Démon de Maxwell
Le démon de Maxwell est une expérience de pensée imaginée par James Clerk Maxwell en 1867[1], pour suggérer que la seconde loi de la thermodynamique n'est vraie que de manière statistique. Cette loi établit l'irréversibilité de phénomènes de physique statistique et notamment des transferts thermiques, se traduisant par une augmentation continue de l'entropie. Par exemple, si on laisse ouverte la porte d'un réfrigérateur éteint, la température du réfrigérateur et de la pièce vont s'équilibrer, et cela de manière irréversible sans apport d'énergie. Or, l'expérience du démon de Maxwell propose un processus permettant de revenir à un état de température inégal, sans dépenser d'énergie, et en diminuant l'entropie, ce qui est en principe impossible selon la seconde loi de la thermodynamique.
Ce paradoxe a suscité, et suscite encore, un grand nombre d'études et de débats depuis son énoncé en 1871. Pendant plus d'un demi-siècle, son étude n'a pas tellement progressé, jusqu'à ce que Leó Szilárd propose en 1929 un modèle physique du démon de Maxwell permettant d'étudier précisément et formellement le processus.
Vingt ans plus tard, en 1949, Léon Brillouin propose une solution du paradoxe mettant l'accent sur la nécessité pour le démon d'acquérir de l'information, et mettant en évidence que cette acquisition augmente l'entropie du système et sauve la seconde loi. Après avoir été adoptée par la plus grande partie de la communauté scientifique, cette solution a de plus en plus été remise en question, notamment par l'établissement de modèles de « démons » automatiques, où l'acquisition d'information ne joue pas un rôle déterminant. Le lien fait par Brillouin entre l'entropie et la théorie de l'information a également été critiqué.
Un nouveau tournant a lieu en 1961, quand Rolf Landauer — suivi de Charles Bennett — met en évidence l'importance de la mémorisation de l'information et surtout de la nécessité d'effacer cette mémoire pour réaliser un cycle thermodynamique complet. L'effacement de la mémoire ayant un coût en entropie, cela rétablit le second principe de la thermodynamique.
Des études plus modernes mettant en jeu des versions quantiques du démon de Maxwell, effectuées notamment par Wojciech Hubert Zurek dans les années 1980 confirment le principe de Landauer. Toutefois, de nouveaux modèles d'expériences de pensée remettant en cause le second principe continuent à être proposés dans les années 2000, soit ne nécessitant pas d'effacement d'information, soit n'utilisant pas du tout le concept d'information, ni même de démon, mais tirant parti de conditions spécifiques comme des géométries non euclidiennes, l'intrication quantique ou des champs de force[2].
Description
L'expérience du démon de Maxwell consiste en une boîte contenant un gaz, à deux compartiments (A et B) séparés par une porte P à l'échelle moléculaire ; un « démon » commande la porte. Le fonctionnement de la porte ne dépense pas d'énergie. Maxwell suppose, comme on commençait à l'admettre à l'époque, que le gaz est constitué de molécules en mouvement. Le démon est capable de déterminer la vitesse des molécules, et commande l'ouverture ou la fermeture de la porte en fonction de l'état des molécules.
À partir de là, l'expérience a plusieurs variantes.
Dans sa version originale, la température est supérieure dans le compartiment B à ce qu'elle est dans le compartiment A. Or la température est proportionnelle à la vitesse quadratique moyenne des molécules. Le démon laisse passer du compartiment B au compartiment A les molécules de B plus lentes que la vitesse moyenne des molécules du compartiment A, et laisse passer de A à B les molécules de A plus rapides que la vitesse moyenne des molécules dans B. Résultat : la température dans B a augmenté tandis que celle de A est réduite : on a donc refroidi une source froide à partir d'une source chaude, ce que la seconde loi de la thermodynamique a justement pour objet d'interdire. On diminue donc l'entropie totale du système.
Dans une variante, le démon ouvre la porte aux molécules qui veulent entrer dans le premier compartiment (A), mais il ferme la porte à celles qui veulent sortir. Ainsi, les molécules passent spontanément, sans travail, de B vers A. Le démon augmente l'énergie à l'intérieur du compartiment A et la diminue dans le compartiment B : il serait dès lors possible en utilisant l'information que possède le démon (la reconnaissance des molécules et le tri sur cette base) de transformer de l'énergie cinétique d'agitation thermique en travail.
Les deux situations sont équivalentes, puisque le passage de la situation finale de la première expérience à celle de la deuxième est aisé.
Levée du paradoxe
Selon un point de vue largement majoritaire[réf. nécessaire], cette levée a été effectuée par le physicien Léon Brillouin.
Le démon, pour prendre les décisions de laisser passer ou de renvoyer une particule, est obligé de l'observer, donc d'utiliser l'information dont il dispose[3]. La quantité d'information que cela représente est minime, mais si on passe au niveau microscopique, avec 1023 fois plus de molécules, l'information ainsi utilisée par le démon de Maxwell, que l'on suppose indisponible pour l'observateur macroscopique, est importante. La baisse d'entropie découlant de l'exploitation des informations accessibles au démon correspond alors exactement à la différence entre information accessible à l'observateur macroscopique et information accessible au démon. L'impossibilité, pour l'observateur macroscopique, de faire de même que le démon passe donc par l'hypothèse selon laquelle prélever l'information accessible au démon exigerait, pour un observateur macroscopique, de dégrader de l'énergie mécanique en chaleur pour un montant faisant perdre au moins autant d'information (chiffrée par l'entropie macroscopique) que ce que l'opération d'acquisition d'information est censée en faire gagner.
Léon Brillouin lève de façon similaire un paradoxe du même ordre, où le démon est remplacé par une simple roue à rochet.
Par une argumentation similaire, on trouve une augmentation de l'entropie et la seconde loi de la thermodynamique est bien respectée.
Il est toutefois intéressant de résumer l'argumentation. Le respect du second principe de la thermodynamique (en gros, l'impossibilité de transformer de la chaleur en travail au cours d'un cycle monotherme) repose sur le fait que la quantité maximale d'information dont peut disposer un observateur sur un système isolé (dont il fait partie) est inférieure à la quantité d'information nécessaire pour caractériser complètement l'état microphysique du système moins celle qui lui est inaccessible à condition d'ajouter l'hypothèse selon laquelle cette quantité d'information inaccessible à l'observateur est supérieure ou égale à l'entropie macroscopique du système isolé considéré. On peut s'interroger sur le caractère de principe physique ou le caractère au contraire technologique de cette limitation.
Références et bibliographie
Références
- (en) CARGILL GILSTON KNOTT, LIFE AND SCIENTIFIC WORK OF PETER GUTHRIE TAIT : supplementing the two volumes, of scientific... papers published in 1898 and 1900., FORGOTTEN BOOKS, (ISBN 1331990793, OCLC 983142500, lire en ligne), p. 213-214
- Leff et Rex (2003), p. 34.
- (en) Léon Brillouin, « Maxwell's Demon Cannot Operate: Information and Entropy. I », Journal of Applied Physics, vol. 22, , p. 334-337
Bibliographie
- Léon Brillouin, La science et la théorie de l'information, Masson (1959), réédité par Gabay (1988)
- Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité (1970)
- Harvey S Leff et Andrew F Rex, Maxwell's Demon 2 : Entropy, Classical and Quantum Information Computing, Institute of Physics Publishing 2003
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Uzan, P. (2007). Physique, information statistique et complexité algorithmique. Philosophia Scientiæ. Travaux d'histoire et de philosophie des sciences, vol. 11-2, p. 121-162
- Portail de la physique