Crise de la conscription (1917)

La crise de la conscription (Conscription Crisis of 1917 en anglais) est une crise politique et militaire qui eut lieu de 1917 à 1918 au Canada durant la Première Guerre mondiale. Cette crise a été causée par un désaccord sur la question de la participation des Canadiens dans le conflit et a une fois de plus soulevé des questions concernant les relations entre les Canadiens français et les Canadiens anglais.

Pour les articles homonymes, voir Crise de la conscription.

Contexte

Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914, plus de 30 000 volontaires de tout le pays se joignent à l'armée, bien davantage que ce que le gouvernement canadien avait prévu. Ce premier contingent, qui devient la 1re Division canadienne du Corps expéditionnaire canadien, est assemblé au nouveau camp à Valcartier, Québec, et groupé en bataillons numérotés, sans égard à la langue ou la religion. Les régiments de réserve existants ne sont pas mobilisés puisque le ministre de la Défense Michael Scott croit qu'une nouvelle structure était requise. Dans le processus, la nouvelle structure ne crée pas d'unités de langue française, comme il en existait dans la réserve.

Environ 70 % de ces volontaires étaient des immigrants récents en provenance du Royaume-Uni. Seulement 9 000 soldats étaient de naissance canadienne, dont 11 % étaient francophones. 1 000 volontaires canadiens-français sont éparpillés parmi différentes unités majoritairement anglophones.

À la même période, en Ontario, le règlement 17, une mesure législative visant à supprimer l'apprentissage du français, soulevait un tollé au Canada français, ce qui causait un très faible appui à la guerre du « roi et du pays » et était perçu comme une tentative de détruire la communauté francophone au Canada.

Le deuxième contingent était organisé plus logiquement en bataillons formés et entraînés dans les districts militaires où on les avait recrutés mais toujours sur une base numérotée impersonnelle (certains bataillons numérotés ont eu le droit d'adopter une identité écossaise ou irlandaise).

Peu de Canadiens français se portent volontaires. L'expérience vécue par le premier contingent leur suggérait qu'ils ne devaient s'attendre à rien sauf un mauvais traitement en tant que catholiques francophones dans des bataillons anglophones. constitués principalement de soldats, de sous-officiers et d'officiers protestants, incapables de communiquer avec eux et imprégnés de l'« esprit » du règlement 17 en vigueur en Ontario. Les jeunes Canadiens français cherchant à s'enrôler choisissent plutôt les quelques régiments « français » traditionnels de la milice canadienne, comme les fusiliers Mont-Royal, où tout se déroulait en français sauf le commandement. Ils sont dans un premier temps refusés, le ministre de la milice et ses subordonnés se refusant obstinément à mobiliser ces régiments francophones traditionnels ou à en créer d'autres. Toutefois, le gouvernement continue de placer la barre bien haute pour les volontaires, visant 150 000 hommes pour 1915.

La pression politique au Québec et plusieurs manifestations publiques exigeaient la création d'unités francophones pour participer à une guerre qui était considérée comme juste et nécessaire par une partie des Québécois, malgré le Règlement 17 en Ontario et la résistance au Québec de personnalités comme le directeur du Devoir, Henri Bourassa. La Presse de Montréal publie en éditorial que le Québec devrait créer un contingent pour combattre au sein de l'armée française. Le gouvernement finit par céder, et la première unité formée par des volontaires francophones est le 22e Bataillon d'infanterie (canadien français), l'ancêtre du Royal 22e Régiment. Bien que quelques autres unités de langue française soient permises, principalement pour des officiers de la Réserve, elles sont toutes dissoutes pour fournir des remplacements pour le 22e Bataillon (canadien-français), qui subit près de 4 000 morts et blessés au cours de la guerre.

Lorsque la guerre commence à s'enliser, les soldats et les hommes politiques réalisent qu'il n'y aura pas de dénouement facile et que de moins en moins d'hommes se portent volontaires. Il y avait plus de 300 000 recrues incorporées dans les diverses composantes des forces canadiennes en 1916, mais le premier ministre Robert Laird Borden en avait promis 500 000 avant la fin de l'année. Le Canada compte une population de 8 millions de personnes à cette époque.

Loi du service militaire

Victoire importante pour le Canada, quoique sans importance dans le contexte de la guerre elle-même, les troupes des autres pays ayant échoué à accomplir leurs buts, la bataille de la crête de Vimy en 1917 coûte toutefois au Canada plus de 3 000 morts et au-delà de 7 000 blessés. La France avait perdu environ 150 000 hommes dans ses tentatives de s'en emparer et le Royaume-Uni avait échoué à capturer la crête de Vimy dans toutes ses tentatives précédentes. Il y avait peu de volontaires pour les remplacer. L'effort de recrutement au Québec avait échoué, l'amertume causée par le Règlement 17 ayant perduré et le mauvais traitement des volontaires canadiens-français devenait de plus en plus connu.

