Des terroristes à la retraite

Des terroristes à la retraite est un documentaire français de Mosco Boucault sorti en 1985 et diffusé en juillet de la même année sur Antenne2[1], qui expose quels mêmes engagements individuels ont conduit les francs tireurs de la MOI dans la Résistance armée durant l'Occupation.

Des terroristes à la retraite

Réalisation Mosco Boucault
Scénario Mosco Boucault
Sociétés de production Antenne 2
La Cécilia
Top n°1
Zek Productions de Films
Pays de production France
Genre Documentaire
Durée 84 minutes
Sortie 1985

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

C'est le film qui a mis au grand jour le rôle primordial des immigrés dans la réalisation des faits d'armes de la Résistance communiste. C'est ce film qui a, notamment par le témoignage de Mélinée Manouchian, posé la question, sans apporter de réponse, de la responsabilité de la direction du Parti communiste français dans ce qui a conduit à l'arrestation des hommes de l'Affiche rouge par la 2e Brigade spéciale collaborant avec la Police secrète allemande. La polémique soulevée a été appelée « affaire Manouchian » bien qu'elle concerne aussi tous les autres groupes FTP MOI.

Synopsis

Immigrés en France dans les années trente, Français ou apatrides, Juifs pour un grand nombre, ils ont été les principaux acteurs de la guérilla urbaine menée dans les rues de Paris exclusivement contre des militaires des forces de l’Occupation allemande. Le réalisateur Mosco Boucault recueille le témoignage de ces héros ordinaires qualifiés par Vichy de « terroristes » puis abandonnés par la République.

Le scénario reconstitue le parcours de cinq ex MOI en l'émaillant du témoignage de camarades. Ces sources de première main, celles des seuls survivants, sont présentées dans le cadre d'une contextualisation confiée à des historiens.

Censure ?

Le film, terminé en 1983, est interdit de visa pendant deux ans[2]. Une enquête, menée par les historiens impliqués dans la réalisation du film, met en évidence que la censure vient de pressions exercées par le Parti communiste français[2]. C'est par la voix de Simone Signoret, narratrice dans le film, que ces manœuvres sont dénoncées[2] quand, à la chute du gouvernement Mauroy, le PCF quitte les affaires. L'existence du film censuré est portée à la connaissance du public en un cycle de conférences[3].

Dès avant la sortie du film, le président-directeur général de la chaîne Antenne 2, Jean-Claude Héberlé, s'oppose à sa diffusion télévisée programmée pour le [4]. Dérogeant à ses obligations éditoriales définies par la loi, il saisit la Haute Autorité, laquelle réunit à son tour un jury d'honneur composé d'anciens résistants, parmi lesquels figurent Claude Bourdet, Pierre Sudreau, Henri Noguères, Lucie et Raymond Aubrac. Le [5], sur l'avis du jury d'honneur, les neuf membres de la Haute Autorité émettent l'avis que l'émission ne peut être diffusée sans permettre qu’un droit de réponse ne soit exercé et la programmation est annulée. Le PCF rappelle à cette occasion un précédent : en 1983 l'ancien résistant gaulliste, Pierre de Benouville, fut également mis en cause dans un documentaire. Sur sa demande la Haute Autorité déprogramma aussitôt l'émission. Personne ne cria à la censure.

Le , grâce à l'intervention de Marin Karmitz, le distributeur MK2 projette Des terroristes à la retraite dans sa salle parisienne du 14 Juillet Racine et le programme dans toute la France pour le 12.

Le ministre de l'audiovisuel, Georges Fillioud, ayant critiqué l'annulation de l'émission par la Haute Autorité, celle-ci décide de la reprogrammer sans tenir compte de l'avis du jury d'honneur qu'elle a elle-même nommé. Mais le , sous la pression des employés de la CGT de la chaîne et de l'ensemble du service public audiovisuel (SFP, TDF, TF1 et FR3), le conseil d'administration, désavouant d'une certaine façon son pdg, définit les conditions dans lesquelles la diffusion pourra être autorisée[4]. Le film sera présenté par un représentant du PCF. Ce sera le sénateur communiste Charles Lederman, ex FTP MOI de la région lyonnaise. La diffusion devra être suivie d'un débat entre historiens. Ce sera aux Dossiers de l'écran, le . Au début de ce débat, Annette Kamieniecki, très mal à l'aise, venue témoigner de son passage des Jeunesses communistes à l'action armée, est interrompue par Alain Jérôme à l'occasion d'un incident provoqué par Armand Jammot puis la parole est accaparée par le gaulliste Jacques Chaban-Delmas[6]. Pour lui les dénonciations aux Allemands provenaient de résistants qui avaient parlé sous la torture.

Engagé politiquement à droite, Henri Amouroux, l'historien de la France occupée, reprenant ce qu'il avait écrit dans Le Figaro Magazine, désavoue le film et proteste contre une accusation dénuée de toute preuve à l'encontre du PCF, aux dires mêmes d'un des interviewés du documentaire. Malgré l'absence de réel débat, le film et l'émission auront retenu l'attention de presque un tiers des téléspectateurs de la soirée et réalisé un record d'audience[7].

