Communauté de la Vallée Heureuse

La communauté de la Vallée Heureuse (Happy Valley set) est un groupe hédoniste d'aristocrates anglais et anglo-irlandais, complété par quelques aventuriers, qui colonisent la vallée de la Wanjohi, surnommée « Vallée Heureuse », située près des monts Aberdare, dans ce qui est à l'époque le Kenya colonial, entre les années 1920 et 1940. Dans les années 1930, le groupe devient célèbre pour son mode vie décadent sur fond de consommation de drogue et de promiscuité sexuelle[1].

Histoire

La région autour de Naivasha est l'une des premières à être massivement colonisée par des Blancs, dont certains restent après l'indépendance, au point qu'on l'appelle, aujourd'hui encore, white highlands terres des Blancs » ou « hautes-terres des Blancs »), c'est la zone de chasse privilégiée de la communauté[2], constituée d'« aristocrates mus par un goût immodéré de la chasse, de l’alcool et du sexe[3]. » La ville de Nyeri, à l'Est des monts Aberdare, est le cœur de la communauté[4].

Les membres notables de la communauté sont Hugh Cholmondeley, 3° Baron Delamere et son fils, Thomas Cholmondeley (4e baron Delamere), Denys Finch Hatton, amant de Karen Blixen, Bror von Blixen-Finecke, époux de la précédente, Jock Delves Broughton et son épouse, Diana Delves Broughton, Josslyn Hay, 22e comte d'Erroll, Idina Sackville, Alice, comtesse de Janzé et son mari le comte Frédéric de Janzé.

Ulf Aschan, auteur d'une biographie de Bror Blixen, décrit les colons de la manière suivante : « Vifs, séduisants, bien élevés [...] les membres de la communauté d'Happy Valley ne cessaient de chercher à se divertir, le plus souvent par l'alcool, la drogue et le sexe[trad 1],[5]. » Le mode de vie afférent est caractérisé par les « 3 A » : Altitude, Alcool et Adultère[6],[7].

L'apogée de la communauté se situe au début des années 1920. La récession de 1929 fait que l'arrivée de nouveaux colons ainsi que l'afflux de nouveaux capitaux sont drastiquement réduits. Néanmoins, en 1939, le Kenya abrite une communauté de Blancs d'environ 21 000 personnes[réf. nécessaire].

Au milieu des années 2000, des descendants des colons de la Vallée Heureuse apparaissent dans l'actualité du fait des ennuis judiciaires de Tom Cholmondeley (en), arrière-petit-fils de Lord Delamere, un des piliers de la communauté[3],[1].

Lieux

La région autour de Naivasha est l'une des premières à être colonisée par les Blancs ; la vallée de la Wanjohi devient la zone de chasse des colons de la Happy Valley[8],[2],[9]. Geoffrey Buxton, le premier colon de la zone, est venu de l'aride vallée du Grand Rift, fuyant ses rivières étiques et son vent poussérieux ; trouvant l'endroit idéal pour l'agriculture, il le surnomme Vallée Heureuse[10]. Certains membres vivent dans la ville de Gilgil, au nord du lac Elmenteita[11].

La ville de Nyeri, à l'est des monts Aberdare, est le cœur de la communauté[4]. La ville baigne dans une atmosphère rappelant un village anglais endormi, impression renforcée par l'air frais et la brume matinale[4]. À Nyeri, l'hôtel Outspan abrite les activités de la communauté ; l'hôtel devient plus tard un lieu de « pèlerinage » pour le mouvement scout[4] car un petit chalet sur le terrain de l'hôtel fut la dernière habitation de Robert Baden-Powell, fondateur du scoutisme[4].

Dans la culture

Les agissements de la communauté sont romancés dans le film Sur la route de Nairobi, de 1987 qui traite du meurtre, en 1941, de Josslyn Hay, 22e comte d'Erroll, et du procès de Jock Delves Broughton, accusé du meurtre[12]. Paraissent aussi des livres, dont Child of the Happy Valley, mémoires de Juanita Carberry, adolescente à l'époque, impliquée dans l'affaire Erroll[13], et The Bolder, de Frances Osborne (en), biographie de son arrière-grand-mère, Idina Sackville[14].

En 1999, la télévision britannique produit une mini-série, Heat of the Sun, qui traite de la vie des habitants de la Vallée Heureuse[15].

La vallée et le meurtre d'Erroll servent aussi d'inspiration à un livre policier de 2019, Love and Death Among the Cheetahs[16] et l'auteure irlandaise Lucinda Riley romance la vie de quelques personnalités de la communauté dans son livre La Sœur du soleil[17].

