Origine des Étrusques
Comme dans le cas de beaucoup d'autres peuples, les avis des historiens, antiques et modernes, diffèrent à propos de l'origine des Étrusques, exogène (lydienne) ou autochtone (villanovienne), sans que l'une soit nécessairement exclusive de l'autre.
Le consensus actuel (2021) parmi les archéologues, ainsi que les études de paléogénétique, favorisent l'hypothèse d'un développement autochtone.
Hypothèse traditionnelles et récentes
Selon Jean-Paul Thuillier, dès l'Antiquité, les différentes traditions se réfèrent très majoritairement à une origine orientale anatolienne[1], mais « le caractère mythique, fantaisiste ou idéologique de ces théories antiques a conduit aujourd'hui les chercheurs à laisser quelque peu de côté la question des origines », le débat restant donc ouvert et « loin d'être clos »[2].
Hypothèse septentrionale
Selon une tradition, soutenue par Tite-Live, les Étrusques seraient venus du nord[3],[4]. Néanmoins cette thèse est rarement prise en compte par les historiens modernes[5]. Une autre hypothèse, émise en 1753 par Nicolas Fréret et reprise par Theodor Mommsen au siècle suivant, suggère que les Étrusques viendraient des Rhètes, qui sont basés dans les Alpes orientales et leur sont linguistiquement apparentés sur la base de quelques inscriptions. Cette thèse sans autre trace dans la tradition antique qu'une mention de Tite-Live[6] est largement rejetée, notamment par Dominique Briquel[7].
Hypothèse autochtone
Selon une autre tradition, soutenue par Denys d'Halicarnasse, ils seraient autochtones. Denys d'Halicarnasse mentionne au passage Hellanicos de Lesbos, pour qui les Étrusques auraient été des Pélasges[8].
Massimo Pallottino, fondateur de l'étruscologie moderne et reconnu comme l'un des plus grands étruscologues, établissait une distinction entre la « provenance » et la « formation ethnique ». Ainsi, il considérait que l'émergence de la civilisation étrusque ne pouvait pas résulter d'une seule migration, mais était le fruit d'un long processus de formation à partir d'apports multiples (à la fois autochtones villanoviens et exogènes, orientaux ou autres) : il soulignait que c'est le cas de la plupart des grandes civilisations : les Hittites, les Celtes, les Grecs, les Romains[9] et que le défaut des théories sur les origines des Étrusques provient « du fait qu'on s'était attelé à un problème concernant la provenance alors qu'il ne s'agissait que d'un problème de formation ethnique ». Pour Massimo Pallottino les Étrusques ont eu diverses origines et composantes qui dans le temps ont fini par constituer leur identité ethnique.
« Nous devons considérer le terme d'« Étrusque » comme un concept se rapportant à la nation qui s'est développée en Étrurie entre les VIIIe et Ve siècles av. J.-C. Nous pouvons discuter de la provenance de chacun de ses éléments mais le concept le plus approprié serait celui de sa formation. Le processus de formation de la nation ne peut avoir eu lieu sur le seul territoire des Étrusques, et nous sommes en mesure d'assister à la phase finale de ce processus. »
— Massimo Pallottino, Les Étrusques, p. 68-69, 1942.
Selon certains historiens actuels ayant repris la thèse de l'origine autochtone, les Étrusques seraient issus des Villanoviens (culture italique de l'âge du fer s'étendant de l'Italie du Nord à la Campanie) qui, fascinés par leurs contacts avec les Phéniciens au VIIe siècle av. J.-C. puis par les Grecs, en pleine période orientalisante, auraient développé une culture originale et très séduite par l'esthétique orientale. D'après eux, donc, la civilisation étrusque serait née des contacts des peuples autochtones avec les civilisations maritimes de la Méditerranée orientale, comme les civilisations contemporaines des Romains et des peuples de l'Africa. Ceci expliquerait la naissance soudaine de la civilisation étrusque entre les VIIIe et VIIe siècles av. J.-C. (la période dite « orientalisante » de la culture latiale), et les nombreuses affinités qu'on note dans les usages et coutumes, la langue, l'art et la religion des Étrusques avec le monde égéo-anatolien[10],[11].
Le consensus actuel (2021) parmi les archéologues favorise l'hypothèse d'un développement autochtone, hypothèse selon laquelle la population étrusque est originaire localement de personnes associées à la culture (proto-)villanovienne de la fin de l'âge du bronze vers 900 ans avant notre ère[12].
Hypothèse orientale
Selon Hérodote, ils auraient émigré de Lydie, en Asie Mineure, à cause d'une longue famine qui aurait poussé leur roi Atys à envoyer la moitié de son peuple à Smyrne, d'où ils se seraient embarqués pour l'Ombrie sous l'autorité de son fils Tyrrhénos[1],[13].
Virgile, affirme dans l'Énéide qu'Énée et ses compatriotes Troyens (d'Asie Mineure) auraient fondé Rome, mais qu'ils auraient été eux-mêmes descendants d'un certain Dardanos originaire de Cortone en Étrurie[1], bien que dans le Catalogue des Troyens Énée soit associé à Dardanus, ville d'Asie Mineure.
