Jacques d'Ableiges

Jacques d'Ableiges (1350?-1402)[1],[2] est un jurisconsulte français.

Jacques d'Ableiges
Biographie
Naissance
Vers
Décès
Activité
Philippe de Beaumanoir remet symboliquement son ouvrage achevé au Christ et à la Vierge.
Ableiges, village où il est probablement né.
Blason de la ville d'Ableiges.
Roi de France Charles V (statue conservée au Musée du Louvre).
Jean Ier de Berry, troisième fils du roi de France, Jean II dit le Bon. Détail d'une miniature des Très Riches Heures du duc de Berry.
Roi de France Charles VI. Le Grand Coutumier de France, a aussi eu pour titre celui de « Coutumier de Charles VI ». Détail d'une miniature des Dialogues de Pierre Salmon, Bibliothèque de Genève.
Édition de 1539 du Grand Coutumier de la British Library, avec une reliure de Léon Gruel (1840-1923).

Son nom « appartient désormais à l'histoire littéraire de la France », selon Léopold Delisle, administrateur de la Bibliothèque Nationale, en 1880[3],[4].

À l'image de Philippe de Beaumanoir (1250-1296) et de ses Coutumes de Clermont-en-Beauvaisis (1283), il est surtout connu pour son Grand Coutumier de France écrit entre 1385 et 1389[1].

Biographie

Malgré des renseignements fragmentaires, certaines informations ont pu être conservées.

Lieu de naissance supposé : Ableiges

En 1914, selon M.L. Polain, il « est vraisemblablement né dans le second quart du XIVe siècle[5] au village d'Ableiges » (p. 412)[6]. Ce dernier se situe dans la vallée de la Viosne, petite rivière du Vexin français, formant les Marais d'Ableiges. Pour autant, si M. Petot pense aussi qu'il y est « sans doute originaire », il appelle à la prudence en 1968, car « rien ne prouve qu'il y soit né » (p. 3)[7].

Dates de naissance et de décès incertaines

En 1916, selon Félix Aubert (1859-1943), il « naquit dans le second quart du XIVe siècle[6] et mourut à la fin de l'année 1410 ou dans les premiers mois de 1411 » (p. 226-227)[5].

Aujourd'hui, si la date de naissance de 1350 reste incertaine, la date de décès de 1402 fait consensus[1],[2],[7].

Origine seigneuriale 

D'après le sceau, dont Jacques d'Ableiges avait l'habitude de se servir, il est issu d'une « ancienne famille dont les armes portaient une hure de sanglier, au chef chargé de 3 merlettes. Supports : deux lions, et en cimier une hure de sanglier » selon l'avocat Albert Allard[6],[8].

Son père, aussi appelé Jacques d'Ableiges[7], était un des seize examinateurs du prévôt de Paris, au Châtelet[2]. Pour M. Petot, il est « probable » que le fils ait « succédé à son père dans cet office [...] » (p. 6)[7].

Famille : une femme et un enfant

À l'appui de paiements du - pour du vin offert à la baillive (« femme du bailli »[9]) - M.L-Polain déduit que Jacques d'Ableiges est marié au moins depuis 1380 (p. 415)[6].

D'après un document du su des Extraits des Registres d'audience du Châtelet (msc Clairambault, 763, p. 37, Nibl. nat.), son épouse[5] Françoise de Bray est morte avant 1411[4]. Avec elle, et après le Grand Coutumier, il a un fils appelé comme lui Jacques[4], qui fut émancipé le [5].

Affaire de cœur, proche d'être meurtrière

Le , il fait la cour à la femme de son ami Nicolas Odde, ancien trésorier des guerres[5], sergent d'armes du roi[7]. Cette galanterie - « trop pressante, brutale même, sans aucun succès d'ailleurs » selon Félix Aubert[5] (p. 227) - « faillit lui coûter la vie »[5],[6]. Pierre Petot raconte : « une nuit, pendant l'absence du mari, il alla jusqu'à enfoncer la porte du logis, qu'on refusait de lui ouvrir » (p. 7)[7].

Le , l'ami outragé, et lui, se rencontrent à Paris, rue Pierre-au-Lard[5],[7]. Après lui avoir reproché sa conduite, il lui donne un coup de couteau en pleine poitrine[5],[10], qui lui laisse une blessure sérieuse[4]. Si cette affaire marque un frein à son début de carrière, M. Odde obtient, dès le 9[7] ou [5], des lettres de rémission du roi Charles V[10],[4],[5]. À la différence des autres sources, M.L-Polain confirme cet événement ; mais date la lettre de rémission au - et surtout - l'accorde à « Jacques Lempereur », et non à Nicolas Odde[6].

