Affaire Jérôme Pernoo

L'affaire Jérôme Pernoo est une affaire administrative et judiciaire qui oppose depuis mars 2021 Jérôme Pernoo, professeur de violoncelle au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), à la direction de l'établissement à la suite d'accusations de harcèlement sexuel et d'aggressions sexuelles sur mineurs que le professeur aurait commis sur certains de ses élèves.

Pernoo est suspendu une première fois afin qu'une enquête interne, confiée au groupe Égaé de la militante féministe Caroline De Haas, soit menée. À l'issue de l'enquête interne, il n'est pas licencié mais suspendu un an, avant que le tribunal administratif n'annule cette suspension. Une seconde enquête est alors commandée par la direction du CNSMDP et Pernoo est à nouveau suspendu, le temps que cette dernière soit menée.

Dans le contexte du mouvement MeToo, cette affaire a trouvé des échos dans les médias spécialisés dans la musique classique et généralistes, relayant notamment les contestations de l'enquête interne par les soutiens de Pernoo.

Signalements et enquête interne

Jérôme Pernoo, violoncelliste, professeur au CNSMDP.

Le 16 mars 2021, après avoir reçu plusieurs signalements contre le violoncelliste Jérôme Pernoo via une boîte mail anonyme, Émilie Delorme, la directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, déclenche une enquête interne et suspend le professeur pour une durée maximale de quatre mois, comme le prévoit la loi[1],[2],[3],[4]. Le ou les signalements l’auraient avisée de « faits pouvant s'apparenter à du harcèlement et des agressions sexuelles, notamment sur mineurs,[1]. »

Elle informe également le procureur, comme elle en a l’obligation. Une enquête préliminaire pour « agression sexuelle sur mineur », confiée à la Brigade des mineurs, est ouverte le 20 avril[5].

Caroline de Haas (en rouge) à la Fête de l'Humanité en 2016 à La Courneuve.

L’enquête est clôturée le 20 avril, et le rapport est remis à la directrice. Elle décide à sa lecture de maintenir la suspension de Jérôme Pernoo[1]. Le 7 mai, elle rédige un rapport disciplinaire pour saisir la commission consultative paritaire qui doit se prononcer sur le dossier[3]. Le 8 juin, alors que la procédure disciplinaire n’est pas terminée, paraît dans Mediapart un article d’Antoine Pecqueur intitulé le #MeeToo de la musique classique[6] qui dévoile publiquement le nom de Jérôme Pernoo, tout en évoquant de nombreuses autres situations. Le 22 juin a lieu la commission consultative paritaire[7].

La manière dont l'enquête interne, le rapport final et la commission consultative paritaire ont été menés est sévèrement critiquée par Pernoo lui-même, plusieurs de ses élèves et une de ses collaboratrices. Ils sollicitent à plusieurs reprises la direction du CNSMDP pour lui exprimer leur mécontentement lors de réunions. Ils s'expriment aussi dans la presse, notamment auprès de la journaliste Peggy Sastre dans un article, paru dans Le Point en juin 2021, fortement critique envers Caroline de Haas qui fera valoir son droit de réponse[2]. Les élèves et la collaboratrice de Pernoo estiment que les propos tenus lors des entretiens relatifs à l'enquête ont été détournés de leurs sens ou décontextualisés dans le rapport final dont ils remettent en cause l'impartialité[7],[1]. Pour Le Figaro, le rapport contiendrait des « erreurs grossières » à charge[7]. Le journal Marianne, qui publie également une enquête sur le sujet, indique et déplore également que le rapport a utilisé des propos de membres de la classe de Pernoo exprimant leur soutien pour leur professeur afin de démontrer l'ascendant que ce dernier a sur ces élèves[3].

Confrontée à ces critiques, Émilie Delorme déclare plusieurs fois que la direction du CNSMDP estime que l'enquête interne a été menée de façon impartiale[3],[8].

