Nid d'hirondelle

Le nid dit d'hirondelle, apprécié des gastronomes en Asie, n'est en fait pas produit par des hirondelles, mais par quelques espèces et sous-espèces de martinets qui sécrètent un mucus mucilagineux, comestible, pour construire leur nid.

Soupe aux nids d'hirondelle servie dans un bol typique.

Ce mucus est recherché comme produit de luxe par la cuisine traditionnelle chinoise, vietnamienne et de nombreux pays d'Asie du Sud-Est, mais on lui attribue aussi nombreuses vertus pour la santé.

Une seule espèce de martinet construit un nid entièrement comestible. Ces nids sont blanchâtres et translucides, parfois teintés de jaune, avec un aspect qui évoque un peu les galettes de riz. La plupart des autres espèces fabriquent des nids qui ne sont que partiellement comestibles. Dans ce dernier cas, on n'en utilise que la partie poreuse et transparente constituée de mucus séché.

Sa rareté et l'effort nécessaire à la récolte de ce produit en ont fait un mets particulièrement apprécié. Il a longtemps été uniquement récolté dans les cavités de falaises abruptes et souvent en altitude, ou dans de vastes grottes reculées dans la jungle.

Histoire

Ce mets coûteux et délicat était autrefois réservé aux rois et aux mandarins. Les nids étaient importés du Sarawak (est de la Malaisie) par la dynastie Tang (618907). Leur popularité augmentant dès les années 970, la dynastie Song est allée les chercher dans tout l'archipel d'Indonésie, et sous le règne de la dynastie Ming (13681644), la Chine en a aussi fait venir de Malaisie, de Thaïlande et du Viêt Nam.

Vu l’épaisseur de guano trouvée dans certaines grottes, on peut penser que ces martinets ont été autrefois très nombreux (à La Réunion, on trouve des colonies atteignant dix mille individus). Des récoltes trop intensives ont probablement fait assez précocement reculer les espèces produisant ces nids en Chine du Sud et dans certaines grottes des autres pays d'Asie du Sud-Est.

Les empereurs chinois qui pensaient qu’ils conserveraient longtemps leur jeunesse grâce aux vertus des nids ont envoyé des émissaires pour en récolter ou en acheter jusqu’en Indonésie, Inde, Philippines et Thaïlande. En Indonésie, où la minorité chinoise est encore très impliquée dans le négoce des nids, c’était un mets consommé par les rois et les édiles depuis 1720 au moins, et le prix en reste encore très élevé.

Récolte avant les années 1990

Sur les côtes de la mer d'Andaman, en Thaïlande, des hommes côtoient la mort chaque jour dans la touffeur moite de grottes aussi vastes que des cathédrales pour que, à Hong Kong, Singapour ou New York, des clients puissent consommer ce mets.

À l'aide d'une perche munie d'un crochet métallique, les dénicheurs s'élèvent vers l'entrée en surplomb des grottes, au sud de la Thaïlande. Pour rallier les divers sites de cueillette, les ramasseurs, qui sont aussi le plus souvent pêcheurs, utilisent leur bateau car la végétation rend les déplacements difficiles. Ils examinent la structure des bambous qu'ils vont escalader. De leur solidité et de la façon dont ceux-ci sont liés dépend la sécurité des dénicheurs. Malgré leur agilité de funambule et de leur connaissance des lieux, il n'est pas rare que l'un d'eux trouve la mort.

Chaque cueilleur utilise trois torches constituées d'écorces trempées dans de la résine et enveloppées de feuilles d'arbre, qu'il tient entre les dents pour s'éclairer. Quand la troisième est à moitié brûlée, c'est signe qu'il faut redescendre.

Les zones d'implantation de la salangane à nid blanc (Aerodramus fuciphagus) et de la salangane à nid noir (Aerodramus maximus) s'étendent sur des centaines de milliers de km².

Ceinte d'une banderole rouge, une stalactite est vénérée sous le nom de To Limao, le dieu charme de la caverne du Tigre. Au début de chaque campagne, les dénicheurs viennent y déposer petits drapeaux, encens ou friandises afin d'obtenir sa protection. Aucun ne faillit au rite.

Les dénicheurs ont des armes de guerre pour s'opposer à la cueillette sauvage des braconniers[1].

