Les Grandes Misères de la guerre

Les Grandes Misères de la guerre sont une série de dix-huit eaux-fortes, éditées en 1633, et qui constituent l'une des œuvres maitresses de Jacques Callot[1].

Le titre exact en est (d'après la planche de titre) : Les Misères et les Malheurs de la guerre, mais on appelle fréquemment cette série Les Grandes Misères... pour la différencier de la série Les Petites Misères de la guerre.

Cette suite se compose de dix-huit pièces qui représentent, plus complètement que dans les Petites Misères, les malheurs occasionnés par la guerre. Les plaques sont conservées au Musée lorrain de Nancy.

Les Grandes Misères de la guerre : La pendaison (gravure n° 11)

Origine de la série

La conception des Misères de la guerre, qui évoque la guerre de Trente Ans qui ravageait l'Europe depuis quinze ans déjà lorsque Callot publie son œuvre, est sans doute également liée aux influences littéraires qui s'exerçaient alors en France. Même si Callot a certainement été heureux de publier en 1633 une pareille critique de l'invasion de son pays, son propos initial était simplement de décrire la « dure vie du pauvre soldat », comme l'a dit son biographe Filippo Baldinucci, et non pas, comme on a pu l'écrire[2], de s'élever contre les ravages de la guerre en Lorraine même.

Pour comprendre ce qui a pu pousser Callot à graver de telles scènes d'horreur, il faut rapprocher cette série d'eaux-fortes de Callot d'une catégorie de livres qui connaissent alors un grand succès et qui témoignent d'un goût marqué pour le picaresque[3] :

L'esprit du temps était donc déjà imprégné par le goût des histoires tragiques ; les ravages de la guerre de Trente Ans, qui éclate en 1618 et dévastera l'Europe, vont lui donner une dramatique actualité dont le Duché de Lorraine ne sera pas exempté.

Les états

Les « états » d'une gravure correspondent aux différentes éditions de cette gravure, à des stades différents. Chez certains graveurs, les états d'une même gravure peuvent être très nombreux et différer considérablement entre le premier état et le dernier.

Chez Callot[4], qui préparait son travail sur le cuivre par des dessins, les repentirs ou les modifications sont pratiquement inexistants ; les différents états se différencient donc essentiellement par des inscriptions rajoutés au premier état : vers ou poème, signature (Callot fecit, « Callot fit » cette eau-forte, par exemple), ou encore identification de l'éditeur (Israël excudit de l'éditeur de Callot, Israël Henriet). Les états modifient la valeur de la gravure, en fonction de sa rareté d'une part, et de la qualité de l'impression de l'autre, les premières épreuves étant généralement plus nettes.

On connaît trois états de la suite Les Grandes Misères de la guerre :

  • Premier état : Avant les vers et avant les numéros au bas de chaque pièce ; celles qui sont cotées, dans le second état, de 2 à 17 portent comme dans celui-ci : Israël ex ou excud. Cum Privil Reg., sauf le n°2, où les mots Privilegio Regis se lisent en toutes lettres. Sur le n° 18 on lit : Callot Fecit Israel excudit. sans mention de privilège. Le titre est semblable à celui qui accompagne le second état. - Très rare(**).
  • Deuxième état : Au bas de chaque morceau, le titre excepté, on lit six vers français, disposés deux par deux. Leur auteur est un grand collectionneur du temps, Michel de Marolles, abbé de Villeloin. Chaque morceau est numéroté de 1 à 18. Dans la description qui va suivre, et qui se rapporte à cet état, nous reproduisons seulement le début du premier vers.
  • Troisième état : L'excudit d'Israël sur les pièces N°s 2 à 18, ainsi que la mention du privilège sur les pièces 2 à 17, ont été enlevés. Ces mots ont été remplacés par ceux-ci : Callot inv. et fec. Sur le n° 18, on a laissé subsister la mention Callot fecit; les mots Israel excudit sont effacés. La marge est entourée d'un trait carré. On rencontre quelquefois des épreuves de cette suite qui ont été tirées au milieu de cartouches gravés par P. Giffard, sur les dessins de Seb. Le Clerc. Jombert a donné la description de ces cartouches dans son catalogue de l'œuvre de Le Clerc, n° 324. Ils ont été commandés par Fagnani qui croyait donner, ainsi, quelque valeur aux épreuves qu'il fit tirer avec ces ornements. Jombert ajoute avec raison, que ces épreuves n'ont pas été pour cela rendues meilleures.

Les dix-huit eaux-fortes composant la série

Sauf le titre, dont les dimensions sont indiquées ci-après, les planches de cette suite ont une largeur allant de 183 à 188 mm et une hauteur variant de 80 à 83 mm[4].