Réintégration de Jérôme Pernoo et nouvelle suspension d'un an

Le 16 juillet 2021, dernier jour des quatre mois de suspension[4], Émilie Delorme annonce dans la presse à Jérôme Pernoo qu’elle ne prononce pas de sanction et le réintègre dans ses fonctions. Elle le convoque néanmoins le 2 septembre pour un entretien préalable à une sanction disciplinaire et précise qu’elle envisage un « licenciement pour motifs disciplinaires sans préavis ni indemnités de licenciement[3],[9]. »

Le 7 septembre, Émilie Delorme décide de renoncer au « licenciement pour faute grave » qu’elle avait envisagé. Elle prononce néanmoins une exclusion d’un an sans traitement[10].

La direction du CNSMDP évoque comme motifs de la nouvelle suspension le fait que Pernoo ait « manqué aux exigences d’exemplarité requises par le conservatoire en tant qu’établissement d’enseignement supérieur [et que ses] méthodes d’enseignement […] perturbent la bonne marche du conservatoire et entravent l’exercice du devoir de protection qui s’impose à ce dernier vis-à-vis de ses élèves[11] ». Selon Le Figaro et Diapason, les méthodes pédagogiques en question seraient d’avoir trop d’emprise, de créer un esprit de famille et donc de concurrence entre les élèves, de faire usage de contrepèteries et de donner des surnoms à ses élèves[12],[13].

Plusieurs articles de presse relèvent que le communiqué « ne fait aucune mention des accusations de violences sexuelles »[6],[14],[15],[16], aucune « mention des signalements à l’origine de l’enquête »[8],[12].

Hervé Temime et Chirine Heydari-Malayeri, les avocats de Jérôme Pernoo, déclarent qu’ils se félicitent de l’abandon du projet de licenciement pour faute grave mais qu'ils réfutent les « prétendus griefs pédagogiques » et contestent la suspension « par l’introduction de recours hiérarchiques et administratifs »[11],[10].

Consécutivement à sa réintégration, plusieurs des élèves de Pernoo créent un compte Twitter pour défendre leur professeur auprès d'Émilie Delorme[11]. De même, après sa nouvelle suspension d'un an, plusieurs parents d'élèves de Pernoo écrivent à Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, pour lui demander de reconsidérer la sanction[8],[17].

Recours devant le tribunal administratif et condamnation du Conservatoire

Tribunal administratif de Paris, salle d'audience.

Jérôme Pernoo saisit le tribunal administratif de Paris d'un recours en excès de pouvoir, accompagné d'un référé[12],[13]. L'audience a lieu le 18 novembre 2021. La directrice du CNSMDP ne se rend pas à l’audience, ne s‘y fait pas représenter et ne produit pas de mémoire en défense[18],[8].

Le 7 décembre 2021, le juge des référés donne raison à Jérôme Pernoo contre la décision d'Émilie Delorme et ordonne la suspension immédiate de la sanction[19],[20]. Le juge retient comme établis quatre faits qu’il qualifie de fautes pouvant être considérées comme « graves » et méritant sanction (bises et accolades, contrepèteries, emploi de surnoms et rapports de proximité avec les élèves)[21], mais pointe le « caractère disproportionné [de la sanction] par rapport à la nature des fautes commises ». Il exige la suspension de la sanction jusqu’à l’audience au fond. Il pointe également « le manque d’impartialité de l’enquête administrative [et] l’irrégularité de la composition du conseil de discipline et de la procédure suivie devant cette instance consultative ». Il condamne aussi le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris à verser la somme de 2 000  à Jérôme Pernoo[15].

Annulation de la suspension d'un an, nouvelle enquête et nouvelle suspension

La direction du CNSMDP envisage d'abord de déposer un recours contre ce jugement, puis s'y conforme, et annule la sanction d'un an, mettant fin à l’action juridictionnelle engagée par Jérôme Pernoo contre le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris au tribunal administratif, puisque l’audience au fond, censée justement se prononcer sur l’annulation de la sanction, n'a dès lors plus lieu d’être[18], avant de suspendre à nouveau Pernoo pour une durée maximale de quatre mois afin de réaliser une seconde enquête interne, confiée à une « autre structure que celle ayant réalisé la précédente »[22].

Les avocats de Pernoo remettent en cause cette décision[23],[8].

