Modification de la Constitution du Canada
La modification de la Constitution du Canada est régie principalement par la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette partie ne prévoit pas une seule manière de modifier la Constitution, mais édicte quatre formules selon le type de modification. Ainsi, selon le sujet de la modification, le consentement des deux assemblées législatives (Chambre des communes et Sénat) du parlement fédéral et des dix assemblées législatives provinciales peut être requis, ou seulement de certaines d'entre elles.
De 1867 à 1982, la Constitution du Canada devait en grande partie être modifiée par le Parlement du Royaume-Uni. Les deux assemblées législatives fédérales adoptaient une adresse conjointe demandant au Parlement du Royaume-Uni d'effectuer la modification souhaitée, lequel s'exécutait. Lors de la modification constitutionnelle de 1982 (communément appelé le rapatriement de la Constitution), la procédure de modification actuelle a été adoptée de sorte que les institutions parlementaires canadiennes sont devenues les seules autorités compétentes pour modifier la Constitution du Canada.
Plusieurs tentatives de modifier la Constitution ont été faites depuis 1982. Bien qu'une dizaine de modifications aient été réalisées, aucun changement majeur ne s'est produit. Le Québec n'ayant pas consenti à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, plusieurs négociations se sont tenues, sans succès, pour convaincre la province d'adhérer à la Constitution. Cela a mené à l'accord du lac Meech et à l'accord de Charlottetown.
Historique
Le contenu de la Constitution du Canada a toujours figuré dans différentes lois adoptées par le Parlement du Royaume-Uni. La plupart de ces lois portaient le titre officieusement traduit d'Actes de l'Amérique du Nord britannique, dont la principale est sans contredit l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 (dont le titre français de Loi constitutionnelle de 1867 lui fut officiellement octroyé en 1982). Contrairement à d'autres constitutions formelles dans le monde, cette loi, à l'exception du pouvoir des parlements provinciaux de modifier certaines dispositions, ne contenait aucune procédure générale de modification; ainsi, les changements devaient être apportés par l'adoption d'une simple loi du Parlement du Royaume-Uni. Pour ce faire, la Chambre des communes et le Sénat devaient adopter une adresse conjointe demandant au Parlement du Royaume-Uni de procéder aux changements désirés. Ceux-ci étaient toujours adoptés avec un minimum de débat des politiciens britanniques.
La modification constitutionnelle de 1982 visait notamment à rendre le Canada juridiquement indépendant du Royaume-Uni. La procédure de modification actuelle a donc été établie de sorte que les institutions parlementaires canadiennes sont devenues les seules autorités compétentes pour modifier la Constitution du Canada. Les négociations sur cette formule de modification ont été laborieuses. Débutée dans les années 1960, la formule a finalement été conclue lors de la Nuit des Longs Couteaux.
Procédure de modification
Il existe quatre procédures distinctes de modification de la Constitution du Canada. Elles sont prévues aux articles 38 à 45 de la Loi constitutionnelle de 1982. Chacune s'applique à une certaine catégorie de modifications constitutionnelles[1]. Il s'agit de (1) la formule générale, (2) la formule de l'unanimité, (3) la formule des arrangements spéciaux et (4) la formule unilatérale fédérale ou provinciale[1].
Bien que ce ne soit pas exigé par la Constitution, une consultation populaire dans chaque province est aussi considérée comme nécessaire par plusieurs acteurs politiques et gouvernements, surtout après le précédent établi par l'accord de Charlottetown.
Formule générale
La formule générale s'applique lorsqu'aucune autre procédure n'est prévue[2]. Il s'agit donc en quelque sorte d'une procédure d'exception ou résiduaire. Elle exige que la modification soit adoptée par les deux assemblées législatives fédérales (le consentement du Sénat pouvant toutefois être passé outre) et par les assemblées législatives d'au moins sept provinces représentant au moins 50 % de la population de toutes les provinces[note 1]. Cette formule est fréquemment appelée « 7 / 50 »[3],[4]. Elle doit être utilisée, par exemple, pour modifier le partage constitutionnel des compétences législatives ou lorsqu'il s'agit d'ajouter un droit fondamental à la Charte canadienne des droits et libertés[2].
