In paradisum et Chorus angelorum

Les In paradisum et Chorus angelorum sont une paire d'incipit faisant partie de l'absoute, épisode qui avait traditionnellement sa place à l'issue de l'office catholique des défunts[1]. Il s'agit des antiennes grégoriennes chantées à la fin de la cérémonie des funérailles, lorsque la procession se forme pour accompagner le cercueil du défunt, porté hors de l'église et vers le cimetière.

Pour les articles homonymes, voir In Paradisum (homonymie).

Ces textes, desquels les fonctions à l'origine n'étaient pas identiques, se diffusent plutôt par la dernière pièce du requiem (dès 1888) de Gabriel Fauré.

Texte

latinfrançais[2]
In paradisum deducant te angeli,

in tuo adventu suscipiant te martyres,
et perducant te in civitatem sanctam Ierusalem.

Que les anges te conduisent au paradis ;
qu'à ton arrivée les martyrs te reçoivent
et t'introduisent dans la cité sainte, Jérusalem.
latinfrançais
Chorus angelorum te suscipiat,

et cum Lazaro quondam paupere
æternam habeas requiem.

Que le chœur des anges te reçoive,
et qu'avec Lazare, le pauvre de jadis,
tu jouisses du repos éternel.

Lors de la procession, ces deux antiennes sont chantées en alternance[3].

CAO

Antiennes grégoriennes authentiques, les deux sont enregistrées dans le catalogue de Corpus antiphonalium officii (tome III, 1968), par Dom René-Jean Hesbert  :

  • CAO 3266 : In paradisum
  • CAO 1783 : Chorus angelorum

Partition

Voir aussi Synopsis pour les transcriptions plus correctes.

Une version de l'édition de Solesmes, publiée au XXe siècle. À partir de 2005, tous les signes (sauf de petites notes, telle celle de sanctam ainsi que le quilisma) y sont supprimés[2]. En effet, ils avaient été ajoutés sous influence de la musique contemporaine. On peut analyser, avec ces notations, le lien étroit entre le texte (surtout l'accent) et l'élan musical, qui était la grammaire fondamentale du chant grégorien authentique[4].

Historique

Moyen Âge

Ce qui est certain, c'est que les deux antiennes étaient en usage, au début du XIe siècle, à l'abbaye de Saint-Gall, à cette époque-là un grand centre de liturgie grégorienne.

On compte peu de manuscrits médiévaux. Par conséquent, il est difficile d'identifier leur origine, soit le propre rite romain, soit issue d'une liturgie locale dans le royaume carolingien[5].

Pourtant, toutes les deux antiennes se trouvent dans l'antiphonaire de Hartker, copié entre 990 et 1000. L'authenticité est indiscutable, car l'atelier de l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes, qui reste toujours l'un des meilleurs centres des études grégoriennes, qualifie ce manuscrit en tant que le meilleur antiphonaire grégorien (voir Antiphonale monasticum, 2005). L' In paradisum est une antienne sur le folio 199 (dans ce manuscrit, plus précisément page 199) et dans la rubrique In Mat' Laudibus[6], après la page 198 des répons Requiem æternam et Libera me . Celle de Chorus angelorum se trouve, quant à elle, sur les pages précédentes 195 - 196 , dans une rubrique assez détaillée. Il s'agirait de l'origine de l'usage pour les obsèques. (Ce même texte Chorus angelorum s'employait également dans un rituel de la région de Bénévent du XIe siècle, lors de l'arrivée du cortège à l'entrée de l'église pour la messe[7]).

Dans la région, il s'agirait du seul témoin qui contienne les deux, quoique la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Gall possède de nombreux manuscrits semblables, mais qui furent copiés plus tardivement. Cela reste inexplicable.

De même, après cet antiphonaire par excellence, il y a peu de trace dans toutes les archives européennes. L'université de Ratisbonne enregistre cependant des variantes avec leurs textes un peu différents. Il s'agit d'un manuscrit de Worcester, copié au milieu du XIIIe siècle, qui contient toutes les deux. Les textes actuellement utilisés sont issus du manuscrit de Hartker (Seulement le mot et fut remplacé par ut). Un autre exemple, une notation de Chorus angelorum, se trouve dans un missel parisien (XIIIe siècle), dit de Fortunatus, de même avec le mot ut. La rubrique indique qu'il s'agit d'une antienne [manuscrit en ligne][8].

En résumé, les études au regard du Moyen Âge demeurent encore insuffisantes.

