Approximation de Born-Oppenheimer
L’approximation de Born et Oppenheimer permet de simplifier drastiquement l’équation de Schrödinger[1],[2] pour le calcul de la fonction d'onde d'une molécule. Elle consiste à découpler le mouvement des électrons de celui des noyaux, du fait de leurs masses très différentes. En effet, à cause du fait que la masse d'un nucléon soit environ 2 000 (~ 1 836) fois plus élevée que celle d'un électron, les noyaux ont un mouvement beaucoup plus lent que les électrons. On peut donc considérer que les électrons s’adaptent de manière adiabatique à la position des noyaux[3], c'est-à-dire que les électrons "bougent" tellement vite par rapport aux noyaux qu'ils peuvent s'adapter instantanément (du point de vue des noyaux) à leur mouvement.
Ne pas confondre avec Approximation de Born
Dérivation de l'approximation de Born-Oppenheimer
Outre le caractère adiabatique du système, l'article original de 1927, intitulé « Zur Quantentheorie der Molekeln »[1] développe l'approximation en fonction d'un paramètre (supposé petit) proportionnel à la racine quatrième du rapport des masses des électrons et des noyaux. On note
les masses et positions des électrons et
les masses et positions des noyaux. Si on introduit maintenant la valeur moyenne des masses des noyaux , en que l'on définit
on peut alors écrire les masses des noyaux en fonction de la masse d'un électron comme
L'énergie potentielle du système s'écrit naturellement en fonction des degrés de liberté du système
L'énergie cinétique associée aux électrons peut être exprimée comme
tandis que celle associée aux noyaux peut être exprimée de manière similaire à l'aide du paramètre précédemment introduit
Le Hamiltonien du système peut alors se décomposer comme
où
La plupart des auteurs après Born et Oppenheimer se limitent à un développement à l'ordre 0 en . Cela se justifie par le fait que l’échelle de temps associée aux excitations électroniques, qui est proportionnelle à l’inverse de la largeur de bande de transition électronique, est plus petite que celle caractérisant les ions, c’est-à-dire l’inverse des fréquences de phonons. Par conséquent, la configuration électronique peut être considérée comme étant totalement relaxée dans son état fondamental pour chaque configuration adoptée par les ions durant leur mouvement. Cette observation offre ainsi la possibilité de découpler les mouvements nucléaires et électroniques de sorte que l’on peut envisager la séparation des variables électroniques et nucléaires. La fonction d’onde totale du système peut, dans ce cas, être écrite comme le produit d’une fonction d’onde décrivant les noyaux et d’une autre fonction d’onde décrivant les électrons et ne dépendant que de façon paramétrique des positions ioniques (c’est-à-dire ne dépend que de la position instantanée des noyaux et pas de leur dynamique). On a donc une fonction d'onde totale décrivant la molécule qui s'écrit comme
où est le jeu de toutes les coordonnées nucléaires et est celui des électrons contenus dans le système. Dans l’approximation de Born-Oppenheimer on considère donc les noyaux comme immobiles (d’où ) et on étudie le mouvement des électrons dans un réseau cristallin rigide : les noyaux sont “privés de leur statut dynamique” et sont réduits à une charge positive qui est devenue “externe” au nuage électronique. Le problème à corps a été simplifié dans la mesure où les seules particules à considérer sont désormais les Ne électrons chargés négativement et se déplaçant dans le potentiel maintenant externe des noyaux. Dans le cadre de cette approximation, on peut alors considérer que les électrons peuvent être traités de façon adiabatique. Le traitement adiabatique consiste à négliger les termes couplés () non-adiabatiques (interaction électron-phonon) qui proviennent de l’opérateur cinétique des noyaux agissant sur la fonction d’onde électronique . Les conséquences de cette double simplification peuvent être mesurées en évaluant l’évolution des termes contenus dans l’hamiltonien total du système et le nouvel hamiltonien issu de l’approximation de Born-Oppenheimer :
Le terme d’énergie cinétique nucléaire, indépendant des électrons, s’annule ( ), la corrélation dans l’énergie potentielle attractive électron-noyau est éliminée, et le terme d’énergie potentielle de répulsion noyau-noyau devient une constante évaluée simplement pour une géométrie déterminée. Les parties non constantes de l’hamiltonien issues de cette double approximation de Born-Oppenheimer et adiabatique sont ainsi l’énergie cinétique du gaz d’électrons, l’énergie potentielle due aux interactions électron-électron et l’énergie potentielle des électrons dans le potentiel désormais externe des noyaux vérifie l’équation
Avec
L’énergie totale de ce système, appelée énergie de Born-Oppenheimer, est alors la somme de l’énergie du gaz d’électrons et de l’énergie électrostatique des ions.
