Hommage au capitaine Dreyfus
Hommage au capitaine Dreyfus est une statue honorant Alfred Dreyfus, réalisée en 1985 par l'artiste français Louis Mitelberg dit Tim. Située sur la place Pierre-Lafue, dans le 6e arrondissement de Paris, elle est arrivée à cet emplacement après « une longue errance incertaine à travers Paris, qui dura près de dix ans »[1].
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Artiste | |
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Date | |
Type | |
Technique | |
Dimensions (H × L × l) |
3,50 × 1 × 0,80 m |
Propriétaire |
Fonds national d'art contemporain (FNAC 89283) |
Localisation | |
Coordonnées |
48° 50′ 42,22″ N, 2° 19′ 43,58″ E |
Description
La statue représente Alfred Dreyfus, en pied, tenant son sabre brisé devant le visage. C'est un bronze de 3,50 × 1 × 0,80 m[2] qui a été fondu par l'atelier Clementi à Meudon[3].
Un cartel situé sur le socle mentionne le nom de l'œuvre et de l'artiste, le nom et la date de la commande publique, et le message « Si tu veux que je vive, fais moi rendre mon honneur »[4] (extrait d'une lettre de Dreyfus à son épouse Lucie Dreyfus lorsqu'il était détenu sur l'île du Diable).
Historique
Cette statue s'inscrit dans une série de monuments en hommage à des grands hommes, voulue à partir de 1984 par le président de la République, François Mitterrand, avec des monuments tels que L'Homme aux semelles devant d'Ipoustéguy ou l'Hommage à Georges Pompidou par Louis Derbré[5]. Commande publique du ministère de la Culture et de la Francophonie en 1985, Tim propose d'installer la statue dans la cour de l'École militaire, à l'endroit où fut dégradé Dreyfus en 1895. Le ministre de la Culture de l'époque, Jack Lang donne son accord, mais le ministre de la Défense, Charles Hernu, est contre, arguant que la cour n'est pas accessible au public. À la place, il propose les jardins de la montagne Sainte-Geneviève qui abritent les locaux de l'École polytechnique où Dreyfus a étudié[6]. Le président Mitterrand lui-même est hostile à l'idée d'installer la statue à l'École militaire, estimant qu'« il faut donner aux militaires un exemple, pas un remords »[7].
Un autre emplacement est proposé sur la place Dauphine, en face du palais de justice où siège la Cour de cassation, qui a réhabilité Dreyfus en 1906, mais cette proposition est également rejetée[8].
La polémique, qui amène Renée Bernard dans L'Express du - à s'interroger sur « Une nouvelle affaire Dreyfus ? », atteint la presse anglo-saxonne (International Herald Tribune, -, Los Angeles Times, )[6].
Ces tribulations conduisent Norman Kleeblatt (en), en 1987, à comparer la statue de Tim au tableau Le Juif errant de Samuel Hirszenberg (en), qui a connu un sort similaire à l'Exposition universelle de 1900[9].
Il faudra attendre le pour voir l'inauguration de la statue au jardin des Tuileries, près de la terrasse dite du « bord de l'eau »[10].
L’œuvre est transférée le à la place Pierre-Lafue, à l’angle de la rue Notre-Dame-des-Champs et du boulevard Raspail, à l’initiative de Jacques Chirac, le maire de Paris de l’époque, pour le centenaire de l'arrestation de Dreyfus[11].
En , la statue est l'objet d'un vandalisme antisémite, maculée de peinture jaune avec l'insulte « sale traître », et une étoile de David peinte sur le socle[12]. Le maire de Paris de l'époque, Bertrand Delanoë, dépose une gerbe sur le monument le suivant[13].
En 2006, à l'occasion du centenaire de la réhabilitation de Dreyfus, Jack Lang et Bertrand Delanoë expriment leur souhait de voir la statue transférée dans la cour de l'École militaire[14], mais les militaires, notamment le général Henri Bentégeat, alors chef d'État-Major des armées, continuent de s'y opposer[15].
Copies
Une copie en résine de la statue de 3,95 × 1,16 × 0,92 m a été réalisée en 2003 et figure dans la cour du musée d'Art et d'Histoire du judaïsme[16].
Une autre a été inaugurée à Tel Aviv-Jaffa le [17],[18], non loin de l'Institut français.
- Copie au musée d'Art et d'Histoire du judaïsme.
- Copie à Tel Aviv-Jaffa.
Réception
La statue est mal reçue par la critique. On accuse Tim, dont le domaine de prédilection est le dessin de presse, et non la sculpture, d'avoir réalisé ici une caricature, à la fois en raison des proportions de l'œuvre, et de sa texture rappelant Giacometti ; on lui reproche aussi le motif du sabre brisé, fixant Dreyfus dans sa disgrâce plutôt que dans le combat pour la justice[19],[20].
Artiste
Tim (1919-2002) est un artiste français.
Références
- Tillier 2003, cité par Vincent Duclert, L'affaire Dreyfus, Larousse, coll. « L'Œil des archives », , 2e éd., 239 p. (ISBN 978-2-03-584820-8), p. 217.
- Caroline Cros (dir.) et Laurent Le Bon (dir.), L'art à ciel ouvert : Commandes publiques en France, 1983-2007, Paris, Flammarion, coll. « La création contemporaine », , 271 p. (ISBN 978-2-08-120277-1).
- Vincent Duclert, Dreyfus au Panthéon : Voyage au cœur de la République, Paris, Galaade, , 596 p. (ISBN 978-2-35176-029-1), p. 223.
