La Nef des fous (Brant)
La Nef des fous (Das Narrenschiff) est un ouvrage allemand écrit par le Strasbourgeois Sébastien Brant à la fin du XVe siècle.
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Publié par Johann Bergmann d'Olpe, pendant le carnaval à Bâle, ce récit versifié recense divers types de folie, brossant le tableau de la condition humaine, sur un ton satirique et moralisateur. Il mélange l'ironie et le sermon, le rigorisme et l'humour et est à la fois inspiré par l'esprit de la Réforme et par la littérature populaire, de colportage, avec ses proverbes dialectaux.
L'esprit de l'œuvre est pessimiste, l'auteur ne croit pas que les hommes puissent s'amender, mais il ne peut s'empêcher de s'indigner, de protester. Il ne cherche même pas à corriger les travers qu'il dénonce, sans vouloir faire de concession en nuançant entre les péchés véniels et ceux mortels. Tous mènent également à la perte.
Il sait que le bateau va, simplement, vers son naufrage. Cette métaphore, thème principal du livre, disparait d'ailleurs bien vite, au profit d'une énumération, elle-même non exempte de redites.
Les quelque 7 000 vers sont courts. Les portraits (plus d’une centaine) ne ménagent personne, sans nommer non plus personne de trop puissant et de vivant à l’époque de l’auteur. Les références académiques sont nombreuses dans ce texte de lettré ; Brant était docteur « dans les deux droits » et a des notions poussées de rhétorique.
Un succès d’édition étourdissant et un best-seller européen
L’édition originale réalisée à Bâle date de 1494, mais l’ouvrage, qui a connu un énorme succès, est fréquemment réédité, souvent illustré de gravures sur bois. La même année, il a été réédité à Nuremberg, Augsbourg et Reutlingen ; puis, dans une version « enrichie » par un anonyme, à Strasbourg (presses de Johann Grüninger), et de nouveau à Bâle en 1495 et 1499.
Une adaptation latine, Stultifera navis, traduite par son ami Jacques Locher de l'Université de Fribourg et publié par Josse Bade, dit Badius Ascensius, paraît en 1497, à Fribourg, puis à Paris en 1505 et est rééditée une dizaine de fois.
Des versions françaises sont éditées entre 1497 et 1499, par exemple La Nef des Folz du Monde, imprimé par Guillaume Balsarin à Lyon le , traduit de la version latine de Locher par Jean Drouyn [1]. L'ouvrage est illustré par Albrecht Dürer de 117 remarquables figures gravées sur bois, certaines tirées deux fois. Chacune d'elles représente une sorte de fou différent : le bibliomane, l'avaricieux, l'usurier, le voyageur, le médecin assistant un mort, celui qui s'adonne trop à la danse, le fou de luxure, etc. Les compositions de cette édition furent réalisées d'après les bois des éditions bâloises précédentes. Une mise en rimes françaises fut écrite par Pierre Rivière en 1497. La dernière édition de la Nef des fous a paru chez José Corti en 1997 (traduction de Nicole Taubes).
Deux versions anglaises en vers et en prose paraissent à Londres, en 1509. Deux versions, tirées de l’original, sont éditées en 1519 à Rostock et Lübeck en bas-allemand. On trouve encore une édition à Bruxelles et deux traductions en flamand.
Les dernières éditions allemandes datent de 1625, puis en flamand en 1635, et l’œuvre rentre alors dans une phase d’oubli durable.
Une source d’inspiration pour les artistes
Albrecht Dürer à Bâle à l’époque de la parution en aurait été un des plus fameux illustrateurs, avec une série de gravures, qu’il aurait réalisée avec trois autres artistes bâlois anonymes, pour illustrer chacune des folies différentes qui en composent les nombreux chapitres. Jérôme Bosch en a tiré aussi un tableau célèbre : la Nef des fous et Jürgen Weber une sculpture la Nef des fous que l'on peut admirer sur une place à Nuremberg[2] et devant la poste principale de Hamelin (Allemagne).
L’Éloge de la folie d’Érasme paru en 1509 en aurait été une réfutation, moins pessimiste.
Une relecture de la totalité des gravures sur bois de Dürer a été réalisée par le peintre contemporain Philippe Guesdon. Cet ensemble de toiles a été présenté en 2011 et 2012 dans les musées de Soissons, d'Orléans et de Niort.
Le sculpteur allemand Michael Schwarze a réalisé en 2004 une fontaine de bronze[3] nommée Narrenbrunnen (la Fontaine des Fous)[4] et inspirée de la Nef des fous. Elle se trouve à Neuenburg am Rhein[5] dans le Bade-Wurtemberg.
Un écrit fondateur alémanique
Au XIXe siècle, à l’époque romantique, un nouvel intérêt pour le médiéval et les racines nationales a fait resurgir de l’oubli ce texte. Avec la première bible de Gutenberg, et peut-être le Rollwagenbüchlin de Joerg Wickram, la Nef des fous est un symbole culturel important. La première traduction française a été réalisée par Madeleine Horst et est parue en 1977 aux éditions de la Nuée Bleue.
