Agency des adolescents
L’agency des adolescents renvoie aux concepts d’agency et d’adolescence, dont le lien est permis notamment au travers des nouvelles technologies de l’information et de la communication ou, de manière générale, des outils numériques.
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Qu’est-ce que l’Agency ?
Approche socio-historique via l’empowerment
Pour parler de l’agency, une porte d’entrée est possible par le travail de Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener via leur ouvrage : L’empowerment : une pratique émancipatrice ?[1]. Ces auteures ont effectué une recherche sur la notion de l’empowerment, à travers les différents contextes socio-historiques, qui préexistait à celle d’agency. En effet, elles soulignent que le mot empowerment apparaissait au milieu du 18e siècle, définissant à la fois « un état et une action, celle de donner du pouvoir »[2]. De plus, elles relèvent que c’est aux États-Unis, au début des années 1970, via le mouvement des femmes battues émergeant qui est le premier groupe à avoir mobilisé ce terme, caractérisant « un processus présenté comme égalitaire, participatif et local, par lequel les femmes développent une ‘conscience sociale’ ou une ‘conscience critique’ leur permettant de développer un pouvoir intérieur et d’acquérir des capacités d’action, un pouvoir d’agir à la fois personnel et collectif tout en s’inscrivant dans une perspective de changement social »[3]. Cette vision se poursuit, jusque dans les années 1980 où la notion d’empowerrment est reprise par les professionnels et universitaires, surtout dans le monde du travail social, pour caractériser des « approches visant, dans leurs champs respectifs, à rompre avec des modalités d’intervention considérées comme paternalistes, hiérarchiques et inégalitaires »[4]. D’ailleurs, les auteures mettent en lumière les recherches de deux travailleuses sociales, Barbara Solomon et Lorraine Gutierrez, ayant poursuivi un doctorat en travail social sur la notion de l’empowerment, et qui ont contribué à théoriser ce concept. Les auteures expliquent que l’approche de l’empowerment défendue par ces chercheuses repose « sur une conscience forte des formes d’oppression sociale, des inégalités dans la distribution du pouvoir et des ressources et des effets négatifs, matériels et psychologiques qui en découlent […]. Cette approche vise à permettre aux individus d’accroître leur pouvoir d’agir, de développer des compétences pour gagner une influence collective et politique et pour peser sur la répartition des ressources sociales »[5]. Si la vision de l’empowerment fut marquée par les mouvements sociaux et le travail social, les auteures relèvent que dans les années 1990, où le néo-libéralisme se répand de plus en plus, une nouvelle notion fait son apparition : l’agency. Dont Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener, sur base de leurs travaux, en parlent en termes de « capacité d’agir individuellement »[6]. Dans le sens où elles relèvent que les perspectives néolibérales et sociales-libérales développent une vision de l’empowerment transformée en agency consistant en une « capacité d’action individuelle reposant sur une capacité à faire des choix rationnels, utiles, effectifs ou intentionnels. […]. En bref un homo oeconomicus qui contribue à reproduire et faire fonctionner le système capitaliste plus qu’à le questionner ou à le transformer […]. Elles cherchent à adapter le terrain de jeux pour permettre aux agents de faire des choix effectifs. Elles prennent ainsi en compte le rôle des institutions et mettent davantage l’accent sur l’individu citoyen, détenteur d’un capital social et appartenant à une collectivité ou une communauté »[6]. De ce point de vue, la notion d’agency relève principalement d'une mobilisation individuelle de l’individu, le poussant à effectuer des choix rationnels en vue de s’adapter au mieux aux situations qui l’entourent afin de fonctionner de façon la plus optimale qui soit.
