Conradin

Conrad de Hohenstaufen[1], dit Conradin (en italien : Corradino), né le 1252 au château de Wolfstein près de Landshut en Bavière et mort décapité le 1268 à Naples, est le dernier représentant légitime de la maison de Hohenstaufen, fils du roi Conrad IV et Élisabeth de Bavière. Il hérite notamment du royaume de Sicile (sous le nom de Conrad II), du royaume de Jérusalem (sous le nom de Conrad III) et du duché de Souabe (sous le nom de Conrad IV) en 1254. Dernier descendant masculin des Hohenstaufen en ligne directe, il est exécuté sur l'ordre de Charles Ier d'Anjou alors qu'il a à peine 16 ans.

Pour les articles homonymes, voir Conrad III, Conrad et Conradin (homonymie).

Conradin

Conradin (à droite) et son ami Frédéric de Bade s'adonnant à la fauconnerie, tiré du Codex Manesse (vers 1310).
Titre
Roi de Sicile

(4 ans, 2 mois et 20 jours)
Prédécesseur Conrad Ier
Successeur Manfred Ier
Roi de Jérusalem

(14 ans, 5 mois et 8 jours)
Prédécesseur Conrad II
Successeur Hugues III de Poitiers-Lusignan
Duc de Souabe

(14 ans, 5 mois et 8 jours)
Prédécesseur Conrad III
Successeur Dissolution du duché
Biographie
Dynastie Maison de Hohenstaufen
Date de naissance
Lieu de naissance Château de Wolfstein (duché de Bavière)
Date de décès
Lieu de décès Naples (royaume de Sicile)
Père Conrad IV de Hohenstaufen
Mère Élisabeth de Bavière
Conjoint Sophie de Landsberg

Biographie

L'Europe centrale à l'époque des Hohenstaufen.

Lorsqu'en 1250 meurt Frédéric II de Hohenstaufen, empereur romain germanique et roi de Sicile, son seul fils, Conrad IV[2], père de Conradin, hérite du royaume normand de Sicile, sans toutefois parvenir à ceindre la couronne impériale.

Reconnu roi des Romains en du vivant de son père, Conrad IV va donc orienter sa politique vers la Germanie où, après l'excommunication de son père, la situation était devenu de plus en plus difficile. Le landgrave Henri le Raspon et le comte Guillaume de Hollande ont été élus antirois l'un après l'autre en 1246 et 1247, ce qui l'a amenée à demander du soutien aux princes. Le à Vohburg, Conrad IV épousa la princesse Élisabeth de Bavière (1227–1273), fille du duc Othon II de la puissante dynastie des Wittelsbach.

L'héritier caché

L'absence de Conrad IV de la Sicile, ainsi que le Grand Interrègne à la suite de la mort de l'empereur en 1250, profitent momentanément à l'un des fils bâtards de Frédéric II, Manfred, qui tente alors de rallier les barons régnicoles à sa cause afin d'usurper le titre de roi. Conrad est cependant de retour en 1252, et préfère écarter son ambitieux demi-frère. Mais il meurt de dysenterie le , laissant derrière lui un très jeune héritier, Conradin, alors tout juste âgé de deux ans. L'enfant est placé sous tutelle des deux frères de sa mère, les ducs Louis II et Henri XIII de Bavière, et grandit à la cour de Bavière conjointement avec Frédéric de Bade.

Après avoir été nommé vicaire de Conradin[3], son oncle Manfred décide de faire passer le jeune garçon pour mort auprès des barons et se fait couronner roi de Sicile le . Après une tentative futile pour se réconcilier avec le pape, il mène ensuite une politique digne de celle de son père, d'opposition totale à l'Église et d'appui aux forces gibelines du royaume d'Italie. Après avoir refusé de reconnaître la suprématie du pape, il est excommunié et les violences éclatent. En 1265, le pape Clément IV envoie contre lui Charles d'Anjou, frère cadet du roi Louis IX, qu'il vient de couronner roi de Sicile. Finalement, Manfred meurt lors de la bataille de Bénévent, le . Le royaume normand de Naples et Sicile passe sous la couronne de Charles.

Entre-temps en Germanie, l'anti-roi Guillaume de Hollande était décédé en 1256 ; néanmoins, Manfred avait renoncé au titre de roi des Romains. L'année suivante, Richard de Cornouailles et Alphonse de Castille ont été élus rois des Romains à double. Le pape Alexandre IV, en coopération avec le roi Ottokar II de Bohême, avait tout fait pour éviter la succession de Conradin ; son tuteur Louis II de Bavière a voté en faveur de Richard, à condition que son neveu puisse au moins garder le duché de Souabe. Conradin a trouvé un soutien auprès de l'évêque de Constance et vécut au château de Meersburg à partir de 1262. En , il se marie par procuration avec Sophie de Landsberg, la fille de huit ans du margrave Thierry de la maison de Wettin.