Manifestation anti-conscription à Montréal, le 24 mai 1917

De plus, la justification pour la guerre est de plus en plus vue, au Québec, comme une guerre due aux intérêts impérialistes illégitimes des Britanniques. La plupart des Canadiens-Français, menés par Henri Bourassa, ne ressentent aucune loyauté particulière envers le Royaume-Uni ou envers la France. Bourassa affirmait que les Québécois ont un pays, le Canada, tandis que les Canadiens-anglais en ont deux : le Royaume-Uni et le Canada. Pour Bourassa, il s'agissait de mener une résistance à l'appui canadien de guerres britanniques jugées « impériales », et cela depuis la Deuxième Guerre des Boers (1899-1902). En effet, dix-huit ans avant la crise de 1917, le Premier ministre Wilfrid Laurier (premier francophone à accéder à ce poste) trouva une occasion de prouver sa fidélité à l'Empire britannique. Bien que les élites et la presse canadiennes-françaises s'y opposassent fermement au départ, la plupart se rangèrent ensuite derrière Laurier, à condition de n'envoyer que des volontaires et en assurant que la participation du Canada à cette guerre ne constituerait pas un précédent pour sa participation à des guerres ultérieures. Cette position était cependant loin de faire l'unanimité chez les francophones, notamment chez les partisans d'Henri Bourassa.

Après avoir visité le Royaume-Uni pour une réunion de premiers ministres en mai 1917, et avoir discuté avec des soldats canadiens dans les hôpitaux britanniques, Borden annonce qu'il compte introduire la conscription. En juillet, la Loi du service militaire est adoptée, permettant à Borden d'incorporer sans leur consentement des hommes s'il le croit nécessaire. Le Canada anglais n'est pas unanimement en faveur de la conscription, mais beaucoup plus que le Québec, où Bourassa affirme que le Canada n'avait rien à faire dans une guerre européenne franchement impérialiste.

Des manifestations contre Borden et la conscription sont organisées au Québec, et des émeutes éclatent lors des rassemblements anti-conscription.

L'élection de 1917

Afin de consolider l'appui à la conscription dans l'élection de 1917, Borden accorde le droit de vote aux soldats à l'étranger, qui appuyaient la conscription pour remplacer leurs forces réduites (les femmes servant à titre d'infirmières se voient également accorder le droit de vote). Pour Borden, ces votes ont un autre avantage, puisqu'ils peuvent être répartis dans n'importe quelle circonscription, sans égard au lieu de résidence habituel du soldat. La loi des élections en temps de guerre enlève le droit de vote aux objecteurs de conscience et aux citoyens canadiens né dans des pays ennemis et naturalisés après 1902. La loi accorde également le droit de vote aux épouses des militaires. Ainsi, l'élection de 1917 est la première élection fédérale où certaines femmes ont le droit de voter, étant donné qu'elles paraissaient plus patriotiques et plus méritantes. Le Parti unioniste de Borden est élu avec une forte majorité (153 sièges), ainsi qu'avec le plus grand pourcentage du vote populaire pour un parti unique dans l'histoire du Canada, rendant ainsi inévitable une participation plus grande du pays au conflit.

Conscription et fin de la Première Guerre mondiale

Le 1er janvier 1918, le gouvernement unioniste commence à appliquer la Loi du service militaire. Concernant un recrutement possible de 400 000 hommes âgés de 20 à 35 ans, elle est toutefois vague et offre plusieurs exemptions et presque tous ces hommes réussissent à éviter l'incorporation au sein des forces canadiennes. Au Québec, 18827 hommes ont décidé de disparaître dans la nature vivant dans des camps de bûcherons et des cabanes à sucre; plus de 20 lieux, rivières, lacs portent le toponyme conscrit ou conscrits dans la Banque de noms de lieux du Québec, comme le mont des Conscrits, (1006 mètres) près de Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il y a eu également plusieurs manifestations et marches contre la loi. Le 1er avril 1918, quatre hommes sont tués lorsque l'armée ouvre le feu sur une foule à Québec. L'enquête du coroner démontrera plus tard que ces hommes étaient de simples piétons qui ne participaient pas à la manifestation.

Le gouvernement modifia ensuite la loi pour qu'il n'y ait plus d'exemptions, ce qui souleva l'opposition également de beaucoup de Canadiens-anglais. Même sans les exemptions, seulement 125 000 hommes environ sont conscrits, et de ceux-ci, seulement 25 000 concernés par cette loi seront envoyés au front. Heureusement pour le gouvernement de Borden, et plus largement pour les Canadiens, la guerre prend fin après quelques mois mais la question sur la conscription laisse le Canada divisé et les Canadiens méfiants vis-à-vis de la politique de son gouvernement. En 1920, Borden prend sa retraite, et son successeur, Arthur Meighen, est défait lors de l'élection générale de 1921. Les conservateurs seront pratiquement exclus du paysage politique du Québec pour les cinquante prochaines années. Finalement, la guerre de 14-18 sera le conflit le plus sanglant de l’histoire canadienne. Au cours de celui-ci, près de 61 000 Canadiens dont la plupart sont des Canadiens anglais périssent alors que la population du Canada compte à peine 8 millions d'habitants.