L'affaire Manouchian (1985-1989)

Le documentaire, en donnant la parole à des témoins directs, suscite une querelle politique et médiatique relayée par les historiens, l'« affaire Manouchian »[4].

Dès le , avant la diffusion télévisée, Mélinée Manouchian répète devant les journalistes ce qu'elle affirme dans le film, sa conviction que son mari, Michel Manouchian, a été sacrifié avec ses hommes par le commissaire politique des FTP Main d'oeuvre immigrée, Boris Holban[4].

Or le film apporte le témoignage de Louis Grojnowski, qui fut de 1942 à 1945 responsable de la Main-d'œuvre immigrée, en liaison avec Jacques Duclos, numéro un dirigeants du PCF clandestin en l'absence de Maurice Thorez aux côtés de Benoît Frachon, Auguste Lecœur et Charles Tillon, et la direction de la MOI, témoignage dans lequel cet homme clef, resté fidèle à son Parti, déclare « Par mesure de sécurité, on a envoyé des militants se cacher (...) Mais il fallait qu'il en reste pour combattre. Oui, dans chaque guerre il y a des sacrifiés. » Comment s'est fait le choix de ceux qui ont été exfiltrés vers la province et de ceux qui sont restés dans Paris combattre alors qu'ils se savaient déjà identifiés par les policiers français de la 2e Brigade spéciale ? Même question pour les hommes de la 35e brigade des MOI de Toulouse, à laquelle appartenaient Raymond Lévy et son petit frère Claude[8].

La querelle est technique, les uns reprochant aux autres de faire l'Histoire en l'absence de documents et de privilégier le point de vue subjectif des acteurs de cette histoire[9]. La querelle est d'abord quant au fond une mise en cause du Parti communiste français dans une opération de liquidation, à Paris, Lyon, Toulouse, Marseille, Grenoble, dès 1944, d'anciens agents du Komintern à l'instar de ce qui se fera ensuite dans le bloc soviétique durant les procès de Prague en 1952. Elle se déroule dans le souvenir des purges et de l'antisémitisme de Staline. Elle intervient alors que le déclin électoral du PCF, commencé en 1978, s'est amplifié en 1984, l'année où ses ministres ont quitté le gouvernement.[réf. nécessaire]

A la fin du documentaire, juste avant de revoir des images de tous les survivants qui avaient témoigné, en guise de conclusion, le publiciste Philippe Ganier-Raymond mettait explicitement en cause le Parti communiste de l'époque, soupçonné d'avoir délibérément sacrifié les combattants étrangers, pour mieux permettre de laisser apparaître à la Libération que l'on sentait prochaine des noms bien français[10].

« Il va sortir une armée des ombres dont les combattants s'appellent Manouchian, Bozcor (...) C'est pas possible, (...) et puis, le parti communiste, à ce moment-là, a déjà mis sur pied sa ligne, une liste nationaliste, une liste cocardienne. Alors, vous comprenez, des noms comme Rol-Tanguy, Fabien, ça sonne bien, ça sent le terroir, ça sent la Bretagne ! (...) Par conséquent, que ces hommes, ceux qui viennent des profondeurs de l'Europe centrale, puissent être mis en pleine lumière à la Libération, ce n'est à tous égards pas possible (...}. A mon avis, avec un grand cynisme, la direction des FTP a choisi leur sacrifice, a choisi de les abandonner. Je n'irais pas jusqu'à dire, faute de preuves, que le parti communiste les a cyniquement livrés à la Gestapo, mais, les gens étant ce qu'ils étaient, avec leurs accents, avec leurs visages particuliers, il était bien évident qu'à l'instant où ils ne recevaient plus une cartouche, plus un ordre, plus un sou, ils étaient laissés à eux-mêmes,(...) Ils ne pouvaient qu'errer et se faire prendre. »

La mise en cause du parti communiste fut reprise dans les mois qui suivirent par l'historien du Parti Communiste Philippe Robrieux qui publia un livre intitulé L'affaire Manouchian dans lequel il accusait une personnalité précise du Parti, Jean Jérome, d'avoir donné les combattants FTP-MOI à la Gestapo[11].

Les accusations de Mélinée Manouchian, de Philippe Ganier-Raymond et de Philippe Robrieux furent invalidées en 1989 par les trois historiens Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski, qui avaient notamment dépouillé les archives des Brigades spéciales. Ils démontraient notamment qu'aucun élément ne venait étayer la trahison de Boris Holban ou Jean Jérome, qu'au moment de leur filature et de leur arrestation en , les combattants FTP-MOI n'étaient privés ni de ressources financières, ni d'armes, ni de contacts avec la direction des FTP, et que le professionnalisme des policiers français et leurs filatures menées depuis plusieurs mois suffisaient à expliquer leur coup de filet de , et que même la trahison du commissaire politique Dawidowicz n'avait pas été décisive[12].

