Confins militaires

Les confins militaires, marches militaires, frontières militaires (en roumain Graniţa militară, en allemand Militärgrenze) ou encore Krajina militaire (en croate et serbe latin Vojna Krajina, en serbe cyrillique Војна Крајина) désignent la zone tampon créée par les Habsbourg le long de leurs frontières avec l'Empire ottoman.

Géographie

Carte des confins militaires habsbourgeois (au nord de la Bosnie et de la Serbie), et dans le Banat.

Le gouvernement des confins militaires comprenait presque toute la partie des États autrichiens qui étaient au XVIIIe siècle limitrophes de l’Empire ottoman et s'étendaient de la mer Adriatique jusqu'en Transylvanie. Il avait pour chef-lieu Carlstadt/Karlovac.

Les confins militaires étaient divisés en quatre généralats.

Le généralat de la Krajina croate

Elle est encore appelée Croatie militaire , frontière militaire de Croatie ou généralat réuni de Carlstadt/Karlovac-Varaždin et du banat de Croatie. Son chef-lieu est Agram (Zagreb).

Le généralat du banat de Slavonie

Son chef-lieu est Petrovaradin.

Le généralat du banat de Temesvár puis de la Krajina du Banat

Le généralat du banat de Temesvár a pour chef-lieu Temesvár (Timișoara).
En 1778, il est réduit au généralat de la Krajina du Banat.

Le généralat de Transylvanie

Le généralat de Transylvanie est l'une des dénominations des confins militaires transylvains, aussi appelés Transylvanie militaire ou frontière militaire transylvaine.
Son chef-lieu est Hermannstadt (Sibiu).

Histoire

Création

En 1522, les Habsbourg en guerre contre les Ottomans créent les Confins militaires, une zone tampon de largeur variable située tout le long de la frontière des deux empires, en Croatie, Hongrie, Voïvodine et Banat (aujourd'hui parties de la Serbie et de la Roumanie[1]).

À l'époque, cette zone s'était dépeuplée du fait des nombreuses guerres austro-turques. La Maison d'Autriche y encourage l'installation de plusieurs centaines de milliers de réfugiés fuyant les Ottomans, de Haïdouks et de leurs familles, leur accordant un statut spécifique calqué sur celui des Cosaques au service des Tsars russes : ils sont exemptés d'impôts à l'égard des féodaux et des cléricaux croates ou hongrois et libres d'utiliser leur langue (en majorité serbe ou roumaine) et leur religion (chrétienne en grande majorité orthodoxe). En échange, ils ont pour obligation de prendre les armes au service des Habsbourg, comme irréguliers (Pandoures) en cas d'invasion ottomane.

Installation des Serbes

À la mort de Stefan Lazarević le , Đurađ monta sur le trône de Serbie. À la suite de l'accord passé avec la Hongrie, il perdit Belgrade malgré les protestations des habitants de la ville, puis sa capitale Kruševac en 1427[2]. Il fit alors construire une ville nouvelle sur le Danube : Smederevo, qui fut comparée par la richesse de ses églises à Constantinople, d'où son surnom de « Đurađ Smederevac » en serbe latin, en français Đurađ de Smederevo. Le despote serbe reçut de Sigismond Ier, refondateur de l'Ordre du Dragon, des terres en Hongrie où il installa en masse des colons serbes, car les Hongrois avaient fui devant la menace turque :

Comme l'avait déjà fait son prédécesseur Stefan Lazarević, toutes ses villes et terres furent peuplées par des Serbes de Macédoine ou du Kosovo qui fuyaient l'avancée turque.

Les Serbes avaient dans les krajinas une autonomie totale, échappant à l’autorité croate ou hongroise. Ils étaient libres de pratiquer leur religion, d'avoir leurs tribunaux ainsi que leurs propres administrations. Les dirigeants étaient soit des patriarches de l'église orthodoxe serbe, soit des voïvodes (« ducs » en serbe). Ce sont eux qui donneront à la Voïvodine, qui était la partie orientale des krajinas serbes, son nom actuel. Les gouverneurs serbes des krajinas devaient seulement user des armes lorsque l'Empereur leur en donnait l'ordre. L'empereur d'Autriche avait ainsi installé au sud de son empire, le long de la frontière avec l'Empire ottoman, des troupes motivées et expérimentées dans le combat contre les Turcs.

Les confins en Croatie

Vers 1530, deux des plus puissants seigneurs croates, les comtes Zrinski et Frankopan, accordèrent à « leurs frères serbes » l'autorisation de s'installer sur leurs terres[3]. La majorité de ces réfugiés sont des Serbes de Rascie, des Valaques de la Romanija Planina et du Stari Vlah, et des Albanais du Kosovo (à l'époque encore chrétiens orthodoxes sous obédience de l'Église orthodoxe serbe : voir migration serbe : 200 000 Serbes, Valaques et Albanais s'installèrent dans ces confins entre 1690 et 1694, fuyant l'Empire ottoman[1]).