Simple « peccadille de jeunesse » pour M. Petot (p.7)[7], ces événements ne sont pas étrangers à la dédicace de Jacques d'Ableiges à ses quatre neveux dans la préface de son Grand Coutumier[4],[5]. Il les exhorte à imiter la conduite de leur grand-père « refridée et meurée », plutôt que la sienne[5], ou celle de leur oncle[11], qu'il juge « si enfancibles et si volages »[4],[11]. Il leur rappelle même l'adage selon lequel « les passions volages renversent l'esprit même éloigné du mal » (p. 29)[4].

Carrière

Dans sa préface du Grand Coutumier de France, il prétend qu'il a, comme son frère, « servi de grands seigneurs, et des plus grand [sic] du royaume de France auprès du roi »[4],[12],[7]. Cela n’empêchera pas sa carrière d'être « passablement agitée » pour Pierre Petot (p. 5)[7]. Elle peut malgré tout se résumer en trois temps.

Dans un premier temps, il est magistrat pour le compte de seigneurs du roi de France entre 1371 et 1380. Mais cela ne l’empêche pas d'être aussi examinateur au Châtelet[11] (1375)[7], puis avocat à Orléans (1377)[13].

Dans un deuxième temps, ses qualités de juristes[2],[6] le font accéder à l'administration royale[7]. Il y sera tour à tour, bailli de Chartres (1380)[3],[4], puis de Saint Denis (1380/1)[7],[5], et enfin, d'Evreux, de Breteuil et de Conches (1385-1388)[3],[4].

Dans un troisième et dernier temps, il abandonne l'administration royale[3],[4] ; pour retrouver la ville de Chartres, non plus comme bailli, mais comme maire du Chapitre (1389)[14],[3]. Il y ajoute une activité d'avocat, au Châtelet (1391)[3],[1], comme à Tournai (1391-1392)[5],[8].

1371-1380 : magistrat de cour seigneuriale, examinateur, et avocat

Dès 1371, il commence par être secrétaire du duc de Berry[3], Jean Ier de Berry[7], frère du roi de France Charles V[6]. Il partage cette charge avec d'autres officiers[7]. Outre l'honneur de cette première fonction, il confie avoir gagné de « grans prouffis »[7]. Avant de devenir avocat à Orléans en 1377[13], il est examinateur au Châtelet[11] en 1375[7]. En 1378, il aurait joué le rôle de conseiller du comte de Blois, Jean II de Blois-Châtillon, selon Paul Guilhiermoz (p. 665)[13].

1380-1384 : bailli de Chartres, puis de Saint-Denis

En premier lieu, en , il succède à Jean Noël[7] à la fonction de bailli royal de Chartres[3],[4]. Mais, 6 mois seulement après, Jean Richète le remplace en [7]. Les motifs de cette « prompte disgrâce » selon M. Petot sont inconnus[7]. Cependant, il suggère qu'elle peut-être simplement un effet collatéral de la mort du roi de France Charles V, le [7].

En deuxième lieu, dès la fin de la même année ou au début de 1381[7], il remplace Jean Saince[5] en qualité de bailli de l'abbaye de Saint-Denis. À noter que le village d'Ableiges était une paroisse qui relevait du patronage de l'abbaye de Saint-Denis[6],[4]. Mais, Guy de Monceau, abbé de Saint-Denis, le dépose de sa charge de bailli à la fin de 1384 ou en début de 1385[6],[7].

En même temps, en 1383 et 1384, il a pu aussi être bailli de la reine Blanche, selon Paul Guilhiermoz (p. 665)[13].

1385-1388 : bailli d'Evreux, de Breteuil et de Conches

En troisième lieu, de 1385 à 1388, il est bailli d'Evreux, de Breteuil et de Conches[3],[4]. Si la date précise de sa nomination comme bailli d'Evreux n'est pas connue, elle est estimée antérieure à la fin [7]. Fin , il n'est plus bailli d'Evreux[7]. Après avoir remplacé Jean Bauffes dans cet office, c'est Guillaume Mauternes qui lui succédera[6],[12].

