Bathyscaphe
Les bathyscaphes sont des engins sous-marins d'exploration abyssale.
Pour l’article ayant un titre homophone, voir Bathyscaf.
En service de 1948 à 1982, ils ont été alors les seuls engins capables d'atteindre les plus grandes profondeurs ( −10 916 mètres, dans la fosse des Mariannes, le ). Jusqu'au début des années 2010, seuls des engins télécommandés (ROV), tel le Nereus, sont alors capables d'atteindre de tels endroits[1]. Inventé par le professeur Auguste Piccard, et perfectionné par son fils Jacques Piccard, un bathyscaphe est constitué d'une lourde cabine sphérique en acier, pouvant accueillir deux ou trois passagers, suspendue à un flotteur rempli d'essence légère qui compense le poids de l'ensemble selon le principe d'Archimède. Le bathyscaphe descend par gravité et remonte en lâchant du lest[2].
En raison de leur taille et de leur poids, les bathyscaphes ne pouvaient être embarqués et devaient être remorqués par leur navire d'accompagnement. Ils ont été remplacés par des sous-marins plus petits et plus maniables (sphère en acier à haute limite élastique ou en alliage de titane et flotteur en composite).
Le mot bathyscaphe, inventé par le professeur Piccard en 1946, vient du grec bathus (profond) et de skaphos (barque). Antérieurement, le professeur Piccard avait utilisé le mot thalassosphère pour nommer son invention.
Records
, 13h06 : le bathyscaphe USS Trieste atteint la profondeur record de 37 800 pieds (11 521 mètres), valeur des indicateurs internes[3]. Cette valeur a plus tard été corrigée et ramenée à environ 35 800 pieds (10 916 mètres dans la fosse des Mariannes).
Description
L'habitacle, réduit au minimum pour minimiser le poids tout en étant capable de résister aux très fortes pressions abyssales (1 000 bars à 10 000 m) est constitué d'une sphère en acier d'un diamètre intérieur d'environ deux mètres et d'une épaisseur de neuf à quinze centimètres suivant la profondeur opérationnelle maximale. Le flotteur, construit en acier et en aluminium, contient une essence plus légère que l'eau. Pour éviter son écrasement durant la plongée, le flotteur est ouvert dans sa partie basse pour équilibrer les pressions interne et externe. De ce fait, la structure est relativement légère. L'essence a été choisie parce qu'économique et liquide, alors que les gaz sont trop compressibles pour une plongée très profonde. Des silos en forme d'entonnoirs ouverts à leur extrémité inférieure contiennent de la grenaille de fonte servant de lest. En régime normal l'écoulement de grenaille est bloqué par le champ magnétique produit par des électro-aimants. Les volumes d'essence et de grenaille sont ajustés pour que le bathyscaphe en immersion ait un poids nul. En surface, des ballasts remplis d'air assurent sa flottaison.
Fonctionnement
Contrairement au sous-marin militaire, conçu pour se déplacer sur le plan horizontal et pour équilibrer en plongée son poids avec la poussée d’Archimède, le bathyscaphe est pratiquement dépourvu de propulsion (il n'est doté que de petites hélices actionnées par des moteurs de faible puissance) et descend en immersion, étant « plus lourd que l'eau »[pas clair].
Pour amorcer la descente, les ballasts sont purgés de leur air et se remplissent d'eau de mer, ce qui a pour effet d'augmenter le poids de l'engin (qui devient ainsi supérieur à la poussée d'Archimède). Au cours de la descente l'essence du flotteur se comprime, ce qui diminue la flottabilité; l'alourdissement résultant est alors compensé par un largage équivalent de lest, commandé par la coupure du courant électrique alimentant les électro-aimants.
Sur le fond les hélices de manœuvre permettent de petits déplacements.
Pour remonter, on largue du lest.
Ce dispositif de largage par coupure de courant agit dans le sens de la sécurité puisqu'en cas de défaillance électrique le bathyscaphe ne peut ainsi que s'alléger et remonter.
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Illustration : Sphère du Trieste fabriquée à Terni en Italie. On peut remarquer le hublot et, tout autour, les douze sorties pour les câbles électriques et les tuyaux hydrauliques; en haut à gauche, l'extrémité inférieure d'un silo à grenaille avec sa commande électromagnétique.