A ce niveau, on voit qu’il est possible de déterminer les positions des noyaux correspondant à l’état fondamental du cristal : ce seront celles qui minimisent . L’hamiltonien n’est de ce fait constitué que par des contributions de type électronique (mono et biélectronique: ). En dehors du nombre d’électrons propre au système, ces parties peuvent être considérées comme étant universelles. L’information spécifique au système – nature des noyaux et des positions atomiques – est contenue entièrement dans . Dans la majeure partie des systèmes, cette approximation correspond à une simplification raisonnable étant donné que les termes négligés sont de l’ordre du rapport entre la masse électronique effective et la masse ionique, , et sont par conséquent inférieurs à . Cet ordre de grandeur est plus faible que les erreurs commises généralement à partir des autres approximations utilisées pour résoudre l’équation de Schrödinger. Nous allons donc nous intéresser seulement à la détermination de .
Bien que la double approximation de Born-Oppenheimer permette de réduire de façon significative le degré de complexité inhérent à la résolution de l’équation de Schrödinger, “l’équation électronique” restant à résoudre demeure un problème à N corps. La nouvelle fonction d’onde totale du système dépend des coordonnées de tous les électrons et ne peut pas être découplée en contributions à une seule particule en raison de leur interaction mutuelle de sorte que le problème reste beaucoup trop complexe pour être résolu dans des calculs utilisant les ressources informatiques actuelles. En raison de cette difficulté, des approximations supplémentaires sont requises pour réaliser de façon effective la résolution de l’équation de Schrödinger pour les matériaux réels.
Application à une molécule diatomique
Principe
On peut résumer les deux étapes de la méthode pour une molécule diatomique, dont les noyaux, qui sont considérés comme ponctuels vis-à-vis de l'étendue du mouvement des électrons, sont distants d'une longueur R.
- On étudie d'abord le mouvement des électrons dans une configuration nucléaire donnée, où la distance internucléaire R est considérée comme fixe (il est équivalent de dire que les deux noyaux sont fixes) ; l'approximation de Born-Oppenheimer consiste à dire que cette hypothèse fournira des solutions correctes, bien que non-exactes. On résout alors l'équation de Schrödinger pour les électrons en traitant R comme un paramètre. On obtient un ensemble d'états propres pour le système électronique, d'énergies . Les N électrons de la molécule sont repérés par leur rayon-vecteur , où . Ces états forment une base de l'espace des états du système électronique, appelée base adiabatique. On écrira qu'en fait, la fonction d'onde totale de la molécule se développe sur cette base. Au cours du calcul, on utilise une autre hypothèse, dite adiabatique, selon laquelle les électrons, très mobiles par rapport aux noyaux, ajustent instantanément leur état aux variations de l'état du système de noyaux.