Usage universel

Les deux étaient en usage auprès des établissements religieux [9]. Elles se retrouvent aussi dans le Rituel romain, par exemple celui de 1750 publié en faveur du diocèse de Toulon : « L'Oraison finie, on porte le mort pour l'ensevelir, si c'en est le temps, et en le portant, le Clergé chante : » [lire en ligne]. Donc, malgré sa trace méconnue, cette procession chantée était pratiquée, au XVIIIe siècle, tant aux monastères qu'aux paroisses.

Puis, au XIXe siècle, les deux antiennes obtinrent une bonne célébrité, grâce au requiem de Gabriel Fauré, composées en une seule pièce. Cette composition ensemble était par ailleurs l'origine de confusion de deux textes.

L'influence de l'œuvre de Fauré est immense. Contrairement à ce que les musiciens considèrent, les antiennes restent, dans le répertoire grégorien, indépendants. Surtout, leurs modes ne sont pas identiques : In paradisum en septième mode ainsi que Chorus angelorum en huitième mode[2].

Usage actuel dans la liturgie

L'utilisation en faveur des funérailles est toujours admise d'après le Calendarium Concilii Vatican II.

Tout comme d'autres antiennes, celles-ci gardent plusieurs fonctions dans la liturgie :

  1. Procession
    Les antiennes sont connues en faveur de la procession, qui accompagne le cercueil du défunt jusqu'au cimetière. Comme cette procession dure normalement assez longtemps, elles sont chantées en alternance pour adapter à cette durée.
  2. Vêpres
    Dans les vêpres solennelles du défunt, qui précède la messe des morts la veille, on chante ces antiennes avec des répons. La Chorus angelorum est placée au début ainsi que l’In paradisum presque à la fin .
  3. Messe
    On ignore leur pratique au Moyen Âge, dans la messe. En effet, l'exécution de l'antienne était limitée pour le propre de messe, à savoir les antiennes de l'introït, de l'offertoire et de la communion. De surcroît, cette pratique fut de plus en plus perdue. À la suite des compositions de quelques musiciens français, les In paradisum et Chorus angelorum étaient exactement chantées dans la messe[10]. Mais dans ce cas, il serait inutile de distinguer strictement les fonctions. De fait, dans la messe des morts, après le rite de conclusion, la procession finale n'est autre que celle qui porte la dépouille du défunt[11].

Influence dans la littérature

Selon les études récentes de Gerard Kilroy et d'autres, ces antiennes auraient inspiré les œuvres de William Shakespeare, notamment le mot dénoncé par Horatio à la fin de la célèbre pièce Hamlet[3],[12] : « Good night, sweet prince. And flights of angels sing thee to thy rest. (Bonne nuit, cher prince. Et que les anges volants chantent vous pour votre repos.) »

Mis en musique à la Renaissance

Il existe un motet particulier, qui était conçu dans l'optique de remplacer le plain-chant traditionnel.

  • Jean Esquivel Barahona (1563 - † 1614) : motet d'enterrement à 6 voix[13], dans les Motecta Festorum et Dominicarum cum Communi Sanctorum, IV, V, VI et VIII, p. 262 - 265 (1608)[14]

Mis en musique contemporaine

Première page de l’In paradisum de Fauré (partition autographe, version dite de 1893) [manuscrit en ligne] (Bibliothèque nationale de France, département de la musique, manuscrit 413). Avec le code ⟨•/•⟩, l'écriture d'accompagnement y est économisée, en raison de la composition en tant qu'ostinato.

À partir de l'œuvre de Gabriel Fauré, ces antiennes sont composées en une pièce.

En ce qui concerne l’In paradisum de Fauré, ce dernier respectait la caractéristique de l'antienne. Car, en qualité de chef de chœur à l'église de la Madeleine de Paris, le compositeur conçut l'œuvre, avec l'intention de renouveler le répertoire de cette église, selon laquelle son ouvrage devait être liturgique[15]. D'où, les textes sont entièrement chantés par la voix de soprano, en monodie et à l'unisson, avec le rythme verbal[16]. Le rôle des instruments demeure secondaire, en ostinato. Mais, il s'agit d'un ostinato très original, en bel arpège, qui symboliserait l'horloge céleste et l'éternité. Le chœur aussi reste secondaire, dont l'exécution se limite pour les deux coda, qui donne l'effet des accords parfaits de voix. Dans le contexte liturgique, ce compositeur créa une nouveauté, qui adaptait sans doute à la célébration à la Madeleine. À la place des religieux qui participaient à la procession, c'était la schola et les musiciens d'orchestre qui jouaient, lors du départ de cercueil, la musique, sans se déplacer.