Les différents bathyscaphes
Bathyscaphe | Années de service | Constructeur | Utilisateur | Profondeur accessible | Déplacement |
FNRS 2 | 1948 | FNRS (Belgique) | Auguste Piccard (Suisse) | 4 000 m | 40 tonnes |
FNRS 3 | 1954-1961 | FNRS (Belgique) Marine nationale (France) |
Marine nationale et CNRS (France) |
4 000 m | 90 tonnes |
Trieste | 1954-1964 | Auguste Piccard (Italie, Suisse) | Auguste et Jacques Piccard (Suisse) US Navy |
sphère Terni : 4 000 m sphère Krupp : 11 000 m |
125 tonnes 150 tonnes |
Archimède | 1961-1974 | Marine nationale (France) | Marine nationale et CNRS puis CNEXO (1969-74) |
11 000 m | 200 tonnes |
Trieste II | 1964-1966 | US Navy | US Navy | première version : 4 000 m | 200 tonnes |
1966-1983 | US Navy | US Navy | dernière version : 6 000 m | 300 tonnes |
Le FNRS 2
Entre les deux guerres mondiales, la course aux grands fonds et aux fortes altitudes démarre. Sous l’eau, le 15 août 1934, l’américain Beebe atteint 908 mètres de profondeur dans une sphère d’un mètre quarante-cinq de diamètre pendue au bout d’un câble d’acier. Cette minuscule sphère, la Bathysphère, qui contenait deux passagers, tenait du pendule du professeur Tournesol, et la vie de l’équipage ne tenait qu’au bon vouloir du câble à rester intact, ce qui était un pari des plus audacieux[4].
Dans les airs, le professeur suisse Auguste Piccard atteint le 18 août 1932 l’altitude de 16 900 mètres à bord d’un ballon stratosphérique, le FNRS 1. Ce ballon avait été nommé ainsi car sa construction avait été financée par le Fonds National de la Recherche Scientifique belge. Après ce record, le FNRS 1 fut exposé en 1935 à l’exposition universelle de Chicago, pendu au-dessus de la Bathysphère de Beebe. L’idée de construire un dirigeable sous-marin sur le modèle du FNRS 1 prit corps et, en 1937, le FNRS belge accorda à Auguste Piccard un crédit de 25 000 $ pour construire un tel engin, capable d’aller jusqu’à 4 000 mètres de profondeur. Cet engin prit naturellement le nom de FNRS 2[4].
Après une interruption due à la Seconde Guerre mondiale, le professeur suisse Auguste Piccard de l'université de Bruxelles reprend ses travaux sur un engin d'exploration abyssale. En 1948, il conçoit son premier bathyscaphe et le baptise FNRS 2 en reconnaissance envers le Fonds National de la Recherche Scientifique, organisme belge qui l'a toujours soutenu. Les fonds, suffisants pour un premier submersible, ne permettent pas la construction d'un bathyscaphe élaboré. Le FNRS 2 n'a pas de puits d'accès pour l'équipage depuis la surface et le flotteur, réduit à la fonction d'enveloppe à essence, n'a pas la structure adaptée pour un remorquage en haute mer.
La sphère, composée de deux hémisphères, a été coulée puis tournée aux Usines Émile Henricot (Belgique). Elle pèse 11 tonnes et résiste à une immersion de 4 000 mètres. Son diamètre intérieur est de 2 mètres. Son épaisseur est de 9 centimètres portée à 15 centimètres près des deux hublots. Ces derniers sont tronconiques et fabriqués en polyméthacrylate de méthyle. Le flotteur est constitué de sept réservoirs totalisant 30 m3 d'essence, protégés par une carène en tôle de fer d'un millimètre d'épaisseur. Le bathyscaphe est assemblé à Anvers (Belgique) par la « Mercantile Marine Engineering Cie ».
Sans avoir été testé, le FNRS 2 embarque pour Dakar (Sénégal) où la Marine nationale française prête son concours, puis il est dirigé vers les îles du Cap-Vert au large desquelles vont être réalisés les essais. Une première plongée à 25 mètres va rapidement montrer les limites des choix qui ont été faits. Les premiers passagers (Auguste Piccard et l'académicien Théodore Monod) sont enfermés dans la sphère alors que le bathyscaphe est encore à bord du Scaldis, son bâtiment support. Le FNRS 2 est mis à flot puis commence la longue et délicate manœuvre du remplissage des réservoirs à essence. Après une plongée effective d'un quart d'heure, il faut exécuter les manœuvres inverses. Les passagers ne sont libérés qu'au bout de douze heures. Le second essai, réalisé quelques jours plus tard sans passager, envoie le submersible à 1 380 mètres de profondeur en automatique, sans présence humaine à bord. Au retour, la mer qui a changé ne permet pas les manœuvres d'embarquement. C'est avec un flotteur définitivement endommagé que le bathyscaphe fut remorqué jusqu'à la côte puis remonté à bord et termina cette campagne d'essais.