Formule de l'unanimité
La formule de l'unanimité s'applique pour cinq types de modifications prévues à l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982[5]. Il s'agit de la monarchie canadienne, du droit d'une province d'avoir au moins autant de députés à la Chambre des communes qu'au Sénat, de l'usage du français et de l'anglais dans les institutions fédérales, de la composition de la Cour suprême du Canada et des modifications à la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 qui a trait aux procédures de modification[loi 1]. Dans ces cas, la modification doit être adoptée par les douze assemblées législatives fédérales et provinciale (le consentement du Sénat pouvant toutefois être passé outre)[loi 1]. C'est dire que la Chambre des communes et les assemblées législatives de chaque province possèdent un droit de veto sur chaque modification proposée.
Formule des arrangements spéciaux
La formule des arrangements spéciaux s'applique lorsqu'une ou certaines provinces veulent modifier une disposition de la Constitution du Canada qui ne touche que cette ou ces provinces[6]. Dans ces cas, seuls les deux assemblées législatives fédérales (le consentement du Sénat pouvant toutefois être passé outre) et l'assemblée de la ou des provinces concernées ont à donner leur accord. Cela s'applique notamment à la modification d'une frontière entre deux provinces ou à la modification de dispositions qui ne touchent qu'une seule province (sur les langues devant être utilisées dans les travaux parlementaires ou devant les cours de justice ou sur les protections religieuses dans les milieux scolaires par exemple)[7].
Formule unilatérale fédérale ou provinciale
Finalement, la dernière formule (unilatérale fédérale et unilatérale provinciale) permet à un ordre de gouvernement de modifier les dispositions de la Constitution du Canada le concernant uniquement, c'est-à-dire les règles qui touchent par exemple le « fonctionnement d'un organe du gouvernement de la province » ou du fédéral[8]. Cette procédure de modification existait déjà dans la Loi constitutionnelle de 1867 et a été déplacée dans la Loi constitutionnelle de 1982[9]. Par exemple, en 1968, le Québec a aboli son Conseil législatif pour devenir un parlement unicaméral[10].
Exigences supplémentaires pour une modification
En plus des formules de modifications prévues, il existe quelques lois particulières qui posent des conditions supplémentaires à la modification de la Constitution. Ces lois ne font toutefois pas partie de la Constitution si bien que les parlements peuvent les changer à tout moment.
Loi concernant les modifications constitutionnelles
Afin de répondre aux critiques principalement du Québec, le parlement fédéral s'est engagé à ne pas donner son accord à une modification constitutionnelle sans l'accord majoritaire des cinq grandes régions du Canada : la Colombie-Britannique, les Prairies, l'Ontario, le Québec et les Maritimes.
Cet engagement s'est concrétisé dans une loi du parlement fédéral : la Loi concernant les modifications constitutionnelles[11]. Cette loi prévoit que le gouvernement ne présentera pas de projet de modification constitutionnelle sans l'accord du Québec, de l'Ontario et de la Colombie-Britannique. Pour les Prairies et les Maritimes, le gouvernement attendra l'accord de deux provinces de chaque groupe à condition que ces deux provinces représentent au moins 50 % de la population de la région en question.
Cette exigence supplémentaire a fait dire à certains politologues que la formule de modification n'est plus « 7 / 50 » (7 provinces représentant 50 % de la population. Voir « Formule générale » ci-dessus). En fait, pour que la loi soit respectée, au moins 7 provinces doivent donner leur accord représentant 93 % de la population. Certaines personnes parlent donc de la formule « 7 / 93 »[12].
Exigences supplémentaires dans certaines provinces
Avant de donner leur accord à une modification constitutionnelle, certaines provinces doivent tenir des référendums.
Modifications effectuées
Depuis la fondation de la fédération canadienne en 1867, il y a eu plusieurs modifications de la Constitution. Nous ne mentionnons que les plus importantes.
De 1867 à 1982
De 1867 à 1982, le Parlement du Royaume-Uni était responsable de modifier la majeure partie de la Constitution du Canada. Il a notamment permis au Parlement du Canada de créer par lui-même de nouvelles provinces à même les territoires fédéraux[loi 2],[13], lui a conféré la souveraineté en matière de politique externe par le Statut de Westminster[14], lui a donné le droit de légiférer sur l'assurance-emploi[loi 3],[15] et lui a permis de modifier sa constitution interne[loi 4],[16].