Plusieurs élèves, parents d'élèves et d'autres soutiens du musicien, font savoir à la presse qu'ils contestent cette décision et écrivent à nouveau à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot[17],[16],[24]. Et d'après Peggy Sastre dans Point, la décision « suscite de nombreuses critiques, en interne et dans le monde de la musique, où de nombreux soutiens au professeur continuent de se manifester », évoquant une « guerre d'usure » et une « chasse à l'homme »[18].

Notes et références

Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris » (voir la liste des auteurs).
  1. Peggy Sastre, « Les curieuses méthodes de Caroline De Haas », Le Point, .
  2. Laurence Allard, « La société de Caroline De Haas nous répond », sur Le Point, (consulté le ).
  3. Samuel Piquet, « Enquête de Caroline De Haas au Conservatoire de Paris : "Il n'y a pas de présomption d'innocence" », sur marianne.net, 2021-07-21utc14:50:51+0100 (consulté le ).
  4. « Article 43 - Décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat pris pour l'application des articles 7 et 7 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat - Légifrance », sur legifrance.gouv.fr (consulté le ).
  5. Antoine Pecqueur, « Conservatoires : le #MeToo de la musique classique », sur Mediapart (consulté le ).
  6. Antoine Pecqueur, « Le conservatoire de Paris exclut Jérôme Pernoo pour un an », sur Mediapart (consulté le ).
  7. « Agressions sexuelles : le Conservatoire de musique de Paris dans la tourmente des enquêtes », sur LEFIGARO, (consulté le ).
  8. Lou Fritel et Samuel Piquet, « Suspendu, réintégré, à nouveau suspendu : l'étrange jeu du Conservatoire avec Jérôme Pernoo », sur marianne.net, 2021-12-17utc17:49:19+0100 (consulté le ).
  9. Aude Giger, « Jérôme Pernoo réintégré au Conservatoire de Paris dans la perspective d'un licenciement disciplinaire », sur France Musique, (consulté le ).
  10. Louis-Valentin Lopez, « Le CNSMD abandonne le "licenciement pour faute grave" de Jérôme Pernoo, mais l'exclut pendant un an », sur France Musique, (consulté le ).
  11. « Conservatoire de Paris : Jérôme Pernoo exclu pour douze mois », sur Diapason, (consulté le ).
  12. « Le Conservatoire de musique de Paris renonce à licencier le violoncelliste Jérôme Pernoo », sur LEFIGARO, (consulté le ).
  13. Benoît Fauchet, « À titre conservatoire », Diapason, .
  14. Franck Bastard, « Jérôme Pernoo exclu un an du conservatoire de Paris », (consulté le ).
  15. « Jérôme Pernoo sera-t-il réintégré au Conservatoire de Paris dans l’attente d’une décision de justice définitive ? », sur Diapason, (consulté le ).
  16. Lou Fritel, « Affaire Jérôme Pernoo : les parents d'élèves, inquiets, réécrivent à Roselyne Bachelot », sur marianne.net, 2021-12-23utc14:59:03+0100 (consulté le ).
  17. Aude Giger, « Affaire Jérôme Pernoo : les parents d'élèves s'inquiètent pour le cursus de leurs enfants », sur France Musique, (consulté le ).
  18. Peggy Sastre, « Guerre d’usure au Conservatoire de Paris », sur Le Point, (consulté le ).
  19. TA Paris, n° 2123315, (lire en ligne)
  20. C. N., « Le Conseil d’État dans un drôle d'état », Le Canard Enchaîné, , page 5
  21. Louis-Valentin Lopez, « Le tribunal suspend la sanction disciplinaire du CNSMDP à l'encontre de Jérôme Pernoo », sur France Musique, (consulté le ).
  22. « Jérôme Pernoo réintégré au Conservatoire de musique de Paris et, de nouveau, suspendu », sur LEFIGARO, (consulté le ).
  23. « Jérôme Pernoo réintégré au Conservatoire de Paris… et immédiatement suspendu », sur Diapason, (consulté le ).
  24. « Decrescendo », Diapason, , p. 10.

Articles connexes

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