Mehmed II
Mehmet II le Conquérant ou Mehmed II « Fatih »[1] (en turc : Fatih Sultan Mehmet Han) fut le septième sultan de l'Empire ottoman.
Pour les articles homonymes, voir Mohammed II (homonymie).
Mehmed II | ||
Portrait de Mehmed II par Gentile Bellini (1479). | ||
Titre | ||
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7e sultan Ottoman | ||
– (2 ans et 1 mois) |
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Prédécesseur | Mourad II | |
Successeur | Mourad II | |
– (30 ans et 3 mois) |
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Prédécesseur | Mourad II | |
Successeur | Bayezid II | |
Biographie | ||
Dynastie | Dynastie ottomane | |
Nom de naissance | محمد الثاني بن مراد الثاني | |
Date de naissance | ||
Lieu de naissance | Edirne | |
Date de décès | (à 49 ans) | |
Lieu de décès | Gebze | |
Père | Mourad II | |
Mère | Hüma Hatun | |
Fratrie | Ahmed, Alaeddin Ali, Orhan, Hasan, Erhundu, Şehzade, Fatma, Hatice | |
Conjoint | Gülbahar Hatun, Gülşah Hatun, Sittişah Hatun, Çiçek Hatun, Hatice Hatun | |
Enfants | Bayezid II , Zizim, Mustafa, Gevherhan | |
Religion | Islam | |
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Liste des sultans de l'Empire ottoman | ||
Il était le quatrième fils de Mourad II[2]. Il serait né le à Edirne[3] de Huma Hatun.
C'est la prise de Constantinople en 1453 qui lui valut son surnom de « Fatih » (Conquérant), en outre il s'était proclamé lui-même « Kayser-i Rum », littéralement « le César des Romains ». Il régna à deux reprises (entre 1444 et 1446 puis entre 1451 et 1481) ; dans l'intervalle, c'est son père Mourad II qui reprit le pouvoir.
Mehmed était curieux de littérature et de beaux-arts. Il écrivit des poèmes en turc et en persan et composa des chansons. Il s'intéressait à la philosophie et aux sciences, à l'astronomie en particulier. Il fit venir à Constantinople des artistes italiens, dont Gentile Bellini, qui ne séjourna dans la capitale que quelques mois, le temps d'exécuter le portrait du Sultan qui lui avait été demandé à l'occasion des accords de paix conclus entre la République de Venise et l'Empire ottoman (). Selon certains auteurs, Mehmed II aurait appris l'arabe, le persan, l'hébreu, le latin et le grec mais sa connaissance de ces deux dernières langues au moins est fortement sujette à caution[4].
Il mourut le à Gebze. Son fils Bayezid lui succéda.
Il eut sept épouses, une fille et quatre fils : Mustafa (tr), Bayezid, Cem (ou Jem/Djem) et Korkut.
Biographie
Premier règne
Fils cadet de Mourad, Mehmed eut une enfance et une instruction difficiles[5]. Il devint l'héritier du trône à la mort de son frère aîné Alaeddin en 1444. Pour des raisons mal connues, Mourad II abdiqua en sa faveur en ou de la même année[6] et se retira à Manisa.
Le court règne de Mehmed fut agité, sur les plans intérieur et extérieur. Le gouvernement était partagé entre la faction du grand vizir Çandarlı Halil, homme de confiance de Mourad mais qui entretenait de mauvaises relations avec Mehmed, et d'autre part les autres vizirs plus proches du jeune sultan[6]. Des mouvements populaires provoquant un incendie à Edirne suivirent la prédication d'un derviche hurufi, protégé par Mehmed contre le grand mufti et Halil[7].
En 1446, Halil Pacha fomenta une révolte des janissaires, Mourad II reprit le pouvoir jusqu'à sa mort en 1451[8]. Au , Mehmed participa aux côtés de son père à une campagne infructueuse contre Skanderbeg[9].
Accession au trône
Mehmed monta sur le trône le , dans des circonstances troublées (présence du prétendant Orkhan à Constantinople, opposition des janissaires, mauvaises relations avec le grand vizir Çandarlı Halil). Le nouveau sultan adopta une politique prudente de conciliation : il maintint Halil au poste de grand vizir et fut le premier sultan à accorder aux janissaires un don de joyeux avènement[10]. En conquérant l'émirat de Karaman en et et en renouvelant les traités de paix avec Venise en et avec la Hongrie en de la même année, Mehmed montrait ses qualités de stratège comme militaire et comme diplomate.
