Cycle de l'absurde

Le cycle de l'absurde est un terme utilisé par Albert Camus pour désigner une partie de son œuvre :

Albert Camus qualifie ainsi cette première réflexion sur l'absurde fondamental de la condition humaine qu'il faut analyser, concrétiser afin de pouvoir la dépasser et d'aller vers une révolte positive, qui doit déboucher sur un humanisme, c'est-à-dire une révolte sur sa condition qui doit rapprocher l'Homme des autres Hommes, ses frères. Il s'agit donc du cycle de la négation. Ce cycle dénonce la société individualiste et la peur de l'autre. Par exemple, dans "L'étranger", le personnage principal, Meursault est condamné, car il ne dit que la vérité, ce qui ne respecte pas les codes de la société dans laquelle il vit.

L'Étranger

Dès l'incipit de L'Étranger (« Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier je ne sais pas. »), le personnage de Meursault « se présente étranger par étrangeté », par une sorte d'apathie qui l'éloigne de toute émotion, et qui traduit son mépris des valeurs communes[S 1]. C'est ce qui condamne le personnage aux yeux des autres. Selon Marie Jejcic, le mépris est un concept qui alimente l'absurde chez Camus[S 1]. Meursault semble vivre son quotidien de manière quasi-mécanique, sans saisir les convenances de la société[S 2]. Selon l'auteur Christophe Junqua, Camus met en évidence « l'absurde sourd » des situations dans lesquelles le personnage montre son « inadéquation avec les codes »[S 2]. Côtoyer les autres lui est difficile, « parce qu’ils lui rappellent sans cesse, par les codes qu’ils ont intériorisés, sa propre étrangeté, c’est-à-dire son décalage permanent avec les convenances ou les attentes d’autrui »[S 2]. Meursault s'exclurait même de l'humanité, « en se soustrayant à la compréhension » des autres, du fait qu'il est incapable de s'expliquer[S 2]. Le mal reste humain, mais l'absurde ne l'est pas[S 2].

Ce qui réconcilie précisément l'humain avec lui-même, c'est « la reconnaissance de l'absurde » : Meursault n'est plus étranger à lui-même lorsqu'il use de sa liberté en refusant de se faire pardonner devant Dieu (le « masque ultime de l'absurde »[S 2]). Sa conscience de sa propre « densité existentielle » se développe avec la seule véritable certitude qui s'annonce à lui, celle de sa mort prochaine[S 2]. Plus le futur se restreint et plus les possibilités d'actions « hic et nunc » sont grandes. Ainsi, l'homme absurde jouit d'une liberté nouvelle.

Le Mythe de Sisyphe

La plaque de bronze sur le monument en hommage à Albert Camus, à Villeblevin.

Le Mythe de Sisyphe se présente comme l'étude philosophique d'une histoire appartenant à la mythologie grecque dans une réflexion sur l'absurde[S 3].

Dans cet essai, Camus dit que « l'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde »[1]. Selon lui, deux forces s'opposent : l'appel humain à connaître sa raison d'être, et l'absence de réponse du milieu où il se trouve  l'homme vivant dans un monde dont il ne comprend pas le sens, dont il ignore tout, jusqu'à sa raison d'être[S 4]. L'homme absurde ne pourrait échapper à son état qu'en niant l'une des forces contradictoires qui le fait naître : trouver un sens à ce qui est, ou faire taire l'appel humain.

Pour Camus, le personnage de Sisyphe « personnifie le malheur de l'Homme et l'absurdité de la vie » à travers sa volonté de continuer à faire rouler un rocher au sommet d'une colline, même si ce rocher finit toujours par redescendre[S 5]. C'est un travail interminable et privé de sens[S 5]. Pourtant, Sisyphe devient le « héros de l’absurde », puisqu'il le fait en toute conscience, sans illusion de réussite[S 6],[2]. Il sait qu'il est confronté à une punition irrationnelle[S 5], et son devoir d'affronter les dieux et de remonter inlassablement ce rocher est pour lui la seule chose qui compte[2].

L'appel humain, c'est la quête d'une cohérence, or pour Camus il n'y a pas de réponse à ce questionnement sur le sens de la vie[S 4]. En cela, il choisit le déchirement moral et l'acceptation d'une vie, même si cette vie ne trouve aucun sens[S 7]. Les religions qui définissent nos origines, qui pourraient créer du sens, poser un cadre, n'offrent pas de réponse pour l'homme absurde, qui ne peut se satisfaire et trouver un sens par des perspectives divines, puisqu'il attend des réponses humaines[1]. Par sa conscience, Sisyphe refuse le statut de victime, nie toute intervention divine et assume sa vie telle qu'elle est[S 6],[S 5],[3].