Chapitres
Les chapitres sont tirés de l'édition de 2010[6] :
- Des livres inutiles
- Des bons ministres
- De la cupidité
- Des modes nouvelles
- Des vieux fous
- De bien éduquer les enfants
- Des brandons de discorde
- Qui n'agrée un bon conseil
- Des mœurs détestables
- De l'amitié véritable
- De l'irrespect des Saintes Ecritures
- Des fous imprévoyants
- De la galanterie
- De la présomption devant Dieu
- Des plans chimériques
- De goinfrerie et beuverie
- Des vaines richesses
- De servir deux maîtres
- Des propos trop bavards
- De trouver des trésors
- Réprouver chez autrui ce qu'on fait soi-même
- Le discours de la Sagesse
- De trop louer sa chance
- Des inquiétudes superflues
- Des emprunteurs
- Des vœux inopportuns
- Des vaines études
- De murmurer contre Dieu
- De qui se commet juge
- D'amasser les prébendes
- De tout remettre au lendemain
- De garder les femmes
- De l'adultère
- Des fous aussi fous que devant
- De l'emportement
- De l'esprit rebelle
- Des hasards de la chance
- Des mauvais malades
- De dévoiler ses plans
- De s'instruire des folies d'autrui
- Laisser dire
- Des railleurs
- Du mépris des joies éternelles
- Du bruit à l'église
- Des artisans de leur infortune
- Du pouvoir des fous
- Des voies de la félicité
- Une nef des compagnons
- Mauvais exemple des parents
- De la luxure
- Garder les secrets
- Des mariages d'intérêt
- De l'envie et de la haine
- Ne pas admettre correction
- Des remèdes de charlatan
- De la fin des empires
- De la divine Providence
- Qui devrait songer à ses propres affaires
- De l'ingratitude
- De se complaire à soi-même
- De la danse
- D'aller la nuit faire sa cour
- Des mendiants
- Des mauvaises femmes
- D'observer les astres
- De vouloir découvrir tous les pays
- De nier qu'on est fou
- Ne pas entendre plaisanterie
- Mal agir sans calculer les suites
- De l'imprévoyance
- Querelleurs et plaideurs
- Des fous grossiers
- De prendre l'état ecclésiastique
- Des vaines chasses
- Des mauvais tireurs
- De la vantardise
- Du jeu
- Des fous accablés
- Des reîtres et des clercs
- Le messager des fous
- Des cuisiniers et échansons
- De l'ostentation du riche paysan
- Du mépris de la pauvreté
- De persévérer dans le bien
- De qui ne prévoit la mort
- De l'irrespect de Dieu
- De jurer par Dieu
- Des fléaux et châtiments de Dieu
- Des marchés de dupes
- Honore père et mère
- Des bavardages dans les stalles du chœur
- Présomption de la vanité
- De l'usure et des accapareurs
- Des espoirs d'héritage
- De détourner le jour du Seigneur
- Qui donne et le regrette
- De l'indolence et de la paresse
- Des fous étrangers
- Du déclin de la foi
- De flatter le cheval aubère
- Des colporteurs de malveillance
- Des fraudeurs et frelateurs
- De l'Antichrist
- Mettre la vérité sous le boisseau
- De faire obstacle au bien
- Ne pas avoir à temps vécu en bien
- Du salaire de la sagesse
- Le navire de Cocagne
- De n'avoir cure des accidents
- De dénigrer le bien
- a. Des mauvaises manières de table
b. Des fous de carnaval - L'apologie du poète
- Du sage
Édition moderne
- Das Narrenschiff, présentation et traduction bilingue illustrée en morceaux choisis par l'équipe « Langue et Culture Régionales » du CRDP de l’académie de Strasbourg [ici]
- La Nef des fous ; plus Les songes du seigneur Sebastian Brant, trad. et présentation par Nicole Taubes, Paris, J. Corti, 1997.
Gravures illustrant La Nef des fous
L'artiste plasticien français Philippe Guesdon a consacré une part importante de ses recherches à la relecture des gravures sur bois illustrant la Nef des fous. Ce travail constitué de plus de 200 peintures a été présenté dans les musées de Soissons, Orléans et Niort et a fait l'objet d'un catalogue La Nef des fous, réminiscences coproduit par ces trois lieux.
Notes et références
- http://catalogue.bnf.fr/servlet/biblio?idNoeud=1&ID=30155491&SN1=0&SN2=0&host=catalogue | catalogue de la BnF
- Bild:Nuernberg Ehebrunnen2.jpg
- (de) « NACHT HUREN », sur NACHT HUREN (consulté le ).
- http://www.badische-seiten.de/neuenburg/narrenbrunnen.php
- http://www.neuenburg.de/servlet/PB/menu/1286190_l1/index.html
- D'après Sébastien Brant, La Nef des fous, traduction revue et présentation par Nicole Taubes, éd. Corti Les Massicotés, 2010, p. 377-380.
Source
- Sébastien Brant, La Nef des fous, Éditions La nuée bleue/DNA, la bibliothèque alsacienne, 1977 (ISBN 2-7165-0221-8)
Annexes
Bibliographie
- Jonas Kurscheidt, « Le Narrenschiff de Sébastien Brant à l’épreuve du filtre foucaldien », dans Babel. Littératures plurielles, 2012, no 25, p. 149-169 (lire en ligne)
Articles connexes
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