Céréale vêtue

On parle de céréales à grain vêtu et grain nu, pour distinguer celles dont le péricarpe du grain (glume et glumelle) reste attaché au grain à maturité après battage (céréale à grain vêtu ou à caryopse vêtu) de celles qui le perdent facilement au battage (céréale à grain nu ou à caryopse nu) [1],[2].

Engrain - céréale vêtue - avec la balle (à gauche) et après décorticage (à droite).

Avant consommation humaine et éventuellement mouture en farine, les céréales à grain vêtu doivent être débarrassées de cette enveloppe soit par mondage (décorticage) soit par polissage [3],[4].

Ces protections des grains de céréales plus ou moins adhérentes influencent les évènements de domestication, les techniques et les matériels de transformation, de cuisson, de stockage, de semis. Les conséquences anthropologiques par zone de domestication, au niveau des modes de vie et de l'histoire des civilisations ont été mises en lumière depuis le XXe siècle [5].

Dénomination, vocabulaire

Vêtu ou nu se disent en anglais : not free-threshing cereals (hulled grain, hulled cereal) et free-threshing cereals (naked grain), en espagnol : cereal vestido o cereal desnudo et en allemand : Spelzgetreide und Nacktes Getreide [6],[7],[8],[9].

orge nue
orge vêtu

Les caryopses murs sont entourés de fines bractées écailleuses ou glumelles (lemme ou glumelle inférieure et paléole)[10]. Elles forment des glumes sèches (anglais husk) qui sont éliminées au battage des céréales à grain nu et constituent la balle. Quand un grain vêtu est décortiqué on parle de grain mondé ou gruau (anglais : husked grain or groats), quand il est poli on parle de grain perlé (pearl grain).

Ne pas confondre avec la distinction : céréales à grain entier (céréale entière, aliment complet) qui contient l'endosperme, le germe et le son, et céréales raffinées qui conservent seulement l'endosperme et qui toutes les deux sont débarrassées des glumes et glumelles.

Schéma d'un épillet de riz (oryza sativa), céréale toujours vêtue

Le caractère vêtu et nu déterminant dans la domestication des céréales

Le degré d'adhérence de la balle au caryopse est variable. Certaines céréales vêtues pouvant porter exceptionnellement des grains nus : certaines avoines, l'orge commune (Hordeum vulgare) européenne [1]. La génétique de l'orge montre que c'est l'action d'un gène récessif NUD (chromosome 7H) qui contrôle le caractère du caryopse nu et que son inactivation produit un phénotype d'orge à grain nu [11],[12]. Autrement dit, d'une part le caractère vêtu ou nu de l'orge résulterait bien d'un évènement de domestication (sélection d'un mutant spontané) et d'autre part, l'amélioration de l'orge vers des cultivars nu va se poursuivre [11]. L'orge nu est un fourrage qui remplace partie du maïs-grain, avec un contenu énergétique comparable, son caractère dévêtue limite les mycotoxines et il est riche en protéines[13]. La sélection des orges nus est constatée en Occident dès la culture rubanée du VIe millénaire av. J.-C. [14].

Blé tendre, céréale nue

De même, chez le maïs (Zea mays ssp) l'apparition du grain nu, événement décisif dans sa domestication, est en lien avec le contrôle de ce phénotype par un gène unique : TGA1 (teosinte glume architecture 1) [15]. Chez l'avoine, il a été démontré que les conditions environnementales n'ont pas une grande influence sur la détermination du caractère nu, une région génomique expliquait plus de 50% du phénotype nu [16].