Depuis 1982
Depuis l'adoption des procédures de modification dans la Loi constitutionnelle de 1982, il y a eu treize modifications constitutionnelles. Les plus importantes ont été la consécration de l'égalité du français et de l'anglais au Nouveau-Brunswick[17],[loi 5] et le renforcement de la protection des droits autochtones[18]. Le Québec et Terre-Neuve ont aussi modifié des dispositions de la Constitution sur les écoles confessionnelles. À ces occasions, aucune consultation populaire pancanadienne n'a été tenue.
Titre de la loi | But de la modification | Procédure utilisée | Notes | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Procédure générale (art. 38) |
Procédure unanime (art. 41) |
Procédure des arrangements spéciaux (art. 43) |
Procédure unilatérale (art. 44) ou provinciale (art. 45) |
Contournement du Sénat (art. 47) | |||
Proclamation de 1983 modifiant la Constitution | Protection des droits ancestraux dans la Constitution et convocation d'un conférence constitutionnelle | ||||||
Loi constitutionnelle de 1985 | Modification de la formule pour déterminer la distribution des sièges à la Chambre des communes | Modification abrogée en 2011 | |||||
Modification constitutionnelle de 1987 (Loi sur Terre-Neuve) | Application du droit à l'éducation religieuse à l'église pentecôtiste à Terre-Neuve | Modification abrogée en 1998. | |||||
Proclamation de 1993 modifiant la Constitution (Loi sur le Nouveau-Brunswick) | Ajout de l'article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés qui proclame l'égalité des deux communautés linguistiques du Nouveau-Brunswick (francophone et anglophone). L'article leur garantie des institutions d'enseignements et culturelles distinctes. | ||||||
Modification constitutionnelle de 1994 (Île-du-Prince-Édouard) | Autorisation de construire le Pont de la Confédération pour remplacer les services de traversier vers l'Île-du-Prince-Édouard. | ||||||
Modification constitutionnelle de 1997 (Québec) | Autorisation au Québec d'instaurer une organisation des écoles primaires et secondaires sur une base linguistique plutôt que religieuse. La modification a permis l'adoption de la Loi 118. | ||||||
Modification constitutionnelle de 1997 (Loi de Terre‑Neuve) | Autorisation à Terre-Neuve de remplacer l'éducation confessionnelle par un système scolaire laïc. | ||||||
Modification constitutionnelle de 1998 (Terre‑Neuve) | Abolition du système scolaire confessionnel à Terre-Neuve, quant aux cours de religions. | ||||||
Loi constitutionnelle de 1999 (Nunavut) | Permit au nouveau territoire du Nunavut d'être représenté au Sénat du Canada. | ||||||
Modification constitutionnelle de 2001 (Terre-Neuve-et-Labrador) | Changement du nom de Terre-Neuve pour Terre-Neuve-et-Labrador | ||||||
Loi sur la représentation équitable | Modification des règles de révision du nombre de députés et de la représentation des provinces à la Chambre des communes | Modification abrogée en 2022 | |||||
Modification constitutionnelle de 2022 (Loi sur la Saskatchewan) | Abrogation rétroactive d'une exemption fiscale profitant au Chemin de fer Canadien Pacific prévue à l'article 24 de la Loi sur la Saskatchewan | ||||||
Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français | Insertion des articles 90Q.1 et 90Q.2 dans la Loi constitutionnelle de 1867 | ||||||
Loi sur le maintien de la représentation des provinces à la Chambre des communes | Modification des règles de révision du nombre de députés et de la représentation des provinces à la Chambre des communes |
Tentatives de modifications avortées
Après 1982, deux tentatives majeures de modifier la Constitution ont échoué : l'accord du lac Meech (1987-1990) et l'accord de Charlottetown (1992).
Le Québec n'ayant pas signé la Loi constitutionnelle de 1982, l'accord du lac Meech visait à apporter des modifications à la Constitution afin d'obtenir l'accord du Québec à la Loi de 1982. Élaboré en 1987, l'accord prévoyait cinq modifications : la reconnaissance du Québec comme une société distincte, de plus grands pouvoirs au Québec sur l'immigration, la limitation du pouvoir fédéral de dépenser, l'octroi d'un droit de veto au Québec pour les modifications constitutionnelles et une participation à la nomination des juges québécois à la Cour suprême[19]. Plusieurs de ces modifications nécessitaient l'accord unanime des provinces et du Parlement fédéral[20]. Le Manitoba et Terre-Neuve n'ayant pas adopté l'accord à l'intérieur du délai de 3 ans prévu à la formule de modification, l'accord du lac Meech n'est jamais entré en vigueur[21].