Selon l'ingénieur général de l'Armement Gérald Boisrayon, « l’expédition de 1948 avait donc été un fiasco, principalement parce qu’Auguste Piccard n‘avait pas compris que la mer n’est pas la stratosphère et que l’environnement y est beaucoup plus rude »[5]. Le concept du bathyscaphe ne devra sa survie qu'à la détermination du professeur Piccard et à l'intérêt que lui porteront quelques officiers de la Marine nationale française.
Le FNRS 3
Pendant les mois qui suivent les plongées du FNRS 2, l'avenir du bathyscaphe est incertain. Le flotteur est détruit, la sphère est entreposée à Toulon (France). En octobre 1950, une convention est signée entre le Fonds National de la Recherche Scientifique belge (FNRS), propriétaire de la sphère, et la Marine nationale française : le FNRS contribuera au financement d'un nouveau bathyscaphe qui sera construit à l'arsenal de Toulon et qui, après trois plongées profondes, appartiendra à la Marine nationale.
C'est à l'ingénieur de l'Armement André Gempp (futur concepteur des sous-marins de la classe Daphné et des SNLE de la classe Le Redoutable) qu'est ainsi confiée début 1951 la conception d'un nouveau submersible baptisé FNRS 3. Le professeur Piccard est nommé quant à lui conseiller technique, mais ne dirige plus le projet. Toutefois, les conditions de travail devenant de plus en plus difficiles entre la Marine nationale et lui, Auguste Piccard quitte finalement le projet dès 1952. Entre-temps, André Gempp a l'idée, totalement novatrice pour l'époque, d'envelopper la sphère du FNRS 2 dans une structure remorquable en mer et de transformer le sas d'accès en un véritable ballast de sous-marin[6]. La silhouette du FNRS 3 rappelle celle d'un sous-marin classique. La longueur est de 16 mètres et la largeur est de 3,35 mètres. Il est constitué de treize réservoirs dont deux d'équilibrage et un de largage, totalisant près de 80 mètres cubes d'essence. Il possède une baignoire où débouche le puits d'accès à la sphère et il est équipé d'ailerons stabilisateurs disposés de part et d'autre de celle-ci.
A l'été 1952, alors que la conception du FNRS 3 est quasiment achevée par André Gempp, celui-ci est affecté à Saïgon. C'est à l'adjoint d'André Gempp, l'ingénieur Pierre Willm, qu'il revient donc de mener à son terme le projet du FNRS 3 dont la construction commence et pour lequel il ne reste plus qu'à finaliser que quelques détails techniques secondaires.
En juin 1953, Georges Houot (nommé commandant et pilote du bathyscaphe) et Pierre Willm (ingénieur) commencent les essais du FNRS 3 en Méditerranée[7]. Ils atteignent rapidement 2 100 mètres. Avec cette série de plongées, le FNRS 3 est officiellement transféré à la France le . En janvier commence une campagne au large de Dakar (Sénégal) qui culmine avec une plongée à 4 050 mètres le , ce qui constitue un record et la plongée la plus profonde du FNRS 3. Après trois heures de plongée, le fond est atteint. Un film de Jacques Ertaud, Profondeur 4050, retrace l'histoire de cette première plongée. Ce record tiendra six ans avant d'être détrôné en 1960 par le bathyscaphe américain Trieste. Dans les années qui suivent, de nombreux scientifiques travaillent à bord du bathyscaphe.
En 1960 le FNRS 3 est désarmé après avoir effectué 80 plongées opérationnelles.
- La mise à l'eau du bathyscaphe FNRS 3.
- Le commandant Houot descend dans la sphère.
- Le FNRS3 et l'Aviso Elie Monnier.
- Le FNRS3, côté ouest à Toulon, Tour Royale.
- Le FNRS3, à Toulon, côté est.