Le siège de Constantinople
Dès le début de son règne, Mehmed II se concentra sur le projet de faire de Constantinople la capitale de son pays. Il avait conscience que posséder Constantinople serait une source de richesse et qu'ainsi il aurait le contrôle du commerce vers la mer Noire dans un sens et vers la mer Méditerranée dans l'autre sens. Lorsqu'il fit part de son projet, la majorité du divan, en particulier le grand vizir Halil Pacha, critiqua le sultan parce qu'il surestimait ses capacités.
Un ingénieur hongrois nommé Orban (francisé en Urbain) fabriqua pour le sultan de nouveaux canons gigantesques qui allaient jouer un rôle important dans la prise de la ville.
En 1452, Mehmed fit construire sur la rive européenne une forteresse en face de celle que Bayezid Ier avait construite sur la rive asiatique. Ce château fut appelée forteresse de Roumélie (Rumeli Hisarı) tandis que celle de Bayezid Ier s'appelait forteresse d'Anatolie (Anadolu Hisarı). Au cours de ces préparatifs, Mehmed renouvela les traités de paix signés avec la Serbie et la Valachie et signa un nouveau traité de paix avec la Hongrie.
De son côté, l'Empire byzantin se préparait en accumulant des réserves de nourriture pour un long siège. L'empereur Constantin XI Paléologue fut inquiet en apprenant la construction de la forteresse de Roumélie à proximité de la ville. Il voulut demander l'aide du pape. Ce dernier mit comme condition à cette aide l'unification des deux Églises catholique et orthodoxe. Mais les rivalités entre les hommes religieux amenèrent l'empereur à abandonner tout espoir d'une nouvelle croisade pour lui venir en aide.
En , Mehmed assiégea la ville, détruisant tout aux environs et enfermant la population dans ses murs.
Le , deux tours sur roues furent construites pour pouvoir franchir les murailles légendaires de la ville. La bataille devint sanglante et Mehmed se rendit compte que tant que sa marine n'entrait pas en jeu, la ville pourrait continuer à être soutenue par les navires vénitiens et génois. Il fallait trouver un moyen de pénétrer dans la Corne d'Or, mais celle-ci était bien défendue à son entrée par un système de chaînes. Mehmed imagina alors de tirer les bateaux à terre sur la rive européenne et de les faire entrer par l'extrémité de la Corne d'Or (). La marine ottomane se trouva ainsi au milieu de la ville et elle put bombarder ses murs depuis l'intérieur. Les boulets de 600 kilogrammes tirés par le canon géant d'Orban firent de terribles ravages. Entre le et le , Constantin XI, voyant que la défense ne tiendrait plus longtemps, accepta, sur la proposition d'un envoyé de Mehmed (nommé Ismaël, et fils du renégat grec Alexandre/Skender, prince vassal de Sinope), d'entrer dans des pourparlers de paix avec le sultan. Celui-ci exigea alors le payement annuel d'un tribut de 100 000 besants d'or (somme bien au-dessus des moyens de l'Empire romain), faute de quoi les Byzantins n'auraient plus qu'à quitter la ville en emportant leurs biens, ou à subir l'assaut de l'armée turque. Constantin ne pouvait que refuser de telles conditions, ce qu'il fit après avoir consulté son entourage[11].
Dans la nuit du au , vers une heure et demie du matin, l'attaque finale fut lancée (cf. la chute de Constantinople). Plusieurs vagues successives furent repoussées mais les régiments turcs parvinrent au bout de quelques heures à pénétrer dans la ville et Constantin XI périt dans la bataille. À midi, au terme d'une lutte héroïque de part et d'autre, la capitale était prise. L'Empire romain d'Orient, vieux de 1 058 ans, s'était écroulé après 54 jours de siège. Les conquérants se livrèrent au pillage, au viol et à toutes sortes de profanations, et ils massacrèrent, sans distinction de sexe ni d'âge, les habitants qu'ils rencontraient, en attendant de réduire en esclavage les éventuels rescapés[12].
