Moloch
Moloch ou Molech est une divinité dont le culte était pratiqué dans la région de Canaan selon la tradition biblique. Il apparaît dans un contexte lié à des sacrifices d'enfants par le feu.
Pour les articles homonymes, voir Moloch (homonymie).
Occurrences
Dans la Bible
Le nom est écrit מֹלֶך (mōlek) dans le texte massorétique de la Bible hébraïque et Μολὸχ (molokh) dans la Septante grecque. Le nom « Molech » figure neuf fois dans le texte massorétique : cinq fois dans le Lévitique[1], deux fois dans le livre des Rois[2], une fois dans le livre de Jérémie[3] et une fois dans le livre de Sophonie [So 1,5]. L'étymologie du nom se rattache à la racine ouest-sémitique mlk qui signifie « régner, être roi ». Les textes en araméen ne sont pas vocalisés, et le mot מלך, réduit aux consonnes mlk peut signifier « le roi », en hébreu melek. Seul le rétablissement des voyelles permet de faire la différence. On a proposé que le terme Molech serait une variante de « roi », appellation honorifique pouvant s’adresser à des divinités différentes. Sa vocalisation mōlek dans le texte massorétique peut correspondre au participe d'une forme verbale qal (qotel) ou résulter de l'utilisation des voyelles du mot bōšet (« honte »), une déformation délibérée de melek « roi » dans une visée polémique[4].
Culte
Dans la Bible, le culte de Moloch est lié à des sacrifices d'enfants par le feu. Le livre du Lévitique condamne fermement cette pratique [Lv 18:21]. Pour la Bible, ce culte est une pratique cananéenne. Les parallèles avec d'autres cultes de la zone syro-palestinienne semblent indiquer que Moloch est à l'origine une divinité liée au monde souterrain, au monde des morts. Il est possible qu'un tel culte ait existé à proximité de Jérusalem à l'âge du fer, dans la vallée de Hinnom, dans un lieu appelé Tophet. Les rois Achaz[5] et Manassé[6] sont accusés d'avoir sacrifié leurs enfants à Molech. Le roi Josias est réputé avoir fait disparaitre ce culte. Des chercheurs proposent de voir dans ce culte un lien avec la loi du rachat des premiers-nés (Exode 13). Dans la Bible, la formule standard décrivant le culte de Molech parle cependant « des fils et des filles » qui sont « passés par le feu »[7], ce qui rend peu probable le lien avec le rachat des premiers nés mâles. Il peut aussi s'agir d'un culte apotropaïque en temps de guerre. Cette hypothèse se base sur les témoignages des auteurs antiques, de Sophocle au Ve siècle av. J.-C. à Dracontius au Ve siècle qui parlent des sacrifices humains pratiqués par les Carthaginois[4].
Dans les régions du Proche-Orient ancien voisines d'Israël, des textes suggèrent l’existence de divinités chtoniennes basées sur la racine mlk, appelées Malik ou Milku. Leurs cultes semblent liés à des rites funéraires. Il peut s'agir d'un culte des ancêtres, peut-être du roi, compte tenu de la signification de la racine mlk. À Mari, des êtres appelés maliku reçoivent des offrandes funéraires. Des listes en akkadien font correspondre une divinité appelée malik à la divinité mésopotamienne des Enfers Nergal. À Ougarit, des êtres appelés mlkm sont liés au culte royal des défunts. Le nom Molech est aussi à rapprocher de la divinité phénicienne Melkart (« le roi de la cité ») et du dieu des Ammonites Milkom[4].
Certains chercheurs établissent un lien entre Moloch et le dieu des Israélites Yahweh. Pour Klaas A.D. Smelik, Moloch est une invention de la période perse pour masquer le fait que le culte de Yahweh pratiqué dans le royaume de Juda ait pu inclure des sacrifices d'enfants[8]. Selon Thomas Römer, derrière « Moloch », « interprétation tendancieuse » effectuée lors de la vocalisation du texte hébraïque entre le IVe et le Ve siècle, se cache le vocable « Melek », c’est-à-dire « le roi », une désignation de Yahvé. Il est en effet possible que l'on ait sacrifié des enfants à Yahvé, ces sacrifices étant par la suite attribués à Moloch. Cette pratique disparaît à partir du VIe – Ve siècle av. J.-C. et ce tournant trouve son illustration dans le récit du sacrifice d'Isaac[9]. Cependant, il existe des arguments qui militent contre l'identification de Moloch à Yahweh. John Day souligne que le culte de Moloch tel qu'il est décrit dans la Bible ne se déroule pas dans le Temple de Yahweh sur le mont Sion, mais en dehors de Jérusalem, dans la vallée du Hinnom. De plus, Moloch est une divinité liée au monde souterrain, ce qui n'est pas le cas de Yahweh[10].
