Bendōwa

Bendōwa (辨道話) "Entretiens sur la pratique de la Voie"[n 1] est un fascicule du Shōbōgenzō ("Le Trésor de l'Œil de la Vraie Loi"), le chef-d'œuvre de Dōgen, fondateur de l'école zen Sōtō. Bendōwa est un manifeste doctrinal qui peut être considéré comme le prologue du Shôbôgenzô.

Titre

Bendōwa (辨道話) est composé de trois caractères 辨 (ben : parler), 道 ( : substantif Voie, ou verbe : dire), 話 (wa : substantif propos, ou verbe : causer) comportant chacun le sens de « parler »[1], ce qui correspond au caractère dialogique de la plus grande part de ce texte.

Présentation

Pris de compassion
Pris de compassion, je m'engage à faire connaître la vraie Loi de la maison de l'Éveillé en laissant à ceux qui veulent étudier et pratiquer la Voie un recueil de règles monastiques zen [chan], règles que j'ai vues et entendues de mes propres yeux et de mes propres oreilles en Chine sous la grande dynastie des Song, ainsi de l'enseignement profond que j'y ai reçu auprès des amis de bien. N'est-ce pas là les vraies arcanes[2] ?
— Dôgen - Entretiens sur la pratique de la Voie

Il s'agit d'un manifeste doctrinal composé au temple An'yôin[3] en 1231 par Dôgen, qui se trouve alors dans une situation transitoire, après avoir étudié pendant cinq ans en Chine puis vivant une « vie de nuages éphémères et d'herbes flottantes » pendant quatre années, essentiellement au monastère Rinzaï du Kennin-ji, et avant de fonder le Kosho-ji en 1233. Rédigé entre Il marque le début de son enseignement, dont il annonce les principaux thèmes en prenant ses distances avec les autres écoles.

Ce texte est composé de trois parties : la première partie présente un récit de l'enseignement qu'il a reçu en Chine et les principaux thèmes qui constitueront sa doctrine. La partie centrale, la plus longue, est constituée de dix-huit questions et réponses sur plusieurs de ces thèmes. Dans la partie finale, Dôgen exhorte ses lecteurs mener eux aussi une « vie de nuages éphémères et d'herbes flottantes » pour l'étude de la Voie.

Bernard Faure signale une interprétation selon laquelle il s'agirait en fait du compte-rendu d'une joute oratoire (pratique typique du Chan) à propos de la doctrine du Daruma-shû, entre Dôgen et Ejô qui le ralliera ensuite et deviendra son disciple[4].

Enseignement

Le Japon, une région écartée
Ne pensez pas que, puisque notre pays n'est pas un pays de bienveillance et de sagesse et que nos compatriotes sont lents à savoir et à comprendre, ces derniers ne sauraient assimiler la Loi de l'Éveillé (...) C'est pourquoi, pour diffuser la Voie des éveillés et des patriarches, il ne faut pas toujours choisir le lieu ni attendre les relations circonstancielles. Seulement, comment pourrait-on croire que tout commence aujourd'hui ?[n 2],[5].
— Dôgen - Entretiens sur la pratique de la Voie - Question 18

Formé au sein de deux cultures, Dôgen est conscient que la culture japonaise est seconde par rapport à la culture chinoise. Celle-ci prédominera largement dans le Sgôbôgenzô qui ne contient aucune citation d'un texte japonais, et cite près de deux cent personnages (maîtres, patriarches) chinois et indiens et seulement trois maîtres japonais. Il le précise même explicitement[6] : « Nous, les vulgaires, ne sommes pas nés sur la terre du Milieu ni ne voyons la fleur du Milieu (...) de plus, notre pays est une rive perdue au diable ». Pourtant, le Shôbôgenzô est rédigé dans la langue vernaculaire alors que le chinois était la langue officielle[n 3].

La pratique c'est la Voie
Les herbes et les arbres, les haies et les murs, prônent la Loi à tous les êtres, profanes ou saints ; et inversement. (...) Par conséquent, il suffit qu'une personne s'asseye en dhyâna l'espace d'un instant pour qu'elle fusionne avec toutes choses, et communique secrètement avec tous les temps. (...) Sa pratique et sa réalisation ne font qu'une avec celle de tous les êtres. Ceci ne se limite pas à la pratique de la méditation assise. Ce qu'on entend lorsque l'on frappe la vacuité, c'est un son profond et continu, qui résonne avant et après le coup de marteau[n 4],[7].
— Dôgen - Propos sur le discernement de la Voie[n 5]

Dans ce texte à caractère doctrinal, Dôgen aborde la plupart des thèmes qu'il développera ensuite dans les fascicules du Shôbôgenzô. Cependant, il développe particulièrement le thème du caractère indissociable de l'Éveil et de la pratique (c'est-à-dire la méditation assise, le shikantaza), qui est généralement considéré comme l'une des contributions essentielles de Dôgen à la pensée bouddhique[8].