Mehmed II entra dans Constantinople dans l'après-midi du . Escorté de vizirs, de pachas, d'oulémas et de janissaires, il gagna la basilique Sainte-Sophie. Là, montant à l'ambon en compagnie d'un imam, il récita la prière musulmane, puis, pénétrant dans le sanctuaire, monta sur l'autel et le foula aux pieds, dans une attitude de profanation à la longue histoire[13], puis s'agenouilla pour y faire la prière musulmane de Dohr : la basilique chrétienne, de ce fait, fut transformée en mosquée[14].
Selon certains historiens modernes[15], le sultan aurait mis un terme au pillage de la cité avant la fin des trois jours habituellement accordés aux soldats ; cette affirmation, contredite par la plupart des autres historiens pour qui la mise à sac ne s'acheva que le [16], est non seulement dépourvue de références à des sources contemporaines des faits, mais encore démentie par les récits de témoins oculaires[17] parlant expressément de trois jours de pillage[18], ainsi que par les rapports des historiographes ottomans eux-mêmes [19]. Il est donc plus exact de dire que le pillage et la destruction « se poursuivirent pendant trois jours, mais sans l'intensité des douze premières heures »[20].
Après la prise de Constantinople, Mehmed II, sultan bisexuel, décida d'enlever les plus beaux jeunes hommes de la noblesse byzantine pour qu'ils fassent partie de son harem[21],[22],[23]. Décrit comme notoirement pédéraste[24], il motiva ses troupes avant l'assaut en leur faisant miroiter la beauté des jeunes hommes et enfants de Constantinople ; après la chute de la ville, les soldats se livrèrent à de nombreux viols sur des jeunes garçons[25]. Le Megadux Lucas Notaras, décapité sur l'ordre de Mehmed II avec une partie de sa famille, aurait subi ce sort parce qu'il refusait de livrer son fils de 14 ans à la lubricité du sultan[25],[26] ; selon le byzantiniste Thierry Ganchou, cette motivation essentiellement sexuelle pour la remise en otage du fils Notaras (attestée par ailleurs) n'aurait été avancée et répandue par les chroniqueurs chrétiens que par médisance[27].
Renaissance et continuité
Finalement, Constantinople devint capitale de l'Empire ottoman. Le premier décret du sultan après la prise de la « Nouvelle Rome » fut de repeupler la ville morte. Il autorisa donc l'installation de civils, y compris chrétiens, dans la ville, à qui il laissa (mais sous un contrôle très étroit) une certaine liberté de culte, marquée par l'intronisation à la tête de l'Église grecque orthodoxe d'un nouveau patriarche, Gennadios, connu pour ses positions anti-unionistes ; il instaura aussi un patriarcat arménien apostolique en 1461. Soucieux de marquer la continuité entre l'Empire romain et la Sublime Porte, celui qui est déjà titré « Maîtres de deux continents » et « de deux mers » se fait appeler Kayser-i Rum (littéralement « César des Romains » c'est-à-dire « empereur de Rome »)[28].
En 1462, il lança la construction du palais de Topkapı.
S'étant présenté comme seigneur des combattants de la foi, il œuvrait dans sa conquête pour acquérir une légitimé aux yeux du reste du monde musulman. Les chroniqueurs le qualifient régulièrement de gâzi des gâzis, de champion de la guerre sainte, etc.[29].
La conquête des Balkans
Mehmed II annexa ce qui restait du despotat vassal de Serbie après la chute de la forteresse de Smederevo en 1459. Le royaume de Bosnie fut incorporé à l'Empire après la mort du roi Étienne Tomašević en 1463.
La conquête des territoires albanais se révéla plus difficile. Skanderbeg, fédérant d'autres seigneurs de guerre, repoussa à deux reprises les armées ottomanes, en 1466 et 1467. Après son décès en 1468, ses partisans parvinrent à contenir les armées ottomanes jusqu'en 1480.
