Pilum

Le pilum est un type de javelot lourd utilisé par les légions romaines. Introduit dans l’armée romaine entre le IVe et IIIe siècles av. J.-C., la provenance exacte du pilum demeure indéterminée, bien qu’il ait probablement pour origine une culture celtique. Plusieurs variantes coexistent et sont continuellement perfectionnées pendant plusieurs siècles. L’arme reste en effet longtemps en usage et ce n’est qu’au cours de l’Antiquité tardive qu’elle est progressivement remplacée par d’autres armes de jet, dont la plumbata.

Ne doit pas être confondu avec la hasta lance ») dans l'armement romain

Pilum

Soldats romains armés de pilums
Présentation
Pays d'origine Empire Romain
Type javelot lourd
Utilisateur(s) Samnites, Étrusques, légions romaines
Période d'utilisation IVe siècle av. J.-C.
fin du IIIe siècle
Poids et dimensions
Masse de 700 g à 1 200 g
Longueur du manche 1,5 m
Longueur de la lame m
Caractéristiques techniques
Matériaux Fer, bois et plomb
Portée de 25 m à 40 m

Terminologie

L’origine du mot pilum n’est pas établie avec certitude, mais il pourrait être dérivé d’un homonyme désignant le pilon[1]. Les étymologies proposées par les auteurs latins sont quant à elles le plus souvent fantaisistes, ceux-ci écrivant longtemps après l’apparition de l’arme ; ainsi dans le De Lingua Latina, Varron considère que le mot provient de perilum, « danger », parce que le pilum présente un danger pour sa cible[2].

Le mot pilum a donné naissance dans l’Antiquité à plusieurs dérivés pour d’autres armes, par exemple le pilum catapultarium un projectile utilisé par les armes de siège. Il a également servi de base pour construire plusieurs mots désignant les premiers rangs de la ligne de bataille : pilani, « ceux qui portent des pilums », c’est-à-dire les hastati et les principes, qui sont également appelés pili pour la même raison. Par extension, le primus pilus, littéralement « le premier pilum » et traduit par centurion primipile, est le premier des centurions et se trouve à l’avant de l’armée. Le mot sert aussi à forger des expressions, ainsi Plaute emploie la métaphore pilum iniecisti, « j’ai lancé le pilum », pour dire « j’ai attaqué »[1].

Dans les langues modernes, le mot pilum a donné en anglais pile, introduit au Xe siècle et signifiant « projectile, fléchette »[3].

Histoire

Origines

Bien qu’il semble assez certain que le pilum ne soit pas une invention romaine, son origine exacte demeure indéterminée[4]. Au début du XXe siècle, Adolphe Reinach l’attribue aux Samnites, tandis qu’Adolf Schulten considère que, à l’instar du gladius, le pilum a été inspiré par une arme celtibère, en l’occurrence le solliferrum[4]. L’historiographie récente est plus nuancée et ne tranche pas le débat, se limitant à en attribuer l’origine à un peuple celte, la transmission ayant pu se faire aussi bien directement qu’indirectement via une culture italique comme les Étrusques ou les Samnites[5]. Il est également considéré comme possible que plusieurs armes différentes aient inspirées le pilum, ce qui expliquerait pourquoi il existe dès l’origine un pilum lourd et un pilum léger, ainsi que plusieurs méthodes d’assemblage[6].

Le pilum semble avoir été introduit dans l’armée romaine entre le IVe et IIIe siècles av. J.-C., avant le gladius, mais peut-être en même temps que le scutum[5]. D’après la description que fait Polybe dans le livre VI des Histoires, il en existe dès cette époque plusieurs variantes : les hastati et les principes emportent un pilum lourd et un pilum léger, celui-ci étant dit similaire au javelot des vélites. Bien que Tite-Live appelle ce dernier hasta velitari, la description qu’en fait Polybe indique qu’il s’agit très probablement d’une forme de pilum[7]. De la même manière, les fouilles archéologiques montrent la coexistence dès cette époque d’au moins un modèle à assemblage à douille et un à soie, avec différentes sous-variantes[7].

Évolutions

Dans le chapitre des Vies parallèles traitant de Marius, Plutarque lui attribue l’invention d’un système de fixation du fer sur la hampe utilisant un rivet de fer et un rivet de bois. L’objectif de ce système aurait été de rendre le pilum inutilisable après le lancé du fait de la rupture du rivet de bois à l’impact. Cette affirmation n’a toutefois pas pu être confirmée par l’archéologie, aucun pilum présentant cet arrangement n’ayant été retrouvé. Par ailleurs, si l’arme évolue effectivement à la fin de la République, les changements vont plutôt dans le sens d’un renforcement de la solidité de l’ensemble plutôt que d’un affaiblissement. Enfin, les essais réalisés dans le cadre de l’archéologie expérimentale n’ont pas réussi à reproduire un pilum du type décrit par Plutarque qui soit réellement utilisable, les armes construites de la sorte étant trop fragiles[8].