Étymologie du concept d'agency
Mackenzie Caroline complète cette vision à travers son article en expliquant qu’en vue de définir la notion même d’agency, il faut pouvoir décortiquer son sens étymologique, signifiant : « ago, agire » qui veut dire (selon le Gaffiot dont elle s’inspire) « mettre en mouvement, faire avancer »[7]. De cette étymologie, Mackenzie C. souligne que cela donne en français le mot « agir », ainsi qu’également les mots « agent, agence, action » et leurs déclinaisons. De ce fait, elle met en lumière que ce mot signifie « une action entreprise par une personne qui agit, non pas d’une réaction aux événements ni aux circonstances »[8]. Elle poursuit son propos en expliquant qu’à travers diverses recherches en sciences sociales, le concept d’agency se réfère à « la capacité indépendante d’agir selon sa propre volonté et il est employé en opposition au concept de structure, qui se réfère aux modèles de comportement qui influencent les choix des individus. L’agency désigne non pas un comportement influencé, mais l’action qui émane de la volonté de l’individu »[8]. Dès lors, selon l’auteure, l’agency renverrait donc davantage à une capacité d’agir mobilisé par la volonté de l’individu, se développant « hors » des structures sociales susceptibles de jouer un rôle sur ses actions. Elle insiste aussi sur le fait qu’aucun mot dans la langue française ne parvient à évoquer tel quel ce concept[8].
Les possibles visions de l’agency
En vue de creuser davantage la notion de l’agency, Jacques Guillaumou apporte un certain regard sur la construction et la signification de ce concept en l’abordant de manière multidimensionnelle. Tout d’abord, il relève la dimension ontologique, sur base des travaux de Judith Butler en matière de féminisme, en évoquant le fait que l’agency est vu comme une subjectivation « primaire », dans le sens où le sujet n’est « pas donné d’emblée, mais il est interpellé par quelque chose qui le subordonne, au titre même du fait qu’il parle. Ainsi, l’acte même d’énoncer un nom nous renvoie à quelque chose qui existe socialement et qui parle dans un espace donné »[9]. Dans le sens où la dimension ontologique du sujet permet une interpellation favorisant une possibilité d’action, c’est-à-dire que « l'agency renvoie alors à une puissance d’agir qui n’est pas une volonté inhérente au sujet, plus ou moins attestée, mais le fait d’un individu qui se désigne comme sujet sur une scène d’interpellation marquant la forte présence d’un pouvoir dominant »[10].
La deuxième dimension relevée est celle de la « science-politique » mise en avant par Anne Verjus à travers ses travaux sur la raison familiale étudiée dans l’espace des relations hommes et femmes[11]. Dans un premier temps de sa recherche, elle s’est penchée sur la question des femmes et du droit de vote, où elle a mis en lumière qu’entre 1789 et 1848, le modèle politique de la famille se porte « garant de l’unité d’action des hommes et des femmes dans tout le politique »[12] en soulignant que la femme « n’est pas vraiment exclue de la nation, elle marque son appartenance concrète à la communauté réelle des citoyens en tant que membre actif de la famille »[12]. De ce fait, à cette même période, l’auteure relève donc que la famille étant politiquement affranchie, la femme peut « développer ses propres revendications dans la perspective de son inclusion politique. Certes l’autorité juridique du chef de famille est toujours là, mais elle ne renvoie plus à la famille comme unité socio-naturelle, mais concerne un groupe social constitué de personnes distinctes, individualisées dans leur hiérarchie même ».
La dernière dimension relevée, se développant en filigrane des autres, est ce que l’auteure appelle « l’inventaire des arguments se déploie dans la description même de l’action »[13] fournissant une analyse contextuelle et historique de ce qui a permis aux femmes de développer une agency grâce à l’hégémonie du conjugalisme dans le sens où cela a permis un « processus de subjectivation » qui - comme le relève Anne Verjus - manifeste une subordination à une domination, mais permettant « par retournement, la formation d’une conscience commune proprement féminine, présentement dans le cadre de l’unité familiale »[13].
Un apport de la vision anglo-saxonne
Shapiro P. Susan livre une vision de la notion d’agency à travers différents courants scientifiques, mais celui de la sociologie semble être une porte d’entrée pertinente pour saisir davantage le concept. En effet, comme le relève l’auteure à travers son article, ces 25 dernières années, le concept d’agency est principalement mobilisé par les théories des sciences économiques[14]. Toutefois, elle met en lumière que Barry Mitnick a rompu le monopole des sciences économiques envers ce concept en développant une approche générale du concept de l’agency dans un système complexe, qui est souvent citée dans la littérature sociologique anglo-saxonne[6]. Mais la trouvant trop générale, Shapiro P. Susan préfère mettre en exergue divers points composant ce concept, qu’elle a recueilli auprès de différents auteurs.