Conquête des vestiges de l'Empire byzantin
De 1459 à l', Mehmed II fit la conquête définitive du despotat de Morée, où régnaient les deux frères de Constantin XI, Démétrios et Thomas. Démétrios se soumit rapidement au sultan, qui lui donna une somme importante et quelques îles de la mer Égée en apanage, tandis que Thomas s'enfuit avec ses enfants d'abord à Corfou, puis à Rome, où il mourut en 1465[30]. Dans sa progression pour la conquête du Péloponnèse, l'armée de Mehmed réduisit une à une les cités grecques, massacrant parfois les hommes qui avaient osé résister, comme à Kastritsa, voire toute la population civile de Leondari, sans distinction de sexe ou d'âge[31], afin de faire des exemples et amener ainsi, par la terreur, les autres places-fortes à se rendre sans combattre ; les habitants de certaines villes furent réduits en servitude ou déportés à Constantinople « pour repeupler les faubourgs »[32] ; des commandants de forteresses ayant opposé de la résistance furent sciés en deux[33]. La seule cité qui ne succomba pas au déferlement de l'armée ottomane fut Monemvasia/Malvoisie, qui, grâce à la puissance de ses murailles et de sa flotte, mais aussi grâce à la fermeté de son gouverneur, Nicolas Paléologue[34], sut résister, mais au prix d'un accord qui la fit passer sous le protectorat de Venise et retarda ainsi jusqu'en 1540 sa prise par les Turcs.
Guerre en Anatolie
En 1461, Mehmed II se tourna vers l'Anatolie. Il conquit la principauté djandaride et l'Empire de Trébizonde en . L'héritier du trône, David II, fils de Jean IV dit Kaloyannis, lui remit, le 15 de ce mois, les clefs de la cité et se laissa embarquer avec sa famille pour Constantinople. Le sultan dépouilla de leurs biens les familles de notables avant de les installer à Constantinople, et réduisit en esclavage le reste de la population[35]. Deux ans plus tard, craignant que David ne vînt à conspirer contre lui, Mehmed II lui donna, ainsi qu'à ses fils, le choix entre la conversion à l'islam et la mort immédiate : comme tous refusaient de renier leur foi, le sultan leur fit trancher la tête l'un après l'autre ()[36].
En 1464, quand Ibrahim, bey de Karaman, mourut, sa succession fut disputée. Deux frères s'opposaient. L'un, Ishak, obtint l'appui du Turcoman Uzun Hasan, sultan des Akkoyunlu (clan des « Moutons Blancs ») ; l'autre, Pir Ahmed, reçut le soutien de Mehmed. Pir Ahmed commit l'erreur de chercher un arrangement avec les Vénitiens : Mehmed considéra que c'était une trahison, partit en campagne et conquit Konya et Karaman. Pir Ahmed se réfugia chez les Akkoyunlu. L'armée ottomane et l'armée des Akkoyunlu s'affrontèrent près de Otlukbeli le : l'armée ottomane, la mieux équipée de l'époque, écrasa ses adversaires.
Prise de Négrepont
Dans la guerre sans merci que Mehmed II livra aux Vénitiens pour les chasser de leurs possessions dans la Méditerranée orientale, la prise de la colonie de Négrepont (l'antique Chalcis d'Eubée), en 1470, fut sans doute l'événement le plus marquant[37]. L'expédition fut longuement mûrie par le sultan et préparée à partir de l'hiver 1469-1470. Mehmed II mit à sa tête son ex-grand vizir, Mahmud Pacha Angelović, renégat chrétien d'origine serbe, qui commandait alors la flotte ottomane. Partie de Gallipoli, la flotte de Mahmud Pacha arriva devant la cité le : le blocus commença. Malgré une défense désespérée, Négrepont, dont les murs renfermaient alors une population de 4 000 âmes environ[38], tomba aux mains des Ottomans le . La plupart des habitants, nourrissons et vieillards compris, furent systématiquement massacrés (-), et le maigre reste, constitué surtout de jeunes filles de moins de quinze ans, fut réduit en esclavage[39]. Amplement diffusée par une presse alors toute récente, l'annonce d'un tel carnage horrifia l'Europe[40]. Cette perte fut peut-être, pour Venise, la plus cruelle de celles qu'elle eut à subir au XVe siècle[41].