Dôgen s'écarte du quiétisme et du subitisme du chan classique : il ne faut s'attacher ni à l'« Éveil originel » ni à la « pratique merveilleuse » comme à des choses en soi, la vraie Loi implique l'unité dynamique, sans fixité, de la pratique et de l'Éveil[9]. L'éveil foncier (la « nature-de-Buddha ») n'existe qu'en s'actualisant par la pratique[10] : pratique et satori forment une unité, l'exercice de la Voie est le tout de l'« évidence originaire », c'est pourquoi, même si initie les novices à la vigilance par la pratique, on leur enseigne à ne pas se représenter l'attente du satori en dehors de la pratique [11].

Bibliographie

Traductions et commentaires du Shôbôgenzô

  • (ja) Dôgen (trad. du japonais par Yoko Orimo, Édition intégrale bilingue et notes abondantes), Shôbôgenzô : La vraie Loi, Trésor de l'Œil, Vannes/impr. en République tchèque, Sully, , 1815 p. (ISBN 978-2-35432-328-8)
  • Dôgen (trad. du japonais par Yoko Orimo, Commentaires - Notes - Postface), Shôbôgenzô : la vraie loi, trésor de l'oeil, t. 4 de l'édition du Shôbôgenzô en 8 tomes, Vannes, Sully, , 441 p. (ISBN 978-2-35432-033-1)
  • Dôgen (trad. du japonais par Yoko Orimo, Commentaires - Notes - Postface), Shôbôgenzô : "La vraie loi, trésor de l'oeil", t. 6 de l'édition du Shôbôgenzô en 8 tomes, Vannes, Sully, , 374 p. (ISBN 978-2-35432-080-5)
  • Yoko Orimo (préf. Pierre Hadot), Le Shôbôgenzô de maître Dôgen : Guide de lecture de l’œuvre majeure du bouddhisme Zen et de la philosophie japonaise, Sully, , 624 p. (ISBN 978-2-35432-127-7)
  • Pierre Nakimovitch, Dôgen et les paradoxes de la bouddhéité : Introduction, traduction et commentaire de Busshô, Genève, Droz, coll. « École Pratique des Hautes Études », , 453 p. (ISBN 978-2-600-00328-5, lire en ligne)
  • Bernard Faure, La vision immédiate : nature, éveil et tradition selon le Shôbôgenzo, Paris, Le Mail, , 189 p. (ISBN 978-2-903951-08-5)
  • Evelyn de Smedt et Taisen Deshimaru (commentaires originaux) (Traduction partielle de Bendôwa), Le trésor du zen : Textes de maître Dogen, Paris, Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », , 375 p. (ISBN 978-2-226-13872-9)

Notes

  1. Selon la traduction de Yoko Orimo
  2. Commentaire de Y. Orimo : puisque tout acte missionnaire doit s'inscrire dans l'histoire de la transmission, il ne doit dépendre ni de la bonne volonté ni de l'initiative d'une personne en particulier
  3. Y. Orimo relève cette anomalie sans pouvoir préciser la motivation de Dôgen
  4. B. Faure rapproche l'image du son de la cloche de celle-ci : « On voit avant même de voir. Lorsqu'on voit, on ne fait que revoir » (extraite du Lengqie shiziji)
  5. Selon la traduction de Bendôwa par B. Faure

Références

  1. Y. Orimo, Introduction, p. 188
  2. Y. Orimo, Traduction de Bendôwa, p. 1635
  3. P. Nakimovitch, Du chan au zen, p. 35
  4. B. Faure, Traduction, p. 80 note 1
  5. Y. Orimo, Traduction de Bendôwa, p. 1669
  6. Y. Orimo, Variations sur le Shôbôgenzô, p. 364
  7. B. Faure, Traduction, p. 79-80
  8. B. Faure, Traduction question 7, p. 109 note 22
  9. Y. Orimo, Guide de lecture, p. 466 note 7
  10. B. Faure, Traduction, p. 85 note 17
  11. P. Nakimovitch, Traduction légèrement modifiée, p. 277

Articles connexes

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