Le Page disgracié
Le Page disgracié, où l’on void de vifs caractères d’hommes de tous tempéramens et de toutes professions est un roman-mémoires publié en 1643 par Tristan L'Hermite à Paris chez T. Quinet.
Le Page disgracié | |
Auteur | Tristan L'Hermite |
---|---|
Pays | France |
Genre | Roman-mémoires |
Éditeur | T. Quinet |
Lieu de parution | Paris |
Date de parution | 1643 |
L’œuvre
Le Page disgracié, qui raconte à la première personne les dix-neuf premières années de la vie du narrateur, participe autant des mémoires que du roman, même à clé. Dans le prélude, le narrateur s'en explique nettement : il se pique de « faire vrai » en traçant une histoire « déplorable », avec exactitude, et comme par « une réflexion de miroir ». On trouve donc beaucoup de détails historiques dans cette œuvre où l'on voit revivre les figures de Scévole de Sainte-Marthe, du duc de Mayenne et du roi Henri IV. Ce roman offre, de surcroît, une multitude de renseignements sur la ville et la province, les lettres, les arts, le théâtre, les mœurs et les croyances populaires des premières années du XVIIe siècle. Le narrateur ne fournit pas de très longs détails sur les bas-fonds de la société, préférant s’arrêter sur des scènes de la vie royale ou seigneuriale, sur des tableaux militaires ou sur des tableaux de genre, pleins du vieil esprit gaulois. Les mœurs y paraissent souvent rudes, voire grossières, mais la verve ne s'en trouve pas absente. Les mérites d’observation et de style font de cette œuvre un précurseur du roman réaliste, abondant en croquis pleins de vigueur et de vérité où défile toute une galerie de portraits : précepteurs, poètes, comédiens, valets, brillants cavaliers, femmes du monde, dépeints en traits énergiques et colorés. La narration est alerte, vive, claire, aimable, enjouée. Cette œuvre annonçait peut-être une suite, qui ne fut jamais écrite.
L’histoire
Le narrateur décrit sa naissance au château du Solier, dans la Marche. Enfant précoce, il étonne à trois ans son aïeule maternelle, qui l’amène à Paris. Un parent, Miron, évêque d’Angers, s’intéresse à lui. Le roi Henri IV prend le jeune narrateur à sa cour, comme compagnon d’un de ses enfants naturels, Henri de Bourbon, fils de la Catherine Henriette de Balzac d'Entragues, marquise de Verneuil. C'est l'occasion pour le narrateur de décrire de curieux tableaux des mœurs de la « Maison du roi ». Un gentilhomme de Normandie, Claude du Pont, ancien précepteur de Miron, et futur précepteur de Gaston, frère de Louis XIII, est chargé de l’éducation des deux jeunes gens. Très sévère, il ne craint pas d’user du fouet pour la moindre peccadille. Le narrateur lit énormément et les romans exercent une grande influence sur lui et sur ses compagnons. À la suite d’une punition, il se réfugie dans une troupe de comédiens, où il retrouve le poète Théophile : joueur[1], il se passionne pour les combats de cailles et de coqs. Un jour, après avoir moitié tué un cuisinier, il est obligé de se sauver ; rentré à Paris, il se réfugie chez le gouverneur du petit roi Louis XIII, qui obtient sa grâce. Mais, après une nouvelle incartade, – deux coups d’épée donnés mal à propos – il est obligé de se réfugier en Angleterre. Auparavant, il a fait la connaissance, dans la forêt de Fontainebleau, d’un mystérieux vieillard, sans doute un alchimiste, qui lui procure un refuge à Londres chez un philosophe de ses amis. Le narrateur réussit à se faire placer chez une grande dame, de la fille de laquelle il s’éprend : accusé d’empoisonnement, il parvient à s’évader, se rend en Écosse, à Édimbourg, puis en Norvège. Il rentre plus tard en France, court les routes, où il a des aventures avec toute une population de voleurs et de charlatans homosexuels. Il vend un cheval, qu’un de ses oncles lui a donné, et part en pèlerinage pour Saint-Jacques-de-Compostelle, mais il est arrêté à Poitiers. On le retrouve, peu après, secrétaire d’une gouvernante, dont il rédige les lettres d’amour. Il entre chez Nicolas de Sainte-Marthe, lieutenant général de Poitou, puis chez le marquis de Villars, au château du grand Pressigny : le narrateur devient le favori du marquis et en profite pour mener grand train ; mais il est mal vu de la marquise, quitte cette demeure et devient alors secrétaire du duc de Mayenne ; il vit à Bordeaux, où il est présenté au roi en 1620. Rentré à la cour, il prend part avec le roi, en 1621, aux expéditions contre les huguenots en Poitou et en Touraine. Il entraîne le lecteur, à sa suite, successivement à Niort, à Saint-Jean-d’Angély, à Clairac, jusqu’en 1621, date à laquelle s’arrête son récit.