Conquête de la Crimée
L'objectif de Mehmed II était alors de contrôler le bassin de la mer Noire et d'éradiquer, fût-ce au prix d'une politique d'extermination, la puissance vénitienne et génoise dans la région. En 1475, il conquit les colonies génoises de Crimée, notamment le port de Caffa, pris par le grand vizir Gedik Ahmed Pacha le [42]. Le sultan installait ainsi l'Empire ottoman au nord de la mer Noire et faisait de celle-ci un lac turc. Cette avancée lui donna le contrôle du trafic d'esclaves et de la route de la soie.
Ayant dès lors la mainmise sur les routes commerciales, Mehmed II fit construire de nouveaux ports et une flotte pour pouvoir concurrencer Venise et Gênes dans le commerce maritime.
Dernières conquêtes
En 1477, il se dirigea sur la côte Est de l'Adriatique pour y prendre quelques îles aux Vénitiens et obtenir un traité de paix avec Venise en . Un de ses vizirs, Gedik Ahmed Pacha, prit pied en Italie et conquit Otrante, dont la prise () et le massacre qui l'accompagna (12 000 victimes) provoquèrent un nouveau choc dans l'opinion européenne.
Mort
Alors qu'il se rendait vers l'Orient pour une nouvelle campagne militaire, Mehmed mourut sur la route le , peut-être empoisonné à l'instigation de l'ordre des derviches Halvetî et de son fils Bayezıd[43].
Après sa mort, ses deux fils Bayezıd (appelé Bajazet par les Européens), l'aîné, et Djem (appelé Zizim) se disputèrent le pouvoir. Défait à deux reprises, Djem se réfugia en Occident, où il mourut en 1495 dans des conditions jamais élucidées.
Bilan du règne
Mehmed fut principalement un homme de guerre qui augmenta à la fois sa flotte et son armée, dont il fit l'une des plus redoutables d'Europe. Avec lui, l'impérialisme ottoman commence une expansion européenne qui bouleversera l'Occident pendant plus de trois siècles, et la Grèce entre dans une très longue période d'asservissement qui durera jusqu'aux traités d'Andrinople (1829) et de Constantinople (1832). Le fils de Mourad apparaît essentiellement, devant la postérité, comme le responsable de l'anéantissement brutal de la puissance et de la civilisation byzantines. Du point de vue de la politique intérieure ottomane, il renforça le pouvoir personnel du sultan en écartant la famille Çandarlı et en nommant ses esclaves au poste de grand vizir, en mettant au pas les familles de beys des frontières, et en supprimant ses rivaux ainsi que leurs héritiers. Il tenta de réorganiser l'empire, imposa aux non-musulmans une hiérarchie centralisée, renforça la puissance de la capitale Constantinople, édicta un recueil de lois (kânûnnâme)[44].
Pour financer ses nombreuses campagnes militaires, il pratiqua une politique de dévaluation de la monnaie ainsi qu'une réforme de la propriété qui lui attirèrent l'hostilité des ordres religieux ainsi qu'une certaine impopularité[45].
Il laissa ainsi à sa mort un empire plus vaste et plus puissant, mais une armée fatiguée, une situation économique précaire, un peuple mécontent et une élite irritée et divisée ; cette situation fut l'une des causes de la guerre civile qui s'ensuivit[46].
Postérité
Marcel Proust écrit à son propos qu'« ayant senti qu'il était devenu fou amoureux d'une de ses femmes, la poignarda, afin, dit naïvement son biographe vénitien, de retrouver sa liberté d'esprit »[47],[48].
Mehmed II dans la culture moderne
Mehmed II est le personnage principal du film turc en noir et blanc İstanbul'un Fethi (« La Conquête de Constantinople »), réalisé par Aydın Arakon (tr) et sorti en 1951.
Dans le film turc Constantinople, dépeignant la prise de Constantinople par les forces ottomanes qui entraîne la destruction de l'Empire byzantin, il est interprété par Devrim Evin[49].
Dans le film américain de science-fiction Dracula Untold, il est interprété par Dominic Cooper[50].
Notes et références
- fatih, de l'arabe فَاتِح fātiḥ, « conquérant » ; « victorieux »
- Halil İnalcık: Mehmed II. dans Türkiye Diyanet Vakfı İslâm Ansiklopedisi, Band 28. Ankara, TDV Yayını, 2003, p. 395–407.
- F. Babinger, Mehmed the Conqueror (1992), p. 8-9.
