French touch (musique)
La French touch ([fɹɛntʃ tʌtʃ]; littéralement « la patte française »)[n 1], ou French house, est un courant musical né en France en 1990, reconnu internationalement comme la déclinaison française de la musique house. Si, au départ, elle s'inscrivait dans cette dernière par l'utilisation de samples souvent puisés dans le funk et le disco, au fil des années, ses sources d'inspiration se sont étendues à tous les styles musicaux[2].
Pour les articles homonymes, voir French touch.
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Reconnaissance mondiale [1] |
Scènes régionales |
France |
Ses principaux représentants sont issus de la scène électronique parisienne des années 1990[n 2].
Histoire
Origine du nom
L'appellation apparaît pour la première fois à Paris en , lorsque le photographe des nuits parisiennes Jean-Claude Lagrèze crée les soirées French touch au Palace, faisant découvrir la musique house et les DJ Laurent Garnier, Guillaume la Tortue et David Guetta[n 3].
L'expression est ensuite reprise en 1991 au dos d'un blouson créé la même année par Éric Morand pour le label Fnac Music Dance Division et portant l'inscription « We Give a French Touch to House » (« Nous donnons une touche française à la musique house »)[3],[4]. Les journalistes britanniques popularisent le terme et contribuent à la diffusion du mouvement outre-Manche où arrivent, à partir de 1996, des productions électroniques françaises en grande quantité.
Années 1980
En 1988, Margaret Thatcher, à l'époque Premier ministre britannique, décide d'interdire les rassemblements autour de la « musique répétitive »[5], à la suite de l'hystérie provoquée par le Second Summer of Love. Cette mesure anti-techno va inciter les grandes raves (fêtes techno) du Royaume-Uni à s'exiler en France[6].
À l'été de cette même année, les jeunes Français découvrent donc les raves et les DJ techno. Parmi eux, Laurent Garnier sera, avec Erik Rug, l'un des premiers DJ à mixer les classiques techno et house de Chicago ou de Détroit à Paris en club lors des soirée H3O à la Locomotive[7],[8],[9].
Plus tard, un label britannique underground et avant-gardiste, Mo' Wax, semble avoir influencé certains des précurseurs de la scène française[10] comme Guillaume la Tortue, Francesco Farfa, Jérôme Pacman, Olivier le Castor, Jack de Marseille, Étienne de Crécy et Philippe Zdar (futurs Motorbass), Snooze, DJ Grégory, Shazz ou Kid Loco, alors férus de rock, de hip-hop ou de jazz[11]. Aussi les influences de cette génération d'artistes se trouvent-elles non seulement dans les tubes acid jazz et techno de l'époque mais aussi dans le funk, la disco, le jazz et la soul.
Années 1990
DJ Yellow fonde, avec Bob Sinclar, un label Yellow productions ; c'est chez Champs Disques, la boutique parisienne des Champs-Élysées, que DJ Yellow adolescent et alors ni disc jockey, ni producteur, a une révélation. Bien plus tard au début des années 1990, son label rencontre en peu de temps le succès : lui et Bob Sinclar sont invités à jouer à l'étranger, au Japon ou aux États-Unis[12] ; au début des années 1990, peu de DJ français, à l'exception notable de Laurent Garnier essentiellement en Angleterre, ou de Dimitri from Paris un peu plus tard, se produisent hors des frontières[13]. Au début des années 1990, la création de son propre label permet de s'affranchir des majors alors frileuses face à cette vague de créations francophones[14]. Les artistes de la scène française commencent à produire et à éditer des titres qui grimpent rapidement dans les classements britanniques et ne laissent pas indifférents les critiques d'outre-Manche, lesquels n'hésitent pas à prendre l'Eurostar pour venir les écouter et écrire des articles sur la « French disco », le « Paris beat », la « French hype », la « nouvelle vague » ou même la « baguette beat »[15].
La French touch balbutiante voit apparaître Air, Dimitri from Paris, La Funk Mob et DJ Cam, artistes produisant des sonorités très influencées par le trip hop. Mais les styles musicaux sont encore variés et une véritable différenciation se fait entre les DJ jouant de la house (laquelle n'est guère répandue en France à l'époque) et les autres[16]. Les Daft Punk commencent à travailler chez eux à leurs premiers maxis. En France, le mouvement est encore très marginal au début des années 1990 et se concentre en quelques points névralgiques de la capitale, notamment chez les disquaires, où ces mêmes artistes sont à l'affût des nouveautés[17].