Le FNRS 3 conçu par André Gempp fut le premier bathyscaphe opérationnel de l'histoire sous-marine et il a permis aux scientifiques de descendre à grande profondeur pour y effectuer leurs recherches alors que jusque-là ils ne pouvaient opérer que depuis la surface. Avec ce submersible, la Marine nationale française a acquis la technologie qui lui permettra un peu plus tard de construire un bathyscaphe qui pourra descendre jusqu'aux plus grandes profondeurs. Ce sera l’Archimède.
Le Trieste
- Manœuvre.
- Remplissage des silos de grenaille.
- Dernières vérifications avant la plongée.
Le professeur Piccard travaille sur le projet FNRS 3 lorsqu'en 1952, il reçoit d'industriels italiens la proposition de construire un autre bathyscaphe. L'incompréhension grandissante qui s'était installée entre la Marine nationale française et le professeur, le décide à accepter. Auguste Piccard dirige la construction d'un nouveau submersible qui est baptisé Trieste en l'honneur de la ville italienne qui accueille le projet. Ce bathyscaphe est financé par l'Italie et la Suisse.
La sphère, de forme identique à celle du FNRS 2, est forgée aux aciéries de la « Società per l'Industria e l'Elettricità » à Terni (Italie). Le flotteur en acier doux est construit par les « Cantieri Riuniti dell' Adriaco » à Trieste. Il est de forme cylindrique avec des étraves aux extrémités. Sa longueur est de 15,10 mètres et son diamètre est de 3,50 mètres. Ses treize réservoirs, dont un de largage, peuvent contenir 110 mètres cubes d'essence. Les étraves servent de caissons à air pour améliorer la flottabilité en surface. La coque extérieure a une épaisseur de 5 millimètres et les séparations intérieures sont en tôle ondulée de 3 millimètres. Son poids est de 15 tonnes. Le flotteur est traversé par une cheminée d'accès à la sphère qui débouche sur un kiosque cubique. Il est équipé d'une dérive et de quilles internes. L'ensemble du bathyscaphe est assemblé par la « Navalmeccanica » à Castellammare di Stabia (Italie).
Les premiers essais sont réalisés avec l'aide de la Marina militare italienne durant l'été 1953. Une première plongée profonde emmène Auguste Piccard et son fils Jacques à 1 080 mètres. Quelques jours plus tard, le , le Trieste atteint 3 050 mètres au large de l'île de Ponza. C'est la dernière plongée du professeur qui désormais laissera le pilotage du bathyscaphe à son fils. Pendant les années 1954 et 1955, les Piccard améliorent le submersible mais faute de moyens, aucune plongée profonde ne sera effectuée. En 1956, des fonds suisses et l'aide de la Marine nationale italienne permettent de reprendre les plongées profondes. C'est à cette époque que l'US Navy commence à s'intéresser au Trieste. Une convention est signée avec l'ONR (Office of Naval Research, USA) pour une exploitation commune du bathyscaphe pour la saison 1957. À l'issue de cette fructueuse campagne, un nouvel accord est signé en 1958. Le Trieste est transféré à la Marine américaine et Jacques Piccard conserve un contrôle sur les plongées. Chargé sur un cargo, le bathyscaphe gagne San Diego en Californie. En 1959, le Trieste effectue quelques plongées mais surtout est modifié en vue d'une plongée dans la fosse des Mariannes.
L'objectif étant d'atteindre 11 000 mètres de profondeur, l'élément essentiel à changer est la sphère Terni. Une nouvelle sphère est fabriquée par Krupp. Ne pouvant tourner deux hémisphères, la firme allemande forge la sphère en trois pièces : un anneau et deux calottes. Elle pèse 13 tonnes. Son épaisseur est de 12 centimètres renforcée à 18 centimètres autour des hublots. Le diamètre intérieur est de 1,94 mètre. Son aménagement est réalisé par les « Ateliers de Constructions Mécaniques » de Vevey (Suisse). Pour compenser le poids de la nouvelle cabine et du lest supplémentaire, le flotteur est allongé à 17,60 mètres, ce qui porte le volume d'essence à près de 130 mètres cubes.
Plongée historique du : fosse des Mariannes, −10 916 mètres.