- Christos G. Patrinelis, « Mehmed II the Conqueror and his presumed knowledge of Greek and Latin », in Viator, 2 (1971), p. 349-354.
- Vatin 1989, p. 81.
- Vatin 1989, p. 76.
- Vatin 1989, p. 77
- Kafadar, Cemal, Between Two Worlds, University of California Press, 1996, p. xix. (ISBN 0-520-20600-2)
- Vatin 1989, p. 78.
- Vatin 1989, p. 88.
- Voir : Doukas, XVIII (1088) ; Laonicos Chalcocondyle, De rebus Turcicis, VIII, 207 (PG 159, col. 385 D). Voir Gustave Schlumberger, 1453 : le siège, la prise et le sac de Constantinople par les Turcs. Paris, Plon, 1935, p. 164-166 ; L. Bréhier, Vie et mort de Byzance (1992), p. 424-425 et n. 3445 ; S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 186-187.
- Jacques Heers, Chute et mort de Constantinople, Perrin, , p. 187.
- L. Bréhier, Vie et mort de Byzance (1992), p. 428. On pense au vieux geste rituel, à la fois romain et byzantin, de la calcatio (hostis), mais le geste est détourné par Mehmed dans un sens religieux : au lieu de fouler aux pieds le chef ennemi (rappelons que le corps de l'empereur Constantin, tué dans la bataille, n'avait pas — ou pas encore — été retrouvé), Mehmed II piétine et humilie, d'une manière à la fois souveraine et symbolique, la table sainte où l'officiant chrétien procède au sacrifice du « corps du Christ ».
- L. Bréhier, Vie et mort (1992), p. 428 et n. 3478 (p. 550, avec référence précise aux sources) ; F. Babinger, Mehmed the conqueror (1992), p. 95.
- Dont S. Runciman, The Fall of Constantinople 1453, p. 148 ; H. İnalcık, The Policy of Mehmed II Toward the Greek Population of Istanbul and the Byzantine Buildings of the City, in Dumbarton Oaks Papers, 23/24 (1969/1970), p. 233 ; Vatin 1989, p. 88.
- A. Pertusi, La caduta, I (1976), p. LXXXVII (« 31 maggio. Mehmed con un ordine pone termine al saccheggio… ») ; S. Faroqhi, Subjects of the Sultan. Culture and daily life in the Ottoman Empire. London & New York, I.B. Tauris, 1995, p. 33 ; É. Patlagean, A. Ducellier, C. Asdracha & R. Mantran, Historia de Bizancio. Barcelona, Crítica, 2001, p. 279.
- Philippides 2011, p. 93.
- Ainsi : Angelo Giovanni Lomellino, Lettre de Péra du , dans A. Pertusi, La caduta, I (1976), p. 42, 16-17 (Posuerunt dictum locum ad saccum per tres dies) ; Léonard de Chio, Lettre du , § 46, dans A. Pertusi, La caduta, I (1976), p. 164, 467-469 (Triduo igitur in praedam decursam civitatem depopulatamque regis Teucrorum ditioni dicati admodum relinquunt).
- Voir par exemple : Oruç Beg, Tarih, éd. Nihal Atsiz, Istanbul, 1972, p. 109 (« Ils ont pillé pendant trois jours. Après le troisième jour, ils ont interdit le pillage ») ; Hoca Sa'düddin, 1979, p. 284 (« Le troisième jour, les huissiers de la Porte arrêtèrent, conformément à l'ordre du souverain, les combattants qui passaient leur temps à piller et à faire du butin, et ils freinèrent leur action, quitte à employer la force »). Voir Stéphane Yerasimos, « Les Grecs d'Istanbul après la conquête ottomane. Le repeuplement de la ville et de ses environs (1453-1550) », dans Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 107-110 (), p. 375-399, spéc. p. 375.
- Donald M. Nicol, Les derniers siècles de Byzance. 1261-1453. Paris, Tallandier, « Texto », 2008 (seconde éd. anglaise Cambridge University Press, 1993), p. 412. Voir aussi S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 220. Pour n'évoquer qu'un point, qui touche particulièrement les humanistes, la destruction massive de manuscrits grecs — attestée entre autres par Doukas, 42, 1, et Critoboulos, I, 62, 3 ; voir par ex. S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 216-217) —, a dû prendre du temps. Le jurisconsulte, philosophe et hébraïsant Lauro Quirini, dans une lettre adressée au pape Nicolas V et datée de Candie, , évalue à plus de 120 000 le nombre de livres grecs détruits par les Ottomans depuis la prise de la Ville : A. Pertusi, Testi inediti (1983), p. 74, l. 89-90.
