Indépendance algébrique
En algèbre, l'indépendance algébrique d'un ensemble de nombres, sur un corps commutatif, décrit le fait que ses éléments ne sont pas racines d'un polynôme en plusieurs indéterminées à coefficients dans ce corps.
Définition
Soient L un corps commutatif, S un sous-ensemble de L et K un sous-corps de L. On dit que S est algébriquement libre sur K, ou que ses éléments sont algébriquement indépendants sur K si, pour tout suite finie (s1, … , sn) d'éléments distincts de S et tout polynôme non nul P(X1, … , Xn) à coefficients dans K on a P(s1, … , sn) ≠ 0.
Exemples
Un singleton {s} est algébriquement libre sur K si et seulement si son élément s est transcendant sur K.
Si S est algébriquement libre sur K alors il l'est sur tout sous-corps de K.
Si S est algébriquement libre sur K alors toute partie de S l'est aussi. Plus précisément, si V et W sont deux parties de L disjointes, alors leur réunion V⋃W est algébriquement libre sur K si et seulement si V est algébriquement libre sur K et W est algébriquement libre sur le sous-corps K(V) de L.
En particulier, si S est algébriquement libre sur K alors tous ses éléments sont transcendants sur K, mais la réciproque est clairement fausse : par exemple le sous-ensemble {π, 1/π} du corps ℝ des nombres réels n'est pas algébriquement libre sur le corps ℚ des nombres rationnels, puisque le polynôme non nul à coefficients rationnels P(X, Y) = XY – 1 vérifie P(π, 1/π) = 0.
Dans le corps de fractions rationnelles K(X1, … , Xn), les indéterminées X1, … , Xn sont algébriquement indépendantes sur K ; les polynômes symétriques élémentaires le sont aussi.
Une partie K-algébriquement libre maximale de L s'appelle une base de transcendance de L sur K, et le cardinal d'une telle base est appelé le degré de transcendance de l'extension.
Le théorème de Lindemann-Weierstrass peut souvent être utilisé pour prouver que certains ensembles sont algébriquement libres sur ℚ.
On ne sait pas si l'ensemble {π, e} est algébriquement libre sur ℚ (on ne sait même pas si π + e est irrationnel).
Nesterenko (en) a prouvé en 1996 un théorème[1] dont il résulte par exemple que {π, eπ, Γ(1/4)}, {π, eπ√3, Γ(1/3)} et {π, eπ√d} pour tout entier d > 0, sont algébriquement libres sur ℚ[2],[3] (on savait déjà que {π, Γ(1/4)} et {π, Γ(1/3)} sont algébriquement libres[4],[5], et donc aussi {π, Γ(1/6)}, puisqu'on déduit des relations fonctionnelles sur la fonction Gamma que Γ(1/6) = Γ(1/3)2 2–1/3 (3/π)1/2).
On sait peu de choses sur les valeurs aux entiers impairs de la fonction zêta de Riemann, mais il est conjecturé[3],[6],[7] que les nombres π, ζ(3), ζ(5), ζ(7), … sont algébriquement indépendants sur ℚ.
Notes et références
- Yuri Valentinovich Nesterenko, « Modular Functions and Transcendence Problems », Comptes Rendus de l'Académie des Sciences. Série I. Mathématique, vol. 322, no 10, , p. 909–914
- (en) Yuri V. Nesterenko et Patrice Philippon, Introduction to Algebraic Independence Theory, Springer, , 256 p. (ISBN 978-3-540-41496-4, lire en ligne), p. 27-29
- (en) M. Waldschmidt, « Transcendence of Periods: The State of the Art », Pure and Applied Mathematics Quarterly, vol. 2, no 2, , p. 435-463 (lire en ligne)
- (en) G. V. Chudnovsky, « Algebraic independence of constants connected with the exponential and the elliptic functions », Dokl. Akad. Nauk Ukrain. SSR Ser. A, vol. 8, , p. 698-701, 767.
- (en) G. Chudnovsky, « Algebraic independence of the values of elliptic function at algebraic points », Invent. Math., vol. 61, no 3, , p. 267-290 (lire en ligne).
- Pierre Cartier, « Fonctions polylogarithmes, nombres polyzêtas et groupes pro-unipotents », Séminaire Bourbaki, vol. 43, no 885, 2000-2001, p. 137-173 (lire en ligne), cf. Conclusion
- Stéphane Fischler, « Irrationalité de valeurs de zêta », Séminaire Bourbaki, vol. 44, no 910, (lire en ligne)
Bibliographie
(en) Michel Waldschmidt, « Elliptic Functions and Transcendence », dans Krishnaswami Alladi, Surveys in Number Theory, Springer, coll. « Dev. Math. » (no 17), (lire en ligne), p. 143-188
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