Circuit du Trésor

Le circuit du Trésor est un circuit de financement macroéconomique particulièrement utilisé en France entre les années 1940 et les années 1960. Il permettait à l’État de capter des capitaux nécessaires à son endettement de court terme. L'augmentation importante des déficits publics et l'abondance de capitaux de long terme sur les marchés financiers ont conduit à le rendre déficient. Passé au second plan à partir des années 1960, il finance aujourd'hui environ 10 % du déficit public.

Histoire

Une création pour pallier le manque de capitaux

La Seconde Guerre mondiale laisse l'État français exsangue, posant avec force la question des moyens de financement de l'économie française en vue de sa reconstruction. L'étroitesse des marchés financiers de l'époque empêche à l’État de s'approvisionner en capitaux dans les proportions nécessaires. Le ministère des Finances met alors en place une architecture économique appelée « circuit du Trésor ». L’État finance ses découverts temporaires en drainant l'épargne des particuliers, déposée dans les comptes de dépôts des banques commerciales, ainsi que dans les réserves de ces banques[1].

La captation par la Direction générale du Trésor des dépôts permet à l’État d'éviter de recourir au financement monétaire de la Banque de France[2]. Celle-ci pouvait faire des avances à l’État (avances de la Banque de France), mais le montant, trop faible pour couvrir toutes les dépenses et pouvant générer de l'hyperinflation, était encadré par le Parlement français[3].

La loi oblige à partir de les établissements bancaires à détenir une partie importante des titres de dette de la France dans leur portefeuille de liquidités. La part des bons du Trésor qu'ils détiennent ne peut descendre en deçà d'un « plancher » déterminé par la loi, qui s'exprime en proportion des dépôts détenus par les banques. Il s'agit à partir de janvier 1949 d'un taux minimum égal à 95% du montant de leur portefeuille.

Financé par les banques commerciales, l’État dispose d'entrées permanentes de liquidité. Ainsi, en 1955, le Trésor français est le premier collecteur de fonds du pays, avec 695 milliards de francs collectés, contre 617 pour le secteur bancaire. La contrepartie de ce système est de renforcer l'inflation, qui diminue le pouvoir d'achat des Français, que les fonds ne peuvent être utilisés que sur le court terme, et dans la limite des liquidités disponibles[4].

Des déficiences provoquant un abandon progressif

Les conséquences économiques du circuit du Trésor conduisent à son abandon progressif[5]. L'augmentation des dépenses publiques nécessite pour l’État de disposer de fonds de long terme, alors que le circuit du Trésor ne permet que des prêts de court terme[6].

La nécessité pour les banques de détenir l'équivalent de leurs réserves en dette publique les limite et provoque un effet d'éviction à l'égard des entreprises. Des réformes sont donc menées dans les années 1960 afin de réduire le taux plancher de 95% à 25% en 1956. Il atteint 5% en 1965. La réforme Debré-Haberer de 1966-1967 supprime le plancher, mettant fin en pratique au circuit du Trésor[1].

L'augmentation des volumes échangés sur le marché financier permet à l’État de se tourner vers une modalité de vente des titres de dette par adjudication, c'est-à-dire par mise aux enchères, à partir de 1963. Plusieurs dispositions de la loi de 1966 aboutissent à un élargissement du marché financier, avec une ouverture aux compagnies d'assurances, aux organismes de retraite, à la Caisse nationale de crédit agricole, etc., qui permettent à l’État de se financer à moindre coût, abondamment, et sans générer de l'inflation[1].

Afin de limiter l'inflation, enfin, la loi sur la Banque de France de 1973 conduit à une redéfinition des rapports entre la Direction du Trésor et la Banque de France : la première peut obtenir des avances de la seconde, mais le montant doit être approuvé par un vote du Parlement.

Le circuit du Trésor sera adopté dans certaines anciennes colonies françaises avec des réussites diverses[7]. S'il est encore utilisé en France aujourd'hui, les correspondants du Trésor n'apportent plus que moins de 10 % du financement du déficit public[8].

Fonctionnement

Une méthode de captation de l'épargne

Un État dispose de plusieurs solutions de financement en cas de déficit. Il peut mener des emprunts nationaux afin que la population lui prête les ressources nécessaires à son fonctionnement ou à un investissement. Il peut également bénéficier d'avances de la banque centrale, mais cela fait croître la masse monétaire, et donc, potentiellement, l'inflation[9]. Enfin, il a la possibilité d'orienter de manière plus ou moins forcée l'épargne nationale privée vers des emprunts publics. Le circuit du Trésor est fondé sur cette dernière option[10].