- (en) James Smalls, Homosexuality in Art, Parkstone International, (2012), 277 p., p. 134, (ISBN 978-1-7804-2952-6)
- Philippides 2011, p. 256.
- (en) George Haggerty, Bonnie Zimmerman, Encyclopedia of Lesbian and Gay Histories and Cultures, Garland Science, 2003, p. 1385 : « When Mehmed II captured the city in 1453, his troops were dispatched immediately to capture the most beautiful boys of the Christian aristocracy for him. »
- Philip Mansel, Constantinople, Hachette, 2011 (544 p.), p. 47 : « Like the city itself, he [Mehmed II] was a collection of contrasts: cruel and gentle, ruthless and tolerant, pious and pederast. »
- (en) Wayne R. Dynes, Stephen Donaldson, Asian Homosexualities, Taylor & Francis (1992), 368 p., p. 28
- Steven Runciman, La chute de Constantinople. 1453. Paris, Tallandier, « Texto », 2007 (édition originale anglaise : Cambridge University Press, 1965), p. 220-221. La décapitation était, chez Mehmed, une option punitive fréquente, même avec les enfants (voir plus loin, note 23, le sort infligé aux sept fils de David II de Trébizonde), mais n'excluait aucunement le recours à divers sévices longs et raffinés. Son supplice préféré était toutefois celui du pal, comme le note, vers l'an 1475, le Génois Iacopo de Promontorio de Campis, qui séjourna longuement à la cour du sultan : F. Babinger, « Die Aufzeichnungen des Genuesen Iacopo Promontorio de Campis über den Osmanenstaat um 1475 », in Sitzungsberichte der bayerischen Akademie der Wissenschaften, philosophisch-historische Klasse, Jahrgang 1957, Heft 8, p. 89-92.
- Thierry Ganchou, « Le rachat des Notaras après la chute de Constantinople ou les relations « étrangères » de l'élite byzantine au XVe siècle », dans Michel Balard et Alain Ducelier, Migrations et diasporas méditerranéennes (Xe siècle-XVIe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, n. 27 p. 155 (lire en ligne) ; Le prôtogéros de Constantinople Laskaris Kanabès (1454). À propos d'une institution ottomane méconnue in Revue des Études Byzantines, 71, 2013, pp. 233-236 (en ligne)
- Guillaume Calafat, Une mer jalousée : Contribution à l'histoire de la souveraineté (Méditerranée, XVIIe siècle), Seuil, (ISBN 978-2-02-137937-2, lire en ligne), Pt 259
- Henry Laurens, John Tolan et Gilles Veinstein, Europe et l’Islam (L') : Quinze siècles d’histoire, Paris, Odile Jacob, , 482 p. (ISBN 978-2-7381-2219-3 et 2-7381-2219-1, lire en ligne), p. 191-192
- S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 257-259.
- Setton, 1978, p. 225-226 ; Laonicos Chalcocondyle, De rebus Turcicis, IX (PG 159, col. 465 C — 468 C).
- Laonicos Chalcocondyle, De rebus Turcicis, IX (PG 159, 468 C).
- Voir Laonicos Chacocondyle, De rebus Turcicis, IX (PG 159, col. 468 A) : … καὶ τὸν ἄρχοντα αὐτῶν τῇ ὑστεραίᾳ χωρὶς ἔτεμε τὸ σῶμα ποιησόμενον (à propos du défenseur de Kastritsa). Mehmed II fit également scier en deux, parmi d'autres : Paolo Erizzo, le gouverneur de Négrepont, le — voir K.M. Setton (1978), p. 302, et infra, n. 29 — ; le patricien vénitien Geronimo Longo, mêmes lieu et moment : Domenico Malipiero, Annali veneti dall'anno 1457 al 1500, in Archivio storico Italiano, VII/1 (Firenze, 1843), p. 64 (« …è stà messo tra do tavole e segado per mezzo…») ; le gouverneur et l'archevêque d'Otrante le (voir infra, « Dernières conquêtes ») ; etc.