Dans la partie malaisienne de l'île de Bornéo, dans la fameuse Grande grotte de Niah, les Punans (ou Penans) grimpent à des poteaux de bambous réunis en faisceaux jusqu'à des hauteurs de 50 mètres pour récolter des nids d'hirondelle. Ils se servent d'une longue perche à laquelle ils fixent un couteau pour détacher les nids et une bougie pour les éclairer. Cette méthode est périlleuse et il arrive de temps à autre que l'un des dénicheurs tombe et se tue.

Dans d'autres grottes, les nids sont accessibles du sol avec une simple gaule et la récolte est donc sans danger[2].

Préparation

Par un trempage dans de l'eau tiède, le cuisinier doit retirer les plumes et impuretés du nid, puis le cuire longtemps (jusqu’à trois heures) dans l’eau bouillante. Le nid se délite alors en des milliers de fibres blanches d'une substance mucilagineuse qui est récupérée pour composer divers plats, par exemple des soupes ou des plats accompagnant un pigeon ou une poule cuite au bain-marie. Préparé avec des haricots ou des noix de lotus, le nid d'hirondelle donne une compote très appréciée en Asie.

En Indonésie

Célèbres grottes préhistoriques de Niah où l'on récolte des nids d'hirondelle de la salangane à nid noir Aerodramus maximus, île de Bornéo, Malaisie

De nombreuses espèces d'apodidae fréquentent les grottes de la planète, mais seules quelques espèces produisent des nids assez riches en « salive » pour être commercialisés.

Les nids de quatre espèces sont les plus convoités en Indonésie, pays qui fournit 70 % de la production mondiale.

Les nids clairs ou « nids blancs » sont les plus recherchés. Les « hirondelles » qui les produisent sont les plus nombreuses à Bornéo.

On collecte les nids des martinets suivants :

  • Aerodramus fuciphagus (« walet sarang putih » en Indonésien ou « yen-ou » en chinois) ; oiseau brun pâle, plus clair sur le dessous, aux bec et pattes généralement noirs, mesurant 12 cm de long et 25 d’envergure, qui produit le nid blanc, le plus réputé. C’est la seule espèce qui produit un nid entièrement consommable (parfois quelques plumes sont mélangées à la salive).
  • Aerodramus maximus (« walet sarang hitam » en Indonésien, ou « maoyen » en chinois), oiseau plus foncé, aux plumes grises vers la queue et le bas du dos, qui produit un nid dit « noir » (maoyan pour les chinois) fabriqué avec un mélange de salive et de plumes qui nécessite d'être soigneusement nettoyé avant d'être cuit, dans des cavernes réputées plus humides et plus froides.
  • Collocalia esculenta (« seriti » en indonésien), et Aerodramus vanikorensis (« seriti lumut » en indonésien), aux plumes noires (sauf sur le ventre qui est blanc). À noter que les nids d'hirondelle dits "noirs" de la salangane soyeuse collocalia esculenta, constitués de salive mais aussi de nombreuses plumes incorporées et de beaucoup de mousse et d'autres substances végétales, ont longtemps été considérés comme pratiquement inutilisables commercialement, au moins jusqu'à la fin des années 1970[3]. Ces martinets mesurent 10 cm de long pour une envergure de 20 cm. Ce sont des oiseaux qui recherchent moins l’obscurité et la tranquillité que les précédents. Certaines populations de ces martinets ne craignent pas la proximité humaine, nichant volontiers dans les maisons, marchés, mosquées, écoles, etc mais on le trouve également dans certaines grottes et cavernes.
  • Les espèces du genre Collocalia possèdent de nombreuses sous-espèces, dont les nids peuvent être utilisés.

Au Viêt Nam

On recherche les nids des martinets suivants :

  • Aerodramus fuciphagus (« salangane » pour les vietnamiens, « walet » en indonésien, dite « hirondelle à plumes d'or » en chinois). Cet oiseau produit annuellement un petit nid léger (d’une dizaine de grammes) dans les grottes surtout situées autour de la mer du Centre (de Bình Định à Khanh Hoa) ou sur des îlots isolés.

La salangane construit son nid à l'approche de la fête du Têt. Il lui faut trois mois environ pour le terminer. Les chasseurs de nids les récoltent alors, forçant le martinet à reconstruire un second nid avant la ponte. Dès que les oisillons ont suffisamment grandi, les chasseurs reviennent cueillir le nid. Le martinet peut alors rebâtir un troisième et dernier nid pour l’année. Selon les récolteurs, cela n'affecte pas les populations, mais selon les ornithologues, les récoltes intensives sont une menace pour ces espèces qui s'épuisent à sans cesse reconstruire leur nid. Dans d'autres pays, il est interdit de détruire les nids d'hirondelles et de martinets, oiseaux insectivores considérés comme particulièrement importants pour les équilibres écologiques, et utiles, par exemple, pour la lutte contre les moustiques (vecteurs de nombreuses maladies graves) .

