Gömböc

Le Gömböc (/ˈgømbøts/) est le premier exemple physique d'un objet homogène tridimensionnel convexe comportant un unique point d'équilibre stable et un unique point instable (mono-monostatique). Posé sur une surface plane il revient toujours à la même position. Un objet possédant cette propriété n'a jamais été observé dans la nature. Son nom vient du hongrois gömb, « sphère ».

Un Gömböc dans sa position d'équilibre stable.

Caractéristiques

Le Gömböc est un objet homogène et convexe : sa masse est uniformément répartie et il ne possède aucun creux[1].

Il est mono-monostatique, il comporte[1]:

  • un seul point d'équilibre stable, soit un point où il revient après une perturbation.
  • un seul point d'équilibre instable, soit un point où il est en équilibre, mais où la moindre perturbation rompt cet équilibre.

En géométrie un objet possédant une seule position d'équilibre stable est appelé monostatique[1]. Un objet monostatique possédant également une unique position d'équilibre instable est appelé mono-monostatique.

Un exemple courant d'objet mono-monostatique est le culbuto[1]: il s'agit d'une sphère pipée pour que son centre de gravité diffère du barycentre géometrique. La différence de densité provoque la rotation du solide sur lui même pour revenir dans sa position d'équilibre. À la différence du culbuto, le Gömböc n'a pas de contrepoids lui permettant de revenir en position verticale : il est parfaitement homogène[1].

Modèle du culbulto vu de côté. À gauche dans sa position d'équilibre, à droite après une rotation de 60 degré. La répartition inhomogène de la masse dans le solide provoque son retour à la position d'équilibre.

Historique

L'existence de solides homogènes, convexes et mono-monostatique a été supposée par le mathématicien Russe Vladimir Arnold en 1995[1]. S'il est facile de construire un objet non-homogène (culbuto) ou non convexe (sphère évidée) possédant ces propriétés, il est considérablement plus difficile de satisfaire ces deux conditions simultanément tout en maintenant l'existence des positions d'équilibre stable et instable.

La preuve de l'existence a été donnée en 2006 par deux scientifiques Hongrois, le mathématicien Gábor Domokos et l'ingénieur Péter Várkonyi de l'Université polytechnique et économique de Budapest[1]. Après en avoir démontré théoriquement l'existence, ils en ont donné un exemple physique. Les formes données par les équations mathématiques s'avèraient cependant très proches de sphères[1] (d'où l'appellation Gömböc, de Gömb qui signifie sphère en hongrois). Il existe toute une famille de solides possédant les propriétés du Gömböc (il s'agit d'une classe d'objets mono-monostatiques) mais toutes sont proches de la forme sphérique.

Quelques mois plus tard, les deux scientifiques ont réussi à créer plusieurs objets appartenant à la fois à cette classe d'objets mono-monostatiques et ayant des formes très différentes de la sphère[2]. (photo)

Solutions

Mathématique

La conjecture d'Arnold peut être reformulée à l'aide d'une généralisation du théorème des quatre sommets[1]. Dans le cas d'une courbe plane, ce théorème stipule que la courbure doit posséder au moins quatre extremas: au moins deux maximas et deux minimas[1]. On pourrait être tenté de croire que la courbure de tout objet tri-dimensionnel possède également cette propriété, l'hypothèse du mathématicien Russe était cependant que la courbure de certains objets tri-dimensionnels pourrait avoir moins que quatre extremas[1].

La forme typique d'un gömböc donnée par la solution de Domokos et Várkonyi.

La preuve de la solution donnée par les scientifiques Hongrois en 2006 peut être consultée librement en ligne[3]. La réponse à l'hypothèse d'Arnold est la suivante: des objets tri-dimensionnels homogènes, convexes et mono-monostatiques existent. Cependant, il est difficile de visualiser ou décrire de tels objets. Leur forme est différente de tout autre représentant de classe d'équilibre géométrique, ces objets devant être simultanément de "rondeur" maximale et de "platitude" minimale. Satisfaire ces deux conditions amène à une classe d'objets qui ressemblent à des sphères - à une différence de l'ordre du dix-millième. De tels objets sont cependant très difficiles à produire physiquement, et la première solution donnée par les chercheurs a du être raffinée pour pouvoir être vérifiée expérimentalement. Le gömböc est le premier exemple à avoir été testé physiquement.