Il en a été de même pour l'accord de Charlottetown. Cet accord, conclu en 1992 à la suite d'intenses négociations constitutionnelles, comprenait une révision majeure de la Constitution canadienne[22]. On y trouvait notamment une plus grande autonomie pour les peuples autochtones, quelques mesures de décentralisation de la fédération, une réforme du Sénat et du processus de nomination des juges à la Cour suprême, etc.[22]. Cet accord a été rejeté par référendum par 54 % de la population.
Finalement, quelques autres modifications constitutionnelles ont été tentées sans succès par des députés ou des gouvernements. Elles visaient à ajouter la protection du droit à la propriété dans la Constitution[23], reformer le Sénat, reconnaître des droits au fœtus ou retirer la référence à Dieu dans la Loi constitutionnelle de 1982. Aucune d'entre elles n'a abouti.
Notes et références
Notes
- Dans certaines situations, non seulement les assemblées doivent donner leur accord, mais la majorité des membres de ses assemblées doivent être en faveur. Bref, les absents comptent (Brun, Tremblay et Brouillet 2008, p. 234-235).
Lois
- Loi constitutionnelle de 1982, art. 41.
- Loi constitutionnelle de 1871 [lire en ligne (page consultée le 4 novembre 2012)].
- Loi constitutionnelle de 1940 [lire en ligne (page consultée le 4 novembre 2012)].
- Loi no 2 de 1949 sur l'Amérique du Nord britannique [lire en ligne (page consultée le 4 novembre 2012)].
- Proclamation de 1983 modifiant la Constitution [lire en ligne (page consultée le 4 novembre 2012)] ayant ajouté l'article 16.1 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Références
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- Brun, Tremblay et Brouillet 2008, p. 234.
- Pelletier 1996, p. 77.
- Beaudoin et Thibault 2004, p. 301.
- Beaudoin et Thibault 2004, p. 302.
- Beaudoin et Thibault 2004, p. 302-303.
- Brun, Tremblay et Brouillet 2008, p. 230.
- Cour suprême du Canada, Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, (lire en ligne), paragr. 90.
- Beaudoin et Thibault 2004, p. 305.
- Beaudoin et Thibault 2004, p. 271-272.
- Canada. « Loi concernant les modifications constitutionnelles », L.C. 1993, chap. 1 [lire en ligne (page consultée le 15 juin 2012)].
- Benoît Pelletier, « Pour une Chambre des provinces », La Presse, (lire en ligne, consulté le ).
- Duplé 2011, p. 623.
- Tremblay 2000, p. 34.
- Beaudoin et Thibault 2004, p. 656.
- Duplé 2011, p. 623-624.
- Brun, Tremblay et Brouillet 2008, p. 852.
- Brun, Tremblay et Brouillet 2008, p. 136.
- Beaudoin et Thibault 2004, p. 309.
- Brun, Tremblay et Brouillet 2008, p. 245.
- Beaudoin et Thibault 2004, p. 309-310.
- Beaudoin et Thibault 2004, p. 312.
- David Johansen, « Le droit à la propriété et la Constitution », Gouvernement du Canada, (consulté le ).
Bibliographie
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- Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, , 5e éd., 1548 p. (OCLC 233522214).
- Nicole Duplé, Droit constitutionnel : principes fondamentaux, Montréal, Wilson & Lafleur, , 5e éd., 772 p. (OCLC 726556952, lire en ligne).
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- James Ross Hurley, La modification de la constitution du Canada : historique, processus, problèmes et perspectives d'avenir, Ottawa, Groupe Communication Canada, , 319 p. (OCLC 35945497).
- (en) Paul-Gérin Lajoie, Constitutional Amendment in Canada, Toronto, University of Toronto Press, .
- Benoît Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada, Scarborough, Carswell, , 519 p.
- André Tremblay, Droit constitutionnel : Principes, Montréal, Les éditions Thémis, , 2e éd., 507 p. (OCLC 237390990, présentation en ligne).
- Guy Tremblay, « La Cour suprême de l'amendement constitutionnel », Cahiers de droit, vol. 31, , p. 31.
Articles connexes
- Constitution du Canada
- Tentatives de modification de la Constitution du Canada
- Débat constitutionnel au Canada
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