En 1387[6] ou 1388[5], les généraux réformateurs le désignent, avec Adam Le Vasseur[7], pour mener l'enquête sur les abus et les excès du bailli et des officiers royaux de Tournai. Selon MM. Aubert[5] et Polain[6], dans cette mission, il ne brille pas par son honnêteté. Malgré les « moult chargiez par les dittes informations et dignes de grans punicions crimineles »[6], il fait disparaître des pièces de son enquête, pour éviter de compromettre des accusés[5],[15]. Parmi eux se trouve Jean Boutillier, célèbre auteur de la Somme rurale[5],[6],[15].

En 1389, il doit abandonner l'administration royale[3],[4]. Comme MM. Delisle[12] et Polain[6], il est permis de penser que la prévarication précédente y soit à l'origine. « Son manque de scrupules pourrait bien expliquer ces retraits d'emploi » pour Félix Aubert[5].

1389, maire de Chartres, puis 1391, avocat au Châtelet

Le , il revient à Chartres, et est élu maire général et principal du Chapitre[14],[3]. Son serment est prêté devant Jean Acarie [16],[4]. En 1391, il se retrouve avocat au Châtelet[3],[1], sans pour autant avoir été après avocat au Parlement[2].

1391-1394 : avocat, puis conseiller à Paris, de la commune de Tournai

Du au [5],[8], il sera avocat (conseiller) pensionnaire de la commune de Tournai[13]. Si la durée de son engagement était prévue initialement pour trois ans, son refus d'accepter la diminution du traitement des officiers de la ville, le fit renoncer à sa fonction, après une transaction du [6]. Les termes de cette convention témoignent de son « âpreté en matière d'argent », selon M.-Louis Polain (p. 415)[6]. Toutefois, la ville de Tournai le conserve parmi ses conseillers à Paris, pour le reste de son engagement primitif, jusqu'au [6].

Le Grand Coutumier de France, œuvre maîtresse

Il est célèbre pour avoir rédigé et publié entre 1385 et 1389[1], sous le règne de Charles VI, le Grand Coutumier de France[17]. Selon sa notice imprimée à la BNF, il s'agit d'une « compilation d'ordonnances, de traités et d'autres pièces concernant le droit français »[18].

Le titre donné par son premier éditeur (Galliot Dupré, 1514) est le suivant : « Le Grand Coutumier de France. et instruction de pratique, et manière de procéder et practiquer ès souveraines cours de Parlement, prévosté et viconté de Paris et autres jurisdictions du royaulme de France[17], nouvellement veu, corrigé, adapté le droit, la coutume, et ordonnances royaulx et plusieurs arrests de la cour de Parlement selon les matières et cas occurens, avec l'extraict de stille de la cour et manière de faire les assignations et appointements en chastellet et aultres jurisdictions de ce royaulme »[2].

Plus simplement, quelques historiens lui préfèrent le nom de « (Grand) Coutumier de Charles VI »[17],[2] depuis le XVIIIe siècle[7]. Au XVe siècle, il a aussi pour titre celui de « Style du Châtelet »[6],[7], qui est le nom de deux de ces manuscrits[13]. Il faut dire que c'est « avant tout une compilation de droit parisien », selon Paul Guilhiermoz (p. 664)[13].

Malgré ces appellations, le Grand Coutumier n'aura jamais eu de caractère officiel[7],[19]. Avant son succès, il était destiné « à l'usage familial » rappelle l'auteur dans sa préface[2]. D'ailleurs, dans cette dernière, Jacques d'Ableiges n'hésitera pas à l'appeler sa « petite compilation », ou son « livret[7] [...] aconqueilly d'autre part, et acquesté sur aultry sens »[2],[17].

Bibliographie

Pour une bibliographie plus complète, sur Jacques d'Ableiges, et son Grand Coutumier de France, la notice de M.-Louis Polain, ci-dessous, en dresse l'une des listes les plus détaillées et actualisées (p. 418-421)[6]. Celle de référence, comme la plus approfondie et récente, est de Pierre Petot et Pierre-Clément Timbal, citée plus bas.

