Décolonisation de l'espace public

La décolonisation de l'espace public est une exigence qui apparaît à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle en plusieurs endroits de la planète, principalement au sein de la communauté maorie en Nouvelle-Zélande, de la communauté amérindienne aux États-Unis et de la diaspora congolaise en Belgique, face à la persistance de symboles coloniaux comme des noms de villes, des noms de rues et des statues.

« La race noire accueillie par la Belgique »
(Monument aux pionniers belges au Congo, parc du Cinquantenaire à Bruxelles).
« Le Génie belge guidant le Congo »
(Monument au Général Thys, parc du Cinquantenaire à Bruxelles).

Cette demande atteint son apogée chez les Maoris en Nouvelle-Zélande dès les années 2010 alors qu'elle n'atteint son climax chez les Amérindiens, en Belgique et au Royaume-Uni qu'en 2020 dans la foulée des manifestations contre le racisme et les violences policières qui font suite à la mort de George Floyd, tué par la police le à Minneapolis aux États-Unis.

Décolonisation de l'espace public en Nouvelle-Zélande

La Nouvelle-Zélande est riche en monuments qui célèbrent des figures coloniales, sans considération pour le patrimoine Māori[1].

Mais la controverse sur les statues coloniales en Nouvelle-Zélande est de très loin antérieure au mouvement Black Lives Matter[2] puisqu'elle remonte à 1995[3]. Elle fait rage tout au long des années 2010, bien avant la mort de l'Afro-Américain George Floyd aux États-Unis en 2020.

Premières attaques contre la statuaire victorienne dès 1995

Le mouvement de revendication des droit des autochtones maoris est aussi ancien que la colonisation de l'île par les Européens mais il émerge dans sa forme moderne au début des années 1970, avec un point d'orgue constitué par la « Māori land march » de 1975, une marche de protestation durant laquelle 5 000 marcheurs ont parcouru toute la longueur de l'Île du Nord pour arriver à Wellington le et présenter une pétition signée par 60 000 personnes au Premier ministre Bill Rowling[4].

Une nouvelle phase d'activisme a lieu au milieu des années 1990, avec des actes symboliques comprenant l'attaque de la statuaire victorienne. Ainsi, en 1995, des activistes maoris décapitent la statue du premier ministre John Ballance à Whanganui pendant l'occupation des terres des Moutoa Gardens[3]. John Ballance a été premier ministre de la Nouvelle-Zélande de 1891 à 1893 et a participé à un certain nombre de réformes agraires, dont certaines ont eu un coût élevé pour Māori[3]. La statue est remplacée en 2009[3].

Apogée durant les années 2010

En 2016 à Auckland, des activistes anti-colonialistes s'en prennent au « mémorial Zealandia » qui rend hommage aux soldats impériaux et coloniaux qui ont combattu pour la Grande-Bretagne pendant les guerres de Nouvelle-Zélande entre 1845 et 1872 et tué 2154 Maoris opposés au gouvernement, selon l'historien James Cowan[2]. Les activistes volent la palme et le drapeau de bronze que Zealandia tenait dans sa main gauche[2].

Toujours en 2016, une statue du capitaine James Cook à Gisborne est à plusieurs reprises défigurée avec de la peinture rouge, suscitant un débat vigoureux sur l'héritage du colonialisme en Nouvelle-Zélande[5]. La plage de Kaiti à Gisborne est l'endroit où l'explorateur britannique a débarqué pour la première fois en Nouvelle-Zélande avec l'Endeavour en 1769[5]. Son voyage a conduit à la colonisation européenne de la Nouvelle-Zélande, un processus qui a entraîné des décennies de mort, de maladies et de dégradation culturelle du peuple maori[5].