Le prétendant

En sachant qu'ils n'avaient rien à gagner au Saint-Empire, les partisans de Conradin se sont évertués à récupérer le patrimoine des Hohenstaufen dans le sud de l'Italie. Les barons napolitains et siciliens, ainsi que les gibelins conduits par Galvano Lancia (it), oncle de Manfred, font alors appel au jeune héritier, âgé de 15 ans. À la fin de l'été 1267, Conradin s'est associé aux forces de Louis II de Bavière et de son beau-père Meinhard de Goritz afin de lancer une campagne contre Charles d'Anjou. Après avoir rejoint Vérone à la tête d'une armée composée de soldats germaniques et italiens, il a reçu le soutien du seigneur Mastino della Scala ; toutefois, au même moment, Louis II et Meinhard ne voulaient plus soutenir ses intentions.

Après l'hiver, Conradin, son ami Frédéric de Bade et Mastino della Scala continuent leur route à travers la Lombardie en direction de Pavie, Pise et Sienne. Le , ils arrivent à Rome où Conradin reçoit l'appui du sénateur Henri de Castille. Faisant fi de l'excommunication prononcée par le pape Clément IV, il se dirige ensuite vers le Sud et c'est avec une armée de 4 800 hommes qu'il passe par les Abruzzes où les forces de Charles le rejoignent. Les deux armées se font face le dans la plaine de Tagliacozzo, près de L'Aquila.

Exécution de Conradin et de ses capitaines, miniature tirée de la Nuova Cronica de Giovanni Villani (Vaticane).

À l'issue d'une bataille épique, où s'illustrent les chevaliers français Allard de Valéry et Guillaume de l'Etendard, les armées gibelines sont défaites et Conradin est contraint de prendre la fuite. Selon la Chronique de Morée, il se rend à Torre Astura sur le littoral romain, pensant pouvoir embarquer à Pise incognito. Il est reconnu par un gentilhomme romain de la famille des Frangipani qui, dans l'espoir d'une récompense, le ramène à Naples et le livre aux hommes de Charles d'Anjou. Celui-ci fait voter sa condamnation à mort. Il est exécuté sur la Piazza del Mercato, en compagnie de Frédéric de Bade et de six hommes de main.

La chute des Hohenstaufen

Conradin fut le dernier héritier agnatique de la dynastie des Hohenstaufen, bien qu'il y ait eu plusieurs enfants illégitimes de la famille, dont Enzio de Sardaigne (1224–1272), fils naturel de l'empereur Frédéric II. Tous les descendants de Manfred (autre fils naturel de Frédéric II) sont morts en captivité ou sont en fuite.

En lignée cognatique, de nombreuses dynasties se réclament de la descendance des Hohenstaufen. L'une des filles de Manfred, Constance, devient l'épouse de Pierre III d'Aragon ; ses petits-enfants aragonais règnent à nouveau sur la Sicile après les Vêpres siciliennes en 1282. En outre, Marguerite de Sicile, fille de Frédéric II, s'était mariée au futur margrave Albert II le Dégénéré. Son fils Frédéric Ier le Mordu est considéré comme l'un des ancêtres de la dynastie des Wettin, électeurs et rois de Saxe, et de la maison de Windsor.

À la mort de Conradin, l'union personnelle entre le Saint-Empire et le royaume de Sicile était définitivement terminée. La grave menace pour la papauté de se trouver sous pression de deux côtés était ainsi éliminée. À l'Empire, le Grand Interrègne prenait fin avec l'élection de Rodolphe de Habsbourg comme roi des Romains le .

Renommée posthume

Le supplice d'un prince de 16 ans provoque l'indignation générale, aussi bien en Allemagne qu'en Italie. L'écrivain Giovanni Villani (v. 1276–1348) considérait la désastreuse régence de Charles d'Anjou comme une juste punition pour l'acte sanglant. Une chronique de 1313 affirme que le désir de venger Conradin était un des motifs de l'expédition de Henri VII, roi des Romains, en Italie en 1310, et que son armée a saccagé l'église où Conradin avait été livré à Charles. Plus tard, un nouveau sentiment national se trouve personnifié en Conradin. Selon le poète Heinrich Heine, au début du XIXe siècle, les Allemands gardaient encore rancune aux Français de son exécution[4].

Les chroniqueurs italiens, contemporains ou plus tardifs, témoignent eux aussi de cette indignation qui finit par gagner également le parti pro-angevin. Dante l'évoque dans la Divine Comédie au chant XX (vers 68) du Purgatoire.

