Cinéma allemand de l'après-guerre

La période du cinéma allemand d'après-guerre est l'histoire du cinéma allemand entre 1945 et les années 1950, après la chute du Troisième Reich et la fin de la Seconde Guerre mondiale, jusqu'à l'établissement de la République fédérale d'Allemagne à l'Ouest et de la République démocratique allemande à l'Est.

Histoire

La guerre laisse une Allemagne exsangue et en ruines. Néanmoins, le critique de théâtre Friedrich Luft se souvient que dès 1946, des spectacles se produisent dans plus de 200 salles de Berlin, alors pourtant en grande partie détruite[1]. En 1944, on comptait au total 6484 salles de cinémas sur le territoire du Reich ; en , sur les 3000 de la zone occidentale, seuls 1150 sont exploitables[2]. Le , 30 salles rouvrent à Berlin[2].

Soviétiques et Américains souhaitent avoir la mainmise sur ce qu'était le cinéma allemand ; grâce à leur immense zone, les premiers s'approprient 70 % des archives, technologies et fonds financiers[1]. Des studios sont démontés et des films envoyés en URSS. Les Soviétiques permettent néanmoins de mettre en route un cinéma d'après-guerre, centralisé, grâce à la Deutsche Film AG (DEFA), fondée le dans la zone Est[1]. Entre 1946 et 1952, il s'agit d'une « société anonyme germano-soviétique », avant de devenir une « entreprise du peuple » (Volkseigener Betrieb)[1]. Les assassins sont parmi nous (Mörder sind unter uns) de Wolfgang Staudte, projeté pour la première fois le , est ainsi le premier film allemand d'après-guerre, et le premier à aborder la « responsabilité individuelle des crimes nazis » ; il remporte un grand succès[3]. Mariage dans l'ombre (Ehe im Schatten, 1947) de Kurt Maetzig, aussi un grand succès, narre la poussée au suicide d'un couple d'acteurs, dont le mari est aryen et la femme est juive[4] (inspiré de la vie de Joachim Gottschalk et Meta Wolff). Sorti en 1949, Rotation de Wolfgang Staudte porte la « symbolique du pardon des aînés envers la jeune génération qui s'est laissée tenter par l’endoctrinement »[4].

Comme le note Nathalie de Voghelae, « entre 1945 et la fin des années 1950, la vie culturelle et artistique de l'Allemagne de l’Est ne se différencie pas de celle de l’Allemagne de l'Ouest, malgré la volonté des gouvernements respectifs »[5]. L'unicité de la langue allemande et les frontières encore poreuses permettent une circulation assez libre de la littérature et même des ondes radios. « Face à une continuité de certains acquis culturels nazis, on note une résurgence de la vie culturelle de la République de Weimar. À ces deux courants s'ajoutent également les apports des pays étrangers (et la culture des occupants) ainsi que la découverte ou la redécouverte des œuvres interdites sous Hitler »[5].

Les progrès technologiques réalisés par le Troisième Reich en matière de réalisation cinématographique se poursuit après guerre[5]. On note même une « continuité esthétique » par rapport au cinéma du Troisième Reich[4] : elle s'explique par le manque de moyens pour développer une nouvelle façon de faire et par la nécessite de ne pas chambouler encore davantage ce mode de distraction, qui avait surtout produit récemment des films à grand spectacle.

