Mosquée de Babri
La mosquée de Babri ou mosquée de Babur (hindi : बाबरी मस्जिद, ourdou : بابری مسجد, Babri Masjid) était une mosquée située à Ayodhya (district de Faizabad, Uttar Pradesh) en Inde, construite au XVIe siècle sur un site sacré pour les Hindous où s'était élevé un temple consacré à Râma (ou Ram). Elle a été détruite en 1992 à l'occasion d'une manifestation de nationalistes hindous.
Mosquée de Babri | ||
La mosquée de Babri à la fin du XIXe siècle. | ||
Présentation | ||
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Nom local | बाबरी मस्जिद بابری مسجد |
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Culte | Islam | |
Type | Mosquée | |
Début de la construction | 1527 | |
Style dominant | Architecture moghole | |
Date de démolition | 1992 | |
Géographie | ||
Pays | Inde | |
État | Uttar Pradesh | |
Ville | Ayodhya | |
Coordonnées | 26° 47′ 44″ nord, 82° 11′ 40″ est | |
Géolocalisation sur la carte : Inde
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Le site sur lequel elle était construite est l'objet d'un litige entre hindous et musulmans, chaque communauté le revendiquant comme lieu de dévotion. Ce contentieux est un problème majeur dans les relations entre ces communautés, en particulier dans un contexte de regain de nationalisme. Il est notamment à l'origine des pogroms anti-musulmans qui ont eu lieu en 1992 et 2002.
Le lieu hindou, jaïn et bouddhiste originel
Selon le Ramayana[1], Ayodhya est le lieu de naissance de Rāma, qui est à la fois le septième avatar de Vishnu et le roi d'Ayodha.
Le Skanda-Purana[2], texte datant de plus de 2000 ans sur les anciens sites de pèlerinage en Inde, décrit en détail les différents temples d'Ayodhya, dont celui qui commémore l'endroit où serait né Rama. À ce titre, Ayodhya est l'une des sept villles sacrées de l'hindouisme[3], considérée comme une kchetra, un terrain sacré où le moksha (délivrance) peut être atteint (le Garuda-Purana le mentionne notamment)[4].
Ainsi, le site attribué à la naissance de Rama accueillait-il, avant la mosquée de Babri, un temple consacré à Rāma[5],[6]. Selon un jugement de 2010, les 265 inscriptions découvertes le (après la démolition de la mosquée), ainsi que l'étude d'autres vestiges architecturaux ne laissent place à aucun doute sur le fait que les inscriptions retrouvées sont en écriture devanagari, datant des XIe et XIIe siècles[7]. Les trois juges admettent donc qu'il y a les vestiges d'un temple sous la mosquée, et deux des trois juges admettent que le temple a été démoli[8].
Aux yeux du Jaïn Samata Vahini, une organisation sociale jaïn, la « structure qui a pu être trouvée lors de fouilles serait un temple jaïn du VIe siècle », et son secrétaire général, Sohan Mehta, affirme que le temple démoli a été construit sur les vestiges d'un ancien temple jaïn. Les fouilles opérées par l'Archaeological Survey of India, commanditées par la haute Cour d'Allahabad pour régler les différends concernant la mosquée Babri, l'attestent. Mehta cite des écrits du XVIIIe siècle dans lesquels des moines jaïns déclarent qu'Ayodhya était l'endroit où cinq Tirthankaras jaïns (Ajitnath, Abhinandannath, Sumatinath et Anantnath) ont séjourné et enseigné. La ville antique d'Ayodhya était parmi les cinq plus grands centres du jaïnisme et du bouddhisme avant 1527[9].
Construction de la mosquée
La mosquée est construite en 1527 sur l'ordre de Bâbur, premier empereur moghol, dont elle porte le nom[10],[11], probablement après la destruction du temple hindou préexistant, un acte sans doute pas isolé: une chronique historique, le Tarikh-i-Babari (« Histoire de Babur »), relève que les troupes de Babur « démolirent de nombreux temples hindous à Chanderi [Madhya Pradesh] »[12],[13].
Avant les années 1940, la mosquée est aussi appelée Masjid-i-Janmasthan (hindi : मस्जिद ए जन्मस्थान, ourdou : مسجدِ جنمستھان), expression qu'on peut traduire par « mosquée de la naissance »[14]. Il s'agissait alors de l'une des plus grandes de l'Uttar Pradesh, État qui, en 2001 comptait plus de 31 millions de musulmans[15].
Destruction de la mosquée
Le différend d'Ayodhya (en) (connue en Inde sous le nom de Ram Janmabhoomi-Babri Masjid controversy) est un débat politique, historique, social et religieux, concernant le terrain de la mosquée de Babri et la possibilité pour les hindous d'y accéder. La revendication de la destruction de cette mosquée a ainsi été un thème majeur de la campagne du Bharatiya Janata Party (BJP) lors des élections législatives de 1989 [16].