La solution de Domokos et Várkonyi a des faces courbées et ressemble à une sphère écrasée. Les scientifiques sont cependant intéressés par une solutions comportant uniquement des faces planes. On définit la complexité mécanique C d'un polyhèdre mono-monostatique comme la somme du nombre de ses faces, arêtes et sommets à laquelle on soustrait deux. Un prix de un million de dollars divisé par ce nombre C est en jeu pour quiconque trouvera le nombre minimal de faces, arêtes et sommets pour une solution polyhédrale[4]. S'il est tentant d'essayer d'approximer un gömböc par un polyhèdre, le nombre de faces requises est estimé à plusieurs milliers. L'intérêt du challenge est donc de trouver une solution radicalement différente au problème.

Manufacture

Le Gömböc est relativement difficile à fabriquer. En effet la moindre variation de structure peut créer de nouveaux points de stabilité et d'instabilité, et ainsi lui faire perdre toute utilité. Il est fabriqué par l'entreprise hongroise Varinex[5] à l'aide de machines de précision, assimilables à des imprimantes 3D, superposant des couches ultrafines d'un polymère les unes sur les autres, pour former la forme finale. Il est possible d'acheter des exemplaires numérotés qui coûtent environ 1 000 [6]. La tolérance sur sa manufacture est de l'ordre du millième, c'est-à-dire moins de 0.1mm pour un modèle de 10cm[7]:

« Numerical analysis shows that d must be very small (d < 5.10-5 ) to satisfy convexity together with the other restrictions, so the created object is very similar to a sphere. (In the admitted range of d the other parameter is approximately c ≈ 0.275.) This shows that physical demonstration of such an object might be problematic. Nevertheless, other such bodies, rather different from the sphere, may exist; it is an intriguing question what is the maximal possible deviation from the sphere »[8].

Applications

Une tortue avec une morphologie de carapace proche du gömböc, le retournement est facilité par la géométrie de la carapace.

Biologie

La forme du gömböc peut être utilisée pour expliquer les mécanismes de retournement des animaux à carapaces[9]. En effet la géométrie de la carapace est très fortement liée à la capacité de l'animal à se retourner s'il est placé sur le dos. Dans le cas d'un gömböc, la propriété de mono-monostaticité signifie qu'il retournera spontanément dans la même position. Dans le cas des animaux, différentes géométries de carapaces coexistent.

Pour les animaux comme les scarabées, la carapace est très plate, et le mécanisme de retournement requiert beaucoup d'efforts et de mouvements de pattes.

Dans le cas des tortues, on peut distinguer deux types de morphologie. Certaines espèces possèdent une carapace dont la forme est proche de celle du gömböc, plutöt "sphérique". Elles sont majoritairement terrestres et ont de courtes pattes. Leur morphologie leur permet un retournement facile requérant peu de mouvements de pattes, et leur carapace est bien adaptée pour résister à une attaque[10],[11].

Une tortue à la carapace aplatie. De longues pattes et un grand cou sont nécessaires pour permettre un retournement.

D'autres espèces en revanche possèdent une carapace aplatie leur offrant une meilleure pénétration dans l'eau. En général, les espèces de cette seconde classe possèdent de longs cous et de grandes pattes. La forme de la carapace rendant difficile le retournement, l'adaptation requiert des membres allongés leur permettant de se retourner[12].

L'explication de la morphologie des tortues grâce à la géométrie du gömböc a déjà obtenu du crédit dans la communauté des biologistes[13].

Géologie et philosophie

Le gömböc a stimulé la recherche et les réflexions sur les mécanismes d'évolution naturelle des formes. Il est en effet très improbable de trouver dans la nature un galet en forme de gömböc. Cependant, l'évolution des formes naturelles semble intimement liée avec le nombre de points d'équilibre statique[14]: différents modèles d'abrasion et études expérimentales montrent que le nombre de points d'équilibre d'une particule est réduit pendant le procédé d'abrasion. Cette observation a permis de raffiner les équations gouvernant le procédé, et ont été vérifiée avec succès pour expliquer la forme de galets trouvés sur Mars[15] ou la forme de l'objet interstellaire Oumuamua[16].

Malgré la réduction du nombre de positions d'équilibre au cours du procédé d'abrasion, il semble cependant que les deux points d'équilibre du gömböc soient un cas limite qui serait observé après un temps infini en pratique.