Zone soviétique et début de la RDA

En 1949, la fondation de la RDA oriente le cinéma de l'Europe de l'Est « comme une arme au service de la lutte des classes »[4]. Ainsi, Romance d'un jeune couple de Kurt Maetzig (Roman einer jungen Ehe, 1952) amène l'héroïne à chanter un panégyrique à Joseph Staline : « Mais comment peut-on mourir alors que Staline nous a pris par la main et nous a dit de garder fièrement la tête haute. […] La vie revenait dans la ville. C'est vers Staline que nous conduira la route empruntée par nos amis. Jamais plus nos fenêtres ne refléteront les flammes. Comment remercier Staline ? Nous avons donné son nom à cette avenue »[6]. Néanmoins, les réalisateurs conservent une certaine marge de manœuvre et les autorités relèvent, comme sous le Troisième Reich, que les films idéologiques intéressent peu le public[6], ce qui ne les empêchent pas de mettre les « arts en général au service de [leur] cause »[7]. On note, à cette époque, la réalisation de coproduction ouest et est-allemands, comme Die Buddenbrooks[8]. Le durcissement idéologique est définitif après 1957, « de nombreux artistiques [étant] rappelés à l'ordre pour leur révisionnisme. Walter Ulbricht demande même aux artistes et aux intellectuels de coopérer davantage à la construction du socialisme »[7]. Après 1961 et la construction du mur de Berlin, la coopération entre les deux cinémas devient, de facto, impossible.

Zones occidentales et début de la RFA

Dans la zone ouest, le cinéma est d'abord « [condamné] à l'inactivité et aux emplois de remplacement qui consistent à distraire les troupes en créant des soirées cabaret pour les soldats de l'occupation »[9]. Les Américains « [refusent] d'étudier les propositions de réalisations que leur soumettent les réalisateurs allemands ». Dans les zones occidentales, la UFA est décartellisée et reprivatisée[9]. Selon qu'on se trouve en zone américaine, britannique ou française, les politiques sont parfois différentes, mais se rejoignent sur la nécessité d'ouvrir le marché allemand aux productions des pays Alliés[9]. Pour Klaus Kreimeier, les Américains veulent que le peuple soit « collectivement dénazifié et rééduqué pour retrouver un esprit et des mœurs démocratiques »[8]. Les goûts Américains ne sont néanmoins pas partagés par tous, et Klaus Kreimeier de noter : « quand, douze années durant, on avait eu Siegried comme héros cinématographique, on ne pouvait pas comprendre que le monde était plein de petites gens qui ressemblaient à John Garfield, pensaient comme Spencer Tracy et agissaient comme James Cagney »[10].

La règle de l'« autorisation préalable » est alors de rigueur[10] pour les personnes (réalisateur, monteur, acteur) voulant re-travailler dans le secteur : ils doivent répondre à trois questionnaires statuant sur leurs opinions politiques, le gouvernement militaire décidant in fine de leur réincorporation. Ils créent le Film Control Officer, une organisation composée de « spécialistes allemands » recensant tous les biens cinématographiques de l'ancien régime (cinémas, centre de productions, entreprises affiliées, etc.)[8]. Erich Pommer, chef de la production de la UFA entre et , exilé aux États-Unis dès 1933 et naturalisé américain, en prend la tête. La Lex UFI, promulguée le dans les zones américaine et britannique, « doit encourager l'industrie cinématrographique en évitant toutes les orientations non démocratiques »[8]. Des studios sont mis aux enchères, et pour éviter de futurs conglomérats, il est interdit d'en acheter plus d'un ainsi que plus de trois salles de cinéma. Ces mesures sont vivement critiquées par le gouvernement de la RFA ainsi que par le secteur cinématographique qui est à la fois submergé par les productions Alliées et incapable, avec de si petits studios, de rivaliser avec elles en quantité comme en qualité[10]. La loi fédérale du consacrera la décartellisation du cinéma ouest-allemand[10]. En 1956, la UFA sera refondée, placée sous la direction de la Deutsche Bank et dirigée par Arno Hauk.