Personnalités

Hugh Cholmondeley, 3e baron Delamere

Parmi les premiers colons britanniques en Afrique de l'Est, se trouve Hugh Cholmondeley, 3e baron Delamere (1870–1931), considéré comme le fondateur de la communauté, impliqué dans les divertissements hédonistes qui font la réputation sulfureuse de la communauté[7]. En 1906, il acquiert une grande ferme, le Soysambu Ranch[18]. Il contribue significativement au développement de l'agriculture kényane et il devient le meneur de la communauté blanche[19]. C'est, dans le même temps, un connaisseur et un admirateur de la société des Maasaï[20].

Josslyn Hay, 22e comte d'Erroll

Écossais, et coureur de jupons notoire, Josslyn Victor Hay, 22e comte d'Erroll (1901–1941) abandonne sa carrière diplomatique et scandalise la « bonne société » lorsqu'il s'éprend d'une femme mariée, Lady Idina Sackville ; en 1923, il l'épouse après qu'elle a divorcé, et, en 1924, le couple s'installe dans la Vallée Heureuse, devenant le couple leader de la communauté. Leur maison, Slains, devient le centre de la vie sociale notamment du fait des « orgies » qu'elle abrite. Idina divorce cependant en 1929, car son mari a contracté des dettes en son nom[21]. D'Erroll est engagé dans une relation avec Molly Ramsay-Hill, qu'il épouse en 1930. En 1934, il rejoint la British Union of Fascists. En 1939, il est captain au Kenya Regiment et occupe un poste de « secrétaire militaire » pour l'Afrique de l'Est en 1940[22].

En 1939, Molly, la femme d'Erroll, décède. Au début de l'année 1940, il rencontre Diana, la jeune épouse de Jock Delves Broughton et ils engagent une relation intime[23]. En , Josslyn Hay est retrouvé dans sa voiture, sur la route près de Nairobi, tué d'une balle dans la tête. Le mari trompé, Delves Broughton, est soupçonné mais il est acquitté lors du procès. Plusieurs livres et films, notamment Sur la route de Nairobi, sont écrits sur le meurtre qui reste officiellement non résolu[24].

Lady Idina Sackville

Aristocrate britannique, fille du 8e comte De La Warr et cousine de la poètesse Vita Sackville-West[25], Myra Idina Sackville (1893–1955) scandalise la « bonne société » lorsqu'elle divorce de son premier mari, Euan Wallace, perdant le droit de voir ses deux fils, lesquels seront tués durant la Seconde Guerre mondiale[26]. Idina abandonne son second mari, le capitaine Charles Gordon pour Josslyn Hay, futur comte d'Erroll, de huit ans son cadet[25]. Ils se rendent au Kenya en 1924, devenant des pionniers du mode de vie décadent de la Vallée Heureuse. Idina se fait connaître en abritant dans sa demeure des soirées, pleines d'alcool, de drogues et de sexe. On prétend qu'elle recevait ses invités nue dans une baignoire d'onyx vert[27]. Après son divorce d'avec le comte d'Erroll, elle se marie deux fois encore[28],[29],[25]. Elle meurt en 1955[25].

Alice de Janzé

Née Alice Silverthorne (1899–1941), Alice de Janzé est la riche héritière d'une famille de Chicago et Buffalo, fille d'un industriel du textile et nièce du magnat de l'agro-alimentaire J. Ogden Armour. Elle vit à Paris au début des années 1920, mariée au comte Frédéric de Janzé. Le couple rencontre Josslyn Hay, comte d'Erroll, et sa femme, Idina, à Paris. Ces derniers invitent les de Janzé à les rejoindre au Kenya en 1925 et 1926. Les deux couples sont voisins pendant plusieurs mois. Alice entame une relation amoureuse avec Lord Erroll, puis avec Raymond de Trafford. Lorsqu'ils reviennent à Paris, Alice abandonne son mari pour Raymond[30],[31].

Alice fait les gros titres de la presse en 1927, lorsqu'elle tire sur Raymond de Trafford puis sur elle-même car il lui avait annoncé ne pas pouvoir l'épouser à cause de sa famille[32],[33],[34]. Elle est jugée à Paris et obtient un verdict extrêmement clément[35] avant d'être graciée[36]. Elle retourne au Kenya, mais on lui demande d'en partir, considérée comme indésirable[37]. En 1932, elle épouse Raymond de Trafford en France, mais le mariage ne dure que quelques mois[38]. Elle retourne ensuite dans la Vallée Heureuse. Dépressive et dépendante à la morphine[39], elle reste au Kenya jusqu'à son suicide en 1941[40]. Avant sa mort, elle avait été suspectée de l'assassinat de Lord Erroll[41].