Le , la mosquée est détruite sur fond de conflit intercommunautaire entre musulmans et hindous, lors d'un rassemblement politique organisé par le BJP qui dégénère en une émeute impliquant près de 150 000 personnes[17] malgré l'engagement pris par les organisateurs de la marche auprès de la Cour suprême de l'Inde que la mosquée ne serait pas endommagée[18],[19].
La mosquée de Babri, avant d'être détruite, était en fait déjà une ruine (selon la documentation de la Cour d'Allahabad), abandonnée et ne pouvait servir à aucun culte[20],[21]. Depuis 1985 et à la suite des demandes du VHP d'ouvrir le site aux Hindous, la mosquée délabrée, et inutilisée par les musulmans, avait gagné une fonction de temple hindou[22].
Conflits inter-religieux autour de l'avenir du site
Plus de 2 000 personnes, en majorité musulmanes, sont tuées au cours des émeutes qui suivent dans de nombreuses grandes villes de l'Inde, notamment à Bombay et à Delhi[23]. Ces troubles ont provoqué l'instauration de la President's rule (administration directe par le pouvoir central) dans l'État d'Uttar Pradesh alors dirigé par le BJP[24].
En 2002, la mort de 58 pèlerins hindous dans l'incendie présumé criminel de leur train revenant d’Ayodhya a débouché sur des pogroms dans le Gujarat qui ont fait entre 800 et 2000 victimes — Gujarat alors gouverné par Narendra Modi, vivement critiqué pour sa passivité face à ces événements. Le site de la mosquée de Babri reste à la fois un symbole et une poudrière dans une Inde de plus en plus empreinte de nationalisme hindou.
Le gouvernement a depuis acheté le terrain pour le soustraire aux factions rivales. Des fouilles entreprises sur le site pour vérifier l'antériorité d'un lieu de culte hindou confirment cette présence. 265 inscriptions découvertes le après la démolition de la mosquée, ainsi que l'étude d'autres vestiges architecturaux ne laissent place à aucun doute sur le fait que les inscriptions sont en écriture devanagari datant des XIe et XIIe siècles[25]. Le rapport publié sur les fouilles en 2003 évoque « une preuve archéologique d’une structure massive juste en dessous [de la mosquée détruite] », avec « une sculpture mutilée d’un couple divin », ainsi que des motifs de fleur de lotus.[26]
Les Jaïns ne sont pas en reste, puisqu'ils revendiquent la paternité de l'ouvrage précédant la mosquée. Selon le Jaïn Samata Vahini, une organisation sociale des jaïns, la « structure qui a pu être trouvée lors de fouilles serait un temple jaïn du VIe siècle » ; Sohan Mehta, secrétaire général du Jaïn Samata Vahini, revendique que la structure démolie a été construite sur les vestiges d'un ancien temple jaïn, et que l'excavation par l'Archaeological Survey of India, commandée par la haute Cour d'Allahabad pour régler les différends concernant la mosquée Babri, le prouve[27].
La communauté musulmane a entrepris une action en justice pour retrouver la propriété du terrain. La Haute Cour d'Allâhâbâd a décidé, le , que le site devait être divisé en trois parties : un tiers aux représentants de la communauté hindoue, un autre aux représentants de la communauté musulmane, le dernier étant octroyé à l'organisation hindoue Nirmohi Akhara. Le jugement reconnaît que la mosquée a été construite sur les ruines d'un temple hindou, et deux juges sur trois admettent que le temple a été démoli[28]. Cette décision a été cassée en 2011, à la demande des musulmans[29]. L'affaire est désormais entre les mains de la Cour Suprême de l'Inde.
Les pressions des mouvements nationalistes hindous se multiplient pour qu'un temple soit reconstruit sur le site. Le Sangh Parivar (regroupement d'organisations nationalistes hindoues, dont le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) et le Bharatiya Janata Party, revendiquent la construction de cet édifice. Des plans sont réalisés et des matériaux de construction sont bénis et entreposés à proximité du site[26]. Cette reconstruction est devenue un totem pour la droite nationaliste. Dans un contexte d'incertitudes électorales pour le BJP, des dizaines de milliers de nationalistes hindous manifestent le pour exiger l'édification du temple[29]. La réélection de Narendra Modi et la victoire du BJP, en , ont conforté ces revendications. Mohan Bhagwat, le chef du RSS, déclare [Où ?] « Notre gouvernement est revenu. Nous devons faire le travail de Rama et ce travail doit être fait à tout prix ! »
Construction d'un nouveau temple hindou
Le , une décision de la Cour Suprême accorde l'autorisation de construction d'un temple hindou, le terrain devenant propriété pleine et entière des hindous. La Cour demande aux pouvoirs publics à titre compensatoire d'accorder aux musulmans un autre terrain situé dans un endroit approprié et bien en vue[30],[31].
Le journaliste Siddharth Varadarajan, fondateur du site d’information The Wire, souligne que la procédure concernant la propriété du terrain a été « accélérée à la demande de Modi », le Premier ministre nationaliste, alors que le dossier dans lequel sont poursuivis les destructeurs de la mosquée « continue de traîner en longueur »[32].
