Déesse de la Démocratie
La Déesse de la Démocratie est une sculpture réalisée par des étudiants de l'école nationale des beaux-arts de Pékin dans les derniers jours des manifestations de la place Tian'anmen en 1989, mouvement d'étudiants, d'intellectuels et d'ouvriers chinois, qui dénonçaient la corruption et demandaient des réformes politiques et démocratiques.
民主女神
Date |
1989 |
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Type |
Polystyrène et plâtre pour l'original de 1989. |
Technique | |
Hauteur |
1000,00 cm |
Commentaire |
La statue est détruite dans la nuit du 3 au 4 juin 1989. Il existe des répliques dans plusieurs villes, dont Hong Kong au sein du musée du 4 juin. |
Après sa destruction par l'armée populaire de libération lors de la reprise de la place, la sculpture a été reproduite à Washington, Vancouver, Hong Kong, San Francisco et Toronto.
Contexte
Le , Zhao Ziyang, Secrétaire général du Parti communiste chinois, fait une intervention sur la place Tiananmen et engage des négociations avec les étudiants grévistes. Le jour même de cette intervention, il est arrêté, à l'initiative de la faction dure du Parti communiste chinois et assigné à résidence. La loi martiale est décrétée dans la nuit du au . Les troupes de l'armée qui ceinturent Pékin avec 200 000 hommes sont stoppées par les manifestants et pactisent avec eux. Ces troupes sont alors retirées le .
Pendant près de cinq jours, les manifestants pensent avoir obtenu gain de cause. Apprenant que leurs homologues de Shanghaï avaient transporté une réplique de la Statue de la Liberté jusqu'à la mairie de leur ville, les étudiants contactent l'Académie centrale des Beaux-Arts, laquelle accepte de faire une statue similaire. Baptisée Déesse de la Démocratie, elle est érigée sur la place Tiananmen. Le mouvement de protestation, qui montrait des signes de lassitude et de découragement, s'en trouve revigoré. Les manifestants se regroupent autour de ce symbole et chantent L'Internationale mais le pouvoir n'est guère impressionné[1],[2]. Ses haut-parleurs mettent en garde : « Cette statue est illégale. Elle n'a pas l'approbation du gouvernement. Même aux États-Unis, il faut une autorisation pour ériger une statue. »[3].
De nouvelles troupes interviennent pour engager la répression à partir du , elles rentrent dans Pékin le [1]. L'enthousiasme suscité par l'érection de la statue ne dure pas et le mouvement s'effiloche dans les premiers jours de juin[4].
Description
Désignation
Selon Dru C. Gladney, la « statue de la Démocratie » a été déifiée en chinois en « Déesse de la Démocratie » (Ziyou Nushen) de la même manière que l'expression « statue de la Liberté » devient en chinois « Déesse de la Liberté »[5].
Inspiration
La Déesse de la Démocratie, haute de 10 mètres, a été construite en polystyrène et en plâtre, sur une armature métallique. Plutôt que de faire appel à des motifs artistiques chinois traditionnels, cette figure tout en blanc d'une femme portant une torche et aux cheveux balayés par le vent, s'inspire principalement de la statue de la Liberté américaine (de son vrai nom « La Liberté éclairant le monde »), due au sculpteur français Frédéric Auguste Bartholdi. Cependant, alors que son homologue de New York brandit sereinement sa torche, la Déesse de la démocratie agrippe la sienne des deux mains, manifestant ainsi à la fois l'idéal de la démocratie américaine et la nature précaire du mouvement démocratique chinois[1]. Ces différences ont été voulues par les étudiants, soucieux de ne pas faire une copie intégrale de la statue américaine comme celle qui avait été promenée dans les rues de Shanghaï à la mi-mai[6].
Édification
Construites par les divers instituts d'art de Pékin en seulement 4 jours à partir du , les sept parties qui la composent sont transportées et assemblées dans la nuit du lundi 29 au mardi [7], entre deux symboles du régime, le Monument aux Héros du Peuple et le tableau géant de Mao Zedong[8]. Ce dernier avait été barbouillé de peinture[9] par trois manifestants dont le journaliste Yu Dongyue. Les auteurs de la statue ont délibérément donné à celle-ci la taille la plus grande possible pour en rendre l'enlèvement difficile[10].
Impact
Apparue juste au moment où le mouvement montrait des signes d'essoufflement, la déesse a incité une foule de badauds et de partisans à se rendre sur la place pour la voir. Parmi ces nouveaux venus, des jeunes qui avaient eu maille à partir avec l'appareil de l'État ou qui avaient été maltraités par des policiers et qui avaient un compte à régler. Ces jeunes auraient été responsables d'une partie des violences survenues dès le à Xi'an (Shaanxi) et à Changsha (Hunan) et le à Pékin[8].
Destruction
Lors de la reprise de la place par l'armée populaire de libération dans la nuit du 3 au , la Déesse de la Démocratie essuie les coups de boutoir d'une voiture blindée. Au premier coup, elle oscille mais ne tombe pas. Il faut encore trois ou quatre coups pour qu'elle bascule de son socle en bois et tombe à terre, où elle est taillée en pièces par les soldats[1],[11],[12].