Tout d’abord, en se basant sur Mitnick, elle relève le fait que l’agency inclut l’acquisition d’une expertise ou l'accès à une connaissance spécifique. De plus, toujours à travers les travaux de Mitnick, elle relate que l’agency demande une division du travail, dans le sens où chaque personne ne peut assurer à lui seul une charge de manière exhaustive, surtout que certaines problématiques requièrent une participation à plusieurs pour qu’elle soit efficace. Complémentairement à cette vision, en se basant sur les travaux d’Adams (1996), elle relève que l’agency doit inclure le fait de pouvoir assurer un « pont » entre le physique, le social et la distance temporelle. Enfin, Shapiro P. évoque ses travaux (1987) en affirmant que l’agency doit inclure une impulsion de collectivisation afin de faire profiter l’économie dans une perspective de protection des risques sociaux[15].
Les NTICs comme outil d'agency pour les adolescents
La littérature existante permet d’effectuer un pont entre le concept d’agency et l’adolescence, notamment au travers de la question des moyens pour les adolescents d’être agent. Se pose alors la question de savoir comment l’agency est vu et vécu chez les adolescents en termes de moyens ? Plusieurs auteurs contemporains ont réfléchi à cette question et ont montré que les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTICs) sont un des moyens privilégiés par les adolescents pour faire preuve d’autonomie et d’agentivité (agency).
Apports de Johann Chaulet[16]
D’après Johann Chaulet, sociologue français spécialisé dans l’étude des usages des technologies de l’information et de la communication[17], les NTICs sont aujourd’hui omniprésentes dans la vie des gens, et c’est d’autant plus le cas lorsqu’il s’agit des adolescents ; les NTICs occupent une part importante du quotidien des jeunes. Il précise toutefois que bien que des relations purement électroniques existent, elles sont loin d’être la norme. En effet, les NTICs ne remplacent par la communication face à face mais viennent plutôt renforcer celle-ci. Il rappelle que, selon certaines études, les personnes avec qui les adolescents discutent le plus en ligne sont souvent celles avec lesquelles ils passent la majorité de leur temps dans la vie réelle.
Pour Johann Chaulet, dans son article « Les usages adolescents des TIC, entre autonomie et dépendance », les NTICs interviennent alors comme des moyens très importants pour l’agency des adolescents et ce, pour deux raisons : d’une part, un désir d’autonomie à l’égard de leurs parents et, d’autre part, l’envie de faire groupe et de créer du lien avec leurs pairs. Dans cette conquête à la fois d’un certain affranchissement envers les parents et d’une communication avec les groupes de pairs, les NTICs jouent un rôle important pour les adolescents puisqu’ils leur permettent de maintenir une communication avec leur(s) ami(s), en échappant dans le même temps à la surveillance de leurs parents.
Désir d’autonomie à l’égard des parents
Un premier élément promouvant l’agency des adolescents, et souligné par Johann Chaulet, est la possibilité pour ces jeunes de personnaliser ces objets technologiques avec lesquelles ils communiquent. Nombreux sont les adolescents qui disposent d’un outil technologique propre, signe d’une mise à distance de l’autorité des parents. Avec ce type d’outils, les adolescents ont la possibilité de créer divers comptes personnels, protégés par des mots de passe et évitant ainsi toute ‘intrusion’. Les NTICs permettent aux adolescents de créer et/ou de conserver leur jardin secret et ainsi d’« échapper au filtre des parents »[18].
