Postulats de la mécanique quantique

Cet article traite des postulats de la mécanique quantique. La description du monde microscopique que fournit la mécanique quantique s'appuie sur une vision radicalement nouvelle, et s'oppose en cela à la mécanique classique. Elle repose sur des postulats.

Pour les articles homonymes, voir quantique.

Participants au Congrès Solvay de 1927 sur la mécanique quantique

S'il existe un très large consensus entre les physiciens sur la manière de réaliser les calculs qui permettent de rendre compte des phénomènes quantiques et de prévoir leur évolution, il n'existe pas en revanche de consensus sur une manière unique de les expliquer aux étudiants. C'est la raison pour laquelle le nombre, l'ordre et surtout la formulation des postulats de la mécanique quantique peuvent varier selon les sources[1],[2].

La plupart du temps, les postulats sont mentionnés comme étant au nombre de six et présentés d'une manière proche de la manière suivante, qui sera explicitée, développée et critiquée plus en détail dans la suite de cet article:

  1. L'état d'un système quantique est défini par un vecteur qui est une combinaison linéaire, avec des coefficients complexes, d'états de base. (Principe de superposition)
  2. Les observables physiques (c'est-à-dire les «choses qu'on mesure»[3]) sont représentées par des opérateurs mathématiques. (Principe de correspondance)
  3. Les mesures ne peuvent pas donner d'autres résultats que ceux qui correspondent à des valeurs propres de ces opérateurs mathématiques. (Principe de quantification[4]) Les vecteurs propres qui correspondent à ces valeurs propres forment une base de l'espace des états de ce système[5].
  4. Les calculs mathématiques fournissent la probabilité d'observer tel ou tel résultat de mesure[6]. (Règle de Born et Principe de décomposition spectrale[4])
  5. La mesure modifie l'état du système quantique mesuré de manière à faire disparaître les probabilités qui ne se sont pas réalisées. (Principe de réduction du paquet d'onde)
  6. L'évolution dans le temps du système quantique est fixée par l'équation de Schrödinger.

Formulation mathématique

La formulation mathématique de la mécanique quantique, dans son usage général, fait largement appel à la notation bra-ket de Dirac, qui permet de représenter de façon concise les opérations sur les espaces de Hilbert utilisés en analyse fonctionnelle. Cette formulation est souvent attribuée à John von Neumann.

Soit un espace de Hilbert complexe séparable. L'ensemble des états est l'espace projectif formé sur  ; autrement dit un état est une droite vectorielle (complexe) de . Un opérateur est une transformation linéaire d'un sous-espace dense de vers . Si cet opérateur est continu, alors cette transformation peut être prolongée de façon unique à une transformation linéaire bornée de vers . Par tradition, les choses observables sont identifiées avec des opérateurs, bien que ce soit discutable, particulièrement en présence des symétries. C'est pourquoi certains préfèrent la formulation d'état de densité.

Dans ce cadre, le principe d'incertitude d'Heisenberg devient un théorème au sujet des opérateurs non-commutatifs. En outre, on peut traiter des observables continues et discrètes ; dans le premier cas, l'espace de Hilbert est un espace de fonctions d'onde de carré intégrables.

Les postulats

Postulat I

Définition de l'état quantique

La connaissance de l'état d'un système quantique est complètement contenue, à l'instant t, dans un vecteur normalisable d'un espace de Hilbert .

Ce vecteur est habituellement noté sous la forme d'un ket .

Postulat II

Principe de correspondance

À toute propriété observable, par exemple la position, l'énergie ou le spin, correspond un opérateur hermitien linéaire agissant sur les vecteurs d'un espace de Hilbert . Cet opérateur est nommé observable.

