ;
  • K* = /k/ (donc, pour écrire /kma/, il faut passer par K*M) ;
  • İK = /ika/ ;
  • İK* = /ik/ ;
  • İKi = /iki/, etc.

En définitive, il faut quatre signes différents (K, i, * et İ) là où, dans un alphabet, trois sont nécessaires (k, a et i). En contrepartie, un seul caractère suffit pour la syllabe la plus usuelle.

Parfois, le découpage des caractères ne correspond pas au découpage syllabique classique. Par exemple, quand r précède une autre consonne d'un groupement de consonnes en devanagari (exemple fictif : karka), il est écrit ka-rka avec les autres consonnes du groupement, dans le même caractère rka, là où un découpage syllabaire utiliserait ka-r-ka ou bien kar-ka. D’autres cas dans les écritures brahmiques indiennes existent pour les glissements de consonnes commençant par l-.[pas clair]

Exemple en devanagari

On peut illustrer ce mode de fonctionnement par les mêmes exemples écrits dans un alphasyllabaire comme la devanagari :

  • K = /ka/ =  ;
  • Ki = /ki/ =
  • K* = /k/ = (avec le signe de halant souscrit)
  • K*M = /kma/ =  ;
  • İK = /ika/ =  ;
  • İK* = /ik/ =  ;
  • İKi = /iki/ = , etc.

On note au passage plusieurs traits caractéristiques des alphasyllabaires :

  • les voyelles suivant une consonne sont réellement traitées comme des diacritiques, d'où un placement ne suivant pas forcément l'ordre de lecture ; ainsi, Ki s'écrit en fait i+K, avec , qu'on ne confond pas avec İK grâce à l'utilisation de la voyelle indépendante  ;
  • la consonne dévoyellée K, comme c'est le cas pour de nombreuses autres, prend une forme particulière quand elle est directement suivie d'une consonne (ici dans K*M) : . On dit qu'elle a la forme conjointe et le halant n'est pas noté ; ailleurs, elle est marquée simplement par le halant : .

Liste d'alphasyllabaires

Beaucoup d'alphasyllabaires dérivent d'écritures utilisées dans les langues en Inde (comme la brahmi ou la devanagari)[2], et c'est dans cette région du globe qu'on trouve le plus d'alphasyllabaires différents :

Panneau informatif en alphasyllabaire Guèze en temps de COVID 19, à l'aéroport d'Addis Abeba
  • le méroïtique, langue éteinte du Soudan et non encore déchiffrée, semble utiliser un alphasyllabaire dérivé des hiéroglyphes égyptiens ;
  • le guèze, alphasyllabaire de la langue du même nom qui n'a aujourd'hui que des usages liturgiques, dont des versions légèrement modifiées servent à écrire des langues modernes d'Éthiopie et d'Érythrée notamment l'amharique et le tigrinya. Ses quatre premiers signes ont par ailleurs servi à former le terme « abugida » ;
    • l'amharique, langue administrative de l'Éthiopie, utilise un alphasyllabaire très légèrement dérivé du guèze ;
    • le tigrinya, l'une des langues officielles de l'Érythrée, utilise un alphasyllabaire fondé sur le guèze.
  • le mandombe, alphasyllabaire négro-africain[réf. nécessaire];
  • la brahmi, prototype d'un nombre considérable d'alphasyllabaires utilisés en Inde et en Asie du Sud ;
  • l’écriture Yi moderne est un alphasyllabaire, issu d’une simplification de l'écriture yi classique (une écriture idéographique[réf. nécessaire] inspirée par les pictogrammes et l'apparence des caractères han du chinois, mais ayant une construction différente) ;
  • les syllabaires autochtones canadiens sont en fait des alphasyllabaires ;

Notes et références

  1. Jean Sellier, Une histoire des langues et des peuples qui les parlent, Paris, La Découverte, 2019, (ISBN 978-2-707-19891-4) p. 442.
  2. « Les écritures indiennes et leur diffusion », sur classes.bnf.fr (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

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