Un autre monument érigé à Auckland célèbre le colonel Marmaduke Nixon pour s'être illustré durant les guerres maories (New Zealand Wars en anglais)[1]. Nixon est considéré comme un héros par les colons alors que, lors de l'attaque en 1864 du village non-fortifié de Rangiaōwhia où vivaient des hommes, des femmes et des enfants âgés, ses troupes ont mis le feu à l'église, tuant 12 personnes qui s'y cachaient[1],[3],[6]. En , l'activiste maori Shane Te Pou propose le retrait de cette statue[6]. Le maire d'Auckland et l'activiste se parlent et conviennent de ne pas retirer la statue mais de « veiller à ce que les événements de cette époque soient expliqués et de reconnaître les victimes de la guerre de manière appropriée »[6]. « Il pourrait y avoir une plaque sur ou à côté du monument expliquant ce qui s'est passé des deux côtés. Pour l'instant, ce que le monument représente n'est pas une très belle image »[6].

Le , le « mémorial Zealandia » est à nouveau vandalisé par des activistes, qui collent une hache sur la tête de la statue et une affiche sur le socle du monument, sur laquelle on peut lire « Fascism and White Supremacy are not Welcome Here » (Le fascisme et la suprématie blanche ne sont pas les bienvenus ici)[2]. Après cette action, le groupe d'activistes envoie une déclaration à la presse affirmant que le mémorial est une « ode à l'occupation violente et brutale des terres de Māori ; il célèbre la poursuite de la colonisation d'Aotearoa, de ses terres et de ses peuples »[2].

En , une statue controversée de James Cook est déménagée de la colline Tītīrangi à Gisborne vers un musée local[7] et, en novembre de la même année, une statue de la reine Victoria est taguée à Dunedin, avec les mots "Return stolen wealth Charles" and "Uphold Te Tiriti" (uphold the Treaty) peints en rouge sur le socle du monument[8].

John Hamilton (2020)

Statue du Capitaine Hamilton.

Le , le conseil municipal de la ville d'Hamilton, en Nouvelle-Zélande, retire la statue du commandant britannique auquel cette ville doit son nom[9],[10].

Le conseil municipal reconnaît que ce retrait s'inscrit dans un effort pour débarrasser l'espace public des éléments de patrimoine « considérés comme représentant la discorde entre les cultures ou la répression »[9],[10]. « De plus en plus de personnes considèrent cette statue comme une insulte personnelle et culturelle », déclare la maire Paula Southgate[9].

Hamilton fut un commandant de la marine britannique qui combattit les indigènes Maoris qui défendaient leurs terres face à l'expansion coloniale britannique au XIXe siècle : il fut tué en 1864 lors de la Bataille de Pukehinahina[9],[10].

Le retrait de la statue avait été demandé par la tribu maorie Waikato-Tainui, qui évoque également l'idée de redonner à la ville son nom maori Kirikiriroa[9],[10] et qui veille à identifier les noms de rues offensants pour son peuple[11].

Rejet de Christophe Colomb par les Amérindiens aux États-Unis

La statue de Christophe Colomb à Boston avant sa décapitation en juin 2020.
La statue de Christophe Colomb à Richmond en Virginie avant sa destruction en juin 2020.
La statue de Christophe Colomb abattue à Saint Paul, au Capitole de l'État du Minnesota.

Prémices dès 2006

Longtemps présenté comme le « découvreur de l'Amérique »[12] et comme un symbole de la contribution des Italiens à l'histoire américaine[13], Christophe Colomb est dénoncé au XXIe siècle comme une des figures du génocide des Amérindiens car, au cours de ses quatre voyages dans les Caraïbes et sur la côte nord de l'Amérique du Sud, il a asservi et tué des milliers d'indigènes[12]. Il devient une figure controversée de l'histoire pour la façon dont il a traité les communautés indigènes qu'il a rencontrées et pour son rôle dans la colonisation violente à leurs dépens[14]. Les activistes amérindiens s'opposent à l'idée d'honorer Christophe Colomb, affirmant que ses expéditions en Amérique ont conduit à la colonisation et au génocide de leurs ancêtres[15].