Les fers de pilum découverts à Alésia montrent l’apparition à l’extrême fin de la République d’une virole métallique au sommet de la soie, dont la fonction est probablement de réduire le risque d’éclatement de la partie en bois de celle-ci. Cette innovation se généralise et se perfectionne dans les premières décennies du Ier siècle[9]. Une autre modification majeure de l’arme a lieu dans le dernier quart de ce siècle, avec l’introduction des poids. Fixés sur la hampe en-dessous de la jonction avec le fer, ceux-ci ont pour fonction d’améliorer la pénétration de l’arme et sont vraisemblablement à mettre en lien avec les guerres civiles du Haut-Empire et la nécessité de pénétrer l’armure des légionnaires[10].

Disparition

Bien que restant en usage plus longtemps que le gladius, au moins jusqu’au IIIe siècle, le pilum disparaît progressivement de l’équipement du fantassin sous le Bas-Empire. Celui-ci conserve cependant une arme de jet, sous la forme de la plumbata, un dard plus léger et plus facile à fabriquer que le pilum[11]. Des javelots dérivés du pilum continuent toutefois d’exister, en particulier l’angon franc reste en usage jusqu’au VIIIe siècle[12].

Typologie

Type de Télamon

Le type de Télamon tire son nom de la bataille du même nom ayant eu lieu à proximité de Talamonaccio et où ont été retrouvés les plus anciens exemples de pilum datant de la fin du IIIe siècle av. J.-C.. Ce type se caractérise par une pointe barbelée et une méthode d’assemblage du fer et de la hampe à l’aide d’une soie rectangulaire tenue par deux rivets carrés. Deux variantes existent : une à soie plate et l’autre dont les côtés long de la soie sont dotés de rebords protubérants. Les dimensions sont variables selon les sites de fouilles, mais les exemples de Télamon ont un fer dont la longueur varie entre 270 et 325 mm, la soie mesurant quant à elle entre 75 et 95 mm de long et entre 40 et 50 mm de large. Le poids estimé d’un pilum de ce type est d’environ 1,20 kg[13].

Type de Šmihel

Le site de Šmihel a livré un grand nombre de pilums de différents types. Le nom désigne plus particulièrement l’un de ces types, à pointe pyramidale et méthode d’assemblage à douille, datant peut-être de la fin du IIIe siècle av. J.-C.. Le diamètre de la douille est compris entre 15 et 21 mm pour une longueur totale du fer comprise entre 200 et 380 mm[14].

Type d’Oberaden

Le type d’Oberaden tire son nom du site de fouille situé dans la ville du même nom où ont été découvert en 1938 trois pilums très bien conservés, permettant ainsi d’identifier des évolutions dans la méthode de fixation du fer à la hampe[15].

Utilisation

Arme de jet

Pointe de pilum courbée.

La portée moyenne du pilum est estimée à 25 mètres, mais pouvait atteindre 40 mètres avec des lanceurs exercés et des conditions favorables, voire plus avec l'usage d'une courroie de lancement (amentum) accroissant la vitesse initiale[16].

Le lancement par des légionnaires en formation serrée est difficile : un mouvement d'impulsion est nécessaire, soit par balancement du bras et du buste, soit en faisant un ou plusieurs pas d'élan. Dans les deux cas, ce geste est compliqué si les légionnaires sont en rangs serrés les uns derrière les autres. L'auteur grec Appien en donne une description dans sa narration de la rencontre entre Caius Sulpicius Peticus et des envahisseurs gaulois boïens en 358 av. J.-C. :

« (Sulpicius) ordonna à ses soldats du premier rang, de lancer tous à la fois leurs javelots, puis de s'asseoir ensemble au plus vite jusqu'à ce que ceux du deuxième, du troisième et du quatrième rang en eussent fait de même. Ainsi, une fois leurs traits partis, [ils devaient] toujours s'accroupir pour que les dards ne les atteignissent pas, et quand ceux de la dernière ligne auraient lancé le javelot [à leur tour], s'élancer tous à la fois, et, en poussant des cris, en venir aux mains au plus vite[17] »

On comprend que le centurion primipile qui commandait cet enchaînement complexe ait le plus haut grade parmi les centurions.

La force d'impact du pilum lui permettait de traverser une planche de bois de trois centimètres d’épaisseur ou une plaque métallique[16].

Jules César, dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, a décrit l'efficacité du pilum lors de la bataille contre les Helvètes. L’arme est employée dans des conditions qu'on peut qualifier d'optimales, lancés par des légionnaires placés sur une colline, contre des adversaires qui montent la pente en formation serrée. Les boucliers des attaquants sont transpercés, parfois cloués l'un à l'autre, et la charge contre les Romains est cassée. Les Helvètes ne parviennent pas à se débarrasser des traits ainsi fichés même en secouant leurs boucliers et doivent s'en séparer, obligés de combattre sans protection[18].

Corps-à-corps

Métope du Tropaum Traiani montrant un légionnaire utilisant son pilum au corps-à-corps contre un Dace.