Les opérateurs associés aux propriétés observables sont définis par des règles de construction qui reposent sur un principe de correspondance[7] :

L'opérateur de position
L'opérateur d'énergie potentielle classique ou électromagnétique
L'opérateur de quantité de mouvement
, où désigne le gradient des coordonnées
L'opérateur de moment angulaire
L'opérateur d'énergie cinétique
L'opérateur d'énergie totale, appelé hamiltonien
L'opérateur action du système, appelé lagrangien
Tableau récapitulatif
Propriété Observable
Position
Énergie potentielle
Quantité de mouvement , où désigne le gradient des coordonnées
Moment angulaire
Énergie cinétique
Énergie totale, appelé hamiltonien
Action du système, appelé lagrangien

Postulat III

Mesure : valeurs possibles d'une observable

La mesure d'une grandeur physique représentée par l'observable A ne peut fournir que l'une des valeurs propres de A.

Les vecteurs propres et les valeurs propres de cet opérateur ont une signification spéciale : les valeurs propres sont les valeurs pouvant résulter d'une mesure idéale de cette propriété, les vecteurs propres étant l'état quantique du système immédiatement après la mesure et résultant de cette mesure (voir postulat V : réduction du paquet d'onde). En utilisant la notation bra-ket, ce postulat peut s'écrire ainsi :

, et désignent, respectivement, l'observable, le vecteur propre et la valeur propre correspondante.

Les états propres de tout observable sont complets et forment une base orthonormée dans l'espace de Hilbert.

Cela signifie que tout vecteur peut se décomposer de manière unique sur la base de ces vecteurs propres ():

Postulat IV

Postulat de Born : interprétation probabiliste de la fonction d'onde

La mesure d'une grandeur physique représentée par l'observable A, effectuée sur l'état quantique normalisé , donne le résultat an, avec la probabilité Pn égale à |cn|2.

Le produit scalaire d'un état et d'un autre vecteur (qu'il appartienne ou non à ) fournit une amplitude de probabilité, dont le carré correspond à une probabilité ou une densité de probabilité de la façon suivante :

  • Pour un système constitué d'une seule particule dans un état normé, la fonction d'onde est l'amplitude de probabilité que la particule soit à la position . La probabilité de trouver la particule entre et est:
    Donc est une densité de probabilité.
  • Si le système est dans un état normé, alors l'amplitude de probabilité et la probabilité de le retrouver dans tout autre état sont:
    .
    .
    Ni , ni ne doivent être nécessairement un état propre d'un opérateur quantique.
  • Dans l'éventualité où un système peut évoluer vers un état au temps par plusieurs trajets différents, alors, pour autant que l'on n'effectue pas de mesure pour déterminer quel trajet a été effectivement suivi, est une combinaison linéaire des états spécifie le trajet:
    sont les coefficients de la combinaison linéaire.
    L'amplitude devient alors la somme des amplitudes et la probabilité contient des termes d'interférence :
    Mais si une mesure a déterminé que le trajet a été suivi, alors les coefficients deviennent et les sommes précédentes se réduisent à un seul terme.
  • En supposant que le système se trouve dans un état , alors la prédiction théorique de la valeur moyenne de la mesure de l'observable est donnée par :

Postulat V

Mesure : réduction du paquet d'onde; obtention d'une valeur unique; projection de l'état quantique

Si la mesure de la grandeur physique A, à l'instant t, sur un système représenté par le vecteur donne comme résultat la valeur propre , alors l'état du système immédiatement après la mesure est projeté sur le sous-espace propre associé à :

est la probabilité de trouver comme résultat la valeur propre et est l'opérateur projecteur défini par

Avec le degré de dégénérescence de la valeur propre et les les vecteurs de son sous-espace propre.

Ce postulat est aussi appelé "postulat de réduction du paquet d'onde".

Postulat VI

Évolution temporelle de l'état quantique

L'état de tout système quantique non-relativiste est une solution de l'équation de Schrödinger dépendante du temps:

Le sixième postulat est l'équation de Schrödinger. Cette équation est l'équation dynamique de la mécanique quantique. Elle signifie simplement que c'est l'opérateur « énergie totale » du système ou hamiltonien, qui est responsable de l'évolution du système dans le temps. En effet, la forme de l'équation montre qu'en appliquant l'hamiltonien à la fonction d'onde du système, on obtient sa dérivée par rapport au temps c'est-à-dire comment elle varie dans le temps.