En octobre 1959, le bathyscaphe Trieste équipé de sa nouvelle sphère, est transporté par cargo sur la base navale de Guam proche de la fosse des Mariannes. Les essais le conduisent à des profondeurs records de 5 530 et 7 025 mètres. Malgré le déplacement d'une des calottes, le Trieste réparé est jugé apte à plonger. Remorqué pendant quatre jours jusqu'au site de Challenger Deep, une dépression de sept kilomètres sur deux qui est connue pour être probablement l'endroit le plus profond du globe, le Trieste est rapidement préparé par Jacques Piccard et le lieutenant Don Walsh. Le à 8 h 23, le bathyscaphe quitte la surface, hésite sur les thermoclines à faible profondeur puis descend à la vitesse d'un mètre par seconde. Les courants, donc la dérive, sont inconnus. Par sécurité, la vitesse est réduite à 60 centimètres par seconde à huit mille mètres, puis à 30 centimètres par seconde au-dessous de neuf mille mètres. À 13 h 6, le Trieste se pose sur le fond de la fosse des Mariannes. La pression est de 1 156 atmosphères ; le calcul donne une profondeur de 10 916 mètres à plus ou moins cinquante mètres. Un poisson passe devant le hublot. Cela confirme qu'une vie évoluée existe au plus profond des océans. Jacques Piccard et Don Walsh, les deux hommes les plus profonds du monde, observent et réalisent le programme d'expériences prévu. Une demi-heure plus tard, en larguant de la grenaille, l'équipage amorce la remontée. La vitesse augmente progressivement pour atteindre 1,5 mètre par seconde. À 16 h 56, le Trieste est de retour en surface.
Après ces records de plongées, le Trieste est rééquipé de la sphère Terni, le condamnant à ne plus dépasser 4 000 mètres. Il participe à la recherche du sous-marin nucléaire américain USS Thresher (SSN-593) coulé dans l'Atlantique nord, puis est désarmé en septembre 1963 pour laisser la place au Trieste II.
L'Archimède
La réussite et la fiabilité du FNRS 3 conçu par André Gempp ainsi que l'intérêt porté par les scientifiques à l'étude des fonds marins profonds amènent le commandant Georges Houot et l'ingénieur du génie maritime Pierre Willm à envisager dès 1955 la construction d'un nouvel appareil : il devra être capable d'atteindre les fonds les plus profonds de la planète (11 000 mètres dans la fosse des Mariannes, Pacifique), d'être plus manœuvrant afin d'être remorqué plus facilement et d'offrir plus d'espace pour les scientifiques.
En novembre 1955, les membres du comité du bathyscaphe émettent le vœu que cet engin soit construit. La Marine demande alors à Willm et Houot de faire l'étude d'un avant-projet et de chiffrer le coût de la construction. En 1958, l'argent nécessaire ayant été réuni (avec participation de la Belgique grâce au Professeur Dubuisson), la construction est lancée à Toulon.
Le nouveau bathyscaphe, initialement nommé B 11 000 (B pour Bathyscaphe) car il pouvait atteindre des fonds de 11 000 mètres, est finalement baptisé "Archimède" et mis à l'eau le .
Ses caractéristiques sont les suivantes : longueur 22,1 mètres, largeur 5 mètres, hauteur 8 mètres; la sphère a un diamètre intérieur de 2,10 mètres, une épaisseur de 15 centimètres et comporte 3 hublots, le flotteur comporte 20 réservoirs d'essence (171 000 litres) et un réservoir d'essence largable (3 700 litres).
La gabarre de mer de la marine nationale Marcel Le Bihan assure la mise en œuvre et le soutien de l'Archimède.
Le commandant Houot commande ce que l'on appelle désormais le « groupe des bathyscaphes ».
Après des essais satisfaisants en Méditerranée, se pose alors le choix de la fosse marine pour tester l'appareil aux grandes profondeurs. Pour des raisons budgétaires et politiques, il se porte sur la fosse des Kouriles, au nord du Japon. En effet, un navire océanographique soviétique y avait détecté des fonds de 10 500 mètres (en réalité on constatera que la profondeur ne dépasse pas 9 500 mètres).
Le Houot et Willm effectuent la première plongée à grande profondeur de l’Archimède. Ils touchent le fond à 9 200 mètres et y restent 3 heures.
Dans les jours suivants ont lieu d'autres plongées d'essais dont une permit d'atteindre un fond à 9 500 mètres.
Désormais l’Archimède est opérationnel et il peut alors être régulièrement utilisé pour des travaux de recherche scientifique.