D’après la description que fait Polybe de la Bataille de Télamon, le pilum n’est à l’origine utilisé qu’en tant qu’arme de jet. Cela est confirmé dans une certaine mesure par l’archéologie, les pointes barbelées des plus anciens pilums romains découverts étant mal adaptée à un tel usage. Les évolutions ultérieures renforçant l’attache du fer à la hampe et l’introduction de la pointe pyramidale rendent toutefois possible un tel usage[19]. Cette possibilité est clairement énoncée dans la Géographie de Strabon, tandis que Plutarque évoque à plusieurs reprises des batailles pendant lesquelles les légionnaires utilisent le pilum comme une lance[20]. Cette manière d’utiliser l’arme est également représentée sur les métopes du Tropaeum Traiani à Adamclisi[19].

Ces sources donnent des indications sur la manière dont le pilum est manié dans ces cas. Ainsi, d’après Plutarque, César ordonne à ses légionnaires pendant la bataille de Pharsale de ne pas lancer leur pilum ou de les utiliser pour poignarder les jambes de leurs adversaires, mais de viser les yeux. Cette opposition indique que l’usage au corps-à-corps du pilum consiste à donner des coups d’estoc dans la partie basse du corps de l’opposant. Le pilum peut également servir à repousser les charges de cavalerie : avant d’affronter les Alains, Flavius Arrianus instruit à ses hommes du premier rang de planter leur pilum dans le poitrail des chevaux et à ceux des rangs suivants de l’utiliser pour perforer l’armure des cavaliers désarçonnés[21].

Végèce indique que lorsque le pilum est utilisé au corps-à-corps le légionnaire doit avoir le pied droit en avant. Il n’est en revanche pas clair d’après sa description si l’arme se tient bras baissé ou bras levé et la question n’est pas totalement tranchée. La comparaison avec les armes similaires n’est pas révélatrice : la hasta se tient en effet bras levé et le contus bras baissé. Il est à remarquer toutefois qu’une métope du Tropaeum Traiani semble montrer une ligne de légionnaires s’apprêtant à recevoir une charge avec leurs pilums tenus sous le bras ; le mauvais état de conservation de la pierre ne permet toutefois pas d’être entièrement affirmatif[22].

Usages détournés

Les sources écrites comme l’archéologie témoignent également de l’usage occasionnel du pilum comme instrument de torture et d’intimidation. Ainsi, les fouilles réalisées à Valence montrent que l’arme a été utilisée pour empaler des prisonniers après la capture de la ville par Pompée en [23]. De manière similaire, l’Histoire Auguste mentionne à plusieurs reprises que les têtes d’usurpateurs décapités, comme Pescennius Niger ou Clodius Albinus, ont été exposées fichées sur des pilums[24].

Symbolique

Le couple pilum/gladius est un symbole de l’état militaire de leur porteur, et plus précisément de sa qualité de légionnaire. Ceux-ci se font ainsi souvent représenter sur leurs monuments funéraires avec un pilum à la main, même lorsqu’ils sont en tenue civile, alors que les auxiliaires se distinguent de leur côté par le couple hasta/spatha[25]. Il était également d’usage d’accrocher une couronne de laurier aux pilums à la suite d’une victoire[1].

Galerie

Notes et références

  1. Bischop 2017, p. 69.
  2. Bischop 2017, p. 68.
  3. Bischop 2017, p. 69-70.
  4. Bischop 2017, p. 6.
  5. Bischop 2017, p. 10.
  6. Bischop 2017, p. 10-11.
  7. Bischop 2017, p. 11.
  8. Bischop 2017, p. 15.
  9. Bischop 2017, p. 19.
  10. Bischop 2017, p. 19-20.
  11. Bischop 2017, p. 70, 73.
  12. Bischop 2017, p. 70.
  13. Bischop 2017, p. 12.
  14. Bischop 2017, p. 12, 14.
  15. Bischop 2017, p. 18.
  16. Pierre Grimal, La civilisation romaine, Flammarion, Paris, 1981, réédité en 1998, (ISBN 2-080-81101-0), pp. 132-133, 135.
  17. Appien, Guerre celtique, I.
  18. Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, livre I, 25
  19. Bischop 2017, p. 54.
  20. Bischop 2017, p. 56.
  21. Bischop 2017, p. 56-57.
  22. Bischop 2017, p. 60.
  23. Bischop 2017, p. 61.
  24. Bischop 2017, p. 67.
  25. Bischop 2017, p. 66.

Annexes

Bibliographie

  • (en) M.C. Bishop, The Pilum : The Roman Heavy Javelin, vol. 55, Osprey Publishing, coll. « Weapon », , 80 p. (ISBN 9781472811073).
  • Eric Tréguier, « Pilum et gladius, les deux fers de l'armée romaine », Guerre et Histoire, no hors série n°1, , p. 14-15 (ISSN 2115-967X).

Articles connexes

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