En 1995, la French touch commence à prendre véritablement son essor avec la sortie de l'album Boulevard de St Germain, de son vrai nom Ludovic Navarre. Un disque au son acid jazz et deep house, encensé par la presse britannique notamment via le New Musical Express ou encore Mixmag[18]. Puis en 1996, c'est au tour du duo Motorbass de connaître un succès mondial à la sortie de l'album Pansoul. Début 1997, l'album Homework des Daft Punk achève d'établir ce mouvement musical sur les scènes nationale et internationale[19].
Devant la fraîcheur et l'originalité que possèdent alors ces artistes provenant quasi exclusivement de France, la presse anglo-saxonne a l'idée de nommer tout simplement ce son French touch. Beaucoup d'artistes français seront dès lors étiquetés French touch, comme en témoigne la diversité des productions de l'époque[20].
Dans la foulée, d'autres artistes participent à ce phénomène : Étienne de Crécy, avec sa compilation Super Discount, Cassius, Alex Gopher, Demon, Grand Popo Football Club[21], Air ou encore Dimitri from Paris qui a déjà une carrière de « remixeur » dans les années 1980[22] ; ce dernier vend un demi-million d'exemplaires de Sacrebleu : cet album « faisait partie de la french touch, avec ce son unique, ce côté français qui était une blague pour moi mais qui plaisait aux étrangers. Cette synergie a créé la demande, c'était nouveau », précise-t-il[23]. Certaines soirées, dont celles des Folie's Pigalle, du Palace programmées par David Guetta et Pedro Winter ou encore les soirées « Respect » au Queen, deviennent les hauts lieux de la French touch, voyant passer tout ce que la scène française compte de DJ aux styles musicaux variés[24]. En parallèle, de nombreux DJ français comme DJ Cam, DJ Deep ou Jérôme Pacman, ne participant pas à ce mouvement à cause de leur style jungle, rap ou deep house par exemple, profitent de l'engouement de la french touch pour se produire abondamment à l'étranger[25]. Pour le duo Justice, « la French touch n'est pas une famille musicale. En réalité, ce nom désigne les groupes français qui s'exportent à l'étranger[26]. »
L'année 1998 est marquée par le titre Music Sounds Better With You de Stardust, morceau produit par Thomas Bangalter, Benjamin Diamond et Alan Braxe, devenu emblématique de ce mouvement, et qui se vendra à plus de deux millions d'exemplaires dans le monde dès les premiers mois. La French touch entraîne une professionnalisation ainsi qu'une mutation de la scène musicale : alors qu'auparavant DJ et producteurs étaient deux rôles séparés, leurs activités se confondent et plusieurs artistes de l'époque ne sont disc-jockeys qu'accessoirement[27],[n 4].
L'« inondation de la French touch dans le monde entier » la pousse vers sa propre fin et, en 1999, le rythme ralentit, nombre d'artistes changent de voie[29]. Dès l'année suivante, la mention « French touch » passe pour ringarde et il devient indispensable pour les artistes français de s'en démarquer[30].
Notes
- « Patte » étant pris dans le sens de « style caractéristique ». Autres appellations parfois rencontrées : « l'école française », « le style français » (sous-entendu : de musique house).
- Notamment Air, Alan Braxe, Alex Gopher, Benjamin Diamond, Bob Sinclar, Cassius, Daft Punk, Demon, DJ Mehdi, Étienne de Crécy, I:Cube, Joachim Garraud, Justice, Kavinsky, Laurent Garnier, Martin Solveig, Modjo, Mr. Oizo, Sebastian, Shazz, St Germain, The Supermen Lovers.
- Sur le carton d'invitation de la « première soirée French touch » dans la boîte de nuit Le Palace, on lit : « FRENCH TOUCH : Tous les mercredis French touch au Palace sur une idée de Jean-Claude Lagrèze/ MERCREDI 3 JUIN 1987 / à partir de 23 heures ».
- D'Julz explique qu'« avec la french touch, nous nous sommes rendu compte qu'il fallait sortir des disques pour passer un cap de reconnaissance. Ce fut un déclic pour les DJ de l'époque. Il fallait apprendre un autre métier, on ne pouvait plus être que DJ[28]. »
Références
- « La French Touch est morte, vive la French Touch ! », sur Libération, (consulté le ).
- Comme c'est le cas avec le groupe de rock Phoenix.