Cette équation n'est valable que dans le cadre non relativiste.

Critique

Les implications de la mécanique quantique sont si complexes, si profondes et si inhabituelles (par rapport à notre propre expérience) qu'une grande partie de la communauté scientifique a décidé de les éluder, et se contente d'utiliser la théorie, qui a fourni les prévisions les plus précises à ce jour.

Les tenants de cette approche, dite de l'École de Copenhague, tiennent à peu près ce discours :

Il importe de remarquer dès maintenant que ces postulats n'ont aucun sens (méta-)physique : ils ne décrivent pas l'univers. Ils sont purement formels, opératoires, en ce qu'ils décrivent les opérations adéquates, mais sans permettre de les interpréter, ni a fortiori d'expliquer pourquoi elles permettent de décrire les phénomènes et même de les prédire. C'est la raison pour laquelle on a pu dire :
« Si quelqu'un vous dit qu'il a compris la mécanique quantique, c'est un menteur »
Il s'agit d'une impossibilité radicale, liée à l'absence de lien physique entre les postulats et la réalité, et non d'une « simple » ignorance qui pourrait être comblée à l'intérieur du cadre de la mécanique quantique actuelle.
Bref, la mécanique quantique est parfaitement valide dès maintenant (en attendant une surprise toujours possible…), mais incompréhensible sans complément encore à faire.

Parallèlement, une partie de la communauté scientifique ne pouvant accepter l'approche de l'École de Copenhague a tenté de créer une « autre » mécanique quantique qui serait en accord avec les principes « naturels » sur lesquels toute science expérimentale devrait s'appuyer : la reproductibilité d'une expérience et le principe de déterminisme.

Dans ce but, de nombreuses théories aussi sérieuses que farfelues ont vu le jour. La première solution proposée fut celle des variables cachées (théorie qui suppose que l'information « manquante » pour que le système se comporte d'une manière déterministe absolue est portée par des variables dont nous n'avons pas la connaissance). À l'heure actuelle, il est impossible de résoudre tous les systèmes à l'aide d'une théorie de cette forme.

Une autre solution à cette problématique est le fait d'accepter la mécanique quantique et ces « problèmes de déterminisme », mais, en opposition à l'École de Copenhague, de ne pas accepter le caractère fondamental des postulats de la mécanique quantique. Pour ce faire, les membres de cette école ont porté leur analyse sur les « axiomes » fondamentaux qui soutiennent les sciences expérimentales. Cette analyse a porté ses fruits, et cette école reformule ces axiomes de manière qu'une science ou mécanique fondée sur cette « logique axiomatique » soit en accord avec la mécanique quantique[réf. nécessaire] (voir Les trois axiomes de la mécanique quantique). Cette solution est très peu connue dans le monde non scientifique et possède encore un grand nombre de détracteurs. Les discours des détracteurs et les réponses des protagonistes de cette solution peuvent se résumer ainsi :

Les détracteurs
Cette solution ne fait que déplacer le problème, car au lieu d'avoir une mécanique quantique fondée sur cinq postulats « sortis de nulle part », vous avez trouvé une solution pour qu'elle soit fondée sur trois axiomes « sortis de nulle part »[réf. nécessaire].
Les protagonistes
Premièrement il est nécessaire de comprendre à quel point toute science est fondée sur une axiomatique fondamentale qui régit l'acquisition de données expérimentales et le traitement de ces données. En effet, l'idée de causalité, de déterminisme, de reproductivité d'une expérience sont des concepts fondamentaux sans lesquels il serait impossible à l'esprit humain de créer une science. Et ces concepts sont des axiomes ! Ces axiomes ont été formulés durant l'Antiquité et nous les avons acceptés jusqu'à présent sans aucun doute. Or, avec l'arrivée de la physique moderne et l'étude des particules élémentaires, ces axiomes engendrent des paradoxes, il est donc clair que nous ne pouvons plus les accepter tels quels, il devient donc nécessaire de les reformuler. Nous n'avons pas déplacé le problème, car nous avons réduit six postulats et un axiome en trois axiomes. Enfin, ces trois nouveaux axiomes sont bien plus « naturels » que les six postulats de la mécanique quantique[réf. nécessaire].