L’autonomisation des adolescents face à la cellule familiale ne se fait dès lors plus spécialement par la sortie de l’espace familial mais peut désormais se faire en son sein au moyen des NTICs. D’après Johann Chaulet, cette autonomisation devient parfois une source de disputes et de négociations entre les adolescents et leurs parents. Par exemple, l’utilisation fréquente des NTICs par les adolescents, au sein de l’espace familial, est bien souvent vue comme un manque d’intérêt et d’action des adolescents dans la cellule familiale. Ainsi, comme pour un certain nombre des activités de leurs enfants, les parents imposent certaines règles au sein de l’espace familial afin d’éviter l’exposition de leurs enfants à certains dangers divers et réglementent l’usage des NTICs. L’autonomisation des adolescents s’en voit freiner. Malgré un certain contrôle parental, les pratiques des adolescents sur Internet restent relativement libres comme l’illustrent Martine Azam, Johann Chaulet et Jean-Pierre Rouch dans leur ouvrage collectif : « Reste donc un accord parent/enfant finalement assez consensuel de la pratique, bien intégré par les préadolescents qui reprennent à leur compte, en les approuvant, et en les appliquant, les règles minimums de l’encadrement parental. Bien sûr, cela ne va pas sans certaines formes de négociation et un soupçon d’opportunisme qui peut se saisir de nombreux prétextes pour tenter d’assouplir les consignes, mais le principe de régulation n’est pas fondamentalement remis en question »[19]. D’après Johann Chaulet, il est pertinent que cette volonté des parents de réglementer les pratiques numériques de leurs adolescents prennent plutôt la forme d’une ‘modération’ plutôt que d’un contrôle exhaustif. Il précise que les parents n’auraient rien à gagner à « vouloir à tout prix organiser, contrôler et maîtriser les usages de leurs enfants puisque l’exploration et le hasard jouent un rôle important dans les nouvelles formes de compétences et de connaissances auxquelles ces technologies offrent accès »[20].
L’utilisation de NTICs permet aussi aux adolescents d’acquérir diverses formes de savoirs, de compétences (compétences sociales par exemple), encouragées par les parents, qui vont avoir un impact sur leur socialisation.
Socialisation avec les pairs
Au-delà d’une certaine prise d’autonomie vis-à-vis de leurs parents, Johann Chaulet affirme que les adolescents utilisent également ces outils numériques comme un moyen de socialisation, permettant l’entretien et/ou la création de liens d’amitiés, de reconnaissances, de raisons d’être ou autres types de liens qui se jouent entre pairs. Le sociologue révèle que ces « outils et leurs usages agissent comme des indicateurs puissants de sociabilité »[21], à l’instar d’autres lieux de socialisation comme la rue, les clubs de sport, l’école ou d’autres endroits trop nombreux à citer.
Les adolescents passent aujourd’hui énormément de temps à utiliser ces outils numériques pour communiquer avec leurs pairs, même lorsque ces derniers sont physiquement très éloignés. Selon Johann Chaulet, les NTICs étant de plus en plus présentes et de plus en plus diversifiées, le contact des adolescents avec leurs pairs ne cesse effectivement jamais et les discussions continuent même après une rencontre physique[6]. Via les divers réseaux sociaux existants, les NTICs permettent la création de nouveaux lieux d’expression propres aux adolescents qui peuvent dès lors partager des histoires quotidiennes, des sentiments personnels ou encore des confidences difficiles à avouer. À ce sujet, Johann Chaulet parle de désinhibition en affirmant que « le caractère écrit de certains messages est […] fréquemment utilisé pour s’accorder un temps de réflexion et pour pallier la gêne que peut représenter le face à face ou la voix de l’autre »[22]. En effet, les NTICs et les moyens de communication qui y sont liés (ex. SMS) permettent aux adolescents de parler plus facilement et plus librement de leurs émotions du fait d’un engagement moindre que la communication orale.
Les outils numériques deviennent également des moyens pour réguler, modeler et gérer les relations conclues au sein des différents groupes de pairs auxquels font partie les adolescents. Les NTICs permettent effectivement aux adolescents de développer une certaine maîtrise des réseaux sociaux en contrôlant l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes et, par conséquent, de mieux composer avec leurs différents groupes de pairs. D’après Johann Chaulet, ces espaces créent de nouvelles formes d’inclusion et d’exclusion « que les dispositifs se chargent de visibiliser, d’objectiver et de fixer, de manière plus ou moins pérenne et définitive »[6], et deviennent des vecteurs permettant l’agencement des relations entre individus. Se crée alors, au travers des NTICs, un réel enjeu de l’identité adolescente.