La statue de Christophe Colomb qui se dresse dans la quartier Little Italy de Boston est vandalisée dès 2006, lorsque sa tête a disparu pendant plusieurs jours, et vandalisée à nouveau en 2015 avec de la peinture rouge[14],[16].

Dans les années 2010, de nombreuses villes et de nombreux États remplacent la Journée de Colomb (Columbus Day) par la Journée des peuples indigènes (Indigenous Peoples' Day), en reconnaissance de la douleur et de la terreur causées par Colomb et d'autres explorateurs européens[14].

Climax en 2020

En , les actions des activistes amérindiens se multiplient dans la foulée des manifestations contre le racisme et les violences policières qui font suite à la mort de George Floyd, tué par la police le à Minneapolis aux États-Unis.

Le , la statue de Christophe Colomb située dans la quartier Little Italy de Boston est décapitée comme elle l'avait déjà été en 2006[14],[16]. Après cette action, la Ville de Boston retire la statue et le maire annonce « Nous allons prendre le temps d'évaluer la signification historique de la statue »[14],[16].

Le même jour, la statue de Colomb située à Richmond en Virginie est abattue, aspergée de peinture, incendiée et jetée dans un lac[16],[17]. La Richmond Indigenous Society avait déclaré dans un tweet avant le rassemblement que « nous nous rassemblons au parc Byrd pour protester contre un autre monument raciste. Christophe Colomb a assassiné des indigènes et a intégré la culture génocidaire contre les indigènes que nous voyons encore aujourd'hui »[14]. « Ce continent est construit sur le sang et les os de nos ancêtres » dénonce Vanessa Bolin, membre de la Richmond Indigenous Society[16].

Le lendemain , la statue de Colomb érigée devant le Capitole de l'État du Minnesota à Saint Paul est jetée à terre[14],[16],[18]. Mike Forcia, activiste de l'American Indian Movement, mouvement pour les droits civiques des Natifs Américains aux États-Unis organisateur du rassemblement, dit avoir négocié pendant des années avec les occupants du Capitole et reçu constamment la même réponse : « vous devez attendre ; il y a un processus que vous devez suivre »[14]. Mais pour Forcia « le temps de la complaisance est révolu »[14] et « le changement de paradigme est en cours »[16].

Le soir même, le gouverneur du Minnesota Tim Walz déclare qu'il avait l'habitude d'enseigner à ses étudiants que de nombreux Minnesotains voient la statue de Colomb comme un "héritage de génocide", et ajoute qu'il était temps de « regarder attentivement les symboles dépassés et les injustices qui nous entourent »[18]. Mais il souligne que « le retrait de la statue était une erreur dans la mesure où les manifestants auraient pu passer par la procédure officielle » avant de conclure « Même dans la douleur, nous devons travailler ensemble pour apporter des changements, en toute légalité »[18].

Décolonisation de l'espace public en Belgique

Kalvin Soiresse Njall, député écologiste belge, attire l'attention sur le fait que la Belgique « n'a plus de colonies, mais que l'esprit de la colonisation est encore inscrit dans la pierre à tous les coins de rue »[19].

Prémices dès 2004

Lors d'une action de protestation en 2004, la main d'un des « Congolais reconnaissants » représentés sur le monument Léopold II à Ostende est sciée pour dénoncer les exactions du roi au Congo.

En , un activiste du nom de Théophile de Giraud barbouille de peinture rouge la statue équestre de Léopold II à Bruxelles, capitale de la Belgique : il décrit son acte comme le « symbole du sang des Congolais innocents tués ou mutilés sous les ordres du sanguinaire souverain ». La dégradation de la statue de Léopold II sert à manifester pour l’abolition de l'esclavage et le déboulonnage des statues de ce roi qu’il qualifie ouvertement de « criminel contre l’humanité »[20].