Frédéric de Janzé

Aristocrate breton, Frédéric de Janzé est connu en tant que sportif. À l'invitation de Josslyn et Idina Hay, il se rend avec sa femme, Alice, dans la vallée de la Wanjohi, en 1925, où il passe plusieurs mois à chasser le lion. Il a une relation amoureuse avec Idina, tandis qu'Alice en entretient une avec Josslyn[42],[41]. En 1926, il retourne au Kenya avec Alice ; cette dernière tombe amoureuse de Raymond de Trafford et les deux s'enfuient brièvement[43]. Après la tentative de meurtre d'Alice sur de Trafford, à Paris, en 1927, le couple divorce[44],[45],[46]. Frédéric écrit ses mémoires, Vertical Land, dans lesquels il consigne ses impressions sur plusieurs des habitants de la Vallée Heureuse. En , il se marie avec Genevieve Willinger, de Washington, veuve de Thomas Jefferson Ryan[47],[48]. Il meurt en 1933, à l'âge de 37 ans[49],[50].

Sir John Jock Delves Broughton

Aristocrate britannique, Jock Delves Broughton (1883–1942) se rend au Kenya avec sa femme Diana, née Caldwell, de trente ans sa cadette. Elle entretient immédiatement une relation publique avec Josslyn Hay, comte d'Erroll. Ce dernier est assassiné en et Delves Broughton est accusé du meurtre, mais acquitté faute de preuves et sur le fondement de considérations balistiques[51]. Juanita Carberry, fille de John Carberry (10e baron Carbery), affirme que Delves Broughton lui aurait confessé le meurtre peu de temps avant son arrestation[52].

Jock Delves Broughton retourne en Angleterre en 1942, où il se suicide[53],[54].

Notes et références

Citations originelles

  1. (en) « Witty, attractive, well-bred […] Happy Valleyites were relentless in their pursuit to be amused, more often attaining this through drink, drugs, and sex. »

