Fièvre catarrhale maligne

La fièvre catarrhale maligne est une maladie lymphoproliférative fatale aux bovins causée par un groupe d'herpèsvirus gamma des ruminants du genre Rhadinovirus, notamment des espèces Alcelaphine herpesvirus 1 (AlHV-1)[1] et Ovine Herpes Virus 2 (OHV-2)[2]. Ces virus provoquent une infection inapparente chez leur hôte-réservoir (le mouton pour OvHV-2, le gnou pour AlHV-1), mais sont habituellement fatales aux bovins et à d'autres ongulés comme les cerfs, les antilopes et les buffles[1].

Trois symptômes de la fièvre catarrhale maligne : nécrose des narines, salive mousseuse et photophobie.

C'est une maladie importante, où le réservoir et les animaux victimes se mélangent. Le problème est particulièrement aigu pour les bovidés de Bali (bantengs), en Indonésie[3], les bisons aux États-Unis[4] et dans les troupeaux nomades de l'est et du sud de l'Afrique[5],[6].

Chez les bovins, la maladie sévit habituellement par poussées sporadiques, bien qu'une infection atteignant 40% d'un troupeau ait été rapportée. Les raisons de ce phénomène sont inconnues. Certaines espèces y semblent plus sensibles, comme le Cerf du père David[7], le banteng[3] et le bison[4], beaucoup de cerfs mourant dans les 48 heures suivant l'apparition des premiers symptômes et les bisons dans les trois jours[8]. Par contraste, les bœufs survivent habituellement une semaine ou plus à leur infection[9].

Épidémiologie

Le terme « fièvre catarrhale maligne » a été appliqué à trois formes de maladie :

  • En Afrique, les gnous sont infectés par le virus AlHV-1, mais ne sont pas atteints par la maladie[1]. Le virus est transmis de la mère à sa progéniture et excrété principalement dans les sécrétions nasales des petits gnous de moins d'un an[10],[11]. La maladie est normalement transmise au bétail après la période de mise-bas des gnous. Le bétail de tout âge peut être atteint, avec un taux d'infection plus élevé chez les adultes, particulièrement chez les femelles qui viennent de mettre bas[12]. Le bétail est infecté par contact avec les sécrétions, mais le virus ne se transmet pas d'un animal à l'autre. En l'absence de traitement ou de vaccin, la gestion des troupeaux est la seule méthode de contrôle : il faut éloigner le bétail des gnous pendant la période critique de mise-bas. Cet isolement est bien compris et appliqué notamment par les pasteurs massaïs de Tanzanie et du Kenya[13]. Ceux-ci s'éloignent d'excellent pâturages durant la saison humide, ce qui représente une perte de productivité[14]. Dans l'est et le sud de l'Afrique, la fièvre catarrhale maligne est classée comme un des plus importants problèmes affectant les éleveurs, avec la fièvre de la côte orientale (theilériose bovine), la pleuropneumonie contagieuse bovine, la fièvre aphteuse et l'anthrax[15]. Le bubale roux et le topi peuvent aussi être porteurs de la maladie[16]. Cependant les bubales et les autres antilopes sont infectés par une variante, Alcelaphine herpesvirus 2.
  • En Amérique du Nord, des bisons de parcs d'engraissement sans contact avec des moutons ont aussi été diagnostiqués comme atteints d'une forme de fièvre catarrhale maligne. On a récemment découvert que le virus OHV-2 infectait des troupeaux jusqu'à km de l'agneau le plus proche, le nombre d'animaux infectés étant inversement proportionnel à la distance[17].
  • Dans le reste du monde, les bœufs et les cerfs contractent la maladie par des contacts rapprochés avec des moutons ou des chèvres durant l'agnelage. Le réservoir naturel de l'Ovine herpesvirus 2 est la sous-famille des Caprinae (moutons et chèvres), et ses victimes appartiennent aux familles des bovidés, cervidés et suidés[18],[19]. La sensibilité au virus OHV-2 varie selon les espèces, les bœufs domestiques et les zébus étant assez résistants, le buffle d'eau et la plupart des cerfs assez sensibles et le bisons, le banteng et le cerf du père David très sensibles[20]. L'ADN du virus OHV-2 a été détecté dans les conduits alimentaires, respiratoires et uro-génitaux du mouton[21], qui peuvent tous être des voies de transmission. Les anticorps des moutons et du bétail pour ce virus s'associent aussi au virus AlHV-1[16].

Les virus AHV-1 et OHV-2 peuvent aussi causer des problèmes dans les zoos, où des hôtes apparemment indemnes (gnous et moutons) et des victimes potentielles sont souvent installés à proximité[22].

La période d’incubation de la fièvre catarrhale maligne n'est pas connue. Le contact intranasal avec le virus AHV-1 a cependant provoqué la maladie d'un pour cent des animaux traités entre 2 semaines et demie et six semaines[23].

Signes cliniques

Conjonctivite chez un bovin atteint.

La forme la plus commune de la maladie atteint la tête et l'œil. Les symptômes typiques de cette forme sont la fièvre, la fatigue, des suintements des yeux et des narines, des lésions de la cavité buccale et du museau, le gonflement des ganglions lymphatiques, une opacification de la cornée conduisant à la cécité, le manque d'appétit et la diarrhée. Certains animaux présentent des signes neurologiques comme l'ataxie, un nystagmus pathologique et des poussées au mur (symptôme neurologique). Des manifestations suraiguës, alimentaires et cutanées, ont aussi été décrites[24]. La mort se produit généralement dans les dix jours[25]. Le taux de mortalité des animaux présentant des symptômes est de 90 à 100 %[20]. Le traitement est seulement symptomatique.