Au sein des groupes de pairs, les divers échanges (de photos par exemple) réalisés au moyen des NTICs renforcent également la construction d’une identité plutôt collective. Le fait de pouvoir être vu par les ‘autres’, au travers de photos essentiellement, tout en étant entouré par ses pairs permet effectivement la construction d’une mémoire collective qui vient renforcer l’identification du collectif d’appartenance. Cette pratique peut toutefois également être utilisée comme un moyen d’exclure des pairs. Par exemple, la personne ne se retrouvant pas entourée de ses pairs, sur une photo publiée sur le net, pourra être exclue de cette construction identitaire collective[19]. Ainsi, M. Azam, J. Chaulet et J.-P. Rouch affirment que « ces éléments renforcent le rôle des pairs et de leur opinion dans les constructions identitaires individuelles et collectives […] mais aussi dans la construction (ou la visibilisation) des goûts […]. On le voit bien ici, le réseau des lecteurs effectifs ou potentiels devient un public dont l’avis est important et problématique. Il convient de ne pas le décevoir ou de proposer des contenus qui le satisfassent. S’opère alors un jeu double entre quête de légitimation de sa personne et de ses goûts et production de contenus à même d’intéresser, d’amuser les personnes à même de consulter son profil »[23].
Dans cette même idée, lorsqu’un adolescent n’utilise pas certaines plateformes de communication, celui-ci prend lui aussi le risque d’être exclu de certains groupes de pairs. Les propos de M. Azam, J. Chaulet et J.-P. Rouch confirment cela en soulignant que « les outils de la communication à distance permettent à la vie du groupe de s’étendre au-delà de l’enceinte du collège, en dehors de la limite des temps de cours ; celui qui ne participe pas se trouve privé de nombre d’interactions qui contribuent directement à dessiner les limites du collectif »[24].
Accès à l’information
Les NTICs permettent enfin aux adolescents d’accéder à d’immenses sources d’informations, notamment sur certains sujets plus sensibles à aborder avec d’autres. Via les outils numériques, et les plateformes auxquelles ils donnent accès, les adolescents accèdent à de nouvelles sources et peuvent trouver des réponses à certaines de leurs questions. Les connaissances véhiculées au travers de ces outils sont différentes de celles transmises au sein du milieu scolaire, de l’espace familial, etc.
Apports de Céline Metton-Gayon[25]
Céline Metton-Gayon, chercheuse en sociologie, s’intéresse également à l’utilisation des NTICs par les adolescents comme un vecteur d’agentivité (agency). D’après elle, ces outils technologiques sont individualisés et personnalisés, et proposent des services inédits.
Par ses travaux, Céline Metton-Gayon met en évidence un véritable enjeu pour les adolescents : l’utilisation des NTICs est en réalité une sorte de pierre angulaire de la socialisation. En effet, en les utilisant, « les adolescents peuvent […] désormais contacter leurs correspondants de tous horizons, en tout lieu et en totale liberté. Leurs marges d’autonomie s’en trouvent considérablement accrues, tant du point de vue culturel (libre accès aux contenus) que du point de vue relationnel (libre choix des correspondants) »[26]. Grâce aux moyens de communication modernes, les adolescents peuvent entretenir des liens relativement fréquents avec n’importe qui où qu’ils soient, tout en gardant leur place au sein du foyer familial. Ces outils sont donc d’une grande importance dans la socialisation des adolescents. D’après Eva Thulin et Bertil Vilhelmson, les NTICs encouragent en fait l’apparition d’une nouvelle dimension de la mobilité virtuelle, qui développe une tendance continue pour des interactions sociales plus géographiquement étendues, rapides et personnalisées. Cette nouvelle dimension va influencer le rapport des adolescents à l’espace, à la communication et, plus largement, aux relations[27].