Collectifs anti-racisme et anti-colonialisme (2015)

Le , à la suite du projet de commémoration des 150 ans d'accession au trône du « roi bâtisseur » par la Ville de Bruxelles, différents collectifs (parmi lesquels la Nouvelle voie anti-coloniale et le collectif Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations) se rassemblent devant la statue équestre de Léopold II à Bruxelles pour contester cette œuvre, dénoncer les crimes de la colonisation belge au Congo et le manque de mémoire en Belgique autour de ce passé[21],[22].

Cartes blanches (2016 - 2018)

Le quartier africain de Bruxelles Matonge.

Le , une carte blanche signée par différents universitaires et membres de la société civile invite à une réflexion autour de la place de la statue équestre de Léopold II dans une perspective « décoloniale »[23]. Cette statue, très proche du quartier africain de Bruxelles Matonge, peut être considérée comme le point focal du débat sur la mémoire coloniale belge.

En , une nouvelle carte blanche intitulée Décoloniser l’espace public pour lutter contre le racisme signée par Mireille-Tsheusi Robert, présidente de Bamko-Cran ASBL et co-auteure d'un ouvrage intitulé Racisme anti-noirs entre méconnaissance et mépris, dénonce l'impact sur les esprits de la persistance dans les rues de Belgique de nombreux symboles coloniaux comme des bustes, des statues et des plaques : « Notre espace public n’est pas neutre, au contraire, il contribue au racisme et renforce les discriminations qui en découlent, notamment en glorifiant les figures coloniales »[24]. L'auteure appelle à la « décolonisation de l’espace public et des programmes scolaires » et à « contextualiser les monuments coloniaux avec des plaques explicatives »[24].

Le dossier Storms (2018 - 2020)

Le bourgmestre Christos Doulkeridis, qui travaille sur le dossier Storms.

Dans les années 1870 et 1880, des territoires de l'est du Congo sont l'objet des exactions de Lusinga lwa Ng’ombe, un chef actif dans le commerce d'esclaves et décrit par l'explorateur écossais Joseph Thomson comme un « potentat des plus sanguinaires » qui n'hésite pas à décapiter ses ennemis (comme le chef Ukala), à faire empaler leur tête et à raser leurs villages (comme ceux du chef Manda)[25],[26].

Dans les années 1870, Lusinga s'installe dans les montagnes à l'ouest de Mpala : « Il s'est abattu comme une avalanche sur les habitants les plus paisibles près du lac, et a balayé toute la population de trente ou quarante villages prospères, transformant le pays en un désert parfait », selon les mots de Joseph Thomson durant sa visite dans la région en [25].

Ces exactions servent de prétexte à l'intervention colonialiste du lieutenant Émile Storms (surnommé plus tard le général Storms), l’un des Belges chargés par le roi Léopold II de coloniser le Congo au XIXe siècle[27],[28], surnommé Bwana Boma (Monsieur Forteresse) lors de son séjour au village de Lubanda « à cause de la formidable forteresse qu'il y construisit en 1883 »[26]. En , Storms monte une expédition punitive dont le but était de réduire les positions tenues par Lusinga dans la montagne[26]. « Lusinga commandait des hommes engagés dans le pillage impitoyable et les rafles d'esclaves dans une vaste zone au nord de Lubanda, et de telles activités semblaient une justification suffisante pour l'attaque de Storms », qui avait bien sûr d'autres motivations[26].

En effet, Storms commande « la 4ème expédition de l’Association Internationale Africaine (AIA), une organisation créée à l’initiative du Roi Léopold II pour explorer l’immense territoire qui deviendra bientôt le Congo belge » : « l'AIA affichait des ambitions « civilisatrices » et « antiesclavagistes » mais il ne s'agissait de rien d’autre que d'une entreprise de conquête s’inscrivant dans la course que plusieurs puissances européennes se livraient alors pour coloniser l’Afrique centrale »[27].