- L. Bréhier, Vie et mort de Byzance (1992), p. 429-430 (qui l'appelle par erreur Manuel) ; Haris A. Kalligas, Monemvasia. A Byzantine city state. London & New York, 2010, p. 51-52.
- S. Runciman, La chute de Constantinople (2007), p. 250.
- L. Bréhier, Vie et mort de Byzance (1992), p. 431-432 et n. 3500 (avec sources).
- Bon aperçu des faits, avec contextualisation, chez K.M. Setton, « Paul II, Venice, and the fall of Negroponte » (1978), en particulier p. 301-303.
- Détails et sources chez K.M. Setton (1978), p. 302.
- Voir notamment : F. Babinger, Mehmed the Conqueror (1978), p. 280-284 ; Antonio Coccia, « Bessarione e i discorsi ai principi », in Bessarione, Quaderno no 7, Roma, Herder, 1989, p. 213-239, spéc. p. 218-223
- Margaret Meserve, « News from Negroponte : politics, popular opinion, and information exchange in the first decades of the Italian press », in Renaissance Quarterly, 59/2 (2006), p. 440-480.
- K.M. Setton (1978), p. 303.
- Matei Cazacu & Kéram Kévonian, « La chute de Caffa en 1475 à la lumière de nouveaux documents », in Cahiers du monde russe et soviétique, 17/4 (1976), p. 495-538 ; http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1976_num_17_4_1277.
- Vatin 1989, p. 103 et 105.
- Vatin 1989, p. 103-104.
- Vatin 1989, p. 104-105.
- Vatin 1989, p. 105
- Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1987-1989, Volume I p. 96 et p. 349
- Eric Karpeles, Le musée imaginaire de Marcel Proust, Thames et Hudson, traduit de l'anglais par Pierre Saint-Jean, 2009, p. 40 (ISBN 978-2-87811-326-6)
- Ayla Albarak, « Turkey’s Blockbuster Replays Istanbul Conquest, Stoking Controversy », Wall Street Journal, (consulté le )
- (en) Dave Trumbore, « Alex Kurtzman Confirms ‘Dracula Untold’ Is Not Canon, Teases Jekyll’s Role », Collider, (consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
- André Clot, Mehmed II : le conquérant de Byzance (1432-1481), Paris, Perrin, , 331 p. (ISBN 978-2262007195)
- (en) John Freely, The Grand Turk : Sultan Mehmet II-Conqueror of Constantinople and Master of an Empire, Overlook Press, , 265 p. (ISBN 978-1590204009)
- Franz Babinger, Mehmed der Eroberer. Munich, F. Bruckmann KG, 1953, 19592 ; Munich, Piper Kitabevi, 1987. Traduction anglaise : Mehmed the conqueror and his time. Princeton, NJ, Princeton University Press, 1978, 1992.
- Louis Bréhier, Vie et mort de Byzance. Édition de précédée d'une préface de Gilbert Dagron. Paris, Albin Michel, 1992.
- Agostino Pertusi (Testi a cura di –), La caduta di Costantinopoli. (I) Le testimonianze dei contemporanei. (II) L’eco nel mondo. Milano, O. Mondadori, « Fondazione Lorenzo Valla », 1976, 19902 (2 vol.).
- Agostino Pertusi (†), Testi inediti e poco noti sulla caduta di Costantinopoli. Bologna, Pàtron, 1983 (= Il mondo medievale. Sezione di storia bizantina e slava, 4).
- (en) Marios Philippides et Walter K. Hanak, The Siege and the Fall of Constantinople in 1453 : Historiography, Topography, and Military Studies, Farnham/Burlington (Vt.), Ashgate, , 759 p. (ISBN 978-1-4094-1064-5, lire en ligne)
- Kenneth Meyer Setton, « Paul II, Venice, and the fall of Negroponte (1464-1471) », in Id., The Papacy and the Levant. II. The Fifteenth Century. Philadelphia, American Philosophical Society, 1978, p. 271-313.
- Nicolas Vatin, « L'ascension des Ottomans », dans Robert Mantran, Histoire de l'Empire ottoman, Paris, Fayard,
Articles connexes
Liens externes
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