- JMe, FNAC Music Dance Division, Sancho does F Communications, site sanchodoesfcom.com : « 1991. Fnac Music, la maison de disques du groupe, décide de s'ouvrir à ces nouvelles musiques électroniques qui agitent les nations européennes. Bien inspirée, la direction fait appel à Éric Morand, alors attaché de presse chez Barclay, pour mener cette expérience. […] de cette entente va naître Fnac Music Dance Division, première référence hexagonale en matière de musique électronique. […] le terme french touch a été utilisé pour la première fois par Fnac Music Dance Division dans la phrase We give a french touch to house, doctrine affichée sur certaines de leurs publicités et surtout imprimée aux dos des quelques blousons qu'ils ont offerts aux proches du label. »
- Chloé Dussapt, « Les musiciens : Aux oreilles du monde », Challenges, no 345, , p. 60 (ISSN 0751-4417)
- Musiques et fêtes techno : l'exception franco-britannique des free parties, in Revue française de sociologie, vol. 44, No 1, 2003, p. 76 : « Tout ceci ne manque pas de faire réagir les autorités. En 1994, le gouvernement promulgue le Criminal Justice Bill (CJB), qui vise à interdire les festivals illégaux de techno et leur "repetitive beats". »
- Musiques et fêtes techno : l'exception franco-britannique des free parties, op. cit., p. 76-77 : « Le climat britannique hostile avait poussé certaines tribus de travellers à s'exiler en France. À la suite des mesures répressives du gouvernement britannique, beaucoup arrêtent tout simplement leurs activités. […] Le premier Teknival français a lieu le 23 juillet 1993 à Beauvais (39) : y figurent les tribus britanniques Spiral Tribe et Bedlam, ainsi que la première tribu française formée sur le modèle britannique, les Nomads. »
- « Happy birthday Laurent Garnier, part 1 », TSUGI magazine (consulté le )
- « L'époque où le DJ Laurent Garnier a séduit un public punk », (consulté le )
- « French Waves », sur french-waves.com (consulté le )
- Stéphane Jourdain, French Touch : des raves aux supermarchés, l'histoire d'une épopée électro, Bordeaux, Castormusic, , 190 p. (ISBN 2-85920-609-4).
- Guillaume Kosmicki, Musiques électroniques : des avant-gardes aux dance floors, Mot et le reste, , p. 353
- Richard 2013, p. 178 à 181.
- Richard 2013, p. 181.
- Richard 2013, p. 281.
- Violaine Schütz, DAFT PUNK. Humains après tout, Camion blanc, , p. 47.
- Richard 2013, p. 182.
- Richard 2013, p. 192 et 193.
- (en) « J FILES: France », sur abc.net, (consulté le ), Boulevard, Navarre's first album, focused on a fusion of electronic music and jazz. The album was elected for Record of the Year in England by some of the major dance publications and nominated for the Dance Music Awards in London..
- (en) « Humains après tout », sur nonfiction.fr, (consulté le ), Cocorico : les Daft Punk ont révolutionné la scène électronique nationale et internationale. […] Le phénomène Daft Punk est néanmoins le déclencheur de cet engouement dont fut l’objet l’hexagone jusqu’au début des années 2000..
- Olivier Marteau, « L'électro francophone 1995-2004 », sur Francomix, (consulté le ).
- « Grand Popo Football Club-Science Pop », sur Les Inrocks, (consulté le ).
- Richard 2013, p. 184 à 185.
- Richard 2013, p. 186.
- Richard 2013, p. 186 à 187.
- Richard 2013, p. 189 à 190.
- Fabrice Pliskin, « Justice en Amérique », L'Obs, no 2813, , p. 110 à 111 (ISSN 0029-4713).
- Richard 2013, p. 191.
- Richard 2013, p. 233.
- Richard 2013, p. 191 à 192.
- Richard 2013, p. 234.
Article connexe
Bibliographie
- Stéphane Jourdain, French touch, 1995-2015 : une épopée électro, Bègles, Éditions Le Castor Astral, coll. « Castor Music », , 250 p. (ISBN 979-10-278-0041-4)
- Stéphane Jourdain, French Touch : des raves aux supermarchés, l'histoire d'une épopée électro, Bordeaux, Éditions Le Castor Astral, coll. « Castor Music », , 189 p. (ISBN 2-85920-609-4)
- Morgan Jouvenet, Rap, techno, électro… Le musicien entre travail artistique et critique sociale, Paris, Éditions MSH, , 290 p. (ISBN 2-7351-1137-7, lire en ligne)
- Raphaël Richard, DJ made in France, Rosières-en-Haye, Camion Blanc, , 329 p. (ISBN 978-2-35779-340-8), p. 178 et sv.
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