Durant son expédition punitive contre Lusinga, Storms fait 60 morts et 125 prisonniers, décapite le chef Lusinga et note dans son journal à la date du  : « J’ai pris la tête de Lusinga pour la mettre dans ma collection. »[27]. Un an plus tôt, Storms écrivait à son supérieur : « Au Marungu, j’ai eu une petite difficulté avec le fameux Lusinga. Le fond de l’affaire est que je lui ai refusé de la poudre. Il a dit qu’il couperait la tête au premier homme de ma station qu’il rencontrerait. S’il a le malheur de mettre son projet à exécution, la sienne, pourrait bien, un jour arriver à Bruxelles avec une étiquette, elle ferait fort bonne figure au musée. »[27].

En , le magazine Paris Match rappelle que ce crâne repose toujours dans une boîte à l'Institut royal des sciences naturelles à Bruxelles, ainsi que celui de deux autres chefs insoumis, dont l'un a toutefois disparu des collections[27].

Dès son arrivée à la maison communale d'Ixelles à la fin de l'année 2018, le bourgmestre écologiste Christos Doulkeridis travaille sur le dossier Storms, dont le buste se dresse au milieu du square de Meeûs : « J’ai demandé à déplacer le buste dans un musée, ce qui a été accepté. […] L’espace public est à tout le monde, il porte un message, il n’est pas statique par essence, il est en évolution. Le ‘Général Storms’ représentait une certaine époque. Il est resté plusieurs décennies dans l’espace public. Maintenant, il peut aller ailleurs. Sa place est dans un musée, ce qui permettra de mieux contextualiser les faits »[28].

Le , la télévision belge annonce un accord de principe pour déplacer la statue de Storms vers le Musée royal de l'Afrique centrale à Tervueren[28].

Mais le directeur du Musée Gido Gryssels apporte quelques précisions : « Il y a un accord de principe avec la commune d'Ixelles, oui, pour une mise en dépôt chez nous. Mais ce n'est pas un accord écrit. Concernant la place de la statue dans le musée, nous n'avons pas la place. Nous évoquons déjà, à deux endroits différents, le 'Général Storms' dont la salle concernant l'histoire coloniale. Il y a donc déjà pas mal d'informations le concernant. Le buste est beaucoup trop grand et n'apporte pas vraiment de valeur ajoutée »[28].

Le , lors du climax décrit plus bas, le buste du général Storms est aspergé de peinture rouge[29],[30].

Climax en 2020

La statue de Léopold II à Ekeren avant sa dégradation et son retrait en juin 2020.
Le buste au boulevard du Souverain à Auderghem avant sa destruction en juin 2020.
Le buste du roi Baudouin à Bruxelles avant sa dégradation en juin 2020.

Prise de position des partis politiques bruxellois en faveur de la décolonisation de l'espace public

Le , les partis de la majorité à la Région de Bruxelles-Capitale (PS, Ecolo, DéFI, Groen, Open Vld, One Brussels) déposent une résolution visant à décoloniser l’espace public en région bruxelloise[31],[32].

« Cette résolution demande notamment au Gouvernement bruxellois d’établir un inventaire des noms de places publiques et de rues sur l’héritage de l’histoire coloniale belge »[31],[32]. La proposition de résolution demande de mettre en place un groupe de pilotage composé entre autres d’experts et de personnes de la société civile, qui « sera chargé de faire des propositions concrètes dans le cadre du travail de contextualisation et/ou de déplacement des vestiges coloniaux dans les musées »[31],[32].

« Ce travail important sur la mémoire coloniale constitue une priorité pour la décolonisation des esprits. Elle est primordiale pour lutter contre l’imaginaire colonial en Belgique », explique le député écologiste Kalvin Soiresse Njall[31],[32].

La députée socialiste bruxelloise Leila Agic cite Frantz Fanon : « L'immobilité à laquelle est condamné le colonisé ne peut être remise en question que si le colonisé décide de mettre un terme à l'histoire de la colonisation, à l'histoire du pillage, pour faire exister l'histoire de la nation, l'histoire de la décolonisation »[31].