Selon Auguste Lecœur, compte tenu des règles de sécurité du PCF qu'il supervisait pendant la guerre, en ayant avait lui-meme ordonné la cessation de toute activite clandestine aux militants se sentant repérés par la police[13], "il était tout simplement impossible" que des dirigeants comme Jacques Duclos ou Albert Ouzoulias, l'un des adjoints de Charles Tillon à la direction des FTP, aient pu rencontrer Manouchian"[13] et il est très probable que l'ordre donné à Manouchian de continuer malgré le danger "soit venu des Soviétiques"[13] qui "disposaient d'une délégation permanente a Paris"[13] mais le PCF a ensuite refusé d'admettre publiquement "l'existence d'une double direction et donc de la main-mise de Moscou sur les communistes francais" [13]. Lecoeur a indiqué aux historiens que des accusations de trotskysme visaient Manouchian au sein de l'appareil communiste[1], ce qui selon Philippe Robrieux a amené des "camouflages" de Jean Jérome, juif polonais[1], "bras droit" de Jacques Duclos, et un des représentants en France du Komintern, arrêté avant Manouchian et non après[1], ce qui lui a permis d'éviter la déportation et la mort[1], et qu'il avait dissimulé dès 1955 dans un formulaire pour " l'attribution de titres de Resistance "[1]. Selon le PCF, c'est Joseph Davidovitch, responsable des effectifs des FTP-MOI à Paris, pris le 26 octobre 1943 qui a dénoncé Manouchian[1].

L'autre enquête de Mosco sur les FTP

Mémoires d'Ex, le film suivant de Mosco, est diffusé en 1991 à la télévision. Il évoque aussi l'histoire du Parti communiste français, mais après l’Occupation allemande pour son troisième tome, pour lequel Mosco Boucault recueille le témoignage de ces héros de la Résistance intérieure en France, leaders des FTP dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Après la Guerre, accédant la direction du Parti communiste français dans la région, ils sont confrontés après la Guerre aux difficultés liées à la Reconstruction à la fin des années quarante et de la Bataille du charbon, qui tourne à la guérilla urbaine lors de la fin des Grèves de 1947 en France, puis à la Guerre froide dans les années cinquante, où ils se déchirent sur fond d'Affaire Pronnier, instrumentée par la direction du Parti communiste français pour les affaiblir.

Fiche technique

  • Réalisation : Mosco Boucault.
  • Scénario : Mosco Boucault.
  • Directeurs de la photographie : Guy-Auguste Boléat, François Catonné, Guy Chanel, Jean Orjollet, Philippe Rousselot, Eduardo Serra & Carlo Varini.
  • Musique : Benoît Charvet & Jean Schwarz.
  • Montage : Christiane Lehérissey & Chantal Rémy.
  • Ingénieurs du son : Gérard Barra, Michel Kharat, Patrice Noïa & Bernard Rochut.
  • Date de sortie : .
  • Durée : 84 minutes.

Distribution

Notes et références

  1. La polémique sur "l'affaire Manouchian" relancée, par l'AFP, le 22 avril 1986
  2. Th. Blanc, La Résistance étrangère. L’affaire Manouchian., p. 63, faculté de langues et communication commerciale de l'École des hautes études commerciales (da), Århus, novembre 2004.
  3. Claude Lévy, Stéphane Courtois, Denis Peschanski & Adam Rayski, L'Affaire Manouchian. "Des terroristes à la retraite", IHTP, Paris, mai 1985.
  4. Journal de l'année, p. 88, Larousse, Paris, 1986.
  5. Journal de l'année, p. 79, Larousse, Paris, 1986.
  6. B. Bowles, dir. S. Ott, « Historiography, Politics, and Narrative Form in Mosco Boucault’s “Terrorists” in Retirement », in J. Zulaika & C. J. Watson, Conference Papers Series, no 7 "War, exile, justice, and everyday life, 1936-1946.", p. 201, Centre d'études basques de l'université du Nevada, Reno, 2011.
  7. Sylvie Vormus, « Record d’audience pour l’émission », in Le Quotidien de Paris, Paris, 4 juillet 1985.
  8. C. Lévy, Les Parias de la Résistance, Calmann-Lévy, Paris, 1970.
  9. Ph. Robrieux, in Le Quotidien de Paris, 4 juillet 1985.
  10. Des Terroristes à la retraite intervention de Philippe Ganier-Raymond, 1:02 à 1:06
  11. Philippe Robrieux, L'affaire Manouchian, vie et mort d'un héros communiste, Fayard, 1986
  12. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam RayskiLe sang de l'étranger - les immigrés de la MOI dans la Résistance, éditions Fayard, 1989
  13. "Auguste Lecoeur: La MOI dépendait des sovi2tiques" par Auguste Lecœur, interview au " Quotidien de Paris ", reprise par l'AFP le 2 juillet 1985

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