- On étudie ensuite le mouvement des deux noyaux (rotation et vibration de « l'haltère » formée par les deux noyaux), indépendamment de l'état du système électronique. Un point important est que les énergies trouvées à la première étape apparaîtront comme un terme supplémentaire dans la partie d'énergie potentielle du hamiltonien du système de noyaux. Cette étude ne relève plus directement de l'approximation de Born-Oppenheimer. Il ne faut cependant pas perdre de vue que l'étude de la vibration et de la rotation des molécules se fait dans le contexte préparé par cette approximation. Dans la pratique, tout ce qui est dit sur cette page se résume au fait que l'on étudie par la suite la rotation et la vibration d'une molécule dans un état électronique donné, représenté par une courbe d'énergie potentielle.
Hamiltonien d'une molécule diatomique A-B
On considère une molécule formée de deux atomes, A et B, de masse et , de numéro atomique et . Ces deux atomes apportent un total de N électrons, chacun de charge -q, repérés par un indice i. On a si la molécule est électriquement neutre. Le calcul mené ci-dessous se place dans ce cas ; par exemple est aussi bien le nombre de protons du noyau de A que son nombre d'électrons. Le hamiltonien doit comporter l'énergie cinétique des noyaux et , l'énergie cinétique des électrons , l'énergie potentielle d'interaction électrostatique des noyaux entre eux , des électrons entre eux , des électrons et des noyaux . On a donc
où, avec
On se place maintenant dans le référentiel du centre de masse G des noyaux, et on prend G pour origine des positions. Remarquons qu'il n'est pas exactement confondu avec le centre de masse de la molécule. L'énergie cinétique des noyaux dans le référentiel du laboratoire est, comme en mécanique classique, la somme de l'énergie cinétique du centre de masse dans ce référentiel et de l'énergie cinétique des noyaux dans le référentiel du centre de masse (RCM). On sait (voir un cours de mécanique classique) que dans le RCM, l'étude du mouvement des deux noyaux peut être ramené à celui du mobile fictif dont la position est donnée par , et dont la masse est
Dans le référentiel du laboratoire :
Dans le RCM :
Les autres termes du hamiltonien ne sont pas modifiés dans le RCM, en se rappelant toutefois que les positions sont maintenant repérées par rapport au centre de masse de A et B.
Équation de Schrödinger électronique
L'équation de Schrödinger dont la fonction d'onde totale de la molécule est solution s'écrit
où, d'après BO, les mouvements électronique et nucléaire sont découplés, et au sein du mouvement nucléaire les mouvements de rotation et de vibration le sont également :
et
- L'approximation BO stipule que les noyaux sont fixes dans le RCM :
Dans le hamiltonien, il ne reste donc plus que des termes électroniques : c'est un hamiltonien dont la solution est la fonction d'onde électronique décrivant le système d'électrons de la molécule :
où l'on a rassemblé les termes d'énergie potentielle énumérés ci-dessus dans le terme . Remarquons que l'on y a inclus (par convention) le terme de répulsion coulombienne des noyaux entre eux . Ce n'est pas un terme d'énergie électronique, mais il est traité comme une constante puisque ne dépendant que de la distance entre noyaux qui est elle-même traitée comme un paramètre dans l'approximation de Born-Oppenheimer.
On a donc
- On suppose que la fonction d'onde totale de la molécule se développe sur la base . Les coefficients du développement sont notés .
expression que l'on réinjecte dans l'équation de Schrödinger initiale, avant l'hypothèse BO :
donc par action de :
expression que l'on projette sur une fonction donnée de la base adiabatique :
puisque la base adiabatique est orthonormée.
- Hypothèse adiabatique
On connaît l'action de dans le RCM, donc :
i.e.
L'approximation adiabatique consiste à dire que les variations de la fonction d'onde électronique lors d'une petite variation de sont négligeables devant celles du coefficient . Ainsi, les deux premiers termes de la somme ci-dessus sont négligés :
- Réécrivons alors l'expression obtenue après projection sur , en tenant compte du calcul précédent :
et puisque la base adiabatique est orthonormée : , donc :
qu'on peut réécrire comme suit :
qui apparaît comme l'équation de Schrödinger dont est solution, dans le cadre de l'hypothèse adiabatique (dans laquelle se comporte comme un scalaire multipliant , sous l'action du laplacien. On peut donc remplacer par ).