Les Grecs mentionnent un peuple des Tyrrhéniens ou Tyrséniens, établis anciennement en mer Égée, et principalement à Lemnos. On a en effet trouvé dans cette île une inscription et quelques graffitis dans une langue, appelée lemnien, qui paraît très proche de l'étrusque[14].
Certains historiens considèrent cette origine anatolienne comme un fait acquis. Bernard Sergent fait ainsi l'hypothèse que les Étrusques quittèrent la Troade à la fin du XIIIe siècle av. J.-C., la Troade ou Taruiša pour les Hittites était une région qui s'étendait vers l'est et vers le nord (Basse-Thrace) où elle prend parfois le nom de Teucrie. Il identifie les Étrusques parmi les peuples de la mer, dont certains étaient appelés Turša (Teresh) et Tjeker ou Tjekru par les Égyptiens. Il les situe plus tard en Crète (d'où le style crétois d'objets découverts dans le nord du Latium et le sud de l'Étrurie) et enfin en Italie centrale[15]. Les analyses récentes (depuis 1950) infirment cette démonstration par les échanges commerciaux ayant propagé ces objets[16].
Pour Robert Stephen Paul Beekes, professeur émérite de l'Université de Leyde, qui reprend entièrement en 2003 les principaux éléments concernant l'origine des Étrusques, une origine « orientale » ne fait pas de doute, le territoire d'origine de ces populations se situant, selon lui, un peu plus au nord que la Lydie souvent proposée par les étruscologues[17],[18].
Les recherches en biologie
Analyses de l'ADN
Une analyse de l'ADN mitochondrial de 80 individus ayant vécu en Étrurie entre le VIIe et le IIe siècle av. J.-C. réalisée par l’équipe de chercheurs du département de biologie de l’université de Ferrare sous la direction du professeur Guido Barbujani a été publiée dans la revue American Journal of Human Genetics en 2004. Les résultats de cette analyse révèlaient que ces individus formaient un groupe génétiquement homogène[19]. Les premières études sur l'ADNmt d'individus associés aux Étrusques n'ont trouvé aucune preuve de continuité génétique entre les Étrusques et les populations actuelles de la même région, à l'exception de quelques endroits isolés en Toscane, comme celles des régions de Volterra et particulièrement du Casentino[20],[12].
Une étude parue le dans Science Advances, coordonnée par les universités de Florence, d' Iéna et de Tübingen et impliquant des chercheurs d'Italie, d'Allemagne, des États-Unis, du Danemark et du Royaume-Uni, ayant étudié pour la première fois des génomes complets fait la lumière sur l'origine et l'héritage des Étrusques en analysant le génome de 82 individus du centre et du sud de l'Italie ayant vécu entre 800 av. J.-C. et 1000 apr. J.-C. Les résultats de la recherche confirment que les Étrusques, malgré leurs expressions culturelles uniques, sont étroitement liés à leurs voisins italiques. Ainsi, les individus étudiés peuvent être modélisés comme ayant dérivé toute leur ascendance d'autres populations européennes telles que le groupe de la culture campaniforme du nord de l'Italie (50% de leur ascendance est liée aux populations de la culture campaniforme d'Europe centrale) et des populations de l'âge du fer du sud de l'Europe (Ibérie, Croatie et Grèce). L'étude montre également que des niveaux substantiels d'ascendance liée aux populations originaires de la steppe pontique étaient répandus et homogénéisés dans toute l'Italie centrale à l'âge du fer dans un contexte multilingue connu pour inclure à la fois des locuteurs de langues indo-européennes tels les langues italiques et celtiques et non indo-européennes comme l'étrusque[12],[21]. Ainsi, si la langue étrusque est une langue relique antérieure aux expansions de l'âge du bronze, elle représenterait alors l'un des rares exemples de continuité linguistique malgré une grande discontinuité génétique[12].
Transformations ultérieures
En 2007, une étude dirigée par Alberto Piazza de l'université de Turin basée sur une population moderne de Toscans dont les familles étaient originaires depuis trois générations au moins de villes et de localités historiquement fortement liées aux métropoles les plus importantes d'Étrurie, montre que l’ADN mitochondrial de l'échantillonnage présente en partie des similitudes avec celui des populations anatoliennes (Asie Mineure) et de l'île de Lemnos[22]. Néanmoins, l'étude plus complète de 2021 portant sur des individus de la période étrusque contredit l'hypothèse selon laquelle les Étrusques étaient originaires du Moyen-Orient[12],[23].
L'étude de 2021 révèle d'importants changements génétiques associés à des événements historiques ultérieurs à la période étrusque, notamment au cours de la première moitié du premier millénaire de notre ère, une plus grande d'affinité génétique avec les populations de l'est de la Méditerranée, distribué dans l'espace génétique occupé par les populations actuelles du sud-est de l'Europe et liés aux déplacements de populations durant la période de la Rome impériale, puis à partir du haut Moyen Âge, un apport génétique d'ascendance nord-européenne au cours de la période lombarde. La comparaison entre les anciennes populations médiévales et la population actuelle toscane suggère enfin une forte continuité génétique depuis le Moyen Âge[12]
Notes et références
- Thuillier 2006, p. 31.