À la différence de l'œuvre de Fauré, la composition de Duruflé se consistait des matériaux grégoriens, ce qui reste explicable. À la suite de la publication de l'Édition Vaticane, l'usage du chant grégorien était obligatoire dans toute l'église catholique romaine, jusqu'au concile Vatican II (Décret daté du 14 août 1905).

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Site du Répertoire grégorien

Manuscrit en ligne

Synopsis

Synopsis selon l'université de Ratisbonne :

Notes et références

  1. Robert Le Gall, Dictionaire de liturgie, C.L.D. : Absoute [lire en ligne]
  2. Liturgie latine - Mélodies grégoriennes, p. 59 - 60, Abbaye Saint-Pierre de Solesmes, Solesmes 2005
  3. (en) Gerard Kilroy, Theatre and Religion, Lancastrian Shakespeare, p. 144 - 145, 2003
  4. Ainsi, le chant se commence avec une note basse et faible, car le mot In possède moins d'importance. L'élan remonte ensuite vers le Ciel pour paradisum, premier sommet de mélodie avec une syllabe accentuée. Aussi faut-il remarquer que Gabriel Fauré, qui connaissait bien le grégorien, imitait cet élan ascendant, en dépit de sa mélodie contemporaine.
  5. Si l'origine était l'antienne de procession, il est probable qu'il s'agissait d'une liturgie locale dans le rite gallican. Car, cette catégorie n'existait pas dans le rite romain, mais existait dans d'anciens fonds de répons de la liturgie gallicane depuis le VIIIe siècle.
  6. On voit une autre rubrique In Ey. Mais il semble qu'il s'agisse de l’Euouae, abréviation d' Evovae.
  7. Cécile Treffort, L'église carolingienne et la mort, p. 78, note n° 46 (1996) dont le texte avait initialement été publié par Ambros Odermatt en 1980 comme Incipit obsequium circa morientem (p. 318) ; avec le rite romain et le rite ambroisien, le rite de Bénévent était l'un des trois rites pratiqués en Italie ; il subit beaucoup d'hybridation avec la liturgie grégorienne avant sa disparition ; il est donc également difficile à identifier l'origine du texte dans ce rituel.
  8. Ce manuscrit, conservé à la bibliothèque nationale de France (Latin 1112), est un document précieux, car tous les chants de la messe, y compris ceux que les célébrants entonnaient, étaient notés dans ce manuscrit.
  9. Voici un document publié tardivement : Cérémonial monastique à l'usage des religieuses bénédictines du Très-Saint Chœur de Marie Abbaye Saint-Pierre de Pradines, p. 313 (1855) ; le cérémonial distinguait les deux antiennes : « les Antiennes In Paradisum et Chorus Angelorum ».
  10. Ainsi, l’In paradisum de Gabriel Fauré fut souvent chantée à l'église de la Madeleine à Paris, sous la direction du compositeur, par exemple le 16 janvier 1888 (première représentation pour la messe du bout de l'an de Joseph-Michel Le Soufaché) et le 21 janvier 1893 (commémoration du 100e anniversaire du trépas du roi de France Louis XVI). Et en faveur des obsèques nationales de Fauré, tenues le 8 novembre 1924, Philippe Gaubert dirigea cette messe.
  11. Cela peut expliquer la composition particulière de Fauré, qui était le maître de chœur de l'église de la Madeleine à Paris depuis 1877. Située en plein centre, elle n'est toujours pas capable d'effectuer l'inhumation. Il semble que l'ouvrage de Fauré fût adapté à cette procession, qui était limitée jusqu'au départ de la dépouille.
  12. (en) Lucy Beckett, In the Light of Christ : Wrighting in the Western Tradition, p. 354, 2006
  13. Clive Walklay, Juan Esquivel : A Master of Sacred Music during the Spanish Golden Age, p. 189, 2010 (en)
  14. Editorial CSIC, Francisco Guerrero : Motetes del Santoral : XLVII - LXXV, p. 38 - 40, 2003
  15. Jean-Michel Nectoux, préface de sa nouvelle partition, p. v, 1998
  16. À savoir, si l'on les chante en traduction, il faut modifier le rythme.
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