Parallèles avec le monde punique
Moloch est généralement compris comme le nom d'une divinité. Cependant l’existence d’un dieu spécifique nommé Moloch a été mise en doute par des découvertes archéologiques, qui jettent un autre sens sur la lecture de araméen . Il n'y a à ce jour aucune inscription faisant mention de ce dieu. Porphyre de Tyr signale que Théophraste avait comparé le sacrifice de la Lykaia arcadienne avec les sacrifices carthaginois au dieu Moloch. Une interprétation différente a été proposée par l’archéologue Otto Eissfeldt (en) en 1935. Il voit dans le terme moloch non pas un nom divin mais un terme technique punique désignant un type de sacrifice d'enfant. En 1921, Eissfeldt a découvert sur le site archéologique de Carthage une nécropole contenant des restes d’animaux et de jeunes enfants, utilisée du VIIIe siècle av. J.-C. à 146 av. J.-C.. Des stèles portent l'inscription mlk qu'il n'interprète ni comme roi, ni comme le nom d’un dieu mais qui lui ont suggéré l’idée que moloch pourrait être le nom du sacrifice par le feu et non celui d’un dieu. Dans cette éventualité, le mot molk serait un mot sémitique désignant un sacrifice humain, dont la victime est parfois remplacée par un animal[11]. Là où la Bible lit « pour faire passer leurs fils et leurs filles par le feu à Moloch »[12], il faudrait plutôt lire « pour faire passer leurs fils et leurs filles par le feu de molk », le feu « du sacrifice ». Des enceintes sacrificielles, appelées tophets selon la terminologie biblique, ont été découvertes en Sicile, en Sardaigne et en Afrique du Nord. Elles contenaient des restes d'enfants et de petits animaux. Les auteurs classiques indiquent que des sacrifices humains d'enfants étaient pratiqués en Phénicie et à Carthage en temps de guerre. Cependant, la question de la réalité des sacrifices d'enfants dans la civilisation carthaginoise reste débattue, et il n'existe pas de preuve archéologiques que des sacrifices d'enfants aient été pratiqués en Phénicie. Le témoignage des auteurs antiques peut témoigner d'une volonté polémique pour dénigrer la Phénicie, la patrie d'origine des Carthaginois[4].
Postérité
Dans la littérature rabbinique du Moyen Âge, on peut lire que Moloch, dieu des Ammonites, recevait les sacrifices d’enfants dans un lieu nommé Tophet dans la vallée de Hinnom proche de Jérusalem. Le Tophet est décrit par Rachi comme une statue de bronze avec les bras tendus pour recevoir ses victimes dont des tambours couvraient les cris (commentaire de Rachi sur Jérémie 7.31). Le recueil Yalkouth Chimoni précise qu’elle était creuse et divisée en sept compartiments destinés chacun à une offrande différente : farine, tourterelles, brebis, béliers, veaux, bœufs, enfants ; les sept offrandes devaient brûler ensemble. Les noms de Tophet et Himmon sont parfois interprétés comme dérivant respectivement de tambour et vacarme en hébreu. Des commentateurs ultérieurs du Tanakh ont fait l’association avec les sacrifices d’enfants offerts à Carthage selon Diodore de Sicile et Plutarque, associant Moloch avec Ba'al Hammon et Tanit, dieux de la colonie phénicienne. Gustave Flaubert, avec son roman Salammbô, puis Jacques Martin, avec la série Alix ont également beaucoup contribué à l’association historiquement erronée de Moloch avec Carthage.
Son image dans la Bible explique que dans la démonologie chrétienne Moloch soit devenu le démon qui tire sa joie des pleurs des mères à qui il vole leurs enfants. Prince de l'Enfer, son pouvoir serait, d’après les démonologues du XVIe siècle, à son apogée en décembre.
Dans la tradition kabbalistique, Moloch et Satan sont les premiers des deux sephiroth mauvais. Moloch représente l'aspect négatif du premier sephiroth, Kether (couronne de connaissance)[réf. nécessaire].
Dans la culture populaire
Littérature
- Gustave Flaubert fait une description d'une cérémonie sacrificielle à Moloch dans le chapitre XIII de son roman Salammbô (1862).
- Dans le recueil Les Derniers Contes de Canterbury, Jean Ray décrit, dans le récit Je cherche Herr Hazenfraz ! une femme obsédée par Baal-Moloch, et qui lui sacrifie par les flammes des victimes afin d'observer sur leurs visages le mythique « rire sardonien » ou « rire sardonique »[13].
- Dans la seconde partie du poème Howl d'Allen Ginsberg, Moloch est répété dans la plupart des phrases et semble représenter tout le négatif de la civilisation.
- Moloch est une nouvelle de J. M. G. Le Clézio, publiée pour la première fois en 1982 dans le recueil La Ronde et autres faits divers.
- Dans le roman Le Miroir de Cassandre de Bernard Werber, Moloch est un énorme incinérateur tombé en désuétude à cause des fumées qu'il émettait.