- Le baptême de l'Archimède, le .
- Le déroulement d'une plongée.
- Quelques instruments de pilotage dans la sphère.
- Quelques instruments scientifiques dans la sphère.
- Les divers appareils extérieurs de préhension.
- L’Archimède visible désormais à La Cité de la Mer de Cherbourg-en-Cotentin.
De 1962 à 1974 l’Archimède effectue 208 plongées opérationnelles sur les plaines abyssales et dans les grandes fosses du globe (Méditerranée, Japon, Porto Rico, Grèce, Madère et Açores). L’Archimède est d'abord piloté par le commandant Houot (65 plongées), puis par les officiers en second O'Byrne, de Froberville (qui prendra en 1970 le commandement du Groupe des bathyscaphes), de Guillebon et Harismendy). 38 chercheurs de disciplines et nationalités diverses ont pu plonger pour réaliser des programmes scientifiques.
En 1974, l'Archimède participe à l'Opération FAMOUS (French-American Mid-Ocean Undersea Study), expédition franco-américaine d'exploration géologique de la dorsale médio-atlantique [8].
Le Trieste II
Après la première campagne de plongées du Trieste sur l'épave du Tresher en 1963, un nouveau flotteur est construit en 1964 et le bathyscaphe ainsi remis à neuf mais toujours équipé de la sphère Terni est baptisé Trieste II, il rentre en service le 1er juin 1964. Les performances opérationnelles en sont toutefois si faibles qu'en 1966, la Navy décide de remplacer à la fois sphère et flotteur. La nouvelle sphère est calculée pour descendre à 6 000 mètres. Avec un déplacement de 300 tonnes, cette nouvelle version du Trieste II en fera le plus gros bathyscaphe jamais construit. Utilisé exclusivement par la Navy pour ses besoins propres, il sera baptisé DSV-1 après le grand carénage de 1970. Il récupère entre autres en 1972 une pellicule d'un satellite-espion KH-9 à près de 5 000 m de fond[9]. Appartenant au Submarine Development Group One (SUBDEVGRU 1)[10] jusqu'en 1980, il sera définitivement retiré du service en 1983[11]. Les trois versions du Trieste feront un total de 50 missions scientifiques, le reste de leur activité étant militaire[12].
- Trieste II
Première version - Trieste II modifié
Deuxième version - Trieste II (DSV1)
Troisième version
Lieux d'exposition
Bathyscaphe | Musée | Ville | Pays | Spécificités | |
FNRS 2 | Ce bathyscaphe n'existe plus. | ||||
FNRS 3 | Tour Royale | Toulon | France | ||
Trieste | U.S. Navy Museum | Washington, DC | USA | avec la sphère Krupp. La sphère Terni est exposée à proximité | |
Archimède | La Cité de la Mer | Cherbourg-en-Cotentin | France | ||
Trieste II | Naval Undersea Museum | Keyport (État de Washington) | USA | Dernière version avec la sphère 6 000 mètres |
Chronologie
- Vers 1905 : Auguste Piccard, jeune étudiant suisse, a l'idée d'une invention qu'il ne nomme pas encore bathyscaphe.
- Fin des années 1930 : Auguste Piccard, devenu professeur à la faculté des sciences de l'université libre de Bruxelles a à son actif des ascensions dans la stratosphère avec le ballon F.N.R.S. (du nom du Fonds national de la recherche scientifique (Belgique) qui a financé les travaux. Le professeur commence ses travaux sur un engin d'exploration océanique à grande profondeur.
- Après une interruption due à la Seconde Guerre mondiale, le Pr Piccard reprend ses travaux avec un financement du F.N.R.S.
- : Première plongée d'un bathyscaphe. Le FNRS 2 descend à 25 m pour essai avec Auguste Piccard et Théodore Monod à son bord au large de l'île de Boa Vesta (Cap-Vert).
- : Le FNRS 2 descend en automatique et sans équipage à la profondeur de 1 380 m au large de l'île de Fogo (Cap Vert). La preuve est faite de la viabilité du bathyscaphe. Au retour, le flotteur est définitivement avarié lors du remorquage.
- : Une convention est signée entre le FNRS (Belgique) et la Marine nationale (France) pour la construction d'un nouveau bathyscaphe avec la sphère du FNRS 2. La convention précise que le nouvel engin portera le nom de FNRS 3 et appartiendra à la Marine Nationale après trois plongées.