Vertus supposées

En Chine et en Asie du Sud-Est, ces nids sont traditionnellement réputés être un bon fortifiant, repousser la vieillesse, faciliter la digestion, accélérer la convalescence (des malades, des blessés et des opérés). Et ils auraient encore bien d’autres vertus pour la santé. Le nid d'hirondelle occupe une place de choix dans la pharmacopée chinoise traditionnelle.

Manger ces nids sous forme de soupe ou de compote ou sous forme de médecines traditionnelles est censé améliorer le métabolisme, augmenter l’énergie, faire tomber la fièvre et fluidifier la circulation sanguine. Les nids d’hirondelle seraient bons pour la peau et les poumons, la beauté du visage, et ils soigneraient la grippe, la toux, l’asthme, les maux de gorge, notamment chez les fumeurs. La tradition les recommande aux femmes enceintes pour que le bébé ait une belle peau et des os solides. Selon certains producteurs, leur consommation freinerait ou bloquerait même la croissance de cellules cancéreuses.

  • Sous d’autre formes (dans de l’alcool, en jus, etc.), ils pouvaient dit-on soigner certaines affections oculaires. Selon les légendes du kung-fu, des pratiquants les auraient utilisés dans diverses potions, pour notamment soigner leurs blessures.
  • Consommer des nids est, en Indonésie, réputé contribuer à rafraîchir le corps humain quand il fait très chaud, ou en cas de fièvre. Cet effet pourrait être lié aux glycoprotéines qui composent l’essentiel de la matière sèche du nid (jusqu’à 50 %). Le mucus séché et filé par ces martinets est une incontestable source d’acides aminés. Certains y voient des molécules actives (un producteur de nid cite l'azitothymidine (AZT) utilisé depuis la fin des années 1980 contre le sida) et l’ODA (acide 9-octadécéonique) ainsi que l’HAD (acide hexadécane) qui à faible dose doperait (de trois à cinq fois) l’activité enzymatique de l’organisme, en accélérant le cycle de Krebs[4].

Biochimie

Peu d'études semblent avoir concerné ce biopolymère complexe, riche en protéines et a priori différent des salives et mucus habituellement produits par les glandes des oiseaux ou d'autres animaux (glandes salivaires ou autres).

Cette substance semble unique dans le règne des oiseaux. Peut-être ses vertus ne sont-elles attribuables qu'à des superstitions, ou que sa valeur résulte de sa rareté, mais il pourrait être intéressant d’étudier d’éventuelles propriétés notamment antibiotiques et virucides de ces nids. On ne peut en effet exclure que la sélection naturelle ait pu favoriser des martinets disposant d’un moyen efficace de mieux protéger leurs petits des pathogènes infectant habituellement les oiseaux. Cette matière semble par exemple dans les grottes humides bien résister aux moisissures et aux bactéries présentes dans les fientes des oisillons. Par ailleurs, on connaît d'autres propriétés antibiotiques ou enzymatiques étonnantes des salives et mucus chez d'autres espèces animales, avec des molécules agissant à très faible doses (dont la ptyaline (ou amylase) qui nous permet de digérer l'amidon). Les uns arguent qu'il serait étonnant que les substances actives — si elles existent — résisteraient à une préparation qui ébouillante le nid durant trois heures. D'autres répondent qu'on connaît pourtant des protéines qui conservent des propriétés complexes à des températures élevées durant de longues heures (prion pathogène par exemple). Le bénéfice pour la santé, s'il existe, viendrait-il des algues ou plantes que certains martinets agglomèrent à leur salive ?

  • Du point de vue médical, il faut attendre encore que la recherche confirme ou infirme les vertus qu'on prête au nids d'hirondelles.
  • Du point de vue gustatif, les gastronomes notent que le nid seul, ébouillanté, n'a aucun goût, et que c'est l'accompagnement ou les ingrédients ajoutés dans la soupe qui font tout. Il est possible que le mucus fixe d'une manière particulière certains arômes. Une autre hypothèse serait que la haute valeur de ce mets vienne simplement de sa rareté associée à une absence de goût, comble de l'inutile que seuls les riches et les puissants pourraient se payer.