Suites
Deux semaines plus tard, le , une nouvelle Déesse de la démocratie est édifiée à Hong Kong. Un documentaire réalisé par des cinéastes hongkongais sur la construction de ce nouvel avatar, se heurte au refus de tous les cinémas commerciaux de la ville de le passer[13].
En 1990, le bateau « La Déesse de la démocratie » devait se rendre à Taiwan pour rejoindre les eaux internationales et émettre des messages en faveur de la démocratie[14]. L'opération sera un échec, l'émetteur radio n'ayant pas été livré et Taïwan refusant d'accueillir le bateau[15].
En 2010, lors de la commémoration des événements de Tianamen de 1989 à Hong Kong, une statue de la liberté, inspirée de la Déesse de la démocratie, est installée dans un centre commercial puis au sein d'un campus universitaire. Chen Weiming, l'auteur de la sculpture, venu pour participer à la commémoration, est refoulé à son arrivée à Hong Kong[16].
Analyses
Pour les universitaires Mireille Delmas-Marty et Pierre-Étienne Will, la jeunesse chinoise s'approprie une déesse étrangère, légèrement sinisée avec des yeux bridés, symbole d'idéaux démocratiques comme la lutte contre la corruption des élites, la liberté de la presse, l'émergence d'organisations sociales indépendantes[17].
Pour Kenneth C. Petress, les dirigeants de la Chine ont vu se profiler, à travers la statue et le choix de son emplacement, des perspectives qu'ils ne pouvaient tolérer : l'individualisme à l'occidentale, l'influence de l'Occident dans les décisions du gouvernement, la soumission de l'économie chinoise aux intérêts occidentaux, l'érosion du pouvoir et de l'autorité des dirigeants, le développement de l'anarchie. Pour les cercles du pouvoir, l'irruption de la Déesse a été la dernière goutte qui a fait déborder le vase, ressoudant les dirigeants effrayés, renforçant les partisans de la ligne dure et déclenchant l'intervention finale. Deng Xiaoping aurait déclaré que la statue des étudiants profanait le site, à ses yeux sacré, de la place Tienanmen[18].
Répliques
- À San Francisco, dans le quartier chinois, la statue de la déesse de la Démocratie est érigée dans le square de Portsmouth[19].
- Une reproduction de la sculpture de la déesse de la Démocratie est exposée dans le musée du 4 juin de Hong Kong[20].
- À Washington, le Mémorial des victimes du communisme reprend la sculpture de la Déesse de la Démocratie[21].
Galerie
- Première Déesse de la Démocratie de Hong Kong en 2010
- Deuxième Déesse de la Démocratie de Hong Kong en 2010.
- Université York à Toronto.
- Deuxième sculpture de l'université York.
- Université de la Colombie-Britannique à Vancouver.
- Quartier chinois de San Francisco.
- Monument aux victimes du communisme à Washington
Références
- (en) Yuwu Song, Encyclopedia of Chinese-American Relations, 2006, 367 p., p. 120 (Goddess of Democracy).
- (en) Sharon Erickson Nepstad, Why Nonviolence Sometines Fails: China in 1989, Jeff Goodwin, James M. Jasper eds., The Social Movements Reader: Cases and Concepts, 3rd edition, John Wiley & Sons, 2014, 448 p., p. 410 : « The conflict took a toll on student resisters, who were quickly growing tired and discouraged. But the movement gained new momentum when the students heard that Shanghai demonstrators had carried a Statue of Liberty replica to City Hall. Students quickly contacted Beijing's Central Academy of Fine Arts, which agreed to make a similar statue dubbed the Goddess of democracy. »
- (en) W. J. T. Mitchell, The violence of public art. Do the right thing, in Saul Ostrow, Susan King Roth, Beauty is Nowhere: Ethical Issues in Art and Design, Routledge, 2013, 246 p., pp. 189-208, p. 189 : « [...] despite the warnings from government loudspeakers: "This statue is illegal. It is not approved by the government. Even in the United States statues need permission before they are put up. »
- Sharon Erickson Nepstad, op. cit. : « But the enthusiasm generated by the Goddess was short-lived and the movement rapidly unravelled in the first days of June. »
- (en) Dru C. Gladney, Dislocating China: Reflections on Muslims, Minorities and Other Subaltern Subjects, C. Hurst & Co. Publishers, 2004, 414 p., p. 355 : « Democracy got a goddess. Darling of the Western press, the so-called Goddess of Democracy (I say so-called because in Chinese the Statue of Liberty is also deified: Ziyou Nushen, means 'Goddess of Liberty / Freedom', but this was not picked up in the media). »
- (en) Robert Hariman and John Louis Lucaites, Liberal Representation and Global Order, in Lawrence J. Prelli ed., Rhetorics of Display, University of South Carolina, 2006, 443 p., pp. 121-140, p. 134 : « Wu Hung reports on the students' decision to not make a literal reproduction of the American model, as had been done in Shanghai, in "Tienanmen Square: A Political History of Monuments", Representations 35 (1991):110 ».