- Début 1952 : Auguste Piccard reçoit d'industriels italiens la proposition de fabriquer un autre bathyscaphe. La rupture qui couvait avec la Marine Nationale française est consommée. Le Trieste sera italo-suisse.
- : Mise à l'eau du FNRS 3.
- : Mise à l'eau du Trieste.
- : Première plongée profonde du FNRS 3. Georges Houot et Pierre Willm atteignent 750 m.
- : Première plongée profonde du Trieste. Auguste et Jacques Piccard atteignent 1 080 m au sud de l'île de Capri (Italie).
- : La Belgique transfère le FNRS 3 à la France.
- : Plongée du Trieste à 3 150 m au large de l'île de Ponza (Italie). C'est la dernière plongée du professeur Auguste Piccard à bord de son invention.
- : Plongée la plus profonde en automatique et sans équipage du FNRS 3 à 4 100 mètres.
- : Plongée la plus profonde avec équipage du FNRS 3 à 4 050 m (Houot et Willm).
- février 1957 : Signature entre Auguste Piccard et l'ONR (Office of Naval Research, USA) d'une convention en vue de collaborer à l'exploitation du Trieste.
- Début 1958 : Le Trieste est cédé à la marine des États-Unis, Jacques Piccard reste collaborateur.
- : Première plongée du Trieste modifié en vue d'atteindre 11 000 m. La sphère fabriquée par Terni (Italie) est remplacée par la sphère fabriquée par Krupp (Allemagne). Le flotteur a sa capacité augmentée.
- : Dernière plongée du FNRS 3. Celui-ci a effectué 93 plongées en sept ans de service. Il sera remplacé par l'Archimède.
- : Plongée du Trieste à 10 916 m dans la fosse des Mariannes (Challenger Deep). Jacques Piccard et Don Walsh détiennent le record de la plongée la plus profonde. À la remontée, la sphère Krupp va se déformer et devenir inutilisable. Le Trieste retrouvera la sphère Terni.
- : Mise à l'eau de l'Archimède.
- : Première plongée profonde de l'Archimède. (Houot et Willm à 600 m).
- : L'Archimède atteint la profondeur de 9 545 m dans la fosse des Kouriles. C'est sa plongée la plus profonde. L'équipage est composé de O'Byrne (pilote), Henri Germain Delauze et du Pr Sasaki (Japon).
- : Dernière plongée du Trieste.
- : Première plongée du Trieste II (première version).
- : Plongée la plus profonde du Trieste II. Il atteint 2 240 m durant la recherche d'un sous-marin nucléaire américain, le USS Thresher (SSN-593), dans l'Atlantique nord.
- : Dernière plongée du Trieste II (première version).
- : Première plongée du Trieste II (DSV 1) avec une nouvelle sphère "6 000" m.
- : Plongée la plus profonde du Trieste II (DSV 1) à 6 060 m à Cayman Trench.
- : Dernière plongée de l'Archimède à l'issue de l'opération FAMOUS. Ce bathyscaphe a effectué 226 plongées en treize ans.
- : Plongée la plus longue des Trieste avec une durée de 24 heures et 44 minutes.
- : Dernière plongée du Trieste II (DSV 1).
- : James Cameron atteint le fond de la fosse des Mariannes à 10 908 m[13] lors d'une plongée en solitaire à bord du sous-marin Deepsea Challenger [14].
- 13 mai 2019 : Victor Vescovo atteint la profondeur de 10 928m[15] lors d'une plongée avec un sous-marin.
Notes
- Le mot bathyscaphe est employé par certains dans le sens de sous-marin d'exploration profonde même si ce dernier ne fait plus appel à la technologie conçue par le Pr Piccard.
- Le FNRS ou FNRS 1 n'est pas un bathyscaphe. C'est le nom du ballon stratosphérique avec lequel le professeur Piccard battit les records d'altitude en 1931 et 1932 : 16 201 mètres. Le premier bathyscaphe, fruit de sa deuxième collaboration avec le FNRS, porte le numéro 2.
- l'URSS a aussi construit un bathyscaphe, l'AS-7 projet 1906 Poisk-6, qui a connu une vie éphémère.