Enlèvements et dégradations de statues après l'assassinat de George Floyd aux États-Unis

Le , une étudiante afro-descendante lance une pétition qui demande le retrait de la statue de Léopold II qui séjourne dans les locaux de son université de Mons[33]. Le , l'UMons décide de « retirer le buste et de le ranger définitivement dans les réserves afin que personne – étudiants, enseignants ou visiteurs extérieurs – ne puisse plus se sentir offusqué par sa présence »[33],[34].

Le , une statue de Léopold II datant de 1873 est retirée dans le quartier anversois d'Ekeren afin d'être restaurée au musée Middelheim d'Anvers après avoir été la cible de dégradations à plusieurs reprises[35].

Le , la presse annonce que la statue équestre de Léopold II à Bruxelles a été recouverte de plusieurs inscriptions après la manifestation « Black Lives Matter » qui a rassemblé plus de 10.000 personnes contre le racisme le à Bruxelles[36] dans la foulée des manifestations et des émeutes contre le racisme et les violences policières qui font suite à la mort de George Floyd à Minneapolis aux États-Unis le  : « On peut notamment lire un grand « Pardon » sur son buste, l'inscription « BLM » en référence au mouvement Black Lives Matter, « Fuck racism » ou « This man killed 15M people » (« cet homme a tué 15 millions de personnes en anglais ») »[37],[38],[39],[40].

Le , un buste du roi situé sur le square du Souverain, près du boulevard du Souverain à Auderghem est jeté à terre à coups de masse puis tagué de peinture rouge[41],[42].

Le , c'est le buste du roi Baudouin placé devant la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles, à Bruxelles qui est vandalisé : le visage est recouvert de peinture rouge et le mot « Réparation » est tagué sur le socle du monument[43],[44].

Le lendemain , c'est au tour de la statue de Léopold II située rue de Belle-Vue à Ixelles d'être taguée « Abolish racist monuments » et au buste du général Storms évoqué plus haut d'être aspergé de peinture rouge[29],[30]. Quelques jours après, on apprend que la statue de Léopold II à Arlon a subi le même sort[45].

Le , jour du 60e anniversaire de l'indépendance de la République démocratique du Congo, des activistes tentent de recouvrir la statue équestre de Léopold II à Bruxelles de bâches noires mais ils en sont empêchés par la police.

Tout cela se déroule dans un contexte mondial de déprédations, de destruction et d'enlèvement de statues comme celles de Christophe Colomb aux États-Unis (contesté par les Amérindiens), de l'explorateur James Cook et du commandant de la marine britannique John Hamilton en Nouvelle-Zélande (contestés par les Maoris), du président sudiste Jefferson Davis, des marchands d'esclaves Edward Colston et Robert Milligan à Bristol en Angleterre, de la reine Victoria, de l'ancien Premier ministre britannique Winston Churchill (dont des propos sur les questions raciales ont suscité la controverse) et de Robert Baden-Powell, fondateur du scoutisme, accusé de racisme, d'homophobie et de liens avec le régime nazi[12],[10],[46],[47],[48],[49],[50]. Le , la démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants des États-Unis appelle au retrait des 11 statues du Capitole des États-Unis qui représentent des soldats et des responsables confédérés, dont celle du président Jefferson Davis[12].

Prise de position du secrétaire d'État bruxellois chargé de l'Urbanisme et du Patrimoine bruxellois

Le secrétaire d'État bruxellois Pascal Smet.

Le , Pascal Smet, secrétaire d'État bruxellois chargé de l'Urbanisme et du Patrimoine, annonce qu'il « proposera au gouvernement bruxellois de mettre sur pied un groupe de travail chargé de se prononcer sur le sort à réserver aux références, dans la capitale, au roi Léopold II, figure contestée du colonialisme »[39],[51]. Selon Pascal Smet, ce groupe serait composé notamment d’experts et de représentants de la population d’origine congolaise résidant à Bruxelles[51].