Roman à clé
Une clé, donnée dans la réédition de 1667, déclare que l’histoire du page disgracié est une histoire véritable. L’avertissement dit, en parlant de l'auteur : « En cet ouvrage, il s’est voulu peindre soi-même, et représenter avec la vivacité de son esprit, les avantages de sa naissance et les malheurs de sa fortune. »
Édition moderne
- Le Page disgracié, éd. Jean Serroy, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1980. (ISBN 9782706101854)
Bibliographie
- Francis Assaf, « Le picaresque dans Le Page disgracié », XVIIe siècle, no 125, , p. 339-347 (lire en ligne)
- Denis Augier, « Un alchimiste en voie de disparition: le problème du philosophe dans Le Page disgracié de Tristan l’Hermite », Seventeenth-Century French Studies 2002, n° 24, p. 217-27.
- Anne F. Garréta, « Le Page disgracié: Problèmes de l’autobiographie baroque », Esthétique baroque et imagination créatrice, Tübingen, Narr, 1998, p. 81-98[2].
- (en) Mary Louise Gude, Le Page disgracié : The Text as Confession, University, Romance Monographs, 1979.
- Doris Guillumette, « Éléments picaresques dans Le Page disgracié de Tristan l’Hermite », Papers on French Seventeenth Century Literature, 1978, n° 9, p. 99-118.
- Brigitte Hamon, « Le Sentiment amoureux dans Le page disgracié », Dalhousie French Studies, Winter 1996, n° 37, p. 19-30.
- Brigitte Hamon-Porter, « Le Narrataire, signe de la mauvaise conscience de l’autobiographe : Le Page disgracié de Tristan l’Hermite et Les Aventures de Dassoucy », Romance Notes, Winter 1999, n° 39 (2), p. 203-14.
- Nadia Maillard, « Fonction et représentation des animaux dans Le Page disgracié de Tristan L’Hermite ou le conteur bavard et la linotte muette », L’Animal au XVIIe siècle, Tübingen, Narr, 2003, p. 73-88.
- Brigitte Hamon-Porter, « Ascension sociale et providence dans Le Page disgracié de Tristan L’Hermite », Romance Notes, Fall 2004, n° 45 (1), p. 45-53.
- (en) Richard G. Hodgson, « Intertextuality, Sexuality, and Literary Convention in the French Baroque Novel », Papers on French Seventeenth Century Literature, 1985, n° 12 (22), p. 71-85.
- Nicolas Lenglet Du Fresnoy, De l'usage des romans, t. II, Amsterdam, Veuve de Poilras, , 360 p. (lire en ligne)
- Catherine Maubon, « Désir et écriture mélancoliques dans Le Page disgracié », Saggi e Ricerche di Letteratura Francese, 1979, n° 18, p. 331-358.
- Catherine Maubon, Désir et écriture mélancoliques : lectures du Page disgracié de Tristan l’Hermite, Genève, Slatkine, 1981.
- Catherine Maubon, « La Prise de parole dans Le Page disgracié », Il romanzo barocco tra Italia e Francia: Studi, saggi, bibliografie, ressegne, Rome, Bulzoni, 1980, p. 185-204.
- Catherine Maubon, « Le Page disgracié : à propos du titre », Saggi e Ricerche di Letteratura Francese, 1977, n° 16, p. 169-95.
- Alain Riffaud, Tristan l'Hermite (1601-1655) ou Le Page disgracié : Exposition organisée par la Bibliothèque Mazarine et l'association des Amis de Tristan l'Hermite, 6 avril - 29 juin 2001, vol. 106, Paris, Revue d'histoire littéraire de la France, (lire en ligne)
- J. W. Scott, « Note sur le texte du Page disgracié », Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1967, n° 67, p. 776-777.
- Jean Serroy, « Du Page disgracié de Tristan à L’Orphelin infortuné de Préfontaine: Le Tour de la France par deux enfants », La Découverte de la France au XVIIe siècle. Paris, CNRS, 1980, p. 1-11.
- Jean Serroy, « Tristan et la libre écriture dans Le Page disgracié », Poetics of Exposition & Libertinage and the Art of Writing I., New York, AMS, 1991, p. 149-57.
- Frédéric Tinguely, « Singeries romanesques et anthropologie libertine au XVIIe siècle », Littérature, sept. 2006, n° 143, p. 79-93.
- Cahiers Tristan L'Hermite, Sur Le Page disgracié : vingt-quatre études des "Cahiers Tristan L'Hermite", Limoges, Classiques Garnier (no II à XXXIV, extraits), , 270 p. (ISBN 978-2-8124-1162-5)
- Véronique Adam, Introduction, p. 7–17
- Jacques Prévot, Le Je de cache-cache, p. 23–25
Références
- TRIVISANI-MOREAU, Isabelle. L’expérience de la disgrâce : illusions d’un page In : Figures du marginal dans la littérature française et francophone : Cahier XXIX [en ligne]. Angers : Presses universitaires de Rennes, 2003 (généré le ). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/10342>. (ISBN 9782753547902).
- Chantal Liaroutzos, « Le Page disgracié, ou l’essai de soi », dans Le Récit d'enfance et ses modèles, Presses universitaires de Caen, coll. « Colloques de Cerisy », (ISBN 9782841338009, lire en ligne), p. 213–222
Liens externes
- Portail de la littérature
- Portail de la France du Grand Siècle