Les conséquences de la crise de la conscription au Québec

À la fin de la Première Guerre mondiale, la frustration des Canadiens français face à la crise de la conscription semble s’être estompée. Cette tendance étonne par rapport aux manifestations qui eurent lieu lors de la guerre, comme celle de Québec en 1918. À partir de 1919, le nombre de manifestations et des interventions militaires liées à la crise de la conscription ne fait que diminuer[1]. Les manifestations se poursuivent, cette fois-ci en raison de la crise économique. L'historien Jacques Rouillard rapporte à ce sujet qu'« en 1919, il y a une centaine de grèves et 753 000 jours de travail perdus au Québec »[2].

Les conséquences de la crise de la conscription apparurent plutôt lors de la Deuxième Guerre mondiale. Lors des élections provinciales de 1939, la conscription était un thème majeur lors des débats politiques. Le Parti libéral du Québec, dirigé par Adélard Godbout, remporte l'élection, avec la promesse faite qu'il n'y aurait pas de conscription sous son mandat[3]. Le non-respect de cette promesse serait la cause de la non-réélection du parti de 1944[4]. Maurice Duplessis et les membres de son parti ont d'ailleurs utilisé cette contradiction en leur faveur lors des élections. Le Bloc populaire, qui collecte 14,4% des votes[5], a également misé sur la conscription pour attirer la faveur de la population.

Henri Bourassa

Lors de la Première Guerre mondiale, l'Empire britannique demande à ses colonies et à ses dominions de lever des troupes d'abord par le système du volontariat . Au début, la plupart des soldats sont des volontaires, mais les besoins en soldats excèdent bientôt le nombre des volontaires. Le Parlement canadien a étudié un projet de loi en vue d'imposer la conscription. Dans le Canada anglais, le sentiment pro-britannique était fort , et le public était en faveur de la conscription. Ce n'est pas du tout le cas au Québec qui ne se sent pas impliqué dans un conflit qui concerne la Grande-Bretagne. Henri Bourassa se fait le porte-parole de sa génération avec son livre, Que devons-nous à l'Angleterre ? Il y plaide la neutralité et se prononce contre la loi de la conscription au Canada. Laurier n'approuvait pas la position de Bourassa, qualifiant son nationalisme de « dangereux ».

Traité de Versailles

Durant la guerre, le Canada a participé en intégrant la marine canadienne sous commandement britannique qui passa de 350 marins à plus de 5000 entre 1914 et 1918. Sans compter que plusieurs milliers de Canadiens servirent directement dans la Royal Navy dont plusieurs centaines de marins sont morts en service. La majorité des soldats furent intégrés dans l'armée britannique ; le Canada subit des pertes énormes: environ 61,000 morts, 172,000 blessés, et une contribution de plus d'un milliard de dollars finança l’effort de guerre. Le Canada, tout comme les autres dominions britanniques l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, n’est pas intervenu comme État indépendant, mais plutôt en tant que sujet de la Grande-Bretagne. Le premier ministre Robert Laird Borden fit pression pour obtenir une voix à la conférence de paix de Versailles. Ce fut David Lloyd George qui avait droit de parole pour les dominions et la signature du traité ne fut pas comme l'espérait Borden car les dominions furent subordonnés à l’Angleterre sous la signature de Lloyd George. Sur les 32 nations représentées à la table, 27 apparaissaient comme signataires principales[6]. Les dominions furent représentés comme des provinces anglaises et non comme des pays indépendants; le même principe fut utilisé lors de la fondation de la Société des Nations. La réalité est souvent décrite de façon différente et répété dans les médias et discours politiques. Après la Déclaration Balfour de 1926, du point de vue britannique, les dominions deviennent des communautés autonomes au sein de l’Empire britannique, de statut égal, aucunement subordonnés les uns aux autres.

Notes et références

  1. Pierre-Yves Renaud, « Utilisation de la violence et usages du passé comme références patrimoniales : l’émeute de la Crise de la conscription à Québec, 1918-2012 », Université de Laval, , p. 82 à 90
  2. « Au Québec, le choc économique a frappé après la guerre », sur Le Devoir (consulté le )
  3. « Élections québécoises de 1939 », sur bilan.usherbrooke.ca (consulté le )
  4. François Charbonneau, « La crise de la conscription pendant la Seconde Guerre mondiale et l'identité canadienne-française », sur collectionscanada.gc.ca, Université d'Ottawa, p.123 à 126, (consulté le )
  5. « Élections québécoises de 1976 », sur bilan.usherbrooke.ca (consulté le )
  6. Encyclopédie Larousse en ligne, Traité de Versailles (28 juin 1919).

Voir aussi

Liens externes

  • Portail des Forces canadiennes
  • Portail de la Première Guerre mondiale
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.