Bande dessinée
- Dans la bande dessinée Un grand silence frisé (1978), tome quatre du Génie des alpages de F'murr, Romuald projette de « civiliser » les brebis — lire : « exorciser [ses] problèmes personnels » — en les sacrifiant à Moloch[14].
- Dans la bande dessinée Alix de Jacques Martin : Le Tombeau étrusque et La Conjuration de Baal.
- Dans le comic Watchmen, scénarisé par Alan Moore, Moloch le Mystique est un ennemi de l'association de super-héros Minutemen puis des Watchmen. Il apparaît également dans la série de comics Before Watchmen.
- Dans la bande dessinée Le Cri du Moloch de la série Blake et Mortimer, le Moloch est le nom donné à l'alien humanoïde par les scientifiques qui le retiennent dans un ancien cargo transformé en laboratoire secret.
- Dans le manga Dragon Ball Super, le personnage Moro ( Molo en version originale ) est inspiré de Moloch.
Cinéma
- Dans l'acte I (Auftakt) du film Metropolis, réalisé en 1927 par Fritz Lang, une machine se transforme en une divinité monstrueuse, appelée Moloch, à laquelle les travailleurs infortunés sont sacrifiés[15].
- Dans le film Cabiria, premier grand péplum (1914), de Giovanni Pastrone, les carthaginois sacrifient des enfants précipités dans le torse-brasier de la statue ailée du dieu.
- Dans le film Un amour de sorcière, Moloch est interprété par Jean Reno.
Télévision
- Dans la série Sleepy Hollow, Moloch fait partie de l'intrigue et est l'ennemi principal des saisons 1 et 2. Il est représenté comme le dirigeant du Purgatoire et le leader des Quatre Cavaliers de l'Apocalypse.
- Dans la série Buffy contre les vampires, Moloch est l'antagoniste de l'épisode 8 de la saison 1.
- Dans le documentaire Dark Secrets Inside Bohemian Grove d'Alex Jones, on y voit un rituel de crémation d'un faux enfant destiné à Moloch.
- Dans la série Les Rivières pourpres, Moloch est une divinité adorée par une secte protagoniste des deux premiers épisodes de la première saison.
- Moloch est également le titre donné à une mini-série télévisée d'Arte.
- Dans la série télévisée Dirk Gently, un des cobayes de Black Wing est appelé "Projet Moloch".
Jeux vidéo
- Dans la série de jeux vidéo Mortal Kombat, Moloch est le sous-boss de Mortal Kombat: Deadly Alliance, puis devient un personnage jouable dans Mortal Kombat: Armageddon.
- Dans Kingdom rush, Moloch est le boss du niveau Pandaemonium
- Dans la série de jeux vidéo Golden Sun, Moloch est une invocation décrite comme "monstre sacré des glaces".
- Moloch apparaît en tant que boss dans le jeu Digital Devil Story: Megami Tensei II. Il apparaîtra ensuite régulièrement comme démon pouvant être recruté dans son équipe, où comme persona, dans les jeux de la série Shin Megami Tensei Et de la sous-série Shin Megami Tensei: Persona
Jeux de plateau
- Le jeu de plateau avec figurines ‘’The World of SMOG: Rise of Moloch, édité par CMON, met en scène des aventuriers de l’époque victorienne qui vont tout faire pour s’opposer à l’avènement de Moloch.
Notes et références
- Lévitique 18,21, Lévitique 20,2-5
- 1 Rois 11,7, 2 Rois 23,10
- Jérémie 32,35
- Heider 1999
- 2 Rois 16,3
- 2 Rois 21,6
- 2 Rois 17,17, 2 Rois 23,10
- Klaas A.D. Smelik, « Moloch, Molekh or molk‐sacrifice ? : A reassessment of the evidence concerning the Hebrew term Molekh », Scandinavian Journal of the Old Testament, vol. 9,
- La filature d’un théologien suisse pour connaître l’origine de Dieu, entretien Thomas Römer, letemps.ch, 27 mars 2014
- (en) John Day, Yahweh and the Gods and Goddesses of Canaan, Sheffield Academic Press, coll. « Journal for the Study of the Old Testament » (no 265), , 290 p. (ISBN 978-0-8264-6830-7, lire en ligne) p. 209-216
- (en) Brown, S. (1991), Late Carthaginian Child Sacrifice and Sacrificial Monuments in Their Mediterranean Context, The American Schools of Oriental Research
- Jérémie 32.35, voir aussi Lev 18:21; 20:2-5; 2Roi 23:10
- Jacques VAN HERP, « Les Derniers contes de Canterbury, par Jean Ray » (consulté le ).
- Un grand silence frisé (BNF 34615612) p. 34
- Metropolis (BNF 12207489), à 15 min.
Bibliographie
Voir aussi
- Portail de la Bible
- Portail Israël antique et Juifs dans l’Antiquité
- Portail de la mythologie
- Portail sur la mort