Carte postale illustrée et photographique

Histoire de la carte postale illustrée

Dès ses origines, les éditeurs de cartes postales ont eu recours au talent des plus grands artistes de renom. Une signature prestigieuse permettait de conférer à un vulgaire rectangle de papier cartonné la plus-value d'une caution artistique. Concomitamment aux plus célèbres peintres et illustrateurs, les photographes les plus réputés furent mis à contribution afin d'illustrer grâce à leurs clichés des milliers de cartes postales.

Selon la tradition populaire marseillaise, c'est à un simple employé de commerce, Dominique Piazza[1], désireux d'entrer en contact avec des amis partis aux Amériques, que l'on attribue la paternité de la carte postale illustrée. Par ailleurs il était de tradition, lors des rituels de la conscription que les jeunes recrues passent devant le photographe afin de se faire tirer le portrait dans leur tout nouvel uniforme.

La guerre franco-allemande de 1870 et les annexions de l'Alsace-Lorraine ont eu de graves conséquences et les cités de l'Est de la France ont vu, du fait de la présence de grandes concentrations militaires, l'émergence d'une multitude de cabinets de photographie. Nancy, devenue de par sa situation géographique la capitale régionale, vit sa population exploser par l'afflux des populations ayant opté pour la France. Un fameux ingénieur, Henri Bellieni, quitta Metz et vint ouvrir une boutique d'optique et de matériels photographiques en plein cœur de Nancy.

La convergence de ces différents élément fit bientôt de Nancy la plaque tournante internationale de la carte postale illustrée. Au-delà des artistes symptomatiques de l'école de Nancy tels Victor Prouvé ou Henri Bergé, ce sont les imprimeurs Humblot, Royer ou Bergeret qui vont rapidement connaitre un incroyable succès. L'implantation de nombreux régiments induit une multiplication des envois postaux à destination de leurs familles par des jeunes gens venus de tout l'hexagone et désireux d'établir des communications répétées et à moindre coût, c'est tout naturellement la carte postale qui va bénéficier d'un formidable essor.

L'accroissement du tourisme et l'émergence de la réclame commerciale vont doper plus encore le marché de la carte postale. Comme le fait remarquer l'écrivain Georges Duhamel : « L'invention de la carte postale a plus fait pour le tourisme que celle des chemins de fer. »[1]

Logo et entête des Imprimeries Albert Bergeret et Cie. de Nancy.

Le berceau nancéien va devenir le fleuron du berceau de la carte postale illustrée. L'exemple d'Albert Bergeret est, à cet égard, tout à fait significatif.

  • En , il installe à Nancy son premier atelier de phototypie.
  • En 1900, 65 ouvriers y travaillent sur 17 presses qui produisent 25 millions de cartes postales.
  • En 1901 : 30 millions de cartes.
  • En 1905 : Bergeret fusionne avec Humblot et Helminger et forment les célèbres Imprimeries réunies qui produisent alors 90 millions de cartes annuellement.
  • En 1909 : la production annuelle nancéienne atteint 100 millions soit presque le quart de la production nationale ! Les Imprimeries réunies imprimaient à elles seules 500 000 cartes postales par jour.
  • De 1900 à 1930, la production des seules imprimeries de Nancy atteint 3 milliards de cartes.

Le rôle de la photographie

La photographie a joué un rôle déterminant et majeur sur la création de la seconde moitié du XIXe siècle. Les artistes disposent dorénavant d'un merveilleux outil de documentation permettant de stocker, au sein de l'atelier, des images capturées dans le temps et l'espace. Les plus novateurs y découvrent même une liberté d'expression pour leur propre démarche picturale. Ainsi, la construction spatiale de maintes toiles impressionnistes du peintre Charles de Meixmoron[2] renvoie-t-elle aux photographies talentueuses de son beau frère Gaston de Landreville.