“Si la conclusion de ce débat est qu’il faut retirer ces références, j’accorderai les permis d’urbanisme nécessaires”, a expliqué le secrétaire d’Etat, à l’agence Belga. Pascal Smet s’est par ailleurs ouvertement prononcé en faveur de la présence à Bruxelles d’un mémorial de la décolonisation[51].

Si le groupe de travail aboutit à la conclusion d’un retrait des statues de Léopold II, rien n’exclut non plus la possibilité d’en transformer l’une ou l’autre pour l’inclure dans le mémorial, selon Pascal Smet[51].

« Pour le secrétaire d'État, le mouvement Black Lives Matter et une pétition qui a réuni récemment 60.000 signatures en faveur du retrait des statues du roi Léopold II justifient la tenue d'un débat approfondi sur cette question »[39],[51].

Réaction du bourgmestre d'Auderghem

Le , le bourgmestre d'Auderghem Didier Gosuin fait savoir qu'il n'a pas l'intention de retirer des sculptures ou de débaptiser des rues : « Ce n'est pas comme ça qu'on fait avancer la démocratie et ce n'est pas comme ça non plus qu'on fait évoluer l'histoire »[52],[53].

« Je condamne fermement ces actes de vandalisme et je ne crois pas qu'ils facilitent une lecture raisonnée de l'histoire »[52],[53]. « Je ne nie pas la nécessité d'avoir une lecture objective de l'histoire coloniale, mais ce n'est pas aux communes de faire cela. C'est à l'État fédéral de réunir un collègue d'experts et d'historiens pour qu'ils proposent une lecture qui ne serait pas celle faite par les colons. Changer le récit doit se faire de manière apaisée, pas dans le conflit »[52],[53].

Didier Gosuin annonce donc qu'il va envoyer un courrier au gouvernement fédéral pour demander à la Première ministre de réunir un collège d'experts et d'historiens afin de proposer un récit conforme à diffuser dans les manuels scolaires et l'espace public[52],[53].

Des mises en contexte pourraient rappeler les parts d'ombre et de lumière à côté de certaines statues et noms de rue[52].

Gosuin conclut en évoquant Napoléon : « On doit à Napoléon le code civil et de grandes avancées, mais aussi une barbarie et des massacres pour assouvir sa folie impériale Il figure partout dans l'espace public français. Les Français n'ont pas encore à son égard un recul suffisant, même si on ne glorifie plus Napoléon de la même manière aujourd'hui. Ceux qui ont eu du pouvoir dans l'histoire ont rarement été des saints »[52],[53].

Réaction de Juliana Lumumba

Juliana Lumumba, la fille unique de Patrice Lumumba - qui fut le premier Premier ministre du Congo indépendant en 1960, avant d'être assassiné quelques mois plus tard à Elisabethville (Lumumbashi), suit depuis Kinshasa les discussions passionnées de qui ont lieu en Belgique sur l'héritage de la colonisation belge du Congo[54].

Pour elle, « Qu'on enlève ces statues ou qu'on les laisse, c’est une question pour la conscience des Belges. Mais Léopold II fait partie de l'histoire de la Belgique et du Congo, que cela nous plaise ou pas. L'histoire ne changera pas parce qu'on décide d'enlever ces statues »[54].

Elle conclut : « Trop de passion s'est glissée dans le débat, et trop peu de connaissances. Combien de personnes savent réellement de qui elles parlent lorsqu'elles parlent de Léopold II ? Je préconise que, dans les écoles belges et congolaises, on étudie les faits historiques. Si vous les connaissez, vous pouvez juger. On ne change pas l'histoire en mettant le feu à une statue »[55].

Décolonisation de l'espace public en Grande-Bretagne

Au Royaume-Uni, l'explosion n'a lieu qu'en 2020.