- Thuillier 2006, p. 33.
- Revue suisse, p. 493,1846, Témoignage de Tite Live sur les Rhètes (V,33)
- Yves Liébert,Regards sur la truphè étrusque
- Heurgon, Thuillier, Briquel
- Tite-Live, V, 33 : « Toutes les nations alpines ont eu, sans aucun doute, la même origine [étrusque], et les Rètes avant toutes : c'est la nature sauvage de ces contrées qui les a rendus farouches au point que de leur antique patrie ils n'ont rien conservé que l'accent, et encore bien corrompu »
- Briquel 2005, p. 24
- Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 28.
- Pallottino 1984, chap. 2.
- Massimo Pallottino, Les Étrusques, 1942 (publié en anglais en 1955).
- (en) Larissa Bonfante, The Etruscan Language, p. 3 .
- (en) Johannes Krause, « The origin and legacy of the Etruscans through a 2000-year archeogenomic time transect », sur Science Advances, (consulté le ).
- ...Hérodote livre I des histoires Clio:XCIV
- Jean Bérard, « La question des origines étrusques », Revue des Études Anciennes, vol. 51, no 3, , p. 201–245 (DOI 10.3406/rea.1949.5634, lire en ligne, consulté le )
- Sergent 1995, p. 149.
- Briquel, Thuillier, Heurgon.
- Jacques Poucet, R.S.P. BEEKES, The Origin of the Etruscans (compte-rendu), L'Antiquité Classique, Année 2004, 73, p. 534
- (en) Robert Stephen Paul Beekes, The origin of the Etruscans, Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, 2003, 59 pages.
- (en) Guido Barbujani et al., The Etruscans: A Population-Genetic Study, American Journal of Human Genetics Avril 2004
- (en) Guido Barbujani, David Caramelli et al., « Origins and Evolution of the Etruscans’ mtDNA », PLOS One, (lire en ligne)
- (it) « Università di Firenze: gli Etruschi popolo autoctono, escluso legame con l’Oriente - Arte Magazine », sur Arte Magazine - Il quotidiano di Arte e Cultura, artemagazine43, (consulté le ).
- Laurent Sacco, « L'énigme de l'origine des Étrusques résolue par la génétique ? », sur futura-sciences.com, (consulté le )
- Fidji Berio, « Fin du mystère sur l'origine et la descendance des Étrusques », sur futura-sciences.com, (consulté le )
Bibliographie
- (it) Massimo Pallottino, Etruscologia, Milan, Hoepli, , 564 p. (ISBN 88-203-1428-2)
- Dominique Briquel, Les Pélasges en Italie, recherches sur l’histoire de la légende, Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome, nº 252, Rome, 1984.
- Dominique Briquel, L’origine lydienne des Étrusques, histoire du thème dans la littérature antique, serie dell'École Française de Rome, nº 139, Rome 1991.
- Dominique Briquel, Les Tyrrhènes, peuple des tours, l’autochtonie des Étrusques chez Denys d’Halicarnasse, serie dell'École Française de Rome, nº 178, Rome 1993.
- (en) Robert Stephen Paul Beekes, The origin of the Etruscans, Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, 2003, 59 pages lire en ligne
- Dominique Briquel, Pélasges et Tyrrhènes en zone égéenne, in "Der Orient und Etrurien", Firenze, 2000, 19-36.
- Dominique Briquel, Les Étrusques, Presses universitaires de France - PUF, , 126 p. (ISBN 9782130533146).
- (it) Dominique Briquel, Le origini degli Etruschi: una questione dibattuta sin dall’antichità, in M. Torelli (ed.), "Gli Etruschi", Milano, 2000, p. 43-51.
- Jean-Paul Thuillier, Les Étrusques, Paris, Éditions du Chêne, coll. « Grandes civilisations », , 240 p. (ISBN 2-84277-658-5, présentation en ligne)
- (en) Phil Perkins, DNA and Etruscan Identity, in "Perkins, Philip and Swaddling, Judith eds. Etruscan by Definition: Papers in Honour of Sybille Haynes. The British Museum Research Publications (173) (pp. 95-111), The British Museum Press, London, UK 2009.
- (en) Phil Perkins, The Etruscans, their DNA and the Orient, in "Duistermaat, Kim and Regulski, Ilona eds. Intercultural Contacts in the Ancient Mediterraean: Proceedings of the International Conference at the Netherlands-Flemish Institute in Cairo, 25th to 29th October 2008. Orientalia Lovaniensia Analecta (202) (pp. 171-180), Peeters, Leuven 2011.
- (en) Phil Perkins, DNA and Etruscan identity in Naso, Alessandro ed. Etruscology (pp. 109-118) De Gruyter, Berlin 2017.
Liens externes
- (it) « Etruschi-autoctoni-dna-anatolia », sur Corriere.it
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