«  Charles vint en Italie, et pour amende, fit de Conradin une victime »

 Dante, Divine Comédie

Statue de Conradin dans l'église Santa Maria del Carmine à Naples, œuvre de Pietro Schoepf sur un modèle de Bertel Thorvaldsen, 1847.

Le thème fut repris au XIXe siècle par le courant romantique, comme en témoigne la statue de Conradin dans l'église Santa Maria del Carmine (au lieu du supplice), imaginée par Bertel Thorvaldsen à la demande du roi Maximilien II de Bavière.

«  Réunis les primats de la ville et des terres, le jeune homme est porté sur les lieux du supplice […]. Sur une pierre de marbre, le fer est apprêté et le bourreau, déjà présent, est horrible à voir, les pieds et les bras nus […]. Et ainsi [Conradin] s'étendit à terre, posa le cou sur la pierre, et le bourreau, brandissant la lame, lui trancha la tête. […] Ô misérable condition de la fortune humaine ! Ô fragile mystère de la condition humaine ! Le remarquable jeune homme, jadis admiré de tous, n'est plus qu'un tronc informe et gît vilement dans l'arène. […] Oh ! si la cruauté de la mort était fatale, mieux eut-il valu que l'homme ne naisse des viscères humains. Que lui profita-t-il de naître de César si, en raison d’une faute commise, la gloire royale, qui d'une certaine manière égale celle des cieux, devait par un sévère jugement se soumettre à la mort, comme il advient aux voleurs ? Ou peut-être est-il écrit que les innocents doivent être punis du même châtiment qui vient frapper les plus viles personnes ? Et si le pardon n'a pas sa place, le péché dominera-t-il seul sur terre ? Et si l'autorité refusait de le libérer, devait-on au moins infliger au Roi une peine plus salutaire »

 Bartolommeo di Neocastro, Historia Sicula (IX-X)

« Conradin, avant qu'il n'ait bu le calice d'une telle mort, arrivant à proximité du lieu du supplice et des cruelles mains du bourreau, sans même se lamenter d'une voix plaintive, joignait les mains au ciel et, attendant patiemment l'inévitable mort, recommandait son âme au Seigneur […].Voici donc le jeune sang absorbé par la coupe de la cruauté, voilà le jeune garçon tombé à terre, les espoirs de sa jeunesse détruits. Le noble tronc gît sans vie, et sans voix la tête séparé du cou. La terre rougit, baignée du sang vermeil et ce magnifique corps demeure tel une fleur couleur pourpre, décapité par la faux imprévue »

 Saba Malaspina, Rerum Sicularum Historia (IV 16)

« a dì…. fu dicollato Curradino, e 'l duca d'Osteric, e 'l conte Calvagno, e 'l conte Gualferano, e 'l conte Bartolomeo e due suoi figliuoli, e 'l conte Gherardo de' conti da Doneratico di Pisa in sul mercato di Napoli lungo il ruscello dell'acqua che corre di contra alla chiesa de' frati del Carmino; e non sofferse il re che fossono soppelliti in luogo sacro, ma in su il sabbione del mercato, perch'erano scomunicati. E così in Curradino finì il legnaggio della casa di Soave, che fu in così grande potenzia d'imperadori e di re, come adietro è fatta menzione. Ma di certo si vede per ragione e per isperienza che chiunque si leva contra santa Chiesa e è scomunicato conviene che·lla fine sia rea per l'anima e per lo corpo; e però è sempre da temere la sentenza della scomunicazione di santa Chiesa giusta o ingiusta, che assai aperti miracoli ne sono stati, chi legge l'antiche croniche, e per questa il può vedere per gl'imperadori e signori passati, che furono ribelli e persecutori di santa Chiesa. Della detta sentenzia lo re Carlo ne fu molto ripreso, e dal papa, e da' suoi cardinali, e da chiunque fu savio, però ch'egli avea preso Curradino e' suoi per caso di battaglia, e non per tradimento, e meglio era a tenerlo pregione che farlo morire. E chi disse che 'l papa l'asentì; ma non ci diamo fede, perch'era tenuto santo uomo. E parve che·lla innocenzia di Curradino, ch'era di così giovane etade a giudicarlo a morte, Iddio ne mostrasse miracolo contra lo re Carlo, che non molti anni appresso Iddio gli mandò di grandi aversitadi quando si credea essere in maggiore stato, sì come innanzi nelle sue storie faremo menzione »

 Giovanni Villani, Nuova Cronica (VIII 29)

Dans la fiction

Le film muet italien Corradino di Svevia, sorti en 1909, décrit la fin tragique du jeune roi.

Le roman L'Étendard en flammes (1961) de Karl Ristikivi décrit la vie et la mort de Conradin.

Ascendance

Notes et références

Voir aussi

Bibliographie

  • Emile G. Léonard, Les Angevins de Naples, Paris, Presses universitaires de France , 1954

Liens externes

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