Notes et références

  1. Dominique Chagnollaud de Sabouret (dir. et professeur à l’Université Panthéon Assas (Paris II)), « Ableiges (Jacques d’) (1350 ?-1402) », dans Thierry Favario, Anne Jacquemet-Gauché, Laurent Marcadier et Aurélien Molière, Dictionnaire élémentaire du droit : 200 notions incontournables, Paris, Dalloz, coll. « Petits dictionnaires dalloz », , 1re éd., 738 p., 145x210 (ISBN 978-2-247-13982-8, présentation en ligne), Les grands noms du droit, p. 631
  2. Jacques Krynen (dir. et professeur à l’université Toulouse I – Capitole), « Ableiges (Jacques d’) (1350 ?-1402) », dans Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin, Jacques Krynen, Dictionnaire historique des juristes français : XIIe-XXe siècle, Paris, puf, coll. « Quadrige. Dicos poche », , 2e éd., 1071 p. (ISBN 978-2-13-060902-5, présentation en ligne), p. 2-3
  3. [Extrait d'une communication faite à l'Académie des inscriptions, le 2 avril 1880, par M. Delisle.] Léopold Delisle, « L'auteur du Grand coutumier de France », Bibliothèque de l'école des chartes, vol. 41, no 1, , p. 325-327 (lire en ligne)
    Note critique
  4. Société historique et archéologique de Pontoise, du Val-d'Oise et du Vexin, « Quelques Souvenirs Historiques sur Ableiges : Jacques d'Ableiges auteur du Grand Coutumier de France », Mémoires de la Société historique et archéologique de l'arrondissement de Pontoise et du Vexin, 1879-1965, p. 26-31 (lire en ligne)
  5. Félix Aubert, « Les sources de la procédure au Parlement au XIVe siècle », Bibliothèque de l'école des chartes, vol. 77, , p. 226-240 (lire en ligne)
  6. M.-Louis Polain, « Les éditions du Grand Coutumier de France, 1514-1539-1598-1868 », Revue des livres anciens : documents d'histoire littéraire, , p. 411-445 (lire en ligne)
  7. Pierre Petot et Pierre-Clément Timbal, Jacques d'Ableiges, Paris : Imprimerie nationale et Librairie Klincksieck, , 52 p.
    Extrait de : "Histoire littéraire de la France", tome XL
  8. Albert Allard, « Le jurisconsulte Jacques d'Ableiges : conseiller de la commune de Tournai. 2 août 1391 - 15 décembre 1392 », Bull. de la soc. hist et litt. de Tournai, vol. XXV, , p. 423-430
  9. Laboratoire ATILF du CNRS et l'Université de Lorraine, Dictionnaire du Moyen Français, Nancy, , Dictionnaire électronique (lire en ligne)
  10. A.Moliner, Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, t. IX, , Lettres de rémission de 1377 pour un ennemi de Jacques d'Ableiges, p. 90-94
  11. Paul Viollet, Précis de l'histoire du droit français, accompagné de notions de droit canonique et d'indications bibliographiques (monographie imprimée), L. Larose et Forcel (Paris), , 804 p. (lire en ligne), p. 163
  12. Léopold Delisle, « L'auteur du Grand Coutumier de France », Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, vol. VIII, , p. 140-160 (lire en ligne)
  13. Paul Guilhiermoz, « Le manuscrit 4472 du fonds français de la Bibliothèque nationale, et le Grand Coutumier de France », Bibliothèque de l'école des chartes, vol. 66, , p. 664-682 (lire en ligne)
  14. Société archéologique d'Eure-et-Loir, Mémoires de la Société archéologique d'Eure-et-Loir, Chartres, 1858-1965 (lire en ligne), p. 373
  15. Albert Allard, « le Premier bailliage de Tournai-Tournésis », Annales du cercle archéologique de Mons, vol. XXV, no 3, , p. 16 et 41
  16. M. de L'Epinois, Histoire de Chartres, t. II, p. 52
  17. Jacques d'Ableiges (R.Dareste de la Chavanne & E.Laboulaye), Le grand coutumier de France : et instruction de practique, et manière de procéder et practiquer ès souveraines cours de Parlement, prévosté et viconté de Paris et autres jurisdictions du royaulme de France (monographie imprimée), Auguste Durand et Pedone-Lauriel, Libraires, , 986 p., XLVIII-848 p. ; in-8 (lire en ligne [application/pdf])
  18. Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, « L'auteur du Grand Coutumier de France », Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, vol. VIII, , p. 140-160 (lire en ligne)
  19. É. Chénon, Histoire générale du droit français public et privé, t. I, , p. 560

Liens externes

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