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Paul Dirac (trad. de l'anglais par Alexandre Proca et Jean Ullmo), Les principes de la mécanique quantique, Sceaux, Jacques Gabay, , Reproduction en fac-simile de la 1re éd. aux Presses Universitaires de France éd., 314 p., broché (ISBN 978-2-87647-071-2)
    Le livre originel de Paul Dirac ayant introduit son formalisme. D'une grande concision, le livre est abstrait d'emblée et présente les cinq axiomes dès le premier chapitre.
  • Claude Cohen-Tannoudji, Bernard Diu & Franck Laloë, Mécanique quantique, tome 1, Hermann, , 890 p. (ISBN 2-7056-6074-7)
    L'introduction de choix pour la mécanique quantique dans le monde francophone. Le chapitre 3 présente les postulats de cette mécanique. La compréhension de cet ouvrage exige un bon niveau de mathématiques. Un désavantage : à l'instar de cet article, il emploie la notation de Dirac qui est née alors que les mathématiques utiles à la mécanique quantique étaient peu développées. À l'heure actuelle, de nombreux théoriciens ont abandonné cette notation en faveur d'un formalisme, peut-être moins adapté à la mécanique quantique, mais plus rigoureux mathématiquement. Voir, par exemple, les articles analyse fonctionnelle (mathématiques), théorie des opérateurs (mathématique) et théorie des groupes.
  • Richard P. Feynman, Robert B. Leighton (en) et Matthew Sands (en), Le Cours de physique de Feynman [détail de l’édition], Mécanique quantique, tome 3, Dunod (ISBN 2100049348)
    Bonne traduction d'un livre écrit en anglais. Bien adapté à un profane possédant un niveau bac scientifique en mathématique et désirant avoir une introduction rigoureuse à la mécanique quantique.

Notes et références

  1. La plupart des sources s'accordent sur le nombre de 6 postulats et sur l'ordre de leur présentation. Les différences se situent surtout au niveau de la formulation: 6 postulats sur Wikiversité, 3 postulats, subdivisés en 4 principes, plus 3 axiomes sur le site du Centre de Physique Théorique d'Aix-Marseille, 6 postulats sur le site de l'Université de Paris Sud
  2. Leonard Susskind par exemple, dans le cours qu'il a donné à Stanford en 2012, mentionne que les quatre premiers postulats qu'il y expose ne sont pas indépendants les uns des autres. Il serait donc possible de diminuer leur nombre, mais ce serait au prix de beaucoup plus d'abstraction mathématique. Il préfère donc en mentionner quatre, comme s'ils étaient indépendants, pour faciliter la compréhension de ses étudiants. ((en) Leonard Susskind, « The Theoretical Minimum Lecture 4 », sur Youtube, , au début de la vidéo)
  3. (en) Leonard Susskind, « The Theoretical Minimum Lecture 4 », sur Youtube, , passage 0:1:00
  4. « Postulats de la Mécanique Quantique », sur Centre de Physique Théorique (consulté le )
  5. (en) Leonard Susskind, « The Theoretical Minimum Lecture 3 », sur Youtube, , passage 1:00:00
  6. Ceci n'empêche pas que certains résultats puissent parfois être certains (leur probabilité est alors égale à 1) ou impossibles (probabilité égale à 0).
  7. Dans les définitions données ci-dessus, les opérateurs sont représentés en fonction des coordonnées. Une autre représentation, équivalente, mais basée sur les quantités de mouvement existe aussi.
  • Portail de la physique
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.