Les blés sauvages : amidonnier (Triticum turgidum), l'épeautre (Triticum spelta), les engrains (Triticum monococcum), le fonio blanc (Digitaria exilis) et le fonio noir (Digitaria iburua), l'orge (Hordeum), les riz (Oryza), le millet commun (Panicum miliaceum) sont des céréales vêtues cultivés. Le pain est caractéristique des traditions culturelles néolithique du Proche-Orient, rare région du monde où la domestication des céréales a eu lieu sans récipients de cuisson en poterie (contrairement au développement précoce de la céramique au Sahara ou en Asie Orientale) incite y chercher l'origine de farines panifiables [17]. Le blé panifiable (Triticum aestivum), céréale à grain nu, est apparu au IXe millénaire av. J.-C. dans cette région. Sans cesse amélioré par l'homme depuis lors il n'est pas une espèce sauvage mais une hybridation entre l'amidonnier cultivé et Aegilops tauschii [18],[19]. Dans le Languedoc, l'orge nue et le blé nu étaient les plantes les plus cultivées tout au long du néolithique[20]. Le seigle sauvage (Secale cereale) dont le grain est nu, est une domestication aussi ancienne, c'est une culture dominante dans plusieurs site mésopotamiens, plus facile à battre que le blé ou l'orge vêtus, il se prépare aisément comme aliment (torréfaction, broyage, ébullition et purée) [21].

Nombreuses sont les hypothèses sur l'origine de la demande de blé nus en Europe : mauvaise conservation des blés vêtus mondés, facilité d'extraction de la farine en l'absence de glumelles... etc. (au bronze récent du Proche-Orient les céréales vêtues auraient été remplacées par des nues lors d'un changement de climat devenu plus humide), la plus généralisable est que ces blés sont plus adaptés au commerce et au transport car ils se traitent et se conservent plus aisément que les blé vêtus (Véronique Mattrene, 2003) [22],[23],[24]. Une étude de l'usure des meules préhistoriques d'une série de sites néolithiques (2021) montre qu'on doit se garder d'une opposition systématique : pendant une même période chronologique la diversité de la transformation des céréales et des repas céréaliers est constatée [25].

Le riz est la céréale vêtue la plus cultivée (pléonasme signalé par Yoshio Abé puisque le riz n'est jamais nu) [1]. Le riz est une céréale vêtue dont la domestication tient avant tout à l'adaptabilité, la tolérance au milieu et la faible demande en fertilisation : « avantages considérables et uniques parmi les céréales » (J. Guillaume, 2013). Sa consommation a dû être très élevée dès l'origine de sa domestication comme le montre l'étude des restes de Shangshan (Changjiang -Yangtze), VIIIe millénaire av. J.-C. [26],[27]

Influence du caractère vêtu ou nu des céréales et le développement des civilisations

Stockage du blé à Santa María de Huerta, Espagne

François Sigaut (1996) montre, à la suite des travaux du sinologue Joseph Needham, que l'invention du moulin rotatif à grande capacité pour la production de farines de blé tendre - céréale nue - arrive très tôt en Europe (Ier siècle av. J.-C.), suscite les progrès de harnachement animal, l'exploitation de l'énergie hydraulique à l'époque romaine et au Moyen Âge avec comme conséquence lointaine l'industrialisation de l'Europe, quand le pain blanc devient la nourriture de base des urbains[28],[23]. En revanche, en Chine, pas de moulins rotatifs développés mais le tarare (vanneuse bien adaptée au traitement du millet et du riz) qui apparait dès les Han alors qu'ils ne sont pas développés en Occident avant le XVIIe siècle aux Pays-Bas, en connexion avec la production d'orge perlée et en Suisse dans des régions à épeautre et blé vêtu[29]. Le riz et le millet ne se conservent pas après décorticage, ils demandent une préparation quotidienne en petites quantité et des vannages répétés [5],[30].

Vannage du riz au Uttarakhand, Inde

Liens entre la technique de cuisson et la céréale : la cuisson à la vapeur est très tôt toujours dominante en Chine, au Moyen-Orient se développement de fours spécifiques pour la cuisson des pains que les arabo andalous appellent le four romain toujours dominants en Europe [31].