- Francis Deron, La "Déesse de la démocratie" sur la place Tiananmen, Le Monde, 14 avril 2009 : « Elle ressemble d'assez loin à l'original, et le flambeau qu'elle brandit, en direction du portrait de Mao Zedong sur la porte de la Paix céleste, représente le plus scandaleux affront que le régime communiste chinois ait eu à subir à ce jour : la statue de la Liberté, rebaptisée "déesse de la démocratie", que les étudiants de l'Institut des beaux-arts ont érigée dans la nuit du lundi 29 au mardi 30 mai, sur la place Tiananmen n'est pas tant un pied de nez au " Grand Timonier ", dont le regard ne peut plus éviter la présence incongrue dans l'axe central de la place qui mène au monument aux Héros du peuple, qu'à cet "architecte en chef" silencieux depuis deux semaines dont on ne sait s'il est en province ou à Pékin, M. Deng Xiaoping. »
- (en) Joseph W. Esherick and Jeffrey N. Wasserstrom, Acting out Democracy. Political Theater in Modern China, in David E. Lorey, William H. Beezley eds, Genocide, Collective Violence, and Popular Memory: The Politics of Remembrance in the Twentieth Century, Rowman & Littlefield, 2002, 258 pages, pp. 167-188, pp. 173-174 : « The placement of the Goddess of Democracy in Tiananmen Square – directly between two sacreed symbols of the Communist regime, a giant portrait of Mao and the Monument to the People's Heroes – was another powerful piece of theater. [...] A potent pastiche of imported and native symbolism, the goddess appeared in the square just as the movement was flagging, bringing new crowds of supporters and onlookers to the area. [...] Inevitably, this attracted members of the floating population of youths who had beeb in and out of trouble with the state apparatus. Mistreated by public security men in the past, many bore grudges they were anxious to settle. It appears that these young men were responsible for some of the violence that broke out as early as April 22nd in Xi'an and Changsa, and on June 3rd in Beijing. »
- Marc Abélès, Pékin 798, 2011.
- Sharon Erickson Nepstad, op. cit. : « Moreover, the sculptors had intentionally made her as large as possible so that it woud be difficult to remove her. »
- (en) Louisa Lim, The People's Republic of Amnesia: Tiananmen Revisited, Oxford University Press, 2014, 240 pages, n. p. : « He continued to watch as an armored car crashed into the Goddess of Democracy, the lumpen sister to the Statue of Liberty, that had been erected by art students just a few days earlier and had become an instant icon for the movement. After the first collision, the statue wobbled, but it did not fall. It took three or four more attempts before it slowly keeled over. And he watched as a line of armored cars careened over the tents in which only hours earlier students had been living. Chen insisted that he did not see any people killed in the square – either civilians or military – nor did he at any time fire a gun himself. »
- (en) David L. Hall and Roger T. Ames, Understanding Order: The China Perspective, in Robert C. Solomon, Kathleen Marie Higgins eds., From Africa to Zen: An Invitation to World Philosophy, Rowman & Littlefield, 2003, 296 p., pp. 1-20, p. 1 : « [...] The plaster Goddess of Democracy lies broken in several pieces. A heavy armored vehicle has pulled it from its wooden stand, and it has toppled through the many institutional flags that still fly around its base. »
- (en) Michael Berry, A History of Pain: Trauma in Modern Chinese Literature and Film, Columbia University Press, 2008, 420 pages, p. 322.
- La Déesse de la démocratie est arrivée à Taiwan, Le Soir, 14 mai 1990.
- Collection Témoignages : La déesse de la démocratie : Min Zhu zhi Shen, France culture, 7 septembre 2015.
- Hongkong : 150 000 personnes commémorent le massacre de Tiananmen, Le Monde, 5 juin 2010.
- Mireille Delmas-Marty, Pierre-Étienne Will, La Chine et la démocratie.
- (en) Kenneth C. Petress, The Goddess of Democracy as Icon in the Chinese Student Revolt, in Andrew King ed., Postmodern Political Communication: The Fringe Challenges the Center, Greenwood Publishing Group, 1992, 188 p., pp. 102-114, p. 112.
- (en) San Francisco : square de Portsmouth : « Dedicated to those who strive for and cherish human rights and democracy. A gift to the city of San Francisco from the San Francisco Goddess of Democracy Statue Project. »
- Le premier musée sur les violences à Tiananmen ouvre à Hong Kong, Libération, 18 avril 2014.
- Washington inaugure un mémorial aux victimes du communisme, Le Figaro, 14 octobre 2007 : « Réplique en bronze de celle érigée par les étudiants chinois et détruite par les chars sur la place Tienanmen en 1989, elle est dédiée « aux plus de cent millions de victimes du communisme » et « à la liberté et à l'indépendance de tous les peuples et nations enchaînés ». Dans le décompte de la fondation privée qui a recueilli un million de dollars pour ce mémorial, la Chine vient en tête des régimes criminels, avec 65 millions de victimes, devant l'Union soviétique, avec 20 millions de morts ».
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