Le , à Bristol, une statue en bronze du marchand d'esclaves du XVIIe siècle Edward Colston, érigée en 1895 dans une rue qui porte son nom, est arrachée de son piédestal, tirée avec des cordes, piétinée, puis jetée à l'eau par des manifestants protestant après la mort de George Floyd[12],[48],[56]. Le maire de Bristol déclare que cette statue était en elle-même un affront, et qu'il n'éprouvait aucun sentiment de perte après ce geste de la foule[48]. le député travailliste Clive Lewis tweete : « Si les statues des confédérés qui ont mené une guerre pour l'esclavage et la suprématie blanche devaient tomber, alors pourquoi pas celle-ci ? Quelqu'un qui est responsable d'un sang et de souffrances incommensurables. Nous ne résoudrons jamais le problème du racisme structurel tant que nous ne nous attaquerons pas à notre histoire dans toute sa complexité »[56].

Le à Londres, l'inscription « C'était un raciste » est taguée sur le piédestal d'une statue de Winston Churchill, héros de la Deuxième Guerre mondiale, dont divers propos sur les questions raciales ont suscité la controverse[12],[48] : il a plaidé contre l'autonomie des Noirs ou des autochtones en Afrique et dans les Caraïbes, et avait des opinions mitigées sur les Musulmans, qualifiant les Afghans ou les Irakiens de tribus non civilisées[48].

Durant une manifestation le à Oxford, des activistes menacent de s'en prendre à la statue de Cecil Rhodes qui domine à l’entrée du collège : « Rhodes, tu es le prochain sur la liste »[48]. Cet homme d'affaires et homme politique est considéré comme l'archétype de l'impérialiste britannique et fier de l'être, imprégné de sa « mission civilisatrice »[48]. En Afrique du Sud, en 2015, avait eu lieu le mouvement Rhodes must fall, qui avait déboulonné la statue de ce même homme politique britannique.

Après ces incidents, le maire de Londres Sadiq Khan annonce qu'il va mettre sur pied une commission chargée d'une révision générale des monuments, des statues et de la toponymie de la ville : elle s'appellera la « Commission pour la diversité dans le domaine public »[48].

Articles connexes

Références

  1. (en) Aaron Goile, « Who are New Zealand's statues, monuments and places named after? », Stuff,
  2. (en) Hanna Martin, « New Zealand Wars memorial statue defaced by anti-colonial activists », Stuff,
  3. (en) « Controversy over NZ colonial statues long-standing », RNZ (Radio New Zealand),
  4. (en) « Whina Cooper leads land march to Parliament », New Zealand History,
  5. (en) Henry Cooke, « Captain Cook statue in Gisborne repeatedly defaced », Stuff,
  6. (en) Kymberlee Fernandes, « Marmaduke Nixon monument in south Auckland to stay », Stuff,
  7. (en) « Controversial statue of Captain James Cook to be moved », RNZ (Radio New Zealand),
  8. (en) John Lewis, « Queen Victoria statue vandalised in Treaty protest », RNZ (Radio New Zealand),
  9. « La Nouvelle-Zélande retire la statue controversée d'un commandant britannique », RTBF,
  10. « La Nouvelle-Zélande retire la statue controversée d'un commandant britannique », DH,
  11. (en) Michael Neilson, « George Floyd protests: Waikato-Tainui renew call to rename Hamilton original Māori name Kirikiriroa following statue removal », NZHerald,
  12. « Déboulonnées, décapitées, vandalisées : cinq statues de la discorde », Le Point,
  13. (en) Melissa Alonso, « Philadelphia plans to take down Columbus statue », CNN,
  14. (en) Leah Asmelash, « Statues of Christopher Columbus are being dismounted across the country », CNN,
  15. (en) « Confederate and Columbus statues toppled by US protesters », BBC,
  16. (en) Theresa Machemer, « Christopher Columbus Statues Beheaded, Pulled Down Across America », Smithsonian Magazine,
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Bibliographie

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