En observant le procédé dans l'autre sens, on peut se demander quelles sont les caractéristiques typiques d'une particule originelle au commencement de son processus d'abrasion. Le point de départ serait le cube avec 26 points d'équilibre. Ce postulat a été vérifié récemment[17]. Si on approche les particules crées par le processus d'abrasion par des polyhèdres et que l'on calcule le nombre de faces, sommets et arêtes obtenues en moyenne, on obtient respectivement 6, 8 et 12: exactement les valeurs du cube.

Ce fait intéressant est en directe relation avec la conception du monde du philosophe Platon. Ce dernier identifiait les quatre éléments et le cosmos avec les cinq solides platoniciens. En particulier, la Terre était identifiée avec le cube. Ceci est bien sûr à relativiser. Le monde physique étant bien plus complexe que le modèle abstrait le représentant, ce dernier n'est qu'un reflet très déformé du processus naturel. Ce résultat a obtenu énormément de crédit auprès de la presse scientifique[18],[19],[20],[21],[22]. Science le plaçait en 2020 parmi les 10 articles les plus intéressants de l'année[23].

Ingénierie

Les objets mono-monostatiques homogènes et convexes sont très similaires à des sphères, et leur manufacture requiert un usinage de précision. Cependant si on ne requiert pas l'homogénéité de l'objet, la géométrie du gömböc est un bon point de départ pour le design d'objets "auto-renversants".

Une équipe d'ingénieur de l'université de Pennsylvanie[24] a exploité le géométrie du gömböc pour résoudre un problème de stabilité pour des drones. Un problème majeur pour controler les drones est la difficulté à les maintenir dans une position stable, notamment en cas de collision. Les ingénieurs ont proposé un design de cage en forme de gömböc qui permet au drone de revenir toujours dans la bonne position après une collision.

Une autre équipe du MIT et de l'université Harvard a proposé un design proche du gömböc pour une capsule délivrant de l'insuline dans l'estomac[25] - qui pourrait remplacer les injections pour les patients atteints de diabète de type 1. Le principe de cette capsule est sa capacité à trouver une position unique dans l'estomac, et ce grâce à sa distribution de masse et sa géométrie. Les scientifiques ont utilisé un modèle d'optimisation de forme en s'inspirant de la littérature sur le gömböc[26],[27]. Le résultat obtenu est une capsule mono-monostatique dont le contour est similaire au gömböc.

L'équipe de catamaran Emirates Team New Zealand a développé un logiciel d'optimisation de performance pour leur catamaran AC50[28]. Le logiciel a été baptisé "Gomboc" en référence à l'objectif à atteindre. En effet, tout comme le gömböc, le bateau se doit d'être en équilibre mono-stable. Le logiciel est rapidement en train de devenir l'outil standard de conception navale de bateaux haute performance[29].

Le gömböc dans le monde

Représentation dans les arts

De nombreux artistes ont été inspirés par le gömböc.

Le court-métrage d'Ulrike Vahl, Gömböc (2010), dépeint quatre inadaptés combattant les revers et les difficultés du quotidien mais qui ont une chose en commun: ils se relèvent toujours après être tombés[30].

Le court-métrage The Beauty of Thinking (2012) de Márton Szirmai décrit la découverte du gömböc[31],[32]. Le film a été finaliste du GE Focus Forward festival.

Le gömböc est mentionné dans le roman de Dan Richards (en) Climbing Days (2016) lorsqu'il décrit le paysage de Montserrat[33].

Une exposition d'art abstrait de Ryan Gander avait pour thème l'auto-renversement. On pouvait y voir sept grands gömböc être graduellement recouvert de sable volcanique noir[34].

Le gömböc est récurrent dans les peintures de Vivien Zhang[35].

A l'automne 2020, le théâtre Korzo[36] de la Hague et le théâtre municipal de Biarritz ont présenté la production de danse Gömböc du chorégraphe Antonin Comestaz[37].

Dans les médias

Tout comme le cube d'Ernö Rubik, il s'agit d'un objet mathématique attirant l'attention du grand public[38]. Domokos et Várkonyi on reçu la croix de chevalier de la république de Hongrie pour leur découverte[39]. Le gömböc apparaissait dans la liste des 70 idées les plus intéressantes de l'année 2007 du New York Times[40],[41].

Le gömböc apparaît dans une série de timbres hongrois datée du 30 avril 2010 qui illustre un gömböc dans différentes positions. Le livret de timbres est fabriqué de manière à montrer le mécanisme d'auto-renversement quand le livret est feuilleté. Les timbres ont été édités en association avec World Epo 2010[42]. Les timbres peuvent être visionnés sur le site Stamp News, et la nouvelle a été relayée par le magazine Linn's Stamp News[43].