- Jack Lang, François Mitterrand, fragments de vie partagée, Paris, Seuil, , 298 p. (ISBN 978-2-02-103793-7), p. 127.
- Claude Allemand-Cosseau, « Le rôle de la commande publique de l'État aux artistes vivants depuis la fin du XVIIIe siècle », sur louvre.fr, Musée du Louvre, . Version enregistrée par Internet Archive.
- Marc Knobel, « Chronique dreyfusienne : L'hommage au capitaine Dreyfus », Les Cahiers naturalistes, no 63, , p. 256 (lire en ligne) repris dans Marc Knobel, « Les derniers antidreyfusards ou l'antidreyfusisme de 1906 à nos jours », dans Michel Denis (dir.), Michel Lagrée (dir.) et Jean-Yves Veillard (dir.), L'affaire Dreyfus et l'opinion publique en France et à l'étranger, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », , 346 p. (ISBN 2-86847-160-9, DOI 10.4000/books.pur.16507), p. 113-124.
- Témoignage de Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur, 5-11 janvier 2006, p. 11. Jean Daniel raconte avoir ensuite demandé à Mitterrand s'il fallait plutôt mettre la statue du colonel Picquart, ce à quoi le président a acquiescé. Cité par Vincent Duclert, « La mémoire et le service de l'État l'affaire Dreyfus », Pouvoirs, no 117, , p. 145–155 (DOI 10.3917/pouv.117.0145) et Vincent Duclert, « L'affaire Dreyfus : De l'affrontement des mémoires à la reconnaissance de l'histoire », dans Pascal Blanchard (dir.) et Isabelle Veyrat-Masson (dir.), Les guerres de mémoires : La France et son histoire, enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », , 334 p. (ISBN 978-2-7071-5463-7, lire en ligne), p. 71–82 [77].
- (en) Dora E. Polachek, « A Witness to Its Time: Art and the Dreyfus Affair: A Review Essay », Modern Judaism, vol. 10, no 2, , p. 205–214 [213] (JSTOR 1396262).
- (en) Norman L. Kleeblatt, The Dreyfus Affair : Art, Truth, and Justice, Berkeley, University of California Press, , 315 p. (ISBN 0-520-05939-5 et 0-520-06239-6), p. 20 : « a veritable 'Wandering Jew' of late twentieth century sculptural monument ». Cité par Polachek 1990.
- Emmanuelle Réju, « La France célèbre Alfred Dreyfus », La Croix, .
- Marc-Olivier Baruch et Vincent Duclert, « La justice dans l'affaire Dreyfus, le sens d'une commémoration », dans Marc-Olivier Baruch (dir.) et Vincent Duclert (dir.), Justice, politique et République : De l'affaire Dreyfus à la guerre d'Algérie, Bruxelles/Paris/Paris, Complexe, coll. « Histoire du temps présent », , 266 p. (ISBN 2-87027-926-4), p. 23-47 [30–31].
- Vincent Duclert, « Antisémitisme, République et démocratie : Le modèle Dreyfus », Esprit, no 286, , p. 171–174 (JSTOR 24279780, lire en ligne).
- Pierre Birnbaum, « Le recul de l'État fort et la nouvelle mobilisation antisémite dans la France contemporaine », Pôle Sud, no 21, , p. 15–29 (DOI 10.3406/pole.2004.1199).
- « La statue de Dreyfus fait débat », 20 Minutes, .
- Jean-Dominique Merchet, « Un beau discours et pas de statue pour le capitaine Dreyfus », Libération, .
- « Hommage au capitaine Dreyfus », sur mahj.org.
- (he) Corinne Elbaz-Alush, « דרייפוס מגיע לתל־אביב », sur ynet, Yediot Aharonot, (consulté le ).
- Thierry Oberlé, « De Paris à Tel Aviv, les tribulations de la statue du capitaine Dreyfus », Le Figaro, .
- Bertrand Tillier, À la charge ! : La caricature en France de 1789 à 2000 (texte en partie issu d'un séminaire de maîtrise en histoire de l'art animé par l'auteur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne durant l'année 2004-2005, publié à l'occasion de l'exposition présentée de à au Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Denis), Paris, L'Amateur, , 255 p. (ISBN 2-85917-423-0), p. 79.
- (en) June Ellen Hargrove, The Statues of Paris : An Open Air Pantheon, New York, Vendome Press, , 382 p. (ISBN 0-86565-121-3) [trad. Marie-Thérèse Barrett, Les Statues de Paris : La représentation des grands hommes dans les rues et sur les places de Paris, Anvers, Fonds Mercator (ISBN 90-6153-208-6), et Paris, Albin Michel (ISBN 2-226-03811-6)], p. 331.
Voir aussi
Bibliographie
- Bertrand Tillier, « La difficile réparation », dans Yasha David (dir.), Tim, être de son temps : Dessinateur, sculpteur, journaliste, 1919-2002 (catalogue de l'exposition au musée d'Art et d'Histoire du judaïsme, -), Paris, Musée d'Art et d'Histoire du judaïsme et Herscher, , 223 p. (ISBN 2-913391-20-6 et 2-7335-0358-8), p. 129–138 [extrait en p. 17–18 du communiqué de presse]
- Dominique Jarassé, Guide du patrimoine juif parisien, Parigramme, 2003.
Articles connexes
- Liste des œuvres publiques du 6e arrondissement de Paris
- Liste des œuvres de Louis Mitelberg
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