Maria Youdina
Maria Veniaminovna Youdina (en russe : Мария Вениаминовна Юдина), née à Nevel (Empire russe), le 28 août 1899 ( dans le calendrier grégorien) et morte à Moscou (Union soviétique) le , est une pianiste russe.
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Nom dans la langue maternelle |
Мария Вениаминовна Юдина |
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Pianiste classique, professeure de musique |
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Maîtres |
Frieda Davydovna Teitelbaum-Levinson (d), Maximilian Steinberg, Jāzeps Vītols, Nicolas Tcherepnine, Felix Blumenfeld, Anna Esipova, Vladimir Drozdov (d), Leonid Nikolaïev, Emil Cooper |
Genre artistique |
Opposante au régime soviétique, convertie à la foi orthodoxe, mais artiste admirée par Staline, elle fut une défenseuse de la musique russe de son époque et une interprète remarquable de Bach, Mozart, Beethoven et Schubert.
Biographie
Maria Yudina naît à Nevel près de Vitebsk de parents juifs. Son père est médecin et légiste. Elle commence à jouer du piano à l’âge de 7 ans sous la direction de Frida Davidovna Teitelbaum-Levinson (une élève d’Anton Rubinstein)[1]. Elle entre ensuite au conservatoire de Saint Pétersbourg dès 1912 et étudie le piano avec Anna Esipova, Vladimir Drozdov, Leonid Nikolaïev et brièvement, en privé avec Felix Blumenfeld (en 1916 et 1917)[2], la théorie avec Maximilian Steinberg et J. Wihtol, l'écriture avec Nicolas Tcherepnine et Emil Cooper[1],[2]. Parmi ses camarades de classe se trouvent Dmitri Chostakovitch et Vladimir Sofronitsky. Elle étudie également la philosophie et l'histoire à l'université et obtient ses diplômes en 1917[2]. En 1921, elle est diplômée du conservatoire, remporte le prix Rubinstein[2] et commence à donner des concerts, notamment avec l'Orchestre philharmonique de Pétrograd sous la direction d'Emil Cooper et à Moscou en 1929.
Après avoir été diplômée du conservatoire de Petrograd, Maria Yudina est invitée à y enseigner (nommée professeur en 1923)[2] jusqu’en 1930[1]. Parlant « d'inspiration divine » pendant ses cours[3], elle est licenciée à cause de ses convictions religieuses et de ses critiques ouvertes du système soviétique. Sans emploi et sans toit pendant quelques années, Maria Yudina enseigne le piano au conservatoire de Tbilissi (1932-1934)[1]. En 1936, sur les conseils de Heinrich Neuhaus, elle entre comme professeur au conservatoire de Moscou où elle enseigne jusqu'en 1951[1]. De 1944 à 1960, Maria Yudina enseigne aussi la musique de chambre et la musique vocale à l’institut Gnessine[1] (actuelle Académie russe de musique). Elle n'effectue que deux tournées à l'étranger, toutes deux dans les « démocraties populaires » contrôlées par l'Union soviétique : à Leipzig en 1950 et en Pologne en 1954[2]. En 1952, à un ministre de la culture géorgien qui lui demande pourquoi elle ne joue pas Beethoven, Schumann et Chopin elle répond : « Je suis fatiguée de Beethoven, de Schumann et de Chopin. Je veux jouer la musique d’aujourd’hui — et je la jouerai ! »[4]. En 1960, Maria Yudina est limogée de l’institut Gnessine à cause de ses convictions religieuses et de sa défense de la musique moderne occidentale (par exemple Stravinsky). Elle continue à se produire en public, mais il lui est interdit d’enregistrer ses récitals. Elle est interdite de scène pendant cinq ans[3] à la suite de sa lecture sur scène d’un poème de Boris Pasternak, où elle se signait avant de jouer[4]. En 1966, lors de la levée de cette interdiction, elle donne un cycle de conférences sur le romantisme au conservatoire de Moscou. Elle donne son dernier concert à Moscou, le [1].
Maria Yudina était la pianiste préférée de Staline et il la savait inoffensive[5]. C'est dans les mémoires de Chostakovitch qu'apparaît l'anecdote que voici[6]. Un soir Staline écoute à la radio Maria Yudina dans le début du concerto nº 23 de Mozart et demande à son aide de camp de lui procurer l’enregistrement. Mais c’est un concert en direct. Les officiels réveillent l'artiste au milieu de la nuit, la conduisent au studio où un petit orchestre, rapidement assemblé, l’attend afin de lui permettre d’enregistrer le concerto dans la nuit et d'en donner l’enregistrement à Staline[6] qui, dit-on, fond en larmes dès les premières notes entendues. Pour la remercier, le dirigeant lui accorde la somme de 20 000 roubles. En retour, Maria Yudina lui écrit qu’elle donnera cet argent à son église pour prier pour son âme en raison des crimes qu'il a commis contre le peuple russe[4]. Très superstitieux, Staline ne répond jamais et, à sa mort, on aurait retrouvé l’enregistrement en question sur son phonographe à côté de lui[7]. En dépit de sa reconnaissance par Staline, Maria Yudina reste jusqu’à la fin extrêmement critique envers le régime soviétique.