Références

  1. (en) « Storm clouds over Happy Valley », The Telegraph, (lire en ligne)
  2. (en) « Naivasha, Kenya (tourist information) », go2africa.com,
  3. Chris McGreal, « Le monde perdu des aristocrates du Kenya », Mail & Guardian via Courrier International, (lire en ligne)
  4. (en) « Cultural Safari concerning Aberdare & Happy Valley settlers », MagicalKenya.com,
  5. Ulf Aschan, The Man Whom Women Loved. The life of Bror Blixen, New York, St. Martin's Press, (ISBN 9780312022495, lire en ligne ), p. 142-144
  6. Fox 2012, p. 4.
  7. (en) Nick Scott, « Altitude sickness: the Happy Valley set », The Rake, (lire en ligne).
  8. Jean de la Guérivière, « Des Anglais tranquilles », Le Monde, (lire en ligne)
  9. (en) Comte de Janzé, Vertical Land, Benediction Classics, (1re éd. 1928) (lire en ligne), « Happy Valley »
  10. Barnes 2013.
  11. Fox 2012, p. 35.
  12. Adrien Jaulmes, « Petits meurtres entre aristocrates débauchés au Kenya », Le Figaro, , p. 16 (lire en ligne) — Pendant que Londres est bombardée par la Luftwaffe, quelques privilégiés mènent dans les vertes collines d'Afrique de l'Est une joyeuse vie de luxe et de débauche.
  13. Carberry et Tyrer 1999.
  14. Osborne 2009.
  15. (en) David Zurawik, « Life and sybaritic times in Happy Valley », The Baltimore Sun, (lire en ligne)
  16. (en) « Love and Death Among the Cheetahs. By Rhys Bowen », Penguin Random House
  17. « La sœur du soleil. Happy Valley », sur fr.lucindariley.co.uk,
  18. (en) Bartle Bull, Safari: A Chronicle of Adventure, Penguin Books, , p. 188.
  19. (en) Anthony John Hughes, East Africa: Kenya, Tanzania, Uganda, Penguin, , p. 275.
  20. (en) « Lord Delamere: Pioneer and Leader in Kenya », The Times, Londres, (lire en ligne).
  21. Fox 2012, p. 44.
  22. Fox 2012, p. 289.
  23. (en) Judith Woods, « Revealed: the White Mischief murderer », The Telegraph, (lire en ligne)
  24. (en) Errol Trzebinski, The Life and Death of Lord Erroll, Fourth Estate, .
  25. (en) « De La Warr, Earl (GB, 1761) », sur cracroftspeerage.co.uk, Heraldic Media Limited (consulté le )
  26. (en) « Euan Wallace, 48, British Official Minister of Transport Under Chamberlain and World War Hero Dies in England », The New York Times, (lire en ligne, consulté le )
  27. (en) Liesl Schillinger, « Celebrating Scandal », The New York Times, (lire en ligne)
  28. (en) « To wed after 3 divorces; Idina, Countess of Erroll, Will Marry Donald Halderman », The New York Times, (lire en ligne)
  29. (en) « Countess weds 4th time; Divorced Wife of Earl of Erroll Marries Again in England. », The New York Times, (lire en ligne)
  30. (en) Erroll Trzebinski, The Life and Death of Lord Erroll, Fourth Estate, , p. 76
  31. (en) « She Loved Him, Shot Him, Married Him, Divorced Him », The Oakland Tribune,
  32. (en) « American Countess Shoots Self After Woonding Admirer », The Washington Post,
  33. (en) « Society Girl Shoots Lover and Herself », The Hartford Courant,
  34. (en) « Paris Shooting Led to Despair », Los Angeles Times,
  35. (en) « Chicago Countess Who Shot Lover and Herself Gets Off With a 4$ in French Court », The New York Times,
  36. (en) « Frees Countess de Janzé », The New York Times,
  37. (en) James Fox, White Mischief, Random House, , p. 47
  38. (en) Frances Osborne, The Bolter, Knopf, , p. 189
  39. Osborne 2009, p. 213.
  40. (en) « Verdict of Suicide Returned in Death of Armour Niece », The Milwaukee Journal,
  41. (en) Frances Osborne, « Sex Games and Murder in Idina's Happy Valley », Times Online, (lire en ligne)
  42. Osborne 2009, p. 132.
  43. Fox 1983, p. 42.
  44. (en) Paul Spicer, « The Shooting at the Gare du Nord », Vanity Fair, (lire en ligne)
  45. (en) « Count de Janzé Divorces Wife, Who Shot Man », Chicago Tribune,
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  47. Spicer 2010.
  48. (en) « Mrs Ryan weds Count de Janze », The New York Times, (lire en ligne)
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  50. (en) « De Janze, Frédéric Jacques, Count », sur europeansineastafrica.co.uk (consulté le )
  51. (en) Judith Wood, « Revealed: the White Mischief murderer », The Daily Telegraph, (lire en ligne) .
  52. (en) Ann Marie Hourihane, « Drink, drugs and death: Juanita Carberry's Happy Valley childhood », The Irish Times, (lire en ligne)
  53. (en) « Inquest on Sir Jock Delves Broughton », The Times, .
  54. (en) Christine Stephanie Nicholls, Red Strangers: The White Tribe of Kenya, Timewell Press, (ISBN 1-85725-206-3).

Bibliographie

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  • Christopher Alan Bayly, Réinventer le monde moderne (1900-2015), Éditions de l'Atelier, (lire en ligne), p. 211 (?).
  • (en) Juliet Barnes, The Ghosts of Happy Valley: Searching for the Lost World of Africa's Infamous Aristocrats, Aurum, (lire en ligne).
  • Bernard Calas, « Mondialisation, Clusterisation et recyclage colonial. Naivasha, laboratoire d’une Afrique émergente », EchoGéo, no 26, (DOI doi.org/10.4000/echogeo.13586, lire en ligne).
  • (en) Christine Stephanie Nicholls, Red Strangers: The White Tribe of Kenya, Timewell Press, (lire en ligne).
  • (en) Mark Warwick, « Happy valley », Quadrant, vol. 32, no 12, , p. 60-62 (lire en ligne).
  • (en) Dane Keith Kennedy, Islands of White: Settler Society and Culture in Kenya and Southern Rhodesia, 1890-1939, Duke University Press, (lire en ligne).
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  • (en) Elspeth Huxley, The Flame Trees of Thika: Memories of an African Childhood, Penguin, (1re éd. 1959) (ISBN 1101651393).
  • (en) Frances Osborne, The Bolter, Knopf Doubleday Publishing Group, (ISBN 030727232X).
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