Une architecture financière ad hoc

Le Trésor se situait au centre et en surplomb du réseau des banques et institutions financières françaises, qu'elles fussent publiques ou privées[11]. Les membres de ce réseau sont appelés « correspondants du Trésor »[12]. Le réseau, cloisonné, est permis par la coexistence d'un tissu bancaire divers collectant une épargne abondante : banques coopératives et mutualistes, banques de prêts à long terme, etc.[13]

Lorsque l’État s'endettait, les banques commerciales étaient contraintes d'acheter les bons du Trésor en proportion de leur portefeuille total ; il s'agissait donc d'une forme d'emprunt forcé[14]. En achetant ces bons au Trésor, elles faisaient transiter leurs fonds vers lui ; la Direction du Trésor captait alors les dépôts considérables des banques commerciales françaises, notamment des particuliers, afin de fournir l’État en liquidités[15]. Le circuit peut toutefois se dérégler et le Trésor se trouver dans l'impossibilité de trouver les ressources nécessaires pour assurer le financement qui lui est demandé, ce qui arrive à plusieurs reprises[16].

Limites

Inflation

Le circuit du Trésor a été critiqué en interne au sein du ministère des Finances pour sa propension à générer de l'inflation. En réalité, c'est les déficits de l’État et le financement monétaire de la dette publique qui, en faisant augmenter la masse monétaire, produisent de l'inflation à la mesure de la dette publique. Un circuit du Trésor complété par la Banque de France causait ainsi de l'inflation, quoique cela ne soit pas substantiel au circuit du Trésor lui-même[3].

Effet d'éviction

L'économiste Laure Quennouëlle-Corre remarque que le circuit du Trésor, parce qu'il captait une partie importante des ressources des banques commerciales, limitait la capacité des banques à financer les entreprises et l'investissement privé. Cela produisait un « effet d'éviction des valeurs publiques sur le marché des emprunts », qui « est d'autant plus fort que l'État propose des produits avantageux fiscalement »[17].

Références

  1. Delorme, Robert., L'etat et l'economie : un essai d'explication de l'evolution des depenses publiques en France : (1870-1980), Éditions du Seuil, (ISBN 2-02-006368-9 et 978-2-02-006368-5, OCLC 300927509, lire en ligne)
  2. Benjamin Lemoine, « Dette publique, débat confisqué », La Vie des idées, (lire en ligne, consulté le )
  3. Laure Quennouëlle-Corre, La direction du Trésor 1947-1967: L’État-banquier et la croissance, Institut de la gestion publique et du développement économique, (ISBN 978-2-8218-2858-2, lire en ligne)
  4. Laure Quennouëlle-Corre, « Chapitre V. 1947-1958 : monnaie et crédit au service de la trésorerie », dans La direction du Trésor 1947-1967 : L’État-banquier et la croissance, Institut de la gestion publique et du développement économique, coll. « Histoire économique et financière - XIXe-XXe », (ISBN 978-2-8218-2858-2, lire en ligne), p. 243–299
  5. OECD Journal on Budgeting (lire en ligne)
  6. Emile James, « François Bloch-Lainé et Pierre de Vogue, Le Trésor public et le mouvement général des fonds », Annales, vol. 17, no 1, , p. 196–197 (lire en ligne, consulté le )
  7. D. Bouley, J. Fournel et Luc Leruth, « Comment fonctionnent les systèmes du Trésor dans les pays francophones de l'Afrique subsaharienne », Revue de l'OCDE sur la gestion budgétaire, vol. 2, no 4, , p. 57–95 (DOI 10.1787/budget-v2-art22-fr, lire en ligne, consulté le )
  8. « Budget de l'État | Agence France Trésor », sur www.aft.gouv.fr (consulté le )
  9. « Le lien entre monnaie et inflation depuis 2008 », sur Banque de France, (consulté le )
  10. « La dette publique de la France : un poids du passé, un défi pour l'avenir », sur www.senat.fr (consulté le )
  11. Dominique PLIHON, La monnaie et ses mécanismes, LA DECOUVERTE, (ISBN 978-2-7071-6148-2, lire en ligne)
  12. Alain Beitone et Estelle Hemdane, Dictionnaire de science économique, (ISBN 978-2-10-079956-5 et 2-10-079956-8, OCLC 1137787081, lire en ligne)
  13. Laure Quennouëlle-Corre, « Les réformes bancaires et financières de 1966‑1967 », dans Michel Debré, un réformateur aux Finances, 1966-1968, Institut de la gestion publique et du développement économique, coll. « Histoire économique et financière - XIXe-XXe », (ISBN 978-2-11-129418-9, lire en ligne), p. 85–117
  14. Pierre François et Claire Lemercier, Sociologie historique du capitalisme, La Découverte, (ISBN 978-2-348-05983-4, lire en ligne)
  15. Michel Lelart, L'Émmission de monnaie dans l'économie française, Nouvelles Editions Latines, (lire en ligne)
  16. Hubert Brochier, Finances publiques (institutions financières), Éditions Cujas, (lire en ligne)
  17. Laure Quennouëlle-Corre, « Dette publique et marchés de capitaux au xxe siècle : le poids de l’État dans le système financier français », dans La dette publique dans l’histoire : « Les Journées du Centre de Recherches Historiques&nbsp» des 26, 27 et 28 novembre 2001, Institut de la gestion publique et du développement économique, coll. « Histoire économique et financière - XIXe-XXe », (ISBN 978-2-8218-2833-9, lire en ligne), p. 445–472
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