Maria Yudina fait partie des rares artistes soviétiques ouvertement opposés au régime communiste, entraînant son interdiction d’enseigner et de se produire sur scène à différentes occasions. Convertie à la religion orthodoxe dès 1919, elle fut aussi une des grandes penseuses chrétiennes de la Russie du XXe siècle (parmi ses amis était le philosophe Pavel Florensky). Son admiration pour François d'Assise et sa foi orthodoxe sous-tendent toute son œuvre.
Connue pour ses interprétations de Bach et de Beethoven, elle s’est aussi faite la défenseuse de compositeurs contemporains comme son ami Chostakovitch, dont elle créa la seconde sonate pour piano. Ses interprétations de Bach peuvent être considérées comme préfigurant le style de Glenn Gould.[réf. souhaitée]
Parmi ses élèves : Andréï Balanchivadze.
Style
Le jeu de Maria Youdina se caractérise par sa grande virtuosité, sa spiritualité, sa force et, surtout, sa vision musicale qui l’amène souvent à des interprétations très personnelles.
Son art est caractéristique d’une époque particulière dans l’histoire culturelle russe. Contrairement à d’autres musiciens, elle a toujours essayé d’aller plus loin que sa discipline en collaborant avec de célèbres écrivains, artistes et architectes.
Grâce aux efforts de ses amis, en particulier Anatoli Kouznetsov, ses lettres et ses écrits ont été publiés à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Une initiative a aussi permis une réédition complète de ses enregistrements sur CD.
Discographie
L'éditeur russe Vista Vera a sorti 17 volumes intitulés The Legacy of Maria Yudina[8].
« Le Monde du piano » a publié en 2010, interprétés par Maria Yudina :
- la sonate pour piano no 16 en sol majeur op. 31 no 1 de Beethoven (enregistrée en 1951)
- le concerto pour piano no 23 en la majeur KV 488 de Mozart (orchestre symphonique de la Radio de Moscou, direction Alexandre Gaouk (enregistré en 1943)
- la sonate pour piano no 32 en ut mineur op. 111 de Beethoven
Hommage
- La chanteuse française La Grande Sophie lui a consacré une chanson hommage en 2015.
- Elle figure dans le film La Mort de Staline (2018).
Bibliographie
- Alexeï Lossev, The Woman as Thinker/La femme-penseuse (« Женщина-мыслитель »), 1933. Roman à clé où le personnage de Radina est une allusion claire à Maria Yudina.
- Bruno Monsaingeon, Richter : écrits, conversations, Fondettes / Arles, Van de Velde / Actes-Sud, , 469 p. (ISBN 2-7427-1981-4 et 2-8586-8255-0, OCLC 45506290, BNF 37000254), p. 78–81.
- Alain Lompech (avec 2 disques [MP3] durée : 14 h 35 min), « Maria Youdina », dans Les grands pianistes du XXe siècle, Paris, Buchet/Chastel — Libella, coll. « Les Grands Interprètes », , 347 p. (ISBN 978-2-283-02524-6, OCLC 823819525, BNF 42795012), p. 121–127.
- Laetitia Le Guay, « Une vie, une œuvre : Maria Yudina, la pianiste de Staline (1899-1970) » [audio], sur France Culture,
- Jean-Noël Benoit, Maria Youdina : la pianiste qui défia Staline : art et culture de l'ombre en URSS, Paris, Les Éditions de Paris, 2018, 182 p.
- Maria Youdina et Pierre Souvtchinsky (en) (traduction de Jean-Pierre Collot), Correspondance et documents (1959-1970), avec deux CD audio, éditions Contrechamps, 2020.
Notes et références
- Theodore Baker et Nicolas Slonimsky (trad. de l'anglais par Marie-Stella Pâris, préf. Nicolas Slonimsky), Dictionnaire biographique des musiciens [« Baker's Biographical Dictionary of Musicians »], t. 3 : P-Z, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », (réimpr. 1905, 1919, 1940, 1958, 1978), 8e éd. (1re éd. 1900), 4728 p. (ISBN 2-221-06787-8), p. 4677–4678
- Alain Pâris, Dictionnaire des interprètes et de l'interprétation musicale, Paris, Laffont, coll. « Bouquins », , 4e éd., 1278 p. (ISBN 2-221-08064-5, OCLC 901287624), p. 952
- Lompech 2012, p. 122.
- Lompech 2012, p. 123.
- Lompech 2012, p. 124.
- Lompech 2012, p. 125.
- Christopher Domínguez Michael, « El maestro y Margarita de Mijaíl Bulgákov », Letras Libres, mars 2000, p. 86.
- Revue par Alain Cochard dans Diapason no 538, p. 110 et no 540, p. 130. Les volumes 5, 6, 7, 9 et 11 ayant obtenu le Diapason d'or, les autres « 5 clés ».
Liens externes
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