Diagnostic

La diagnostic de la fièvre catarrhale maligne repose sur la combinaison de l'historique des animaux, des symptômes, d'histopathologie[24] et de détection dans le sang ou dans les tissus d'anticorps viraux par la méthode immuno-enzymatique ELISA[26],[27] ou de l'ADN viral par réaction en chaîne par polymérase (PCR)[21],[28],[29]. La ressemblance des signes cliniques avec ceux d'autres maladies entériques, par exemple la maladie de la langue bleue, la diarrhée virale bovine et la fièvre aphteuse, rendent les examens de laboratoires importants[30]. L'Organisation mondiale de la santé animale[24] reconnait les examens histopathologiques comme le test diagnostic définitif, mais des laboratoires ont adopté d'autres approches grâce aux récents développements en virologie moléculaire.

Vaccin

Aucun vaccin pour la fièvre catarrhale maligne n'a encore été mis au point. Cela s'avère difficile, car le virus ne se développe pas en culture cellulaire, pour une raison restée longtemps inconnue. Aux États-Unis, des chercheurs de l'Agricultural Research Service (ARS) ont récemment découvert que ce virus subit des modifications dans le corps de l'animal, un phénomène connu sous le nom de « changement de tropisme cellulaire » : le virus a pour cible des cellules différentes à chaque phase de son cycle de vie. Ce phénomène explique pourquoi il est impossible de cultiver le virus sur un seul type de cellules.

Le virus se transmettant des moutons aux bisons et aux bœufs, les chercheurs se sont d'abord concentrés sur son cycle de vie chez le mouton. Ce cycle comporte trois phases : entrée, séjour et libération. Dans une première phase, le virus pénètre des cavités nasales de son hôte jusque dans ses poumons, où il se réplique. Il subit alors un changement de tropisme et infecte des lymphocytes (globules blancs), qui jouent un rôle dans le système immunitaire des moutons. Durant la phase de séjour, le virus reste dans les lymphocytes et circule avec eux dans le corps de l'animal. Finalement, dans la phase de libération, il subit un nouveau changement de tropisme, prenant pour cible des cellules de la cavité nasale, ce qui lui permet de se répandre avec les sécrétions nasales[31]. Cette découverte est un pas important vers l'élaboration d'un vaccin  en commençant par cultiver le virus sur les cellules convenant aux phases de son développement  mais les chercheurs de l'ARS étudient aussi d'autres méthodes pour cela. Ils font notamment des expériences avec le virus de la fièvre catarrhale maligne qui infecte le topi (une antilope africaine) : celui-ci se développe en culture cellulaire et n'infecte pas le bétail. Les chercheurs espèrent qu'en insérant des gènes du virus ovin dans le virus du tofi, ils pourraient produire à terme un vaccin pour les bœufs et le bison[31].

Notes et références

  1. (en) W. Plowright, R. D. Ferris et G. R. Scott, « Blue Wildebeest and the Ætiological Agent of Bovine Malignant Catarrhal Fever », Nature, no 188, , p. 1167-1169 (DOI 10.1038/1881167a0).
  2. (en) P. C. Schultheiss, J. K. Collins, T. R. Spraker et J. C. DeMartini, « Epizootic Malignant Catarrhal Fever in Three Bison Herds: Differences from Cattle and Association with Ovine Herpesvirus-2 », J. Vet Diagn Invest., vol. 12, no 6, , p. 497-502 (PMID 11108448).
  3. (en) A. Wiyono, S. I. Baxter, M. Saepulloh, R. Damayanti, P. Daniels et H. W. Reid, « PCR detection of ovine herpesvirus-2 DNA in Indonesian ruminants — normal sheep and clinical cases of malignant catarrhal fever », Vet. Microbiol., vol. 42, no 1, , p. 45-52 (PMID 7839584).
  4. (en) J. A. Berezowski, G. D. Appleyard, T. B. Crawford, J. Haigh, H. Li, D. M. Middleton, B. P. O'Connor, K. West et M. Woodbury, « An outbreak of sheep-associated malignant catarrhal fever in bison (Bison bison) after exposure to sheep at a public auction sale », J. Vet. Diagn. Invest., vol. 17, no 1, , p. 55-58 (PMID 15690951).
  5. (en) S. Cleaveland, L. Kusiluka, J. Ole Kuwai, C. Bell et R. Kazwala, Assessing the impact of Malignant Catarrhal Fever in Ngorongoro District, Tanzania. A study commissioned by the Animal Health Programme, DFID, (lire en ligne [PDF]).
  6. (en) C. Bedelian, D. Nkedianye et M. Herrero, « Maasai perception of the impact and incidence of malignant catarrhal fever (MCF) in southern Kenya », Prev. Vet. Med., vol. 8, nos 3-4, , p. 296-316 (PMID 17123651).
  7. (en) H. W. Reid, D. Buxton, W. A. McKelvey, J. A. Milne et W. T. Appleyard, « Malignant catarrhal fever in Pere David's deer », Vet Rec., vol. 121, no 12, , p. 276-277 (DOI 10.1136/vr.121.12.276).
  8. (en) D. O'Toole, H. Li, C. Sourk, D. L. Montgomery et T. B. Crawford, « Malignant catarrhal fever in a bison feedlot, 1994–2000 », J Vet Diagn Invest., vol. 14, no 3, , p. 183-193 (PMID 12033673).
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