Le gömböc est apparu dans l'épisode de QI de la BBC du 12 juillet 2009[réf. souhaitée].

Il est apparu dans l'émission télévisée américaine Jeopardy du premier octobre 2020[44].

Dans le premier épisode de la première saison de la série en ligne Video Game High School, Any Game in The House, le personnage principal Ki Swan crée un jeu dont l'antagoniste est un gömböc anthropomorphe.

Une statue de gömböc dans le quartier de Corvin à Budapest.

Le webcomic Darths and Droids utilise un gömböc comme dé à une face[45].

Modèles

On peut trouver des gömböc dans le monde.

Notes et références

  1. Yves Coudène, La géométrie élémentaire d'Euclide à aujourd'hui, Calvage & Mounet, coll. « Mathématiques en devenir », , 451 p. (ISBN 978-2-49-323001-0), X. La recherche en géométrie, chap. 3 (« Conjectures résolues »), p. 397-398
  2. P.L. Várkonyi, G. Domokos, « Mono-monostatic bodies: the answer to Arnold's question », Mathematical Intelligencer, 28 (4), p. 34-38 (2006). [lire en ligne] [PDF]
  3. (en) P. L. Várkonyi et G. Domokos, « Mono-monostatic bodies », The Mathematical Intelligencer, vol. 28, no 4, , p. 34–38 (ISSN 0343-6993, DOI 10.1007/BF02984701, lire en ligne, consulté le )
  4. (en) Gábor Domokos, Flórián Kovács, Zsolt Lángi et Krisztina Regős, « Balancing polyhedra », ARS MATHEMATICA CONTEMPORANEA, vol. 19, no 1, , p. 95–124 (ISSN 1855-3974, DOI 10.26493/1855-3974.2120.085, lire en ligne, consulté le )
  5. (voir l'article paru dans le Sciences et Avenir de décembre 2007 sous la plume de David Larousserie)
  6. Prix susceptibles d'évoluer rapidement avec le perfectionnement de la technique de production. Pour les exemplaires dont le numéro de série est petit le prix augmente (exemple 4 900  pour le numéro 50). Voir dans tous les cas le site officiel
  7. (en-US) « Mathematics », sur Gömböc (consulté le )
  8. P.L. Várkonyi, G. Domokos : « Static equilibria of rigid bodies: dice, pebbles and the Poincare-Hopf Theorem. » J. Nonlinear Sci. Vol 16: p. 255-281, 2006.[lire en ligne] [PDF]
  9. Gábor Domokos et Péter L Várkonyi, « Geometry and self-righting of turtles », Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, vol. 275, no 1630, , p. 11–17 (ISSN 0962-8452, PMID 17939984, PMCID 2562404, DOI 10.1098/rspb.2007.1188, lire en ligne, consulté le )
  10. « The Living Gömböc | Natural History Magazine », sur www.naturalhistorymag.com (consulté le )
  11. (en) Philip Ball, « How tortoises turn right-side up », Nature, (ISSN 1476-4687, DOI 10.1038/news.2007.170, lire en ligne, consulté le )
  12. (en-US) « Can’t Knock It Down », sur Science News, (consulté le )
  13. (en-US) « Professor Alexander on the Turtles and the Gömböc », sur Gömböc, (consulté le )
  14. (en) Gábor Domokos, « Natural Numbers, Natural Shapes », Axiomathes, (ISSN 1572-8390, DOI 10.1007/s10516-018-9411-5, lire en ligne, consulté le )
  15. (en) Tímea Szabó, Gábor Domokos, John P. Grotzinger et Douglas J. Jerolmack, « Reconstructing the transport history of pebbles on Mars », Nature Communications, vol. 6, no 1, , p. 8366 (ISSN 2041-1723, DOI 10.1038/ncomms9366, lire en ligne, consulté le )
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  17. (en) Gábor Domokos, Douglas J. Jerolmack, Ferenc Kun et János Török, « Plato’s cube and the natural geometry of fragmentation », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 117, no 31, , p. 18178–18185 (ISSN 0027-8424 et 1091-6490, PMID 32680966, DOI 10.1073/pnas.2001037117, lire en ligne, consulté le )
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  44. (en-US) « Final Jeopardy: Literary Terms (10-1-20) – Page 2 – Fikkle Fame » (consulté le )
  45. « Darths & Droids », sur www.darthsanddroids.net (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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