Langue adamique
Le thème lié à la recherche de la langue parlée par les personnages mythiques des textes fondateurs des religions abrahamiques, Adam et Ève, a passionné les érudits travaillant sur le fait religieux.
La langue adamique se distingue fondamentalement du concept de proto-langue hypothétique telle qu'on en postule et reconstruit en linguistique, puisque ici liée à la littéralité du récit biblique de la Genèse et ne tenant pas compte des notions scientifiques d'évolution ou de transformations des langues.
Le passage du texte sacré accréditant l'existence de cette langue propre aux deux personnages symboles est celui du nomothète, lorsque le Créateur présente les animaux de la Création à Adam, et lui demande de leur trouver un nom ; le nommage d'Adam se fait alors sur le mode performatif, « baptisant » les créatures.
L'utopie d'un retour à une langue unique parlée par l'Humanité, situation supposément perdue lors de l'épisode de la confusion des langues au cours de l'édification de la tour de Babel (ce qui l'associe à un châtiment divin), est corrélée à ces recherches. Alors que la pensée du Moyen Âge a tenté de retrouver cette langue et de retourner à cet état, dans la perspective de concrétiser l'œuvre de Dieu, le rationalisme de l'époque moderne, lié à l'expansion des Empires, a tenté de le faire via une logique d'universalité dans le contexte de l'essor de l'humanisme.
Les érudits antérieurs, comme les théologiens contemporains, sont relayés dans leurs travaux de recherche par les linguistes.
Une rétrospective par Umberto Eco
En Europe, le sémioticien Umberto Eco a livré une synthèse concernant l'état de l'art sur ce sujet au travers des siècles dans son livre La recherche de la langue parfaite dans la culture européenne.
Dans le sillage de la construction européenne, il a présenté le résultat de ses travaux en 1993 à l'Institut de France, devant un parterre de personnalités représentant l'intelligentsia parisienne du moment. À cette occasion, il a regretté avoir été devancé par un autre auteur pour le titre de ses travaux de recherche, Après Babel étant pour lui le meilleur titre possible.
Centré sur les civilisations européennes, le travail rétrospectif d'Umberto Eco présente les raisons pour lesquelles le thème d'un retour à une hypothétique langue identique pour tous les êtres de la planète a pu agiter les idéologies dans diverses périodes de l'histoire continentale. Pour lui, verser dans de tels travaux visant à la résurgence d'une unité linguistique supposément perdue a fait partie pour les religieux et les savants antérieurs des éléments structurants de l'identité européenne.
Les concepts de l'Antiquité sur la question
Fin du monde antique
Après avoir relativisé le crédit que l'on peut porter à cette hypothèse, relatant que, en termes de confusion des langues, la pléthore d'idiomes et de patois locaux en Europe dépasse l'imagination (« je retrouve une nouvelle langue que l'on dépose sur mon bureau chaque semaine depuis que j'ai démarré cette étude », dit-il), il explique les circonstances dans lesquelles le mythe de Babel est popularisé dans le contexte de l'Occident chrétien en formation dans le cours du Haut Moyen Âge : alors que l'immixtion des peuples de la civilisation germanique avec ceux des terres de l'ancien Occident romain ont amené une dégradation graduelle du latin, les communautés villageoises sont désemparées du désordre linguistique qui résulte de la sédentarisation des colonnes sorties vainqueurs de l'époque tumultueuse des grandes invasions. Umberto Eco rapporte que les deux premières apparitions dans les églises de fresques montrant la Tour de Babel remontent au VIIe siècle [réf. nécessaire] , à l'issue de quoi la reproduction de ce thème iconographique est systématique dans les lieux de culte chrétiens; de sorte que les curés répondent alors à l'inquiétude populaire concernant la disparition de l'unité linguistique antérieure du latin en plaçant en exergue un passage tiré des Écritures : prosaïquement, le message pictural est "ce qui vous arrive est une punition divine".
Époque médiévale
Après un préambule citant les principales nations médiévales et le contexte de xénophobie qui leur correspondait[1], les croyances médiévales sont représentées par Raymond Lulle qui, dans un texte parmi les 400 travaux qu'on lui attribue, propose une théorie numérologique et cabalistique en rapport avec les savoirs des érudits juifs d'al-Andalus, qui fait la démonstration que les mots d'une certaine langue, traduits en chiffres, sont "purs" et correspondent à des mots provenant d'une autre langue puisque le chiffre cabalistique des deux leur est commun. D'une manière moins obscure, un tel procédé de rapprochement, effectué par des permutations de lettres, associe la ville de Rome (ROMA) avec l'amour (AMOR) voire le roman écrit. Si l'étrangeté de cette démarche de codification n'était contemporaine des farces de Rabelais, on pourrait la rapprocher de travaux de linguistique comparée.
Époque moderne
Après la Renaissance le latin n'est plus parlé par le peuple, et les nations européennes en cours de formation rivalisent entre elles, chacune tentant de former une langue qui rattache ses populations en gommant les particularismes locaux. Pour le cas de la France, voir l'article Histoire de la langue française et le XVIIe siècle avec l'institution de l'Académie française afin de faire disparaître les usages linguistiques dans les parlers locaux, au profit d'une promotion du français classique.
Un des terrains de cette rivalité est l'idéologie apportée par des écrivains de chacune des nations en compétition ; invariablement l'auteur y affirme que sa langue nationale émane en droite ligne de la langue adamique, et représente pour des raisons variables justifiant de sa supériorité, le meilleur substitut à l'ancien latin impérial sur Mare Nostrum, voire d'autres références glorieuses.
En parallèle, les grandes nations européennes se constituent en Empires, qui chacun se sont targués d'être une résurgence de l'Empire romain d'Occident ; l'Empire byzantin, survivant légitime tardif, ne représentant plus qu'un cousin éloigné, étranger car parlant grec, bientôt objet d'exotisme sous la loupe déformante de l'orientalisme.
Comme langue parfaite au regard de ses concurrentes et voisines, ainsi en est-il du gaélique, du toscan pour Giovan Battista Gelli en 1542, puis Pier Francesco Giambullari en 1564 ; du néerlandais pour Bécan (Johannes Goropius Becanus) (1569) et Abraham Mylius en 1612 ; du suédois selon Olof Rudbeck en 1675 et Andreas Kempe en 1688. L'allemand est une langue parfaite pour Georg Philipp Haurdörffer et Schottel en 1641. Est-il nécessaire de préciser que pendant ces années la monarchie française a proclamé le classicisme de ses lettres et de sa culture comme le plus subtil héritage du legs gréco-romain ?
Umberto Eco cite également un auteur anglais [réf. nécessaire] qui affirme, légende de Brutus sous le coude, que l'anglais comprend le plus de termes dérivés en droite ligne du latin, et que la réussite de l'Empire britannique lui assure une double domination comme langue impériale, destinée à devenir la seule de l'Humanité, à défaut d'être celle des origines.
Certains érudits du début de l'époque moderne, s'appuyant sur le texte de Genèse 10:5, pensaient que les langues japhetites descendaient directement de la langue adamique, s'étant séparées avant la confusion des langues, par laquelle l'hébreu fut aussi affecté, ce qui confirme ainsi les révélations d'Emmerich.
Études contemporaines
L'époque contemporaine pense que l'ensemble de cette entreprise relève d'une utopie, peut-être à tort, si l'on admet les travaux de Merritt Ruhlen.
Voir aussi
Notes
- Eco cite ce qu'à l'époque ce que l'on disait pour dévoyer Poitevins, Armagnacs, Brabançons, Bretons... énumérant par ce procédé chaque identité régionale qui marqua l'époque médiévale.
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