Hygiène et sécurité

Les nids d'hirondelle comestibles ne peuvent être importés que dans certains pays et parfois à certaines conditions.

Par exemple, au Canada, le producteur doit fournir la preuve que le nid a subi un traitement par la chaleur à « au moins 100 °C pendant au moins 1 heure ». « Tout autre traitement nécessitera un permis d'importation et une évaluation au cas par cas par l'administration centrale de l'ACIA ». Le certificat doit également contenir les déclarations suivantes :

  1. une description complète de l'envoi, y compris les marques d'expédition appropriées et le numéro du conteneur maritime (le cas échéant) ;
  2. tous les nids d'hirondelle de l'envoi ont été inspectés et trouvés exempts de saleté sur toutes les surfaces visibles, de matières fécales, d'ectoparasites, et de plumes. Une inspection visuelle est requise ; « l'inspecteur doit s'assurer que les nids d'hirondelle sont propres. Il doit refuser l'entrée des envois sales ».

Poids économique

Un kilogramme de nids frais se vend à Hong Kong entre 3 000 et 5 000 dollars. Ailleurs, il a pu dépasser les 6 000 dollars. Dans les années 2000-2005, à Hanoi, un plat à base de nid d’hirondelle atteignait facilement les 500 000 dôngs. Il faut dépenser de 40 à 50 millions de dôngs (2 500 et 3 200 dollars) dans ce pays pour acheter un kilogramme de nids. L'Indonésie a quant à elle mis en place des taxes sur la collecte et l’utilisation de nids, dont le prix a chuté de 1 600 à 1 200 euros le kilogramme en 2006, en raison des craintes suscitées par la grippe aviaire, mais aussi à cause des nids mis sur le marché des nouvelles méthodes d’élevage extensif. Hong Kong serait le premier importateur de nids d'hirondelles (près de cent tonnes par an).

Élevage extensif

Dans certains pays, pour faire face à la régression des martinets (dont en Thaïlande et en Indonésie), depuis quelques dizaines d’années, des bâtiments spéciaux (bird-house ou maisons à hirondelles), parfois climatisés, sont construits de manière à y accueillir des centaines de martinets, dont les nids seront récoltés. L'espèce recherchée est Aerodramus fushipagus.

Il arrive également qu’on achète aussi de vieilles maisons uniquement pour y laisser les martinets construire des nids. Il suffit dit-on que les maisons soient très sombres et très humides, comme dans une grotte, pour que le martinet s’y installe, même en ville, en l’absence d’un environnement boisé ou naturel à proximité. Le martinet n’est pas chassé et est respecté dans la plupart des pays. En zone tropicale où la biomasse en insectes est très élevée, le nombre de nids produits dans une simple maison non habitée peut être élevé[5].

Il existe une Association des pays exportateurs de nids d'hirondelle.

Durabilité, soutenabilité de l’exploitation ?

En dépit des efforts des ornithologues et associations de protection de la nature, et malgré l’apparition de bâtiments de production, les compagnies qui exploitent ces nids de manière artisanale souvent, mais intensive, mettent en péril, au moins localement, certaines populations, dont la salangane au Viêt Nam.

Selon les producteurs, dans les années 2000, l’Indonésie produirait environ 70 % des nids vendus dans le monde (250 et 300 millions de dollars/an pour le pays).

Le Viêt Nam en cueillerait 2,5 t/an, surtout à Khanh Hoa et en ce lieu presque uniquement pour l'exportation.

Guano

Dans les grottes ou les « maisons d’oiseaux », le guano récolté peut aussi être récolté et vendu. Dans les grottes de Niah[6] au Sarawak, une seule grotte (60 m de haut et 250 m de large, où les archéologues ont découvert de très anciennes traces de présence humaine) produit à elle seule outre des nids d'hirondelle, une récolte d’environ 1 tonne de guano-fossile par jour, transportée à dos d’homme dans la jungle jusqu’à la route la plus proche par sacs de 50 kg.

Notes et références

  1. Géo N° 140, octobre 1990
  2. J. et K. MacKinnon (trad. Janine Cyrot), Les animaux d'Asie : Écologie de la région indo-malaise, Fernand Nathan, , 172 p., page 85
  3. J. et K. MacKinnon (trad. Janine Cyrot), Les animaux d'Asie : Écologie de la région indo-malaise, Fernand Nathan, , 172 p., page 84
  4. Source.
  5. Illustration.
  6. Source.

Articles connexes

Liens externes

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