Le recours, à cette époque, à une technologie plus que novatrice et de surcroit susceptible de produire des effets plastiques inédits apparaît également inévitable pour un mouvement se définissant comme « moderne ». L'École de Nancy y souscrit donc pleinement. La photographie lui offre la fidélité de la reproduction, une qualité essentielle pour des créateurs qui se penchent sur la nature avec l’œil du botaniste. L'herbier photographique renouvelle l'approche du végétal, désormais considéré à la fois pour ses qualités plastiques et comme motif d'étude. Les portraits anthropométriques de plantes deviennent des documents essentiels de la pédagogie telle qu'Émile Nicolas l'expose dans la revue Art et industrie, puis la pratique avec les élèves de l'école des beaux-arts. Émile Gallé, qui s’intéresse très tôt à la photographie et dont les ateliers sont fixés avec détail, a peut-être pu suggérer cette forme de célébration de la plante. La fonction éducative de l'image, si évidente dans les toiles du méthodique Émile Friant, trouve un ardent partisan en la personne de Victor Prouvé qui exposera ses convictions esthétiques lors d'une conférence au titre significatif « La Photographie documentaire appliquée à l'art décoratif ».

Le rôle d'Henri Bellieni

Jumelles stéréoscopiques 8 x 9 cm inventées par Henri Bellieni.

Issu d'une famille messine ayant opté pour la nationalité française, Henri Bellieni, un fabricant d'instruments de précision installé à Nancy, commence à s’intéresser en 1881 à la production de matériel pour les amateurs. Les jumelles Belliéni[3] qu'il met au point en 1894 sont techniquement très avancées et ne tardent pas à remporter de nombreuses récompenses. Devenues des symboles de la vitalité de la cité, elles se diffusent largement au sein des foyers lorrains. La « Bellieniomanie » comme on l'appelle se répand dans les rangs de la Société lorraine de photographie, une association fondée en 1894 et constituée de ces personnalités bourgeoises qui incarnent, à Nancy, la volonté de progrès. Très admiratifs des sujets intemporels et tremblés des maîtres du Photo-club de Paris, ils exposent régulièrement des images qui suppléent l'absence de spontanéité par une savante mise en œuvre des procédés techniques.

Femme dans le village vosgien. Autochrome de Julien Gérardin

Julien Gérardin, notaire et brillant autochromiste nancéien, dresse entre 1907 et 1916 un répertoire de plusieurs milliers de plaques. Ses sujets sont divers : portraits, paysages des villes et des campagnes, scènes composées et nus[4].

Seuls quelques rares amateurs comme Léopold Silice, un employé du chemin de fer aux aspirations artistiques contrariées par la guerre de 1870, portent un regard plus aigu sur leur environnement journalier, sans jamais atteindre toutefois au document sociologique. Reste au-delà des images gracieuses, servies par un discours esthétisant, un credo en la Nature mère qui interfère avec l'action contemporaine des artistes de l’École de Nancy. Le rapport est clairement établi dans l'album de famille de Victor Prouvé. Dépassant le cadrage purement utilitaire au profit d'une perception plus instinctive, ses images mettent en lumière les sentiments profonds de l'artiste : l'amour des siens, l'intimité des relations quotidiennes, le spectacle de la nature consolatrice. Des rapprochements peuvent être tentés avec des tableaux connus mais l'unité et l'harmonie qui habitent ses photographies en font davantage des œuvres autonomes.

Outil ou moyen d'expression, la photographie suscite des pratiques individuelles et spontanées qui ne laissent pas indifférent. En 1900, Victor Prouvé recouvre une jumelle stéréoscopique d'un décor en palissandre, cuir repoussé, peint et patiné en doré. Le jour et la nuit se partagent avec logique les deux face de ce boitier. Au-delà de la dédicace amicale à Henri Bellieni, cette réalisation unique ne doit elle pas être comprise comme une reconnaissance tacite de l’intérêt pour la photographie et ses instruments au sein de l’École de Nancy ?

Bibliographies

  • A. DUSART et F. MOULIN, Art nouveau : l'épopée lorraine, Strasbourg, la nuée bleue éditions de l'Est, 1998 (ISBN 2-7165-0455-5)
  • F. HERBIN, Lorraine 1900, Nancy, place Stanislas éditions, 2009 (ISBN 2-3557-8032-3)
  • Rapport général sur l'Exposition Internationale de l'est de la France. Nancy 1909, Paris, Berger-Levrault et Nancy, Libraires-Éditeurs, 1912
  • A. QUANTIN, L'Exposition du siècle, édité par la revue Le Monde moderne, rue Saint-Benoît Paris
  • WILLIAM ET FARGE, La Décoration ancienne et moderne, Paris, éditeur Aulanier et compagnie
  • L'Officiel international des cartes postales 1984, Paris, éditions de l'Amateur, 1984.

Références

Liens externes

Interviews

  • Entretiens enregistrés lors de la préparation de l'encyclopédie de la carte postale par François Baudet
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