L'architecture des maisons, des silos remplacés par des greniers avec l'arrivée des blés nus, l'outillage agricole est différent selon le besoin de décortiquer les semences ou non avant le semis [27],[23],[32]. Natàlia Alonso a montré que l'évolution des architectures de silos est corrélée avec les preuves archéologiques de changements socio-économiques à long terme au sein de ces communautés agricoles pré et protohistoriques [33]. Selon ses travaux, pour les céréales nues la séparation de la paille et des glumes post-récolte font partie des tâches agricoles (plutôt masculines), les céréales à grain nu devant être conservées habillées sont nettoyées ultérieurement lors des travaux domestiques (torréfaction, décorticage, tamisage) font partie traditionnellement des tâches féminines à petite échelle, masculine à grande échelle, d'où des évolutions sociales qui ont du marquer la paléoéconomie et la paléosociologie et aussi la morphologie (musculation, squelette) des deux sexes [34].

Références

  1. Yoshio Abé, Le « décorticage » du riz: Typologie, répartition géographique et histoire des instruments à monder le riz, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, (ISBN 978-2-7351-1813-7, lire en ligne), p. 31
  2. « Les céréales en Égypte ancienne - Les céréales fondatrices- Les blés - Grains vêtus et grains nus », sur museum.agropolis.fr (consulté le )
  3. Sylvie La Spina et Mathilde Roda, Développer les filières céréales alimentaires en Wallonie, Jambes, Nature & Progrès Belgique, (lire en ligne), Céréales mondées et perlées p.51
  4. Marie-Claire Amouretti et Georges Comet, Hommes et techniques, de l'Antiquité à la Renaissance, Armand Colin (réédition numérique FeniXX), (ISBN 978-2-7062-0518-7, lire en ligne)
  5. (en) François Sigaut (supervision) Roy Ellen, Katsuyoshi Fukui, Redefining Nature: Ecology, Culture and Domestication, Oxford, Berg, , Crops Techniques and Affordances
  6. (en) « Fig. 4. a) Differences between free-threshing cereals (naked wheats and... », sur ResearchGate (consulté le )
  7. (en) L. A. Moritz, « Husked and ‘Naked’ Grain », The Classical Quarterly, vol. 5, nos 3-4, , p. 129–134 (ISSN 1471-6844 et 0009-8388, DOI 10.1017/S000983880001137X, lire en ligne, consulté le )
  8. (en) Ana Delgado et Natàlia Alonso Martínez, « Los trabajos de las mujeres en el mundo antiguo Cuidado y mantenimiento de la vida », Hic et Nunc Institut Català d’Arqueologia Clàssica, (lire en ligne, consulté le )
  9. (de) Hansjörg Küster, Am Anfang war das Korn: Eine andere Geschichte der Menschheit, C.H.Beck, (ISBN 978-3-406-65218-9, lire en ligne)
  10. « paléole — Wiktionnaire », sur fr.wiktionary.org (consulté le )
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  30. Mouette Barboff, Meules à grains: actes du colloque international de la Ferté-sous-Jouarre, 16-19 mai 2002, Les Editions de la MSH, (ISBN 978-2-910728-35-9, lire en ligne)
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  32. Antoine Bourrouilh, Appréhension et qualification des espaces au sein du site archéologique, Publications de la Sorbonne, (ISBN 979-10-351-0009-4, lire en ligne)
  33. Georgina Prats Ferrando, Ferran Antolín i Tutusaus et Natàlia Alonso, « From the earliest farmers to the first urban centres: a socio-economic analysis of underground storage practices in north-eastern Iberia », Antiquity Publication, (ISSN 0003-598X, DOI 10.15184/aqy.2019.153, lire en ligne, consulté le )
  34. (en) Ana Delgado et Natàlia Alonso Martínez, « Los trabajos de las mujeres en el mundo antiguo Cuidado y mantenimiento de la vida », Hic et Nunc Institut Català d’Arqueologia Clàssica Tarragona, (lire en ligne, consulté le )

Voir aussi

  • Stefanie Jacomet. Bestimmung von Getreidefunden aus archäologischen Ausgrabungen, Bâle, Universität Basel, 2006, 61 p. texte en allemand avec d'excellents dessins et schémas
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