De plus, à l’adolescence, les groupes de pairs vont se faire indispensables car essentiels au développement de soi et d’un sentiment de protection. Pourtant, Céline Metton-Gayon affirme qu’il est particulièrement difficile pour les adolescents de se retrouver entre plusieurs groupes de pairs, notamment lorsqu’il s’agit de pairs de l’autre sexe. D’après l’auteure, les adolescents sont généralement tiraillés entre une volonté de s’affirmer au sein de leurs pairs tout en voulant cultiver une personnalité propre. Les NTICs deviennent alors un instrument de prédilection pour permettre aux adolescents de se ‘repérer’. La chercheuse remarque effectivement que les NTICs facilitent non seulement la prise de contact avec l’autre sexe mais aussi l’émergence de relations amoureuses. En effet, l’auteure explique que les NTICs ont des enjeux qui dépassent le simple aspect fonctionnel pour les adolescents, car si « Internet et le téléphone portable sont précieux aux yeux des jeunes, c’est parce qu’ils permettent d’éluder certaines normes imposées par le groupe d’appartenance tout en restant affilié à celui-ci. La tension entre affiliation et distanciation vis-à-vis de la famille et des pairs devient plus facile à gérer »[28].
Dans la continuité de la pensée de Johann Chaulet, Céline Metton-Gayon affirme que les adolescents ressentent également le besoin d’acquérir de plus en plus d’autonomie vis-à-vis de leurs parents. Les jeunes veulent « s’affirmer comme des individus singuliers différents de leurs parents »[26]. Les parents en question tentent toutefois de délimiter cette autonomisation via les NTICs en imposant un certain nombre de cadres comme la délimitation d’un horaire du temps passé en ligne ou encore la délimitation d’un espace défini pour l’utilisation des outils numériques (l’ordinateur est placé dans une pièce familiale par exemple). Ces délimitations, fixées par certains parents, sont une réponse au fait qu’ils se sentent souvent coincé dans un paradoxe entre les dangers liés à Internet et l’autonomisation positive de leur enfant.
Un dernier élément relevé par Céline Metton-Gayon est le fait que ces outils technologiques sont « étroitement associés à l’image de l’adolescence »[29].
Apports de Sarah Wilson[30]
Dans ses travaux, Sarah Wilson, sociologue de la famille et des relations personnelles rattachée à l’Université de Stirling (Royaume-Uni), confirment les idées développées par Johann Chaulet ou Céline Metton-Gayon. D’après elle, les adolescents utilisent les NTICs afin d’augmenter l’espace disponible non seulement pour maintenir leurs relations mais aussi pour expérimenter différentes identités sociales[6]. En effet, alors que les NTICs ont longtemps été considérés comme risqué et comme la réflexion « d’une prétendue superficialité de la culture contemporaine »[31], Sarah Wilson met plutôt en avant leurs bénéfices dans les relations des adolescents avec leurs pairs, car propices à la création d’espaces pour expérimenter leur identité sociale.
Références
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- Bacqué Marie-Hélène et Biewener Carole, L’empowerment : une pratique émancipatrice ? (Deuxième édition), Paris, La Découverte, , p. 6-7
- Bacqué Marie-Hélène et Biewener Carole., L’empowerment : une pratique émancipatrice ? (Deuxième édition), Paris, La Découverte, , p. 8
- Bacqué Marie-Hélène et Biewener Carole., L’empowerment : une pratique émancipatrice ? (Deuxième édition), Paris, La Découverte, , p. 9.
- Bacqué Marie-Hélène et Biewener Carole., L’empowerment : une pratique émancipatrice ? (Deuxième édition), Paris, La Découverte, , p. 143.
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Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
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- Mackenzie Caroline. (2012). Agency : un mot, un engagement. Rives méditerranéennes[En ligne], 41 | 2012, mis en ligne le, consulté le . URL : http://rives.revues.org/4139 ; DOI : 10.4000/ rives.4139.
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- Wilson, Sarah. (2016). Digital Technologies, Children and Young People’s Relationships and Self-Care. Children’s Geographies 14(3) : 282‑94.http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/14733285.2015.1040726.
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