Voir aussi
Articles connexes
- Famille Piccard
- Georges Houot
- Sous-marin
- Océanographie
- L'Alvin (premier successeur des bathyscaphes, États-Unis)
- Le Cyana (successeur français des bathyscaphes)
- Le Nautile (successeur français des bathyscaphes)
- Bathyscope
- Deepsea Challenger, un sous-marin moderne de James Cameron
Liens externes
Bibliographie
- Auguste Piccard, Au fond des mers en bathyscaphe. Ouvrage orné de 48 héliogravures et de 28 dessins dans le texte., Paris, Arthaud, coll. « Exploration » (no 9), 291 p. (OCLC 7058857). Le FNRS 2 et le Trieste par l'inventeur du bathyscaphe.
- Théodore Monod, Plongées profondes : bathyfolages, Arles, Actes sud, coll. « Terres d'aventure », (1re éd. 1954), 181 p. (ISBN 978-2-86869-677-9 et 2-868-69677-5, OCLC 419245494, BNF 35463366)
- Georges Houot, Pierre Willm, Le bathyscaphe - à 4 500 m. au fond de l'océan, Éditions de Paris, 1954, ASIN B0000DVJS0 Le FNRS 3.
- La Découverte sous-marine, Éditions Bourrellier, 1959 ASIN B0018195MO
- Jacques Piccard, Profondeur 11000 mètres : l'histoire du bathyscaphe Trieste., Paris, Arthaud, coll. « Clefs de l'adventure; clefs du savoir » (no 49), , 273 p. (OCLC 20000399). Le Trieste et la plongée la plus profonde.
- Philippe Tailliez, Nouvelles plongées sans câble, 1943-1966., Paris, Arthaud, coll. « Clefs de l'aventure. Clefs du savoir », (1re éd. 1954), 377 p. (OCLC 8427477, lire en ligne)
- Georges Houot, Vingt ans de bathyscaphe ..., Grenoble, Arthaud, , 256 p. (OCLC 462315011, BNF 35167500, lire en ligne). Le FNRS 3 et l'Archimède par leur pilote.
- 2000 FATHOMS DOWN ASIN B001947NIS
- (en) Gary E. Weir, An ocean in common American naval officers, scientists, and the ocean environment, College Station, Texas A & M University Press, coll. « Texas A & M University military history » (no 72), (ISBN 978-1-58544-905-7 et 978-1-585-44114-3, OCLC 50637748)
- Jean Jarry, L'aventure des bathyscaphes : marins, ingénieurs et savants au plus profond des mers, Paris, Gerfaut, , 303 p. (ISBN 978-2-914622-22-6 et 2-914-62222-8, OCLC 52267693, présentation en ligne). L'histoire de la conquête des grandes profondeurs et l'épopée des trois bathyscaphes
- Le bathyscaphe Archimède, D.C.A.N, Toulon, 1971
Notes et références
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- « Une plongée record », sur Rolex (consulté le ).
- Gérald Boisrayon, « La course aux grands fonds. Contribution française de 1950 à 1990 », sur www.academiedemarine.com
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- Jean Jarry, L'aventure des bathyscaphes : marins, ingénieurs et savants au plus profond des mers, Le Gerfaut, (lire en ligne), pp. 64-66
- « LE BATHYSCAPHE EFFECTUE SES ESSAIS A TOULON », Le Monde, (lire en ligne)
- « La campagne FAMOUS : L'opération Famous, trente ans déjà. », sur Ifremer.fr (consulté le ).
- (en) « An Underwater Ice Station Zebra: Recovering a Secret Spy Satellite Capsule from 16,400 feet Below the Pacific Ocean », sur Central Intelligence Agency, (consulté le ).
- (en) « Deep Submergence Vehicles », (consulté le ).
- (en) « Trieste II », sur Naval History and Heritage Command, (consulté le ).
- Jean Jarry, L'aventure des bathyscaphes. : Marins, ingénieurs et savants au plus profond des mers, Éditions du Gerfau, , 305 p. (ISBN 978-2-914622-22-6, présentation en ligne), p. 131-141.
- (en) « Deepsea Challenge », sur Deepsea Challenge (consulté le ).
- « Cameron, Fossett, Branson : qui sont ces millionnaires aventuriers de l'extrême ? », sur La Dépêche, (consulté le ).
- (en) Stephanie Fitzherbert, « Deepest Submarine Dive in History, Five Deeps Expedition Conquers Challenger Deep », sur https://fivedeeps.com/
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