Ainsi, l'approximation adiabatique a permis de ramener un état de la molécule, initialement décrit comme une superposition de fonctions de la base adiabatique, à une seule de ces fonctions.
Équation de Schrödinger nucléaire
Nous amorçons ici l'étude de la rotation et de la vibration de la molécule diatomique. Reprenons la dernière équation ci-dessus. Nous pouvons l'interpréter comme étant l'équation de Schrödinger nucléaire, où le terme d'énergie cinétique est bien celui du mobile fictif correspondant au mouvement relatif des noyaux (c'est l'énergie cinétique totale des noyaux dans le référentiel du centre de masse), et où la valeur propre du hamiltonien électronique joue le rôle d'une énergie potentielle dans ce hamiltonien nucléaire.
- Cette énergie est une fonction radiale, et les résultats relatifs au mouvement dans un potentiel central, obtenus traditionnellement dans l'étude quantique de l'atome d'hydrogène s'appliquent : on peut développer comme produit d'une fonction radiale et d'une fonction angulaire sous la forme
La fonction décrit la rotation de la molécule. La fonction décrit la vibration de la molécule. En reportant l'expression de dans l'équation de Schrödinger et en écrivant l'action du laplacien (décomposé en partie radiale et partie angulaire), on obtient l'équation radiale dont est solution et qui fournit les niveaux d'énergie de vibration, et l'équation angulaire dont est solution et qui fournit les niveaux d'énergie de rotation. Les résultats obtenus pour la rotation et la vibration reposent sur le choix du potentiel électronique .
Conclusion
L'énergie totale de la molécule dans le référentiel du centre de masse apparaît in fine comme la somme de l'énergie électronique, de l'énergie de rotation de « l'haltère » formée par les noyaux (rotateur rigide) et de l'énergie de vibration des noyaux (l'image correspondante est celle de « masses ponctuelles reliées par un ressort ». Attention, en physique nucléaire, on parle aussi d'énergie de rotation et de vibration des noyaux, dans le cadre d'un modèle dit collectif ; le noyau y est considéré comme un objet non ponctuel). On a donc découplage de la rotation des noyaux, de la vibration des noyaux, et du mouvement des électrons. Ce résultat simple et important est la conséquence du l'approximation de Born-Oppenheimer. Ce modèle élémentaire est amélioré en considérant par exemple le couplage de la rotation et de la vibration comme une perturbation au mouvement idéal découplé (distorsion centrifuge).
Notes et références
- (de) Max Born et Robert Oppenheimer, « Zur Quantentheorie der Molekeln », Annalen der Physik, Wiley, no 20, , p. 457-484 (lire en ligne, consulté le ).
- (en) John C. Tully, Theoretical Chemistry Accounts (lire en ligne), Chapter : Perspective on "Zur Quantentheorie der Molekeln" p 173-176
- L'hypothèse dite adiabatique introduit la supposition que les électrons, très mobiles par rapport aux noyaux, beaucoup plus massifs d'un point de vue inertiel, ajustent instantanément leur état aux variations de l'état du système de noyaux.
Voir aussi
Bibliographie
- Cohen, Tannoudji, Diu et Laloë, Mécanique Quantique, tomes 1 et 2, Hermann
- Cagnac, Tchang-Brillet et Pebay-Peyroula, Physique atomique, tome 2, seconde édition, Dunod
- (en) Karplus et Porter, Atoms and molecules : an introduction for students of physical chemistry, Cummings Publishing Company
- (en) Bransden et Joachain, Physics of Atoms and Molecules, Prentice-Hall
Articles connexes
Liens externes
- Article original de Born et Oppenheimer (in Annalen der Physik, 1927) (en allemand)
- Traduction en anglais par H. Hettema
- Traduction en anglais par S. M. Blinder
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