  • 1 - Titre :

Il est dans un cartouche de forme carrée, garni de trophées dans le haut et dans le bas. À droite et à gauche, on voit deux généraux, debout, couronnés de lauriers et accompagnés de soldats. On lit dans l'intérieur du cartouche : Les | MISERES ET LES | MAL-HEURS | DE LA GUERRE | Representez Par IACQUES CALLOT | Noble Lorrain | ET mis en lumiere Par ISRAEL | son amy. | A PARIS| 1633. | Avec Privilege du Roy Largeur : 188 mm. Hauteur : 89 mm. dont 12 de marge blanche.

  • 2 - L'enrôlement des troupes :

Des officiers engagent des soldats et leur font faire ensuite l'exercice. Plusieurs bataillons, déjà formés, occupent le milieu et le fond de l'estampe. - Ce Metal que Pluton ... etc.

  • 3 - La bataille :

Le milieu de l'estampe représente un combat de cavalerie. Les terrasses des premiers plans sont jonchées d'hommes et de chevaux morts. L'engagement entre les troupes d'infanterie se voit à droite dans le lointain. - Quelques rudes que soient ... etc.
- On rencontre difficilement des épreuves bien venues de cette pièce qui a mal réussi à l'opération de l'eau forte. Surtout dans les fonds.

  • 4 - La maraude :

Un parti de soldats a envahi une hôtellerie dont on ne voit que l'extérieur. Les uns se battent dans la rue, avec les habitants ou les voyageurs, pendant que les autres emportent le butin. - Ces courageux brutaux dans les hosteleries ... etc.

  • 5 - Le pillage :

À l'intérieur d'une maison vaste et abondamment pourvue, des soldats se livrent à toute sorte d'excès. - Voyla les beaux exploits de ces cœurs inhumains: / Ils ravagent par tout rien n'échappe a leurs mains. / L'un pour avoir de l'or, invente des supplices,/ L’autre à mil forfaicts anime ses complices;/ Et tous, d'un même accord commettent méchamment/ Le vol, le rapt, le meurtre et le violement [5]

  • 6 - Dévastation d'un monastère :

Vers le milieu de l'estampe on voit une église en feu sur le portail de laquelle on lit : S. MARIA - À gauche, des soldats pillent un couvent de femmes et enlèvent les religieuses. En avant de l'église se trouve une charrette attelée de quatre chevaux et chargée de butin. D'autre scènes sont représentées dans les diverses parties de l'estampe. - Icy par un effort sacrilège, ... etc

  • 7 - Pillage et incendie d'un village :

Des scènes analogues ont lieu dans un village dont l'église et plusieurs maisons sont la proie des flammes. À droite, on voit des bestiaux qu'un soldat chasse d'une étable; vers le milieu, sont deux voitures chargées de butin ; à gauche des habitants, dont plusieurs ont les mains liées derrière le dos, sont entraînés par des soldats. - Ceux que Mars entretient, ... etc.

  • 8 - Vol sur les grandes routes :

Des soldats, en embuscade dans une forêt, attaquent et pillent une voiture attelée de quatre chevaux. Le cadavre d'un voyageur assassiné est étendu sur le premier plan, à côté de sa valise ouverte. Sur le dernier plan, à gauche, deux soldats attaquent un porte-balle. - A l'escart des forests, ... etc.

  • 9 - Découverte des malfaiteurs :

Les soldats cherchent à se soustraire aux poursuites de la justice en se cachant dans les bois ; ils sont découverts et ramenés au camp par le grand prévôt. - Après plusieurs excès ... etc.

  • 10 - L'estrapade :

Un condamné est attaché à l'estrapade, du haut de laquelle il va être précipité. Ce supplice a lieu en avant du régiment, enseignes déployées, et dont le premier rang est prêt à faire feu. À droite, un condamné, sortant de la prison, est dirigé vers l'estrapade. À gauche, quatre soldats, assis sur un chevalet, les mains liées derrière le dos, regardent le patient. - Ce n'est pas sans raison, ... etc.

  • 11 - La pendaison :

Un vieux chêne dont on n'aperçoit que le tronc et les branches basses, occupe le milieu de l'estampe. Un grand nombre de malfaiteurs y sont déjà attachés. Celui qui se trouve sur l'échelle, entre les mains du bourreau, sera suivi de beaucoup d'autres qui attendent leur tour. Deux de ces misérables jouent aux dés, sur un tambour, au pied même du chêne où ils vont être pendus. - À la fin ces voleurs, ... etc.

  • 12 - L'arquebusade :

Un condamné, attaché à un poteau, à droite de l'estampe, est arquebusé par des soldats placés à gauche, en présence d'un corps de troupes rangé en bataille, avec enseignes déployées. Deux soldats ont déjà subi le même supplice. Un quatrième paraît à droite, accompagné d'un religieux. - Ceux qui pour obéir, ... etc.