Le chantier de construction démarre le 5 août 2020, et il est l'occasion d'une cérémonie fortement symbolique, car cette date correspond à l'anniversaire de la très controversée révocation du statut spécial du Jammu-et-Cachemire. Le Premier ministre Narendra Modi préside personnellement la cérémonie religieuse et dépose lui-même des offrandes dans les fondations du nouveau temple. À ses côtés sur l'estrade de la cérémonie, un prêtre, le gouverneur, le chef du gouvernement de l’Uttar Pradesh (membre du Bharatiya Janata Party), et le chef de l’organisation d'extrême droite Rashtriya Swayamsevak Sangh[33]. Cette cérémonie rencontre un écho considérable est donné, en Inde et sur le plan international, notamment au sein de la diaspora indienne. Un million de personne ont vu le discours du Premier ministre sur le réseau social Facebook[réf. nécessaire].
Cette construction est une victoire symbolique très forte pour les nationalistes hindous et pour Narendra Modi, qui promet l'achèvement du temple avant les prochaines élections législatives. Pour Nilanjan Mukhopadhyay, journaliste spécialiste du nationalisme hindou, « cette cérémonie oblitère toute séparation entre la religion et l’État. » Et il ajoute: « Le dieu Ram n’est plus un dieu, mais il est converti en symbole du nationalisme indien. Tous les Indiens qui appartiennent aux minorités religieuses ou qui sont opposés à cette vision n’auront plus voix au chapitre »[34].
Notes et références
- (sa) Râmâyana, livre 1 : Bâlakânda
- (en) Ganesh Vasudeo Tagare, Studies in Skanda Purāṇa, Motilal Banarsidass, (ISBN 81-208-1260-3).
- (en) « Dispute: claims and counter-claims », Thaindian News (consulté le ).
- (en) Stella Kramrisch, The Hindu temple, vol. I, New Delhi, Motilal Banarsidass, 2015 (new edition) (lire en ligne), p. 3.
- (en) « Résumé du jugement », Haute cour de justice de Allahabad (consulté le ).
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- (en) Sayyid Shahabuddin Abdur Rahman, Babri Masjid, Azamgarh, Darul Musannefin Shibli Academy, , 3rd print, éd., p. 29–30
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- Samuel Richer, « Le yoga, reflet d'une nouvelle diplomatie », France forum, , p. 24 (lire en ligne)
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- (en) « P V Narasimha Rao didn't try to stop Babri demolition: Acharya Kishore Kunal », PATNA, TNN, (consulté le ).
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- « What If Rajiv Hadn't Unlocked Babri Masjid? », www.outlookindia.com (consulté le ).
- (en) « The Ayodhya dispute », BBC News, .
- Hasan Zoya (trad. de l’anglais par Jacqueline Heinen), « Clivages religieux, genre et politique en Inde », Cahiers du Genre, no 3 (HS no 3), (http:www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2012-3-page-69.htm, consulté le )
- (en) « Temple pillars used to make Babri Masjid: Judge – Rediff.com News », News.rediff.com (consulté le )
- Claire Lesegretain (avec Ucanews), « En Inde, les pressions s’accentuent pour un temple hindou à Ayodhya », sur la-croix.com, La Croix, (consulté le )
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- « Pourquoi les nationalistes hindous manifestent-ils en Inde ? », sur www.la-croix.com, La Croix, (consulté le )
- « Inde. Ayodhya, un conflit qui a forgé l'histoire », Courrier International, no 1515, 14-20/11/2019, p. 34, traduit de l'Hindustan Times.
- (en) « Civil Appeal Nos 10866-10867 of 2010 », sur https://www.sci.gov.in,
- Guillaume Delacroix, « En Inde, la pandémie n’a pas eu raison du temple d’Ayodhya », Le Monde, (lire en ligne)
- « Inde: à Ayodhya, Narendra Modi pose la première pierre du temple de Ram », sur RFI, (consulté le )
- « En Inde, un temple dédié au dieu Ram bientôt construit sur le site d'une ancienne mosquée », sur Franceinfo, (consulté le )
Bibliographie
- Koenraad Elst, Ayodhya: The case against the temple. New Delhi, Voice of India, 2002
- Sita R. Goel, Hindu temples, what happened to them, New Delhi, Voice of India, 2009 (Lire en ligne: Volume 1 / Volume 2 - consulté le 30 juillet 2020)
- Meenakshi Jain, Rama and Ayodhya, Delhi, Aryan Books International, 2013.
- Harsh Narain, The Ayodhya temple-mosque dispute: Focus on Muslim sources., Delhi, Penman Publishers, 1993
- (en) Saeed Naqvi, Being the Other : The Muslim in India, New Delhi, Aleph Book Company, , 256 p. (ISBN 978-93-84067-22-9), Chap. V "The breaking of Babri Masjid"
Fiction
- Shashi Tharoor, L'émeute, Paris, Seuil, , 332 p. (ISBN 978-2-02-051047-9)
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