La seule manière de faire taire l'appel humain serait le suicide. Mais le suicide est exclu car à sa manière, il « résout l'absurde »[1]. Or l'absurde ne doit pas être résolu, puisqu'il est générateur d'une énergie. Selon Camus, il y a à tirer de l'absurde trois conséquences : la révolte, la liberté et la passion[S 4],[S 6]. Le refus du suicide, c'est l'exaltation de la vie, la passion de l'homme absurde, qui n'abdique pas, mais se révolte.

« C'est parce qu'il y a de la révolte que la vie de Sisyphe mérite d'être vécue, la raison seule ne lui permet pas de conférer un sens à l'absurdité du monde[S 5]. »

 A. Camus, Le Mythe de Sisyphe.

L'homme absurde habite un monde dans lequel il doit accepter que « tout l'être s'emploie à ne rien achever[1] », mais c'est un monde dont il est le maître. Et Camus, qui fait de Sisyphe le héros absurde, écrit qu'« il faut imaginer Sisyphe heureux[1] ».

Caligula et Le Malentendu

Caligula découvre que les hommes meurent et ne sont pas heureux ; que la vie n'a aucun sens. Après la mort de la femme qu'il aimait, il va chercher à inciter les hommes à se libérer des mensonges sur lesquels ils s'appuient pour vivre[S 8]. Pour y parvenir, il décide de prendre « le visage bête et incompréhensible des dieux », et de se montrer « insensible, immoral et cruel » à leur image[S 8]. Il dit plus tard avoir atteint le bonheur dans l'« universel mépris », qui est la « logique implacable qui broie des vies humaines »[S 8]. Le personnage éprouve une angoisse extrême à voir le sens de la vie et la raison d'exister se dissiper. Le sentiment de l’absurde, la fin de l'espoir, lui apportent la liberté et le poussent à la révolte. Mais Caligula, qui va jusqu'à s'autoriser à tuer, constate finalement son échec à la fin de la pièce : « Je n'ai pas pris la voie qu'il fallait, je n'aboutis à rien ». Pour Camus, l'homme doit être sa propre et unique fin et ses actes ne doivent pas aller à l'encontre de l'humanité[S 8].

Dans Le Malentendu, deux femmes se révoltent contre leur sensation d'enfermement, d'attente et de répétition[S 9]. Gérantes d'une auberge, elles tuent et dépouillent régulièrement les voyageurs qui y séjournent, dans l'espoir de faire fortune et de pouvoir voyager à leur tour[S 9]. Elles en viennent à tuer un membre de leur famille, revenu auprès d'elles après une longue absence, mais qui se trouve dans la confusion verbale et incapable de leur communiquer son identité[4],[S 9]. À travers ces personnages féminins, Camus a souhaité illustrer les conduites extrêmes qu'il réfute : le meurtre et le suicide[S 9].

Notes et références

Notes

Références

Sources primaires

  1. Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, (ISBN 9782070719662).
  2. « Suicide et Philosophie : Le Mythe de Sisyphe et la philosophie de l’absurde », sur La-philosophie.com (consulté le ).
  3. « Fiche sur Le Mythe de Sisyphe de Camus », sur Interlettre.com, (consulté le ).
  4. « Albert Camus, Le Malentendu : résumé », sur Bacfrancais.com (consulté le ).

Sources secondaires

  1. Marie Jejcic, De l'étranger à l'Absurde, ERES, (lire en ligne), p. 97 à 108.
  2. Christophe Junqua, Regard sur L’Étranger de Camus, Armée de terre, (lire en ligne), p. 161 à 170.
  3. Marielle Chauvin, « De l’art de faillir pour devenir un homme : du Mythe de Sisyphe à La Pierre qui pousse », sur Journals.openedition.org, (consulté le ).
  4. Guy Basset, « Le Mythe de Sisyphe (1941) », sur Société des Études Camusiennes (consulté le ).
  5. « Sisyphe ou le sens de l'absurde », sur France Culture, (consulté le ).
  6. Jacques Le Marinel, Camus et les mythes grecs, Presses universitaires de France, (lire en ligne), p. 797 à 805.
  7. Arnaud Corbic, L'« humanisme athée » de Camus, S.E.R., (lire en ligne), « La recherche d'un fondement certain », p. 227 à 234.
  8. Raphaëlle O'Brien, « Caligula - fiche de lecture », sur Lepetitlitteraire.fr, (consulté le ).
  9. Sophie Bastien, « Le Malentendu (1944) », sur Société des Études Camusiennes (consulté le ).
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