  • 13 - Le bûcher :

Les brûleurs d'églises et de maisons subissent le supplice du feu. L'un d'eux, attaché à un poteau au milieu du bûcher, est étranglé par le bourreau. Un autre bûcher se prépare en avant de l'estampe. L'exécution a lieu entre deux corps de troupes. Dans le fond, l'artiste a représenté une église et deux maisons en flammes, comme pour indiquer la nature du crime qui donne lieu au supplice. - Ces ennemis du Ciel, ... etc.

  • 14 - La roue :

L'instrument du supplice, auquel est attaché un condamné assisté d'un prêtre et déjà frappé par le bourreau, est dressé au milieu d'une place couverte de troupes et de peuple. Un autre condamné, escorté d'un religieux, paraît à la gauche de l'estampe. - L'œil toujours surveillant, ... etc.

  • 15 - L'hôpital :

Des soldats échappés aux dangers de la guerre, mais affreusement mutilés, se présentent pour être admis à l'hôpital. - Voyez que c'est du monde, ... etc.

  • 16 - Les mendiants et les mourants :

Au milieu d'une rue de village, des soldats licenciés demandent l'aumône, pendant qu'un prêtre et quelques personnes charitables assistent d'autres soldats mourant de misère sur un fumier. - Que du pauvre soldat, ...[6]

  • 17 - La revanche des paysans :

Des soldats revenant du pillage, ont été guettés à l'entrée d'une forêt par des paysans qui les massacrent, les dépouillent et se vengent sur eux des maux dont ils ont souffert. - Après plusieurs dégâts, ... etc.

  • 18 - Distribution des récompenses :

Un prince assis sur son trône, au milieu de l'estampe, fait distribuer des récompenses à ceux qui se sont bien comportés à la guerre. - Cet exemple d'un chef, ... etc.

Influence

Les Grandes Misères de la guerre a une grande influence sur des graveurs importants, tels que William Hogarth avec Emblematical Print on the South Sea Scheme ; Francisco de Goya avec Les Désastres de la guerre (1810-1815)[7] ; et à travers cette série, Otto Dix avec Der Krieg.

Notes et références

  1. On lit à ce sujet dans les notes manuscrites de Mariette : « Ceci représente particulièrement la vie du soldat et un tableau de tout ce qu'il fait souffrir aux autres et des malheurs auxquels il est lui-même exposé... C'est un des ouvrages où cet habile graveur a donné le plus de preuves de son savoir et qui lui a acquis, en même temps, le plus de réputation » (Cité par Édouard Meaume)
  2. Édouard Meaume : Recherches sur la vie et les ouvrages de Jacques Callot (1860). Paris. Ve Jules Renouard, Libraire, page 65
  3. Colloques du Louvre, sous la direction de Daniel Ternois : Jacques Callot (1592 - 1635), pages 56 à 58, Klincksieck (1993). (ISBN 2-252-02930-7)
  4. Édouard Meaume : Recherches sur la vie et les ouvrages de Jacques Callot - Deuxième partie (les œuvres profanes)» (1860), pages 265 à 270
  5. Voilà les beaux exploits de ces cœurs inhumains
    Ils ravagent partout, rien n'échappe à leurs mains
    L'un, pour avoir de l'or, invente des supplices,
    L'autre à mille forfaits anime ses complices
    Et tous d'un même accord commettent méchamment
    Le vol, le rapt, le meurtre, et le violement.
  6. Que du pauvre soldat déplorable est la chance!
    Quand la guerre finit, son malheur recommence;
    Alors il est contraint de s'en aller gueusant,
    Et sa mendicité fait rire le paysan,
    Qui maudit son abord, et tient pour une injure
    De voir l'objet présent des peines qu’il endure.
  7. (en) D. P. Becker et Kristin Spangeberg (dir.), Six Centuries of Master Prints, Cincinnati, Cincinnati Art Museum, (ISBN 0-931537-15-0), p. 154.

Annexes

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Édouard Meaume, Recherches sur la vie et les œuvres de Callot, Nancy, 1854 et 1860 (OCLC 40706013)
  • Édouard Meaume, Recherches sur la vie et les ouvrages de Jacques Callot - Deuxième partie (les œuvres profanes) (1860), p. 265-270 (lire en ligne)
  • Jules Lieure, L'école française de gravure au XVIIe siècle, Paris, 1931 (OCLC 11883222)
  • Jules Lieure, Catalogue de l'œuvre gravée de Jacques Callot, en 4 volumes, Paris, 1925.
  • Colloques du Louvre, sous la direction de Daniel Ternois, Jacques Callot (1592 - 1635), Klincksieck, 1993 (ISBN 2-252-02930-7)

Articles connexes

Liens externes

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