Onguent armaire et poudre de sympathie
L'onguent armaire ou onguent des armes (du latin Unguentum Armarium) est une préparation médicinale, évoquée notamment par Paracelse qui, appliquée sur l'arme ayant causé une blessure, était censée la guérir à distance. Son efficacité fut l'objet d'une longue et importante polémique au XVIIe siècle, au cours de laquelle en apparut une variante, appelée Poudre de sympathie, à base de vitriol calciné, popularisée en France par l'Anglais Kenelm Digby.
Un pamphlet anonyme, paru à Londres en 1687 sous le titre Curious Enquiries, propose d'utiliser les propriétés à distance de la poudre de sympathie pour résoudre le problème des longitudes. Cette idée fournit un des arguments du roman L'île du jour d'avant d'Umberto Eco.
L'onguent armaire
Paracelse (1493/94-1541) parle de l'Unguentum Armarium dans plusieurs de ses ouvrages[1] : « Prenez de l' usnea, c'est-à-dire de la mousse qui se forme sur un crâne humain exposé à l'air, deux onces ; de la graisse humaine, tout autant, de la mummia [momie pulvérisée[2]], du sang humain, une demi-once ; de l'huile de lin, de la térébenthine, du bol d'Arménie [sorte d'argile]. Broyez bien au mortier. Plongez dans l'onguent l'arme qui a causé la blessure et laissez l'y. Que la malade lave tous les matins sa blessure avec sa propre urine, qu'il la bande sans rien y ajouter, et il sera guéri sans autre douleur[3] ». Selon Paracelse, l'arme pouvait à défaut être remplacé par un bâton mis en contact avec la plaie, et la guérison survenait en quelques jours, et jusqu'à une distance de 200 lieues entre le blessé et l'arme[4]
Avec la traduction en latin et la publication posthume des œuvres de Paracelse dans la seconde moitié du XVIe siècle (le « renouveau paracelsien »), s'éleva une polémique sur l'efficacité du procédé, à laquelle prirent part notamment Andreas Libavius[5], Jean-Baptiste Van Helmont, Ambroise Paré, Charles Sorel, Giambattista della Porta et Oswald Croll. L'utilisation et la composition précises de l'onguent variaient suivant les auteurs, certains y ajoutant de la graisse humaine, de la graisse d’ours ou du foie de sanglier[4]... Carlos Ziller-Camenietzki classe les protagonistes de cette controverse qui dura jusqu'au troisième quart du XVIIe siècle en quatre groupes : « d’un côté se dressaient ceux qui soutenaient la guérison par la force de la sympathie entre la blessure et l’onguent activé par ses composants primaires excités au contact du sang ; la guérison était pour eux naturelle et opérée par les forces occultes de la nature. De l’autre côté, les médecins et philosophes qui proposaient la guérison par l’action de l’esprit du monde stimulé par les forces vitales mises en mouvement par l’application de l’onguent. Finalement, ceux qui n’acceptaient pas la guérison par les vertus naturelles expliquaient l’action du médicament par l’intervention du démon qui opérait la guérison pour mieux approcher les âmes innocentes. Il est également important de souligner la présence d’un autre groupe engagé dans la dispute qui niait toute action du médicament dans la guérison[4] ».
À partir de 1640 apparut une préparation aux propriétés similaires, bien que la préparation en fût différente : la poudre de sympathie.
Notes et références
- Par exemple les Archidoxes magiques le De summis Naturae Mysteriis Libri Tres, Bâle, 1570 p. 127-129, cité par Halleux et Ziller-Camenietzki
- Pour Ziller-Camenietzki la mummia est « la chair ou le sang humain triturés »
- Traduit et cité par Robert Halleux, « Le procès d'inquisition du chimiste Jean-Baptiste Van Helmont (1578-1644) : les enjeux et les arguments », Comptes-rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 148e année, n° 2, 2004. p. 1059-1086.en ligne sur persée
- Carlos Ziller-Camenietzki, « La poudre de Madame : la trajectoire de la guérison magnétique des blessures en France », Dix-septième siècle, 2001-2, no 211, p. 285-305
- Andreas Libavius, Tractatus duo Physici, prior de impostoria vulnerum per unguentum armarium sanatione Paracelsiscis usitata commendataque. Posterior de cruentatione cadaverum in iusta caede facturum praesente, qui occidisse creditur, Francfort, 1594
Sources anciennes
- Kenelm Digby, Discours fait en une célèbre assemblée touchant la guérison des playes et la composition de la poudre de sympathie, Paris, Chez Augustin Courbé et Pierre Moet, 1658 (édition R. van Zyll, 1681 sur googlebooks)
- Theatrum Sympatheticum, In quo Sympathiae Actiones variae, singulares & admirandae tam Macro-quam Microcosmicae exhibentur... Opusculum luctu jucundum & utilissimum; Digbaei, Papinii, Helmontii... Editio altera, priori emendatior, Thomae Fantini, 1661
- [lire en ligne] Récréations mathématiques et physiques qui contiennent plusieurs problèmes, 1696, Jacques Ozanam, Faire de la poudre de sympathie, page 403.
- [lire en ligne] Traité de l'Opinion Gilbert-Charles Le Gendre (marquis du château de Saint-Aubin-sur-Loire ) : recette de l'inguent de sympathie, 1735, page 79.
Bibliographie
- Émile H. Van Heurck, L'onguent armaire et la poudre de sympathie dans la science et le folklore, J.- E. Buschmann, 1915
- Robert Amadou, La poudre de sympathie: un chapitre de la médecine magnétique, G. Nizet, 1953 témoignages de André Savoret)
- Lynn Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, vol. VII, 1958
- Allen Debus, « Robert Fludd and the use of Gilbert’s De Magnete in the weapon-salve controversy », Journal of the history of medicine and allied sciences, 21, 1966, p. 8-23.
- Carlos Ziller-Camenietzki, « La poudre de Madame : la trajectoire de la guérison magnétique des blessures en France », Dix-septième siècle, 2001-2, n° 211, p. 285-305 (pdf sur cain.info)
- Elizabeth Hedrick « Romancing the salve : Sir Kenelm Digby and the powder of sympathy », The British Journal for the History of Science, 2008, vol. 41 (2), p. 161-185
- Béatrice Fink, « De la poudre de sympathie et de ses effets surprenants » in Les discours de la sympathie - Enquête sur une notion de l'âge classique à la modernité, Presses de L'iniversité Laval, 2008
- Roberto Poma, L’unguentum armarium entre médecine magnétique et magie naturelle (1570-1650) cours de l'EHESS sur l'Histoire de la médecine et des savoirs scientifiques sur le corps
- Roberto Poma, Magie et guérison: la rationalité de la médecine magique, XVIe-XVIIe, L'Harmattan, 2009 [lire en ligne] revue
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