Les premiers films réalisés sont alors surtout des « passeurs », c'est-à-dire des films commencés à la fin du Troisième Reich et terminés après la guerre : ne comportant pas d'empreinte idéologique, ils peuvent être diffusés, comme Dis la vérité (Sag die Wahrheit, 1946) de Helmut Weiss[11] ou Et au-dessus de nous le ciel (Und über nous der Himmel, 1946) de Josef von Báky[12]. Les premiers studios autorisés sont « Camera Film GmbH » et « Studio 45 » en zone britannique et « Central Cinema Company-Film » (d'Artur Brauner) en zone française[11]. Les Soviétiques utilisent les anciens studios de la UFA, alors on en crée de nouveaux à Göttingen, Wiesbaden et à Munich, où on redonne leur souffle aux Bavaria Filmstudios[13]. Les mesures prises par les Américains (notamment le délai pour les autorisations) sont assouplies dès 1947 (cette année-là, 11 films sont distribués dans les zones ouest et en 1949 une cinquantaine), ce qui permet à un grand nombre de personnes (acteurs de premiers plan, comme personnel technique) ayant travaillé sous le Troisième Reich de pouvoir re-tourner à l'image du réalisateur Wolfgang Liebeneiner (voir notamment Liebe 47)[14]. À ce sujet, Klaus Kreimer note qu'« on trouvait parmi eux des compromis et des non compromis, d'anciens partisans du régime et des dissidents silencieux, des suivistes tièdes et des adversaires convaincus de la dictature hitlérienne ; mais ils étaient unis dans le souhait de produire enfin, à nouveau, des films apolitiques qui devraient aider la population indigente et démoralisée à oublier sa détresse pour quelques heures »[12] : ainsi entre 1946 et 1948, 28 films sont tournés dans les zones ouest et emploient quasiment que de l'« ancien » personnel[12].

Un accord cinématographique franco-allemand facilite la distribution en Allemagne des films français, maintenant très souvent doublés, comme Barbe-Bleue de Christian-Jacque (1951) Lola Montès de Max Ophüls (1955) ; le film Les Aventures de Till l'espiègle (1956) est un des rares films à évoquer la Résistance du côté français et allemand, sous une couverture historique se déroulant au XVIe siècle[12]. Dans les années 1950, 12 % des films ouest-allemands sont des coproductions, dans les années 1960, il y en a 37 %, principalement avec la France[12]. Néanmoins, aucun film allemand n'est tourné en France[12]. Des artistes allemands travaillent en France, comme Curd Jürgens et Gert Fröbe dans Les héros sont fatigués (1955) ou Romy Schneider dans Plein Soleil (1959)[12]. En 1956, on compte 6438 cinémas en RFA[12], environ 200 compagnies de production et 85 distributeurs ; mais les films allemands sont avant tout destinés à une diffusion nationale et ne s'exportent guère, alors que l'hégémonie cinématographique occidentale augmente[13]. De nouvelles vedettes apparaissent, comme Maria Schell, Hildegard Knef ou Hardy Krüger[13]. Pour dynamiser le secteur, le Festival international du film de Berlin est créé en 1951 par les Alliés qui voulaient établir ainsi une « vitrine du monde libre » ainsi que d'autres prix, comme le Kaschenschimmel du magazine Filmblätter ou le Bambi du Film-Revue[15].

Le renouveau du cinéma allemand est bien réel, mais pas aussi grand qu'espéré : Arno Hauk quitte donc son poste à la UFA en 1960. 571 films auront été réalisés entre 1945 et 1960 en zone ouest puis en RFA, dont les thèmes ont surtout trait à la Seconde Guerre mondiale, les ruines de l'après-guerre, les comédies et les opérettes, l'histoire, l’exotisme, les films policiers[16]. En même temps, la télévision prend son envol, l'ARD étant fondée en 1950.

Notes et références

  1. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 173.
  2. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 174.
  3. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 176.
  4. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 177.
  5. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 160.
  6. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 178.
  7. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 179.
  8. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 182.
  9. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 181.
  10. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 183.
  11. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 184.
  12. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 185.
  13. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 187.
  14. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, page 186.
  15. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, pages 187 et 188.
  16. Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001, pages 188 et 189.

Voir aussi

Bibliographie

  • Nathalie de Voghelae, Le cinéma allemand sous Hitler, L’Harmattan, 2001.

Articles connexes

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