Le statut de ces réfugiés fidèles à l'Église orthodoxe serbe et globalement désignés sous l'appellation de « Valaques » est alors plus enviable que celui des serfs croates (donc catholiques), ce qui provoque une fuite de la population croate vers les confins militaires ainsi que son adhésion à l'Église serbe dans le but d'avoir les mêmes avantages que les réfugiés. La fuite de leurs serfs provoque la colère des nobles croates vis-à-vis des Serbes d'autant que, lorsque les confins furent en majorité peuplés de Serbes, vers 1559, l'empereur et le conseil militaire de Vienne retirèrent aux nobles croates toute autorité sur la région.

Progressivement la langue serbo-croate se généralise alors dans les confins, tandis que le valaque et l'albanais y disparaissent[4], non sans laisser des traces dans le lexique local ; dès lors, le terme de Valaque n'y désigne plus des populations latinophones, mais devient chez les Croates un terme péjoratif pour les bergers transhumants des Balkans et plus généralement pour les orthodoxes, qu'ils fussent Slaves ou réellement Valaques. Par la suite, l'appellation sera récupérée par les nationalistes croates pour disqualifier spécifiquement les Serbes de Croatie.

Après l'affaiblissement de la menace turque, les nobles croates et l'église catholique des régions où s'étaient établis les Serbes réclamèrent à l"empereur d'Autriche la fin des privilèges des Serbes et exigèrent de ces derniers le payement de la dîme et leur participation aux corvées en 1604, 1608, 1609, 1613. Au lieu de satisfaire les nobles croates, l'empereur détacha définitivement la région de leur autorité et promulgue en 1630 les Statuts des Valaques (en latin, Statuta Valachorum[5]), et cela jusqu'en 1881, date de la disparition du statut militaire de la région[4].

XVIIe siècle

Au XVIIe siècle, les Confins militaires s'étendent de l'Ouest de la Bosnie jusqu'à l'Est du Banat (actuellement une partie de la Voïvodine et de l'ouest de la Roumanie).

Après la guerre austro-russo-turque de 1735-1739 et la perte de nombreux territoires, les Autrichiens signent un traité de paix, le Traité de Belgrade, ratifié le . À la suite de ce traité et au déclin progressif de l'Autriche, l'impératrice Marie-Thérèse décide de restreindre les droits et avantages accordés aux Serbes et aux Roumains des Confins militaires.

En 1848-1849, les troupes serbes des Confins militaires menées par Josip Jelačić sont utilisées par l'Autriche pour mater la révolution Hongroise de 1848[1].

À partir de 1850, le commandement de la région est transféré à Agram mais dépend toujours directement du ministère de la Guerre de Vienne. La démilitarisation commence en 1869 et s'achève officiellement le quand la Krajina du Banat, ou « frontière militaire du Banat » est réintégrée au Royaume de Hongrie. Des parties de la Croatie militaire sont réintégrées au Royaume de Croatie-Slavonie. Le , la totalité de la Croatie militaire et de la Krajina de Slavonie sont réintégrées au Royaume de Croatie-Slavonie, dépendant de la Hongrie.

Les Serbes et les Roumains de ces régions perdent alors tous leurs privilèges, économiques et culturels. Nikola Tesla, le célèbre ingénieur serbe, est une victime de cette crise économique qui frappa cette région de l'Autriche-Hongrie.

Guerres de Yougoslavie

Une partie des Serbes de Croatie, majoritaires dans certaines des régions de l'ancienne frontière militaire, déclenchèrent la Révolution des Rondins en 1990 et proclament le , la République serbe de Krajina.

Entre 150 000 et 200 000 Serbes de Krajina fuirent la Croatie lors de la reconquête de la région par l'armée croate en 1995 (opération Tempête).

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Catherine Lutard, Géopolitique de la Serbie-Monténégro, Paris, éditions Complexe, coll. « Géopolitique des États du monde », , 143 p. [détail de l’édition] (ISBN 2-87027-647-8) (BNF 36997797)

Notes et références

  1. Lutard 1998, p. 17.
  2. Dušan T. Bataković (dir.) (trad. du serbe), Histoire du peuple serbe, Lausanne, L’Age d’Homme, , 395 p. (ISBN 2-8251-1958-X, lire en ligne), p. 79.
  3. Thierry Mudry, Guerre de religions dans les Balkans, Paris, éditions Ellipses, , 288 p. (ISBN 2-7298-1404-3), p. 110.
  4. Mudry 2005, p. 111.
  5. (en) Michael Hochedlinger, Austria's Wars of Emergence : War, State and Society in the Habsburg, Autriche, Pearson Education, , 466 p. (ISBN 0-582-29084-8, lire en ligne).
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